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Full text of "Recherches expérimentales et cliniques sur la sensibilité"

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FACULTE DE MEDECINE DE FAKIS 


Année 1877 


THÈSE 


LE DOCTORAT EN MÉDECINE 

Présentée et soutenue le 23 jamier 1877, à 2 heures. 

Par Charles RICHET 

Né à Paris, Bn 1850, 

Interne lauréat des hôpitaux de Paris, 

Licencié ès sciences. 


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES ET CLINIQUES 

SUR LA SENSIBILITE 


Président de la Thèse ; M. VERNEUIL, Professeur. 

Juges : MM i Professeur. 

! LANNELONGÜE, DAMASGHINO, Agrégés. 


a.:ididsi répondra aux questions qui lui seront faites sur Us diverses 
parties de Venseignement médical. 


PARIS 

A. PARENT, IMPRIMEUR DE LA FACULTÉ DE MÉDEGINl 
31, RUE MONSIEUR-LE-PEINCB, 31 


{877 



FACULTE DE MEDEC INE DE PARI 

Doyen... M. VULPIAN. 

Professeurs. MM. 

Anatomie.. SAPPEY. 

Physiologie.BECLARD. 

Physique médicale.... GAVARRET. 

Chimie organique et'chimie minérale.WÜRTZ. 

Histoire naturelle médicale.BAILLON. 

Pathologie et thérapeutique générales.CHAUFFARD, 

Pathologie médicale. . .j 

Pathologie chirurgicale. ... | xrelaT^' 

Anatomie pathologique.CHARCOT. 

histologie.ROBIN. 

Opérations et appareils.LE FORT. 

Pharmacologie. REGNAULD. 

Thérapeutique et matière médicale.GUBLER. 

Hygiène.; . . . . BOUCHARDAT. 

Médecine légale...TARDIEU. 

Accouchements, maladies des femmes en couche 

et des enfants nouveau-nés. ..PAJOT. 

Histoire de la médecine et de la chirurgie. . . . PARROT. 
Pathologie comparée et expérimentale.VULPIAN. 

i SEE (G.). 

SIS?;"' 

POT AIN. 

[ RICHET. 

folinique chirurgicale...K | 

I VERNEUIL. 

Clinique d’accouchements.DEPAUL. 

Doyen honoraire : M. WU TZ. 


Professeurs honoraires ; 

[ MM. BOUILLAUD et baron J. CLOQUET et DUMAS. 


Agrégés en exercice. 


i\.M. 

ANGER. 

BERGEBON. 

BLUM. 

BOUCHARD. 

BOUCHARDAT. 

BROUARDEL. 

CHARPENTIER. 


MM. 

DAMASCHINO. 

DELENS. 

DE SEYNES. 

DUGUET. 

DUVAL. 

FARABEUF-, 

FERNET. 


MM. 

GARIEL. 

GAUTIER. 

GUÉNIOT. 

HAYEM. 

LANCEREAUX. 

LANNEI.ONGUE. 

LECORCHÉ. 


MM. 

LEDENTÜ 

NICAISE. 

OLLIVIER. 

RIGAL. 

TERRIER 


Agrégés libres chargés de/.conrs compiénaentaîres. 


Cours clinique des maladies de la peau, . . . ... .... MM IV. 

—- des maladies des enfants. JV. 

des maladie mentales et neiveuses. ..... BALL. 

—■ de l’ophthalmologie...s . . . . .... PANAS. 

des maladies des voies urinaires ...... .... GÜYON, 

— des maladies syphilitiques... FOURNIER 

Cl.et des travaux anatomiques.... .. Marc SEE. - 


JLe SecréUh ; A. PINET. 


Far délibération en date du 9 décembre 1793, l’Ecole a arrêté que les opinions émises dans les 
dissertations qui seront présentées doivent être considérées comme propres à leurs auteurs 
qu’elle n’tntend leur donner aucune approbation ni improbation 

























A MON PÈRE 


A, RICHET, 

Professeur à la Faculté de médecine de Paris, 
Chirurgien de rHôtel-Dieu. 


A MON GRAND-PÈRE 


GH. RENOUARD, 

Membre de l’Institut, 

Procureur général à la Cour de cassation. 


Vous m’avez donné l’exemple d’une vie laborieuse, 
austère, utile et sans tache. Je n’ai pas d’autre espoir que 
de vous imiter. 


A MA MÈRE 


A MA SOEUR 


A MON BEAU-FRÈRE CHARLES BULOZ 

Directeur de la Reme des Deux-Mondes 



A MON PRÉSIDENT DE THESE 


M. A. VERNEUIL 

Professeur à la Faculté de médecine. 
(Internat, 1876). 


Témoignage de profonde reconnaissance. 


A MON EXCELLENT MlÎTRE 

M. MAREY 

Professeur au Collège de France. 

A M. WURTZ 

Membre de l’Institut, 

Professeur à la Faculté des sciences et à la Faculté de médecine. 


A M. H. MILNE EDWARDS 

Membre de l’Institut, 

Doyen de la Faculté des sciences. 

A M. GH. RORIN 

Membre de l’Institut, 

Professeur à la Faculté de médecine. 

Hommage reconnaissant de leur ancien élève. 



A LA MÉMOIRE 

DE M. LE PROFESSEUR RÉHIER 

(Externat, 1872). 


A M. LE D' RENJAMIN BALL 

(Externat, 1872). 


A M. LÉOM LEFORT 

Professeur à la Faculté de médecine 
(Internat, 1873). 

AM. LE D' MOREAU (de Tours) 
(Internat, 1875). 

A MBS CHERS MAÎTRES Et AMIS 

D» H. FARABEUF 

Professeur agrégé à la Faculté. 

BT 

D' H. LIOUVILLE 

Député à l’Assemblée nationale. 
Professeur agrégé à la Faculté. 


A MES AMIS 

D’ E. Bourdon, H. Ferrari, P. Fournier, E. Guiard, 
R. Girard, G. Ollbndorfp 



Cette étude est le résultat d’un assez long travail. Néan¬ 
moins, jene me dissimule pas son insuffisance, et je recon¬ 
nais que, malgré mes efforts, ce n’est qu’une ébauche. 

Qu’il me soit permis d’insister sur l’idée qui m’a 
guidé. 

Cette idée, c’est l’union intime et nécessaire de la pa¬ 
thologie et de la physiologie. C’est cette doctrine que 
M. Claude Bernard, suivant la trace des Harvey, des Hun- 
ter, des Haller et des Scarpa, n’a cessé de développer et de 
propager, et qui, grâce à lui, est devenue une vérité 
presque banale. 

Il est donc aussi déraisonnable de soutenir la préé¬ 
minence de la medecine, que la prééminence de la phy¬ 
siologie. L’une et l’autre sont deux formes d’une même 
s^:ience, la biologie, avec cette différence que le médecin se 
préoccupe avant tout de guérir, et le physiologiste de 
savoir. 

Rien ne serait plus inutile que d’insister sur ce point, 
tant l’accord est général, et l’assentiment unanime. Les 
phénomènes normaux, et les phénomènes pathologiques 
sont des phénomènes vitaux, soumis aux mêmes condi¬ 
tions, aux mêmes lois, et s’éclairant réciproquement. 

C’est pourquoi j’ai réuni ici les faits cliniques que j’ai ^ 
observés aux faits expérimentaux que j’ai eu l’occasion 
d’étudier, et je me suis plu à les confondre et à les mélanger, 



INTRODUCTION. 


convaincu qu’une bonne observation vaut une bonne ex¬ 
périence, dont elle n’est qu’une variété. 

Pour ce qui touche mon sujet, il est plus étendu que je 
ne l’aurais voulu, et pourtant moins complet que je le dé¬ 
sirais. J’avais d’abord espéré prendre isolément toutes 
les modifications de la sensibilité générale, et mettre à 
profit les nombreuses observations que j’avais recueillies 
dans cette intention. Mais peu à peu le cadre que j’avais 
choisi s’est élargi, et j’ai été forcé de me restreindre. Je 
n’ai pu traiter avec tous les détails nécessaires certaines 
questions telles que le toucher, le sens musculaire, et la 
sensibilité excito-motrice : je le regrette d’autant plus que 
ce sont des sujets fort obscurs et méritant de nouvelles 
recherches. 

Sans doute, je me suis laissé parfois entraîner à ad¬ 
mettre des hypothèses, mais j’en ai été aussi peu prodigue 
que possible, sachant combien elles sont vaines et dange¬ 
reuses. D’ailleurs je ne les ai jamais présentées comme 
des certitudes, mais seulement comme des probabilités. 

J’ai surtout insisté sur les faits qui me paraissaient 
obscurs. Il arrive souvent que lorsque un phénomène est 
inexplicable, on l’explique, et qu’on se contente de l’ex¬ 
plication : elle devient presque une vérité à force d’être 
répétée et reproduite partout. Je crois qu’il est utile de 
réagir contre cette tendance paresseuse de l’esprit à s’ac¬ 
commoder d’explications hardies à la fois et embarrassées 
qui n’expliquent rien, qui s’appuient sur une erreur pour 
soutenir une vérité, et qui repassent de livre en livre sans 
qu’on puisse découvrir d’où elles viennent. Rien n’est plus 
fâcheux que de tels encombrements dans la science, et il 
est parfois nécessaire de faii"e des exécutions. 



INTRODUCTION. 


On pourrait aussi me reprocher d’avoir fait de la psy¬ 
chologie, mais la psychologie tend tous les jours à deve¬ 
nir une science de plus en plus précise, et on peut prévoir 
le moment où elle sera une des branches les plus intéres¬ 
santes de la physiologie. L’homme est à la fois corps par 
son sang et ses muscles, et esprit par son cerveau. L’é 
tude du mouvement du sang a été faite, et elle est à peu 
près terminée. L’étude des mouvements du cerveau, de la 
perception, de la sensation, de l’habitude, de l’attention, 
de la mémoire est tout entière à faire, ce qui ne signifie 
pas qu’elle est impossible, et elle ne sera fructueuse que 
si l’on emploie la méthode expérimentale, rigoureuse¬ 
ment expériment ale 

Le sujet que j’ai pris, quelque vaste qu’il soit, serait 
fort restreint, si l’on se bornait aux données fournies par 
les livres classiques sur la sensibilité en général. Il m’a 
donc fallu pour traiter la question dans son ensemble, 
réunir des faits épars, et les grouper dans un cadre quj 
n’existait pas, tâche aussi délicate que périlleuse. En 
présence de la difficulté de ma tâche, j’espère qu’on m’ac¬ 
cordera une indulgence qui m’est si nécessaire. 

Qu’il me soit permis, en terminant, de remercier 
M. le professeur Verneuil et M. le professeur Marey qui 
par leurs conseils et leur enseignement m’ont été un si 
utile appui. Ils savent qu’ils n’ont pas d’élève plus dé¬ 
voué et plus reconnaissant. 


Richet. 



RECHERCHES 


EXPÉRIMENTALES ET CLINIQUES 


LA SENSIBILITÉ 


Scientia magis ex errore 
quant ex confusione. 

Bacon, 



La sensibilité est cette fonction par laquelle les êtres 
vivants sont en rapport avec les objets extérieurs, et sont 
ébranlés par eux. Elle nous met aussi en rapport avec nos 
propres organes, en sorte qu’on pourrait distinguer une 
sensibilité externe, et une sensibilité interne, plus obtuse 
et plus imparfaite. 

Envisagée ainsi, la sensibilité a trois termes : l’extré¬ 
mité du nerf, modifiée de manière à renforcer et perfec¬ 
tionner l'excitation ; le tronc nerveux qui est un simple 


t 



il 


SENSIBILITÉ RÉCURRENTE. 

conducteur, et les centres nerveux qui conduisent et 
perçoivent l’excitation. 

Nous ne savons presque rien des fonctions spéciales des 
organes terminaux : aussi, étudierons-nous seulement 
la sensibilité d’abord dans les nerfs, et ensuite dans les 
centres. 

Nous ne traiterons pas des sensibilités spéciales, telles 
que l’odorat, la vue, l’ouïe et le goût, et nous n’envisagerons 
que la sensibilité dite générale. 



PREMIÈRE PARTIE 


De la sensibilité comme fonction des nerfs. 


CHAPITRE PREMIER. 

DE LA PAIRE NERVEUSE ET DE LA SENSIBILITÉ RÉCURRENTE. 

C’est au commencement de ce siècle qu’on a découvert 
que parmi les nerfs, les uns étaient destinés au mouve¬ 
ment, les autres au sentiment. Galien qui avait fait sur la 
moelle épinière une série d’expériences si curieuses et si 
bien conduites, avait presenti cette double fonction des 
troncs nerveux (1), mais au point de vue d’une démonstra¬ 
tion expérimentale, il n’avait rien fait pour déterminer 
quels étaient les uns, et quels étaient les autres. Il en était 
de même d’Alex. Walker (2) qui, en 1809, supposa, sans 
preuves à l’appui, que les racines antérieures et les cordons 
antérieurs de la moelle épinière avaient une fonction dif¬ 
férente de celle des cordons postérieurs et des racines pos¬ 
térieures. Ce n’était qu’un pressentiment de la vérité plu¬ 
tôt que la vérité elle-même, car, n’ayant pas expérimenté, 

(1) Galien^ De anatome administr., liv. viii, chap. Set suiv, 

(2) Archives of universal science, juillet 1809, t. III, p. 172. 



SENSIBILITÉ RÉCURRENTE. 13 

Walker supposa que les racines antérieures étaient desti¬ 
nées au sentiment. 

L’hypothèse de Walker fut reprise deux ans après par 
Charles Bell (1) et définitivement démontrée en 1822 par 
Magendie. Grâce à Claude Bernard, Vulpian et Flint, il 
est aujourd’hui bien démontré (2) que l’honneur de cette 
découverte fondamentale revient surtout à Magendie. En 
effet le livre de Bell ne fut tiré qu’à une centaine d’exem¬ 
plaires, pour être distribué à ses amis. D’ailleurs, tout en 
renfermant des vues ingénieuses, et relatant quelques 
expériences remarquables, il est loin de démontrer avec 
précision le rôle de chacune des racines nerveuses. Bell 
est préoccupé avant tout des fonctions du cerveau et du 
cervelet. Le cerveau est l’organe de la vie, «Into it ail the 
nerves from the external organs of the senses enter, and 
from it ail the nerves which are agents of the will pass 
out », c’est-à-dire qu’il est le point de départ des nerfs 

(1) An îdea of a new anatomy of the Brain, suhmitted for the 
observations of his Friends, London. 1811. 

(2) Voici les sources où on trouvera des renseignements suffisants sur 
rhistorique de la question : 

Alex. Sùa-w. Narrative of the discoveries of Ch. Bell on the nervous 
System, 1839. — ChurcMll. Documents and dates of modem discoveries, 
1839. 

Vulpian. Leçons sur la physiologie générale et comparée du système ner¬ 
veux. Paris, 1866. 

Flint. Considérations historiques sur les propriétés des racines des nerfs 
rachidiens (Journal de T anatomie, 1868, t. V, p. 520). 

M. Bernard. Leçons sur les propriétés du système nerveux, 1858, t. 1, 
p. 11 ; Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en 
France, 1867, p. 12 et 154. 

Milne Edwards. Leçons sur la physiologie et Vanatomie comparées, t. XI, 
p. 362. 



HISUOBIQÜE., 


44 

moteurs et le point d’arrivée des nerfs sensitifs. Ces nerfs 
sensitivo-moteurs sont justement les racines antérieures 
rachidiennes. Quant aux racines postérieures, Bell leur 
assignait des fonctions qui, nous paraissent aujourd’hui 
plus ou moins dévolues, au grand sympathique. Elles ré¬ 
gissent les actions du corps, et président aux fonctions des 
viscères. 

Ce n’est pas à ce seul livre que se bornent les titres de 
Charles Bell, antérieurs aux titres de Magendie. En effet 
en 1821, il publia dans les Philosophical transacti&ns (1) un 
mémoire se rapportant à peu près au même sujet. Par 
malheur, ce mémoire est peu répandu, et on comprend 
facilement l’erreur des auteurs quiontcru que CharlesBell 
avait découvert la paire nerveuse sensitivo-motrice, si on 
sait que le mémoire de 1821 n'est guère connu que par la 
réimpression que Charles Bell en a donnée en 1844 (2) avec, 
celle d’autres mémoires. L’édition de 1821 est la seule va¬ 
lable, puisqu’elle est la seule antérieure aux travaux de 
Magendie, et elle est loin d’être identique à ce qui fut réim¬ 
primé plus tard. Or, dans cette édition, on ne trouve rien 
de caractéristique relativement aux fonctions distinctes 
des deux racines rachidiennes. On y voit rapportées ces 
fameuses expériences sur la section du nerf facial et de la 
branche maxillaire du trijumeau. Mais il y est dit que le 
nerf facial est un nerf respirateur, c’est-à-dire moteur des 

(1) On the nerves, giving cm account ofsome experimmt on i,neir struc¬ 
tures and functions, which lead to à new arrangement of the System, 1821, 
partie I, p. 238 et suiv. 

(2) The nervous System of the human body, cis explaned in sériés of 
papers read before the Rogal Society of London. Londres, 1844, third 
édition. 



SENSIBILITÉ RÉCURRENTE, 


■m 

muscles de la respiration, tandis que la branche maxillaire 
du trijumeau donne le mouvement aux muscles mastica¬ 
teurs et la sensibilité à la face. 

Evidemment ces faits sont vrais, mais de là à générali*- 
ser et à conclure que ces racines antérieures sont motrices 
et les racines postérieures sensitives, il y a un pas im¬ 
mense, et ce pas, c’est Magendie qui l’a fait, 

Magendie, en août 1822 (1), ayant mis à nu le canal rachi¬ 
dien d’un animal vivant,coupa les racines postérieures et 
vit le membre auquel le tronc nerveux se distribuait, 
privé de sensibilité, tandis que la section des racines anté¬ 
rieures supprimait le mouvement : il en conclut que les 
racines postérieures paraissent plus particulièrement des¬ 
tinées à la sensibilité, tandis que les antérieures semblent 
plus spécialement liées avec le mouvement. Dans aucun 
des écrits de Charles Bell antérieur à 1822, on ne trouve 
une affirmation aussi nette et aussi claire. 

Quoique on ait parfois prétendu le contraire, Magendie 
se rendait compte du fait essentiel qu’il avait conquis à la 
science, et n’a jamais abandonné ses droits. « M. Bell, dit- 
il (2), conduit par ses ingénieuses idées sur le système ner¬ 
veux, a été bien près de découvrir les fonctions des racines 
spinales ; toutefois,-le fait que les antérieures sont desti¬ 
nées au mouvement, tandis que les postérieures appar¬ 
tiennent plus particulièrement au sentiment, paraît lui 
avoir échappé. » Plus tard, il disait en parlant de cette 
découverte qui lui fut tant disputée et reconnue si tardive¬ 
ment : « C’est bien mon œuvre, et elle doit rester comme 

(i) Expériences sur les fonctions des racines desnerfs rachidiens {Jour¬ 
nal de'physiologie, 1822, t. Il, p. 276). 

‘ (2) Loc. cit., p. 371. i 



16 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE. 

une des colonnes du monument qu’élève depuis le com¬ 
mencement de ce siècle la physiologie française» (1). La 
postérité confirmera le jugement que Magendie portait sur 
son œuvre (2). 

Si nous avons insisté ici sur l’historique de cette décou¬ 
verte, c’est que dans la plupart des ouvrages étrangers ou 
même français, antérieurs au livre de Vulpian, on at¬ 
tribue à Charles Bell toute la gloire de la découverte des 
fonctions des nerfs rachidiens, et qu’il est nécessaire de 
rendre à Magendie la part essentielle qu’il a eue à cette 
découverte. D’ailleurs elle devait subir d’autres vicissi¬ 
tudes, puisque, même après le mémoire de Magendie, elle 
fut, sinon contestée, au moins ébranlée par Magendie lui- 
même. 

En effet cet auteur (3), en 1839, déclare qu’il n’y a rien 
d’absolu dans la distinction des deux fonctions des racines 
nerveuses, et que les racines antérieures sont quelquefois 
sensibles. Ce fait, resté inexplicable pour Magendie, c’est 
Longet, qui vraisemblablement (4) en a le premier donné 
l’explication rationnelle ; selon ce savant physiologiste, 
la sensibilité de la racine antérieure lui est donnée par 
la racine postérieure, c’est une sensibilité récurrente 
qui, lorsque la racine antérieure est coupée, se manifeste 
seulement dans son bout périphérique, et disparaît dès 

(1) Cité par Vulpian. Loç, cit,, p. 129. 

(2) Voir aussi : Magendie. Comptes-rendus de VAcadémie des sciences, 
1847, p. 257. 

(3) Leçons sur les fonctions et les maladies du système nerveux, 1839. 

(4) Comptes-rendus de VAcadémie des sciences, juin 1839, p. 884 et 949 
(Gazette des hôpitaux, 1839), et Recherches expérimentales et patholo¬ 
giques sur les propriétés et les fonctions des faisceaux de la moelle épinière 
et des racines des nerfs rachidiens (Archives génér. de méd., mars 1841) 



RACHÎDIENNJc:. 


17 


que la racine postérieure est sectionnée. Cependant Lon¬ 
get, n’ayant pas su préciser les conditions nécessaires à 
la présence de cette sensibilité récurrente, ne la retrouva 
pas dans les expériences subséquentes qu’il fit, et après 
l’avoir reconnue et expliquée, il la nia formellement ( 1 ). 
Mais Cl. Bernard, reprenant les expériences de Magendie 
et de Longet lui-même, retrouva en 1847 cette sensibilité 
récurrente (2), et fit connaître avec précision dans quelles 
circonstances elle peut être constatée. 

Pour observer la sensibilité récurrente, il faut que la 
sensibilité générale ne soit pas épuisée. Or l’ouverture du 
canal rachidien est une opération longue, pénible, extrê- 
ment douloureuse, et pendant laquelle se produisent sou¬ 
vent d’abondantes hémorrhagies. Les lapins meurent tous 
pendant l’opération. Chez les grenouilles, ainsi que J. 
Millier (3) l'a constaté il y a longtemps, les racines anté¬ 
rieures sont insensibles. Il faut donc opérer sur des chats, 
ou mieux encore sur des chiens qui résistent plus de 
temps. Quand l’opération est terminée, il ne faut pas 
chercher à faire l’expérience immédiatement, car alors 
elle ne réussit jamais, et c’est ce qui avait tout d’abord 
fait croire à Longet et à Cl. Bernard que la sensibilité ré¬ 
currente n’existait pas. Il faut recoudre la peau du dos par¬ 
dessus le canal rachidien ouvert, et laisser respirer l’ani¬ 
mal deux ou trois heures. Quant au choix du sujet, il 

(1) Traité d’anatomie et de physiologie du système nerveux. Paris. 

(2) Comptes-rendus de VAcadémie des sciences, 1847, p. 104; Leçons 
sur la physiologie et la pathologie du système nerveux. Paris, 1858, t. I, 
p. 33 et suiv. 

(3) Nouvelles expériences sur l’effet que produit l’irritation mécanique 
et galvanique sur les racines des nerfs spinaux (Annales des sciences nOr- 
turelles, 1831, t. XXII, p. 95). 

1 icfaet. 3 



18 DE DA PAIRE NERVEUSE, 

faut prendre de jeunes chiens vivaces, bien portants, 
d'une race robuste, préparés par une alimentation conve¬ 
nable et un repas copieux. 

Dans ces conditions on trouve que la racine postérieure 
est très-sensible, et que la racine antérieure l’est aussi, 
quoique beaucoup moins. Si on éthérisé légèrement l’ani-^ 
mal, la sensibilité récurrente disparaît la première, puis 
celle de la peau^puis celle des racines postérieures. A me¬ 
sure que les effets de l’éthérisation se dissipent, la sensi¬ 
bilité revient, mais dans l’ordre inverse ; c’est la sensiblité 
des racines antérieures qui reparaît la dernière. 

Le fait fondamental c’est que la section de la racine 
postérieure fait immédiatement disparaître la sensibilité 
delà racine antérieure correspondante, et qu’en explorant 
la racine antérieure on trouve le bout central insensi¬ 
ble, tandis que le bout périphérique a conservé sa sensibi¬ 
lité. La conclusion qu’il faut en tirer est très-simple. Les 
racines postérieures sont primitivement sensitives, comme 
les racines antérieures sont motrices, mais un certain 
nombre de filets sensitifs, après s’être dirigés vers la péri¬ 
phérie, reviennent aux centres nerveux, etau lieu de repas¬ 
ser par le tronc postérieur, repassent par le tronc anté¬ 
rieur, auquel ils communiquent une certaine sensibilité 
très-bien nommée sensibilité récurrente. 

C’est pourquoi tous les physiologistes sont convenus 
d’appeler paire nerveuse les deux racines rachidiennes se 
correspondant anatomiquement et physiologiquement : la 
racine antérieure recevant le sentiment de la racine pos¬ 
térieure qui lui est contiguë. Pour les nerfs rachidiens 
r en n’est plus facile à déterminer, mais pour les nerfs 
crâniens il y a«ncore beaucoup d’incertitude à cet égard, 



DANS tA SÉRIE ANIMALE. 19 

et les expériences contradictoires de Longet, de Cl. Ber¬ 
nard, de Brown-Séquard et de Schifif n’ont pas encore don¬ 
né des fait« en dehors de toute contestation. D’ailleurs, 
comme nous ne traitons pas ici des nerfs sensitifs, mais 
de la sensibilité, nous laisserons cette discussion de côté, 
et nous dirons seulement que parmi les nerfs crâniens, il 
en est de moteurs, il en est de sensitifs, mais que presque 
tous les nerfs moteurs crâniens sont aussi sensibles, soit 
dès leur origine, soit après avoir reçu des filets récurrents 
sensitifs du nerf sensitif correspondant. \ 

Les données physiologiques, si peu précises et si peu 
nombreuses que nous avons sur les fonctions nerveuses 
des invertébrés, ne permettent pas d’établir d’assimilation 
utile entre le système rachidien des vertébrés, et la chaîne 
ganglionnaire des articulés et des mollusques. Newport (1), 
Longet (2), Grant (3) et Valentin (4) avaient cru reconnaî¬ 
tre une différencé entre les faisceaux dorsaux et les fais¬ 
ceaux sternaux de la chaîne ganglionnaire. Pour New- 
port notamment, qui a fait sur ce sujet les premières et les 
plus intéressantes expériences, les faisceaux dorsaux se¬ 
raient les représentants des cordons antérieurs, et les 
faisceaux sternaux des cordons postérieurs, justifiant 
ainsi la brillante hypothèse de Geoffroy Saint-Hilaire sur 
le renversement des articulés. Mais d’autres physiolo¬ 
gistes, entre autres Milne Edwards (5), Gersin (6) et Vul- 

(1) Philosophîcal transactions, 1834, p. 407. 

(2) Anatomie et physiologie du système nerveux, t. II, p. 662. 

(3) The Lancet, juillet 1834. ^ 

(4) De functionibus nervorum cerébralium et nervi sympathici. Berne, 
1849, p. 7 et suiv. 

(5) Hist. natur, des crustacés, 1.1, p. 149. 

(6) Recherches sur les fonctions du système nerveux dans les animaux 
articulés (Bull, de la Société vaudoise des sciences naturelles, 1857, t. V). 



20 SIÈGE BE LA SENSIBILITÉ, 

pian (1) ont infirmé ces expériences. D’un autre côté, plus 
récemment, Faivre (2) a trouvé sur des insectes que la 
surface supérieure des ganglions prothoraciques et thora- 
ciquesétait motrice, et la surface inférieure sensitive, cha¬ 
cune de ces deux parties donnant naissance à des nerfs de 
fonctions différentes. On le voit, rien n’est moins connu 
que la sensibilité et la motricité des nerfs chez les insectes : 
quant aux mollusques, nous n’avons rien de précis à en 
dire. 

Pour ce qui concerne les vertébrés, la sensibilité récur¬ 
rente n’existe guère que chez les mammifères, car ch,|z les 
poissons, Wagner (3), Stannius (4) et A. Moreau (5) n’en 

ont pas trouvé de traces, Vulpian (6) ne l’a pu constater 
chez les oiseaux et Muller (7) ne l’a jamais rencontrée chez 
les batraciens. 

Aussi pouvons-nous dire que la découverte de la sensi¬ 
bilité récurrente, tout en ayant un certain intérêt, et en 
expliquant assez bien les apparentes irrégularités qui 
avaient tant embarrassé Magendie et Longet n’est pas un 
des faits les plus importants de la physiologie générale 
du système nerveux. Mais plus récemment un nouveau 

(1) Leçons sur le système nerveux, p. 44 et suiv. 

(2) Recherches expérimentales sur la sensibilité et Vexcitabilité dans 
les différentes parties du système nerveux des dytiques (Comptes-rendus 
de l’Académie des sciences, 1863, t. LVI, p. 472; Recherches sur le gan¬ 
glion frontal (Revue des cours scientifiques, 1876). 

(3) Handwôrterbueh der Physiologie, t. III, p. 363. 

(4) Pas peripherische nervensystem der Fische, p. 114. 

(5) De la distinction anatomique et physiologique des nerfs du sentiment 
et du mouvement chez les poissons (Bullet. de la Société de biologie, 1860, 
2“ série, t. III, p. 159, et .Inn. des sciences natur., 4® série, t. XXIII, 
p. 380). 

(6) Loc, cit., p. 153. 

(7) Loe. cit. 


récurrente rachidienne. 

fait qui avait passé inaperçu est venu étendre au delà des 
étroites limites où elle semblait confinée la récurrence de 
la sensibilité. 

Les physiologistes qui se sont occupés de cette question 
n’avaient guère cherché à déterminer exactement le point 
où dans le nerf mixte se fait la récurrence des fibres sen¬ 
sitives. Longet (1) avait vu que cette récurrence se fai¬ 
sait tout près du ganglion; Browm-Séquard (2) n’admet¬ 
tait pas que la douleur fût produite par le seul pince¬ 
ment de la racine antérieure, selon lui le pincement de 
cette racine provoque une contraction musculaire spas¬ 
modique, et c’est ce spasme, cette crampe, qui est doulou¬ 
reuse par la compression des nerfs sensitifs intra-muscu- 
laires. CL Bernard, après avoir coupé des nerfs mixtes, a 
trouvé la racine antérieure insensible, et il en a conclu 
que la récurrence se faisait probablement à la périphérie, 
mais qu’en tout cas la communication des propriétés de 
la racine postérieure à la racine antérieure est spéciale et 
n’établit la solidarité physiologique qu’entre les deux ra¬ 
cines correspondantes de la même paire. Ailleurs (4) il 
revient sur le même sujet et reconnaît que le retour de la 
sensibilité se fait plus loin que dans les plexus, et qu on 
retrouverait la sensibilité récurrente dans tous les nerfs 
qui s’anastomosent entre eux, et principalement dans les 
nerfs crâniens. D’ailleurs Philipeaux et Vulpian (5) ont 
constaté directement que le bout périphérique^ de l’hypo¬ 
glosse est sensible après sa section, ce qui s explique à 

(1) Loe. cit. et Traité de physiologie, t. III, ?. 09, 3'^ édit. 

(2) Comptes-rendus de la Société de biole U, II, P* tli. 

(3) Loc. cit. 1.1, p. 28. 

(4) Lûc. cit., t. II, p. 460. 

(5) Me'm. de la Soc. de biologie, 1859, p. 384. 



22 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE, 

merveille par les nombreuses anastomoses de ce nerf avec 
les troncs sensitifs crâniens ou rachidiens. Enfin je men¬ 
tionnerai encore l’opinion de Gubler (1), sur les cellules 
sous-cutanées placées à la périphérie, identiques aux cel¬ 
lules grises de la moelle et transformant le courant sen¬ 
sitif en courant moteur, et réciproquement. 

Ainsi jusque en 1867, on regardait la sensibilité récur¬ 
rente comme dépendant, d’une part, des anastomoses ana¬ 
tomiques pour les nerfs crâniens, d’autre part, pour les 
nerfs rachidiens des anastomoses siégeant probablementà 
la périphérie, mais ne dépassant pas les limites de la paire 
nerveuse qui constitue une unité physiologique. 

C’est avec un juste sentiment d’orgueil filial que je rap¬ 
pellerai ici l’histoire des faits qui ont permis à mon père 
de généraliser la récurrence de la sensibilité, de façon 
à établir d’une manière irréfutable qu’il existe entre les 
nerfs appartenant même à des paires nerveuses différen¬ 
tes, des anastomoses plus ou moins visibles, mais en tout 
cas donnant au tronc périphérique une sensibilité évidente. 

En 1864 Laugier vint annoncer à l’Académie des 
sciences qu’il avait, dans un cas de section complète du 
médian par un corps tranchant, affronté les deux bouts du 
nerf et que la réunion s’était faite par première intention : 
le soir même la sensibilité de la main dans la g^ihère d’in¬ 
nervation du médian avait reparu (2). Le fait de Laugier 
étonna beaucoup les physiologistes et certains auteurs, 
en particulier Vulpian (3), élevèrent quelques doutes sur 

(1) Ga«. méd. dePœris, 1859, p, 628, et BuUet.de la Soc. debiologie,i859. 

(2) Bullet. de la Soc. de chirurgie, juin 1864. Un caa analogue avait été 
vu par Nélaton et sommairement publié. 

(3) Loc. cit., p. 268. 



FERIPHÉRIQÜE. 


23 


son authenticité. Mais en novembre i867 (1), mon père 
eut l’occasion de voir une malade ayant aussi le nerf mé¬ 
dian complètement sectionné. Avant de tenter la suture, 
il voulut s’assurer des propriétés du nerf, et il vit avec 
étonnement que le bout périphérique du nerf jnédian était 
extrêmement sensible, et que, dans la main, quoique le 
tronc du nerf fût complètement sectionné, il n’y avait 
nulle part d’analgésie ni d’anesthésie. Depuis, des obser¬ 
vations assez nombreuses sont venues confirmer ce pre¬ 
mier fait (2) pour le rendre absolument incontestable. 

Ainsi, à partir de ce moment (3), la question de la sensi¬ 
bilité récurrente prenait une tout autre face. Au lieu de 
considérer seulement les racines rachidiennes, on son¬ 
geait aux troncs nerveux eux-mêmes ; ce qui est vrai pour 

(1) Union méd., 1867, t. II, p. 270 et 444* 

(2) Létiévant. Traité dea sections nerveuses. Paris, 1872. 

Filhol. De la sensibilité récurrente dans la main. Thèse inaugurale. 
Paris, 1874. 

A. Richet. JournalVEcole de médecine, 1874 {Comptes-rendus de VAcad. 
des sciences, 1875, t. LXXXI, p. 217, et Journal d’anatomie et de la phy¬ 
siologie, 1875, XI, p. 549. 

Cartaz. Th. inaugur. Paris, 1876. 

Paulet. Union méd., mars 1868. 

Weir Mitchell. Traité dea sections des nerfs. Trad. franç., 1874. 

(3) Le fait de Létiévant, malgré les prétentious mal dissimulées de l’au¬ 
teur à la priorité, est bien postérieur, puisque observé le 22 décembre 1867, 
c’est-à-dire un mois après la publication de l’observation de mon père, il ne 
fut publié qu’en décembre 1868 dans le Bulletin de la Soc. de chirurgie. Au 
demeurant, le hvre de Létiévant est fort intéressant et mérite d’être consulté. 
Çartaz (Th. inaug., p. 11, Paris, 1875) dit, sans qu’on puisse guère com¬ 
prendre le sens de ses paroles : < M. Richet n’apportait qu’uilB hypothèse. > 
Il est cependant dit dans la même thèse que le fait de M. Richet était un fait 
bien observé. U est au moins étrange qu’un fait bien observé ne soit qu’une 
hypothèse. 


24 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE. 


les nerfs purement moteurs, devenait aussi vrai pour les 
nerfs mixtes- Le bout périphérique des nerfs mixtes est sen¬ 
sible à cause des anastomoses périphériques, et il estim- 
possible d’éteindre la sensibilité d’une région par la section 
d’un seul tronc nerveux. Guidés par les observations chi¬ 
rurgicales que nous venons de rapporter plus haut, Ar- 
loing et Tripier ont fait, pour vérifier sur les animaux las 
faits observés sur l’homme, une nombreuse série d’expé¬ 
riences qui leur ont donné les résultats les plus concluants. 

Comme ces expériences sont très-importantes dans 
i’étude de la sensibilité, nous allons rapidement en expo¬ 
ser les résultats. Chez les chiens et les chats il est impos¬ 
sible de détruire la sensibilité d’un des doigts de la patte 
par la section isolée d’un des troncs nerveux. Si, au lieu 
de couper un gros tronc, on coupe un nerf plus éloigné 
des centres, par exemple, un des nerfs collatéraux des 
doigts, la sensibilité n’est en rien modifiée, quel que soit 
le ne/f que l’on coupe; mais si on coupe les quatre nerfs^ 
collatéraux de ce doigt, il devient insensible, la membrane 
interdigitale restant sensible. Que si on laisse intact un 
seul des nerfs collatéraux, la sensibilité de l’index est con¬ 
servée (1). 

Il était intéressant de rechercher la sensibilité du bout 
périphérique des nerfs coupés : c’est ce qu’ont fait Arloing 
et Tripier, et ils ont obtenu un résultat paradoxal en 
apparence, et cependant très-explicable. Si on fait la sec¬ 
tion nerveuse au-dessus du coude, le bout périphérique 
du nerf coupé est à peu près insensible. Il n’en est pas de 


(1) Archives de physiologie 
rendus de l'Acad. des sciences, 


normale et pathologique, 1869 (Comptes- 
1868, Archives de physiologie, 1876, p. 11 



25 


PÉRIPHÉRIQUE. 

même si la section est faite plus bas, de sorte que, plus on 
se rapproche de la périphérie, plus le bout périphérique du 
nerf coupé est sensible. Si on coupe, par exemple, l’un des 
nerfs au poignet, pour que le bout périphérique de ce nerf 
soit trouvé insensible, il faut couper les trois nerfs médihn, 
cubital et radial qui se distribuent dans la main. Si après 
la section d’une des branches d’un des nerfs de la main, 
on fait plus haut la section du nerf lui-même, du cubital 
par exemple, il n’y a de sensible que le bout périphérique 
de la branche sectionnée du cubital sectionné également. 
Ce fait démontre que la sensibilité récurrente de ces nerfs 
leur vient de la périphérie, et que les fibres récurrentes 
sensitives, au lieu de revenir dans la moelle par les racines 
antérieures, comme le pensait Cl. Bernard, disparaissent 
graduellement dans le nerf mixte à mesure qu’on s’éloigne 
de sa terminaison cutanée, soit qu’elles se perdent dans 
le nerf lui-même (nervi nervorum), soit quelles se dis¬ 
tribuent aux tissus voisins du trajet de ce nerf. Chez les 
solipèdes, comme chez les carnassiers, la sensibilité ré¬ 
currente existe, et cela non-seulement sur les nerfs mo¬ 
teurs, mais aussi sur les nerfs mixtes et même purement 
sensitifs, comme les nerfs sensitifs crâniens, le trijumeau 
par exemple. 

Pour contrôler les résultats donnés par la sensibilité des 
téguments et des bouts périphériques des nerfs sectionnés, 
il est indispensable de recourir à l’examen microscopique 
des nerfs. En effet, on sait depuis le travail fondamental 
de Waller, que lorsqu’on sépare un nerf de son centre 
trophique, les tubes nerveux dégénèrent; ce centre trophi¬ 
que paraît être la moelle pour Içs nerfs moteurs, le ganglion 
rachidien placé sur le trajet des racines postérieures pour 
Richet. 4 



2 Q sensibilité hécurrente 

les nerfs sensitifs. Au bout de trois semaines environ, s’il 
n’y avait pas de fibres sensitives récurrentes, le tronçon 
nerveux sectionné et séparé du centre n’aurait plus une 
seule fibre nerveuse intacte. De fait, c’est le contrüire qui 
arrive presque toujours, de sorte que nous pouvons, par 
la présence des fibres nerveuses restées intactes dans un 
nerf moteur coupé à son origine près de la moelle contrô¬ 
ler les résultats de l’expérimentation et reconnaître qu’il 
n’était pas simplement moteur, mais qu’il contenait aussi 
des fibres sensitives (1). 

N’ayant pas fait d’expériences sur ce sujet, j’ai dû me 
contenter d’exposer le résultat des expériences faites par 
les différents physiologistes ; mais les faits qu ils ont mis 
en lumière peuvent être éclairés par certains faits clini¬ 
ques que j’ai eu l’occasion d observer. ^ 

Je commencerai d’abord par les faits les plus simples et 
les plus communs. Lorsque une incision, soit accidentelle, 
soit opératoire, a été faite à la peau, elle a évidemment 
intéressé des troncs nerveux qui distribuaientla sensibilité 
aux parties sous-jacentes, en sorte qu’il devrait y avoir 
des zones d’anesthésie plus ou moins étendues, selon la 
profondeur et les dimensions de la section. Or, il n’en est 
rien. J’ai bien souvent essayé de rechercher un affaiblis¬ 
sement de la sensibilité après les grandes incisions, je 
n’ai jamais rien trouvé de semblable. Loin de là, il semble, 
au contraire, qu’il y ait hyperesthésie. Ainsi, une incision 


(1) Remak (Zur 
Klin. Woch., 1874, 
action, ce qui est i 
plaie du radial, il a 
tandis que la région 


vicarienden functionen der perîpheren nerven; Berl. 
n» 48) admet que les nerfs peuvent se suppléer dans leur 
me autre forme de la sensibilité récurrente. Après une 
trouvé le bout périphérique de ce nerf presque insensible, 
innervée par le radial avait conservé sa sensibilité. 



DU NERF maxillaire INFÉRIEUR. 27 

faite dans un phlegmon ne fait qu’accroître, pour un mo¬ 
ment au moins, l’hyperesthésie. 

Il faut donc conclure de ce premier fait que pour les pe¬ 
tits rameaux nerveux, il n’y a, pour ainsi dire, pas de di¬ 
rection principale dans la sensibilité. Elle se dirige og^fi 
ment dans les deux sens ; et, si on les sectionne, ces ra¬ 
meaux restent par leurs deux bouts également en rapport 
avec les centres, tout comme, dans certaines régions, les 
artères coupées fournissent du sang par le bout périphé¬ 
rique aussi bien que par le bout central. 

Si nous passons maintenant aux nerfs un peu plus vo¬ 
lumineux, nous retrouvons encore la sensibilité récur¬ 
rente quoique elle soit bien atténuée. Je ne parlerai 
pas des nerfs de la main qui, comme tous les auteurs l’ont 
constaté depuis 1867, ont des anastomoses plus ou moins 
visibles et possèdent à un très-haut degré la sensibilité de 
retour. Je prendrai de préférence un nerf presque exclusi¬ 
vement sensitif, et n’ayant que bien peu d’an8stomoses«^ 
visibles, je veux parler du nerf dentaire inférieur. 

Ce nerf, émané du trijumeau, entre dans un long canal 
osseux creusé dans l’épaisseur de l’os maxillairé, fournit 
des filets aux bulbes dentaires du rebord alvéolaire corres¬ 
pondant et sort un peu en dehors du menton pour se dis¬ 
tribuer à la peau de cette partie, en formant un plexus 
anastomotique avec les branches terminales du facial et 
qu’on a nommé plexus mentonnier. En somme, ce nerf 
donne à lui seul la sensibilité à toute la peau de la lèvre 
inférieure, du menton, etdela partie inférieure de la joue. 
Les branches labial es se distribuent au plan profond comme 
au plan superficiel. 

La situation de ce nerf explique comment il ne peut y 



28 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE 

avoir de fracture avec déplacement, de nécrose ou de sec¬ 
tion de l’os dans une opération,sans que le nerf dentaire 
soit atteint ; et cependant c’est à peine si l’insensibilité de 
la région innervée par le dentaire inférieur a îté signalée 
par les auteurs classiques : c’est évidemment parce que la 
sensibilité de retour rendait à la peau du côté malade une 
sensibilité suffisante pour qu’on ne puisse y constater 
d’anesthésie notable. 

C’est pourquoi, dans les fracturesdu maxillaire inférieur, 
l’insensibilité n’a été signalée que comme une complication 
accidentelle par Bérard (1), Foucher (2) et Robert (3). 

Dans la nécrose, pourvu que l’affection dépasse le bord 
alvéolaire, il est évident qu’il doit y avoir une portion du 
nerf détruite en même temps que la portion osseuse. Voici 
quelques observations qui peuvent servir à l’histoire de 
cette complication de la nécrose du maxillaire. 

X... atteinte d’ostéopériostite de la mâchoire, et de né¬ 
crose consécutive, a une région non pas insensible, mais 
engourdie, qui va suivant une ligne oblique en bas et en 
dehors de la commissure labiale au rebord inférieur du 
maxillaire. Cette zone s’arrête en dedans, un peu en dehors 
de la ligne médiane. Nulle part la sensibilité n’est com¬ 
plètement abolie, mais dans la région susdite, elle a con¬ 
sidérablement diminué. Toutes les sensations sont en¬ 
gourdies et confuses. La sensation tactile (de contact 
léger) n’a pas disparu. La sensibilité à la pression est 

(1) Gau. des hôp., 1841, p. 411. 

(2) Union méd., 1851. 

(3) Gaz. des hôp., 1859 (voir l’article Maxillaires (os), {Pathologie) de 
Guyon, dans le Dict. encyclopédique. II" série, t. V, p. 298). 


29 


DU NERF MAXILLAIRE INFÉRIEUR. 

intacte. Il n’y a pas de thermo-anesthésie, mais un peu de 
pallesthésie (insensibilité au chatouillement). Une piqûre 
superficielle n’éveille pas de sensations douloureuses, 
mais pour peu que la piqûre soit profonde, la douleur est 
très-nette. Le lendemain après l’extraction du séquestre, il 
n’y a aucun changement notable dans la sensibilité. La 
sensibilité tactile est toujours obtuse, cependantla malade 
distingue bien la tête de la pointe de l’épingle et reconnaît 
les pointes de Weber à une distance de 15 millimètres. 
Peu à peu, à mesure que la maladie marche vers la guéri¬ 
son. la zone anesthésique diminue graduellement; finale¬ 
ment cette zone n’est plus qu’un petit triangle à base 
inférieure, s’étant lentement rétréci sur les côtés, 

G... est atteint d’ostéite du maxillaire avec fistules 
multiples, et a une nécrose très-étendue de l’os maxil¬ 
laire. Cependant la région mentonnière des deux côtés a 
gardé sa sensibilité normale. En dehors, au contraire, 
au-dessous de la commissure labiale, est une région hypo- 
esthésique. La piqûre superficielle n’est pas douloureuse. 
Le contact léger n’est pas senti. Mais une épingle en¬ 
foncée profondément est douloureuse. La température 
est bien appréciée. La pression d’une portion superficielle 
de la peau n’éveille pas de douleurs, mais la région pro- 
fonde est assez sensible. Le contact des dents est très-bien 
senti. L’extraction du séquestre est faite à la fin de jan¬ 
vier 1876 par M. Verneuil. Trois mois après, le malade 
ayant été retenu à l’hôpital par des complications assez 
graves, je l’examine de nouveau avant son départ. La 
zone hypoesthésique est rétrécie, ce n’est plus qu’un petit 
espace triangulaire placé en bas de la commissure. La 
piqûre superficielle n’est pas sentie. La piqûre profonde 



30 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE 

est douloureuse. Il y a en ce point du chatouillement et 
des fourmis, suivant l’expression même du naïade. 

J’ai encore vu, cette année, à l’Hôtel-Dieu, un malade 
atteint de nécrose du maxillaire, et présentant absolument 
les mêmes phénomènes : engourdissement de la sensibilité 
tactile superficielle, conservation de la sensibilité doulou¬ 
reuse profonde et de la sensibilité aux températures. \ 
Ainsi ces faits montrent qu’après la destruction du 
nerf dentaire inférieur, la sensibilité ne disparaît pas. 
Elle est diminuée, affaiblie, elle a perdu sa finesse, sa 
fleur, si je puis dire, mais elle n’est pas éteinte. Il n y a 
pas d’anesthésie, mais de l’hypoesthésie, et pour que les 
sensations puissent encore arriver aux centres, il faut né¬ 
cessairement que le nerf facial, le nerf dentaire du côté 
opposé, le nerf lingual même, fournissent aux branches 
du bout périphérique du dentaire inférieur détruitla sensi¬ 
bilité récurrente. 

Nous voyons aussi que la régénération de la sensibilité 
ne se fait pas par des îlots isolés. Il semble que la sensi¬ 
bilité de retour aille toujours en augmentant d’impor¬ 
tance et d’étendue, gagnant du terrain dans tous les sens. 

Cependantla sensibilité est diminuée, etc’estce qui expli¬ 
que comment dans les cas de cafies dentaires douloureu¬ 
ses, la section du nerf maxillaire inférieur a pu amener 

une heureuse sédation des phénomènes douloureux. Dans 

cinq cas de section du nerf maxillaire inférieur pour né¬ 
vralgie traumatique, rapportés par Weir Mitchell (i), il y 
eut soulagement immédiat, mais dans aucun de ces cas la 

(1) Lésion des nerfs, trad. franç., p. 320 et suiv. 



DANS LES NÉVROTOMIES. 


31 


guérison ne fut durable, et au bout de six semaines pour 
un cas, de un an etpluspour les autres, la douleur reparut. 
Dans quelques autres cas plus récents il y a eu guéri¬ 
son (1), mais on ne sait si la guérison s’est maintenue:» 
Dans un cas il y a eu mort par méningite (2). 

La section du nerf buccal n’a pas donné des résultats 
plus constants (3). Elle compte quatre succès (4), deux 
insuccès et demi-succès. Mais je ne saurais, sans m’étendre 
au delà des limites que je me suis assignées, entrerici dans 
la discussion des faits particuliers de névrotomie. La 
question a d’ailleurs été souvent et bien traitée (5). Je di¬ 
rai seulement que la section du nerf diminue tout d’a¬ 
bord la sensibilité, ce qui était d’ailleurs évident, même 
sans qu’il fût besoin d’une démonstration. Aussi les névro¬ 
tomies faites pour des névralgies réussissent presque tou¬ 
jours fort bien au début ; mais plus tard ces névralgies 
récidivent comme si le retour de la sensibilité normale 
était impossible et entraînait nécessairement le retour de 
la sensibilité pathologique. 

Wagner, sur 135 cas, a noté 74 succès complets, 46 demi 

(1) Szeparowicz. Névralgie du maxillaire inférieur ; résection intrabuc- 
cale {Wien. med. Wochenschrift, 1873, n” 30). — M.emeh Deutsche Klin., 
1875, n° 2. — ScIiœrih.oni. Berl. Klin. Wochensblatt, jaa-vier 1875, n° 2.— 
Schupert. Deutsche Zeitschrift fur chirurgie, décembre 1873, n®» 5 et 6. 

(2) Dumreicher et Nicoladini. Wien. med. Wochenschrift, 1874, p. 935. 

(3) Panas. Arch. gén. de méd., févr. 1874, p. 181. 

(4) Nélaton. Bull. gén. de thérap., 1864, p. 403. — Voisard. Th. inaug., 
Strasbourg, 1864. — Goux. Ibid., 1866. — Létiêvant. Traité des sections 
nerveuses. 

(5) Beau. Union méd., 1851. — Létiévant. Traité des sections des nerfs. 
— Weir Mitchell. Lésions des nerfs. — Faucon. Des résections nerveuses. 
Th. inaug. Strasbourg, 1869. — Vulpian. Préfacé du Traité des sections 
des nerfs de Weir Mitchell, p. 5 et 9. 



32 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE 

succès, 21 récidives. Létiévant, sur 99 malades, compte 64 
succès et 35 insuccès ; c’est donc à peu près la proportion 
del à3. 

Les opérateurs se sont rarement attachés à rechercher 
l’état de la sensibilité après la section du nerf. Aussi, sur 
ce point si embarrassant, n’avons-nous que des données 
assez imparfaites. En général la sensibilité disparaît immé¬ 
diatement dans toute l’étendue du nerf sectionné, mais 
cette disparition semble liée au choc, et à la commotion 
subie par le nerf : en un mot il y a là une véritable stupeur 
locale, qui disparaît les jours suivants, et la sensibilité 
revient bien avant que la régénération nerveuse ait pu se 
faire. D’ailleurs je serais fort disposé à n’ajouter que peu 
de valeur aux observations un peu anciennes, datant 
d’une époque où la sensibilité récurrente périphérique 
n’était pas connue. 

En tout cas, l’irritabilité douloureuse disparaît presque 
immédiatement, et si elle revient, ce n’est qu’au bout d’un 
temps très-long : ce qui semble démontrer que la cause 
même de la douleur siège dans le système nerveux péri¬ 
phérique, et non dans les centres comme l’ont prétendu 
quelques auteurs. 

A ces faits de névrotomie, il faut rattacher les faits 
connus sous le nom de distension des nerfs et que Callen- 
der semble avoir le premier mis en pratique (1), après 
quelques essais incomplets tentés par Nûssbaum. Plus 
récemment, MM. Marchand et Terrillon, prosecteurs des 

(1) Billroth. Arch. fur klinische Chirurgie, 1872, 379. — Nûssbaum. 
Zeitschrift fur Chirurgie, sept. 1872, p. 450. — Callender. Trans. of the 
clin. Society, VU, p. 100 (The Lancet, juin 1875, p. 883). 



s LES NÉVROTRIPSIES. 


33 


hôpitaux, ont, à l’instigation de M. Verneuil, fait pour 
étudier la distension des nerfs quelques expériences sur les 
animaux (1), plus complètes que les faits de Tillaux (2) et 
de Weir Mitchell (3) sur la contusion nerveuse. 

Les expériences de Marchand et Terrillon prouvent 
qu’après un fort écrasement du nerf sciatique, la sensibilité 
peut disparaître définitivement; mais que si l’écrasement 
est modéré, ces tubes nerveux échappent à la destruction, 
ainsi que l’examen histologique fait au bout de quelques 
jours le démontre nettement. Toutefois la sensibilité 
semble disparaître d’abord, comme si le nerf avait été 
frappé de commotion, par suite de l’ébranlement que le 
traumatisme lui a fait subir ; mais elle reparaît les jours 
suivants. 

Dans les deux opérations d’écrasement du nerf, que je 
proposerais volontiers d’appeler névrotripsie, exécutées 
par M. Verneuil, il y eut non pas de l’anesthésie, mais 
de l’hyperesthésie de la région innervée par le nerf écrasé. 

Ces deux observations sont très-exactement rapportées 
dans la thèse de Duvault (4). Aussi n’insisterai-je que sur 
le point spécial de la sensibilité récurrente. 

X..., atteinte de cancer du sein récidivé, opérée le 
15 mars, souffre extrêmement, et a une névralgie avec 
spasme musculaire rebelle à tout traitement médical. Le 
27 mars, M. Verneuil met à nu le nerf musculo-cutané, et 
passant une sonde cannelée sous le nerf, l’écrase avec 

(1) Elles sont relatées dans la thèse intéressante de Duvault : De la, die ten¬ 
sion des nerfs, Th. inaug., Paris, 1876. 

(2) Des plaies des nerfs. Th. d’agrégat., 1868. 

(3) Lésions des nerfs, p. 100. 

(4) Z.OC. cit., p. 65 et 68. 

Richet. 5 



34 SENSIBIUTÉ RÉCURRENTE, 

force contre l’instrument. Le lendemain les douleurs ont 
cessé, le spasme a diminué, mais sans être aboli. Il y a 
un œdème considérable de tout le membre. Aucun point 
n’est insensible, au contraire toute la surface cutanée du 
bras est hyperesthésiée, tout au plus y a-t-il au-dessus de 
l’épitrochlée une zone étroite et allongée d’insensibilité 
superficielle. La piqûre profonde y est cependant aussi 
bien sentie que partout ailleurs. Malheureusement la ma¬ 
lade mourut au bout de quelques jours. 

L’autre cas est plus démonstratif encore au point de 
vue de l’hyperesthésie consécutive. 

A la suite d’une plaie contuse des doigts. Let... est pris 
de spasme traumatique et de névrite intense. M. Verneuil 
se décida à lui pratiquer la névrotripsie. Le nerf médian 
et le nerf cubital sont fortement pressés sur la sonde can¬ 
nelée. Le lendemain, l’amélioration du malade est bien 
marquée au point de vue de la névralgie. Il ne souffre 
presque plus. Le pouce est sensible en tous ses points, 
comme l’index, le médius. Il n’y a que le bord externe de 
la dernière phalange qui ait une sensibilité un peu obtuse. 
En aucun point de la main, il n’y a d’analgésie profonde. 
Depuis cette époque la sensibilité est revenue complè¬ 
tement. J’ai revu le malade ces jours-ci, et il n’a aucun 
point d’anesthésie. 

Comment peut-on expliquer que l’anesthésie complète 
n’ait pas été le résultat de l’écrasement des nerfs? Il est 
très-possible que quelques fibres nerveuses aient échappé 
au violent écrasement du nert; mais est-ce suffisant pour 
expliquer l’absence presque complète d’analgésie et sur¬ 
tout l’hyperesthésie? Au contraire, la sensibilité récur¬ 
rente, admise toujours par tant d’auteurs, surtout pour 



CONCLUSIONS. 35 

les nerfs du membre supérieur, explique fort bien les 
symptômes. 

Quant à l’hyperesthésie, elle existait déjà avant l’opéra¬ 
tion. Tout au plus pourrait-on dire que la névrotripsie 
ne l’a pas fait disparaître : cependant elle a eu cet avan¬ 
tage incontestable de faire cesser le spasme traumatique, 
et la névralgie proprement dite. 

D’ailleurs, ce qui justifie cette hypothèse, c’est un fait 
dans lequel la sensibilité récurrente existait manifeste¬ 
ment et où la section du nerf a été complète. 

Il s’agit d’un malade atteint de névrôme du nerf ac¬ 
cessoire du sciatique poplité externe. Après l’ablation 
du névrôme, il n’y eut en aucun point de la jambe, soit 
anesthésie, soit analgésie. Au contraire la partie externe 
de la jambe était notablement hyperesthésiée, et le moin¬ 
dre contact provoquait, surtout à la région supérieure, des 
douleurs très-vives. 

Il faut joindre ces faits de conservation de la sensibilité 
aux faits relatés plus haut de névrotomie ou de plaies des 
nerfs. Tous ces faits s’éclairent réciproquement, et nous 
pouvons maintenant les résumer au point de vue, qui 
nous importe en ce moment, de la physiologie patholo¬ 
gique. 

1® La section d’un tronc nerveux volumineux entraîne 
la paralysie de la sensibilité; 

2" L’anesthésie sera d’autant moins complète que la ré¬ 
gion malade était plus douloureuse. En tout cas, la section 
fait disparaître la douleur pendant un temps variable ; 

3“ La section d’un nerf, qui n’est ni le tronc principal ni 
le tronc unique d’un membre, n’entraîne jamais l’anes¬ 
thésie complète de la région à laquelle il se distribue ; 



36 SENSIBILITÉ RÉCURRENTE. 

4* La section d’un nerf fait disparaître pendant quelque 
temps les douleurs névralgiques dont il peut être le siège; 
mais s’il y a hyperesthésie avant l’opération, l’opération 
ne fait pas toujours disparaître l’hyperesthésie ; 

5” La section d’un ou de plusieurs petits filets nerveux 
n’entraîne aucune modification dans la sensibilité de la 
peau. 

Dans tous les cas, en exceptant la section d’un gros 
tronc nerveux, unique pour un membre, la sensibilité ne 
tarde pas à revenir graduellement, par le développement 
progressif de la sensibilité récurrente, même si on a eu 
soin de réséquer une portion du nerf, ce qui ne permet pas 
l’hypothèse d’une régénération dans le nerf lui-même. 

Mais nous pouvons nous placer à un point de vue plus 
général et plus particulièrement physiologique. La sensi¬ 
bilité arrive uniquement aux centres par les racines sen¬ 
sitives : accessoirement quelques filets sensitifs sont con¬ 
tenus dans les racines motrices; mais ils ne reviennent 
pas aux centres par cette voie, et suivent toujours la même 
voie, c’est-à-dire la voie des racines postérieures. 

Le fait important, le fait capital, est qu’à la périphérie 
il n’existe pour ainsi dire plus de sens à la conduction 
de la sensibilité. Il n’y a plus de bout central et de bout 
périphérique. Il y a deux bouts également rattachés aux 
centres, et ayant presque autant d’importance 1 un que 
l’autre. 

A mesure qu’on s’éloigne de la périphérie cutanée, la 
distinction entre le bout central et le bout périphérique 
devient de plus en plus nette. Pour la face, pour le membre 
supérieur, par suite des anastomoses sensitives qui se sont 
faites entre les gros troncs, cette distinction n a pas le 



COURANT NERVEUX SENSITIF. 

temps de devenir complète, et le bout périphérique d un 
nerf coupé est toujours sensible. Toujours la région qu il 
innerve conserve un certain degré de sensibilité. 

C’est aux histologistes à prouver par l’étude minutieuse 
des terminaisons nerveuses périphériques, comme Ro¬ 
bin (1) l’a prouvé pour les nerfs de la main, qu’il y a des 
anses terminales aux nerfs sensitifs, et que là l’anasto¬ 
mose des nerfs est la règle. Notre but dans ce premier 
chapitre était seulement de montrer l’importance de la 
sensibilité récurrente périphérique, bien différente de la 
sensibilité récurrente rachidienne, et que tout chirurgien 
cloit connaître pour comprendre les accidents consécutifs 
aux traumatismes des nerfs. 


CHAPITRE II. 

pE n’EXCITABILITÉ DES NERFS SENSITIFS, ET DU COURANT 
NERVEUX SENSITIF. 


Ainsi que nous venons de le voir, il y a dans un nerf 
mixte deux phénomènes à étudier : le courant centripète, 
c’est-à-dire la fonction du nerf sensitif, et le courant cen¬ 
trifuge, fonction du nerf moteur. Mais ici les mots sem¬ 
blent faire défaut, notre ignorance au sujet de la fonrtioa 
nerveuse est si profonde que, par analogie, on est force 


(1) Gas. de» hôpitaux, 1867, p. 556, 


38 COURANT NERVEUX SENSITIF. 

de se servir de termes empruntés à la physique, et on dit 
en physiologie un courant nerveux comme on dit en phy* 
sique un courant électrique. L’expression a été adoptée 
par M. Claude Bernard (1), et elle a maintenant droit de 
cité. 

Nous ne savons guère s’il convient d’établir une diffé¬ 
rence entre les courants nerveux sensitifs et les courants 
nerveux moteurs. Pour Vulpian (2), ce sont deux phéno¬ 
mènes identiques, deux mises en jeu semblables d’une 
seule et même propriété du nerf, la neurilité. Cette hypo¬ 
thèse n’a guère été contestée, cependant on ne peut aller 
aussi loin que son auteur, et admettre qu’il y ait sup¬ 
pléance possible entre deux nerfs d’ordre aussi different. 
M. Claude Bernard, après avoir étudié la mort du nerf 
sensitif qui diffère totalement de la mort du nerf moteur, 
dit formellement (3) : 

« L’opinion que les nerfs de mouvement et de sensibilité 
peuvent se suppléer réciproquement, je la considère non^ 
seulement comme erronée, mais même comme opposée 
aux progrès, de la physiologie générale. » 

Or presque tout ce qui a trait à l’excitabilité des nerfs 
se rapporte aux nerfs moteurs, et la raison en est facile à 
comprendre. Avec le nerf moteur on a un témoin fidèle et 
irrécusable, c’est le muscle qui traduit avec précision tous 
,les phénomènes qui- se sont passés dans le nerf. Au con¬ 
traire avec le nerf sensitif la réaction est presque impos¬ 
sible à apprécier, l’état psychique de l’animal en expé- 
jrience jouant un rôle inconnu et considérable. 

(!) l,eçons sur les propriétés des tissus vivants, 1860, p. 318. 

(2) Leçons sur le système nerveux, passim. 

(3) Rapport sur les progrès de la physiologie, p. 30. 



EXCITABILITÉ DES NERFS SENSITIFS. 39 

Nous allons cependant énumérer quelques-uns des faits 
classiques relatifs à l’excitation et à l’excitabilité des nerfs 
de sentiment, nous étudierons ensuite les effets sensitifs 
produits, autrement dit les sensations provoquées dans 
les centres par l’excitation des nerfs centripètes. 

A. De Vexcitabilité. — Il est tout naturel d’admettre que 
tous les agents qui agissent sur le nerf moteur agissent 
aussi sur le nerf sensitif. C’est un fait qui a été si souvent 
démontré que ce n’est plus une hypothèse. 

Il y a donc pour exciter les nerfs sensitifs des agents 
mécaniques, des agents chimiques, des agents physiques 
et aussi des agents physiologiques. 

Les excitants mécaniques sont ceux qui agissent le plus 
souvent sur les nerfs sensitifs à l’état normal. En effet, le 
sens du toucher est le résultat d’excitations mécaniques 
agissant sur les nerfs sensitifs, et la plupart des modifica¬ 
tions de la sensation tactile semblent dues à des jugements 
du cerveau sur l’excitation transmise. 

On sait, depuis les expériences de Heidenhain, qu’en 
excitant un nerf moteur par une série de petits chocs, on 
obtient les mêmes résultats que par l’excitation électrique, 
il est donc tout naturel que l’excitation mécanique pro¬ 
duise les mêmes effets sur le nerf sensitif. 

Seulement, ce qui est plus remarquable, c’est la facilité 
extrême avec laquelle la plus faible impression mécanique 
agit sur le nerf sensitif. Que si par exemple on cherche un 
point de la peau très-limité, et qu’on le touche le plus 
légèrement possible, il y aura perception, c’est-à-dire 
excitation cérébro-spinale consécutive à l’excitation du 
nerf. Une impression périphérique extrêmement faible 



40 EXCITABILITÉ DES NERFS SENSITIFS,, 

agit sur le nerf sensitif. Cette excitation n’agirait pas sur 
le nerf moteur d’une gi’enouille, lequel est cependant si 
excitable. Il semble donc au premier abord que le nerf 
sensitif soit plus sensible aux excitations mécaniques 
que le nerf moteur. 

Toutefois cette conclusion serait prématurée, et il me 
suffira de rapprocher le fait que je viens de mentionner 
d’une expérience de Longet, qui, après la section de la 
moelle dorsale, a vu que l’excitation d’un point limité de la 
peau produisait des mouvements réflexes plus énergiques 
que l’excitation des racines postérieures n’en pouvait pro¬ 
voquer. J’ai fait souvent une expérience analogue, déjà 
signalée par Volkmann. En empoisonnant une grenouille 
avec la strychnine et mettant le nerf sciatique à nu, l’at¬ 
touchement du nerf ne produit pas le tétanos qui survient 
instantanément dès qu'un point quelconque de la peau 
innervée par ce même sciatique se trouve effleuré. 

C’est qu’en effet il y a à la périphérie cutanée une série 
de petits appareils destinés à renforcer la sensation tactile. 
Pour les sensibilités spéciales, la rétine et l’organe de Corti 
ont des fonctions analogues. Si la lumière agissait directe¬ 
ment sur le tronc du nerf optique, il est très-probable qu’il 
n’y aurait pas de sensation lumineuse, et il ne faut pas 
s’étonner plus de voir la peau sentir quand le nerf ne sent 
pas, que de voir la rétine excitée parla lumière, tandis 
que le nerf optique ne serait pas excité. 

D’ailleurs, pour les parties innervées par des nerfs sen¬ 
sitifs, et autres que la peau, la sensibilité au contact est 
très-faible, et il faut une excitation mécanique assez forte 
pour déterminer une sensation sur une plaie granuleuse. 
Aussi n’est-il pas exact de dire que le nerf sensitif est plus 



EXCITANTS PHYSIQUES. 41 

excitable ; il est plus excité par suite du renforcement 
périphérique que donnent à l’excitation les corpuscules de 
Krause, de Meissner, de Pacini, etc. Nous retiendrons sur 
ce sujet à propos du sens du toucher. 

Les excitants chimiques agissent fortement sur le nerf 
sensitif. CL Bernard fait remarquer avec raison (1) que 
les irritants chimiques du nerf sensible sont particulière¬ 
ment des acides. Les alcalis n’agissent sur lui que lorsque 
ils sont capables de corroder son tissu, ce qui constitue 
une action chimique mais non physiologique. Le fait est 
important à noter dès maintenant, et à rapprocher de 
cette donnée bien connue qu’à l’état normal la réaction du 
nerf est alcaline. 

Si on plonge la patte d’une grenouille décapitée dans 
une solution saline ou acide, il y aura un mouvement 
réflexe plus ou moins rapide selon l’intensité de l'excita¬ 
tion. C’est un moyen que L. Tûrck (2) a mis en usage pour 
étudier l’action réflexe, et il en a fait une méthode générale 
que d’autres auteurs, après lui, ont employée pour 
mesurer non-seulement l’action réflexe, mais encore l’ex¬ 
citation des nerfs par telle ou telle substance (3). 

Nous ne pouvons insister sur ces faits, nous nous con¬ 
tenterons de dire que plus l’action exosmotique d’une 
substance est considérable, plus elle agit fortement sur le 
nerf. 

Quant aux excitants physiques, la chaleur, la lumière 

(1) Leçons sur les propriétés des tissus vivants, p. 325. 

(2) Tûrck. Zeitschrift d. Ges. der Aerste zu Wien, 1850. 

(3) Büchner. Zeitschrift fûr Biologie, X. p. 37, et XI, p. 375. — Harless. 
Mém. de VAcad. de Bavière, 1858, p. 66. —Baxt. Travaux du laboratoire 
de Ludwig, 1871, XI, 69. — Sanders-Ezn. Ibidem, 1867. 

Richet. 6 



42 EXCITANTS PHYSIQUES, 

et l’électricité, leur action sur les nerfs a été si longue¬ 
ment étudiée que nous ne pouvons entreprendre même 
d’en donner un résumé. Aussi nous bornerons-nous à citer 
quelques faits spéciaux aux nerfs sensitifs. 

Il est possible que la lumière agisse sur des nerfs sensi¬ 
tifs autres que le nerf optique, et ce serait un sujet bien 
intéressant d’expériences. Mais jusqu’ici c’est une ques¬ 
tion qui n’a pas même été effleurée. 

La chaleur et le froid ont une action évidente sur les 
nerfs sensibles comme sur les nerfs moteurs, et si on 
plonge, d’après le procédé de Türck, des grenouilles déca¬ 
pitées dans de l’eau qu’on refroidit ou qu’on échauffe, les 
réflexes obtenus témoignent de la sensibilité. 

Cependant la sensibilité à la chaleur semble s’exercer par 
des nerfs distincts des nerfs tactiles (1), et j’ai souvent fait 
une expérience qui confirme le fait. Si, sur une grenouille 
empoisonnée parla strychnine, on approche de la peau un 
corps en ignition, on peut décomposer et détruire la peau 
sans provoquer de réflexes, pourvu qu’on ait soin de ne 
pas donner de sensation de contact. Sur le nerf sciatique 
on a les mêmes résultats, et rien n’est plus curieux que 
de voirie plus léger effleurement de la membrane interdi¬ 
gitale produire un tétanos généralisé, tandis que le nerf 
qui conduit cette impression peut être entièrement détruit 
par le fer rouge sans provoquer le moindre réflexe. 

Heinzmann (2) s’est demandé si les faits mis en lumière 
par Afanasief et Rosenthal pour le nerf moteur, pour¬ 
raient s’appliquer au nerf sensitif. Des changements de 

(1) Voyez le chapitre II de la seconde Partie. 

(2) Ueber die Wirkung allmâliger aenderungen auf die Empftndunga- 
nerven {Arch. de Pflüger, p. 1872, t. VI, p. 222. 



43 


LOIS GÉNÉRALES. 

température très-lents peuvent arriver au point de dé¬ 
truire le nerf, sans qu’il y ait une seule contraction, pourvu 
que l’élévation ou l’abaissement de températurfe se fas¬ 
sent avec une extrême lenteur. En expérimentant sur des 
grenouilles, Heinzmann a vérifié l’exactitude de ce fait pour 
les nerfs sensibles. Des grenouilles décapitées ou intactes 
pouvaient être soit cuites, soit congelées, sans réaction et 
sans réflexe. Si la température croissait ou décroissait de 
moins de 1[200 à li250 de degré par seconde, il y avait des 
effets sensitifs produits. Malheureusement les expériences 
de Heinzmann sur les animaux supérieurs et sur l’homme 
ne sont pas suffisantes. 

Tous ces faits sont confirmatifs de ce que du Bois-Rey¬ 
mond et Pflüger nous ont appris sur l’excitation et l’exci¬ 
tabilité des nerfs ; et ce sont deux lois très-importantes 
que je me permettrais volontiers de traduire dans un lan¬ 
gage plus clair que celui de ces savants physiologistes, 

1° Tout changement d’état dans un nerf est un excitant 
de ce nerf. 

2® Pour qu’un changement d’état excite un nerf, il faut 
qu’il soit brusque, un changement d’état graduel ne pro¬ 
duisant aucun effet. 

Il est très-probable que ces lois s’appliquent aussi bien 
au nerf sensitif qu’au nerf moteur, et à ce titre, nous de¬ 
vions les rappeler ici. 

L’électricité estl’excitantnerveuxpar excellence ; et pour 
connaître son mode d’action, ce n’est pas la pénurie des 
documents qui est un obstacle. Peu de sujets ont été l’ob¬ 
jet d’autant de travaux. 

L’électricité peut agir de deux manières différentes selon 
la nature des courants. 



44 excitation électrique. 

L’électricité de la pile aune action très-complexe. Selon 
Matteucci (l),si ce courant est très-fort, il J a sensation 
au moment de la clôture, sensation qui dure quelque temps 

après la clôture,tant que lecircuit est établi, et sensation au 

moirieqt de la rupture. Quand le courant est inverse, la 
sensation est plus vive à la clôture, quand le courant est 
direct, plus vive à la rupture. Longet (2) admet que la dou¬ 
leur se montre au début du passage des courants direct et 
inverse, à l’interruption du courant inverse, et, le circuit 
étant fermé, pendant les premiers moments du passage 
continu de l’un ou de l’autre courant. 

Longet et Matteucci admettent encore que l’excitation 
d’un nerf mixte donne des résultats différents de l’excita¬ 
tion d’un nerf uniquement moteur, mais cette remarque a 
été combattue par Rousseau (3) et Claude Bernard (4). 
Cl Bernard a montré en outre (5) que selon qu’une gre¬ 
nouille est vivace ou épuisée, il y avait contraction à la 
clôture ou à la rupture ; si ce nerf est intact, il y a contrac¬ 
tion à la clôture du courant. 

Mais il est toujours difficile de savoir si la sensibilité est 

éveillée ou non, à moins qu’on n’expérimente sur l’homme. 

Valentin (6) a pris la sensibilité de la langue comme point 
de comparaison avec l’irritabilité électrique des muscles 


(1) Leçons sur les phénomènes physiques des corps vivants. Paris, 1847, 

^’VSRousseau, Lesare, Martin-Magron. Afém. delà Soc de Biolog., 

1857, p. 22S. Verneuil. Rapport sur ce Mémoire. Ibid., p. 247. Lesure, 
Th. inaug. Paris, 1857. 

(3) Traité de physiologie, S" édit., III, p. 188. 

(4) Leçons sur le système nerveux, I, p. 166. 

(5) Loc. du, p. 192. 

(6) Zeitschrift fur Biologie, IX, p. 93. 



DE LA SENSIBILITÉ. 


45 


de la grenouille, et il a vu qu’avec le courant de pile on 
n’éprouvait pas la plus légère sensation, quand déjà les 
muscles de la grenouille réagissaient très-nettement. 

Pour le passage d’un courant d’induction il n’en serait 
pas ainsi, et les courants d’induction agiraient mieux sur 
la sensibilité que les courants de pile. 

En tout cas, nous savons depuis les recherches de du 
Bois-Reymond et surtout de Pflûger que lorsque un nerf 
est excité directement par un courant de pile, le nerf est 
polarisé dans l’un et dans l’autre sens. Cette polarisation 
est ce qu’on appelle l’électrotonus du nerf, et paraît se 
produire aussi bien pour le nerf sensitif que pour le nerf 
moteur. L’excitabilité du nerf est diminuée du côté du 
pôle positif (anélectrotonus) et augmentée du. côté du pôle 
négatif (catélecfrotonus). Chauveau (1) avec beaucoup 
d’auteurs (2) a remarqué que, dans le cas de courants con¬ 
tinus assez forts pour être perçus, la douleur était toujours 
beaucoup plus vive du côté du pôle négatif. 

Enfin, d’après du Bois-Reymond, si on |ait passer par 
le nerf un courant très-faible, et qu’on augmente lentement 
la force du courant, on arrivera à pouvoir détruire le nerf 
sans qu’il y ait de réaction sensitive (?). 

Pour expliquer ces différents phénomènes, du Bois 
admet que les molécules nerveuses sont composées d’une 
infinité de petits éléments électro-moteurs dont chacun est 
constitué par deux molécules dipolaires. Dans l’électro- 
tonus, la disposition de ces éléments électriques prend un 

(1) Journal de la physiologie, 1859, t. Il, p. 495. 

(2) màrtin Magron et Pernet. Influence de la polarisation dans Vélectri¬ 
sation du système nerveux {Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 1860, 
p. 580). 



COURANT NERVEUX. 


46 

sens différent. Cette théorie, très-hypothétique, très-ingé¬ 
nieuse, a rencontré une vive opposition même en Allema¬ 
gne, et quelques physiologistes, Hermann (1), Legros et 
Onimus, prétendent que les phénomènes électriques obser¬ 
vés dans le nerf sont la conséquence des phénomènes chi¬ 
miques de combustion organique (2). 

Les courants d’induction agissent énergiquement sur les 
nerfs sensitifs, peut-être plus, d’après Valentin, que sur les 
nerfs moteurs. J’ai fait plusieurs recherches à ce sujet, on 
les trouvera au début de la 2® partie de ce travail. J’ai 
hésite à les placer dans la première partie. En effet, les 
phénomènes de la sensibilité tiennent beaucoup moins au 
nerf qu’au centre percepteur, et ce sont bien plutôt des 
réactions centrales que des réactions périphériques. 

B. Du courant nerveux (Reizwelle). — Les effets du cou¬ 
rant nerveux sensitif sont objectifs et subjectifs. 

Les effets objectifs sont des modifications chimiques et 
physiques dans le nerf, les effets subjectifs une sensation 
dans les centres. 

Les changements chimiques sont encore inconnus. 
D’après Funke, un nerf fatigué serait acide. 

Les effets physiques sont une augmentation de chaleur,, 
et un changement dans l’état électrique (3). 

(1) Untersuchungen sur Physiol. der muskeln wnd nerven. Berlin, 
1867. 

(2) "Voy. Journ. anatomie, 1869, t. YI, p. 221. 

(3) Malheureusement presque tous les faits relatifs à l’état électrique des 
nerfs et des muscles ont été découverts en Allemagne : mais récemment un. 
de nos compatriotes, M. Lippmann, vient de construire un galvanomètre 
très-ingénieux, qui donne des indications instantanées, et qui pourra être 
employé fructueusement pour l’électro-nervie. Th. inaug. pour le doctorat 
ès sciences. Paris, 1876. 



47 


VARIATION NÉGATIVE. 

La production de chaleur a été constatée par tous les 
auteurs qui l’ont cherchée, c’est-à-dire par Helmholtz, 
Œhl, et surtout Valentin et Schiff (1), Schiff en mesurant 
cette augmentation de chaleur au moyen d’une pile thermo - 
électrique, a vérifié l'exactitude des faits qu il étudiait en 
opérant tantôt sur des nerfs intacts, tantôt sur des nerfs 
écrasés qu’il prenait comme moyen de contrôle : le résultat 
de ses expériences est que le nerf s’échauffe quand il est 
excité. 

Le changement de l’état électrique d’un nerf, au moment 
du passage du courant nerveux, avait été entrevu par du 
Bois-Reymond qui avait constaté une analogie remar¬ 
quable entre les phénomènes nerveux et les phénomènes 
musculaires. Mais c’est Bernstein qui a le premier mesuré 
ce phénomène auquel il a appliqué, après du Bois, le nom 
de variation négative (négative Schwankung) (2). Les expé¬ 
riences qu’il a faites tout d’abord sur ce sujet sont loin 
d’être concluantes, et lui ont été durement, mais juste¬ 
ment, reprochées par Hermann (3).Depuis un grand nombre 
d’expérimentateurs ont étudié la question (4), en sorte que 
maintenant la variation négative est assez bien connue (5) . 

La variation négative se manifeste aussi bien dans 
le sens centripète que dans le sens centrifuge. Elle n est 
donc pas la propriété exclusive du nerf moteur, quoique 
elle ait été étudiée surtout dans cet ordre de nerfs. Sa 

(1) Arch de physiologie, 1869, t. II, p. 158. 

(2) Arch. de Pflüger, 1866, t. I, p. 201. 

(3) Ibid. Zur aut pdârungund àbwehr., 1874, t. IX, p. 30. 

(4) Qruenhagen. Arch. de Pflüger, t. VI, p. 157. — Valeatin. Zeitschrift 
fûr Biologie, t. VIII, p. 2. 

(5) Holmgren l’a constatée dans le nerf optique. 



48 VARIATION NÉGATIVE. 

vitesse est considérable, et sa durée très-courte. Quand 
un nerf est écrasé ou lié, elle ne peut plus se produire, ce 
qui démontre bien évidemment que le courant nerveux, 
s’il produit un courant électrique, n’est pas par lui-même, 
un courant électrique. Quels que soient les courants qu’on 
emploie, la variation négative est identique à elle-même. 
La clôture, la rupture des courants de pile ou des courants 
d’induction amènent tous la même variation négative. 
Elle est à peu près nulle dans le segment médian de tout 
tronçon nerveux que l’on irrite à l’un de ses bouts et pré¬ 
sente son maximum d’intensité à la portion terminale. 
Gruenhagen a démontré que la variation négative n’était 

pas la somme d’une série d’excitations, qu’elle ne dépas¬ 
sait jamais 0,13 du courant nerveux primitif, et qu’elle 
n’augmentait pas avec le nombre des interruptions élec¬ 
triques excitatrices. 

Les effets de la variation négati\e, démontrés d’abord 

par du Bois, et étudiés avec beaucoup de soin par Cl. Ber¬ 
nard (1) sont faciles à observer sur la grenouille. Si on 
prend un sciatique de grenouille avec son muscle, et si on 
le place au-dessus d’un autre sciatique semblable qu’on 
excite, au moment où le courant nerveux passe, la modifi¬ 
cation électrique qui se produit dans le premier amène 

une excitation du sciatique juxtaposé. 

En somme, les phénomènes sont assez faciles à expli¬ 
quer dans leur ensemble. A l’état normal, et pendant le 
repos, il y a un certain état électrique du nerf. Cet état 
électrique change par l’excitation, et le courant nerveux 
sensitif qui se produit est la conséquence, peut-être la 
cause, de ces altérations matérielles du nerf. Echauffe- 
(1) Leçons sur le système nerveux, 1.1, p. 160. 



VITESSE DU COURANT NERVEUX. 49 

ment, variation négative, modifications chimiques, cou¬ 
rant nerveux, tous ces phénomènes sont connexes, et peu¬ 
vent être envisagés comme les transformations d une seule 
et même force. 

Il ne faudrait pas confondre cette variation négative 
avec le courant nerveux proprement dit. La variation 
négative est un phénomène électrique, le courant nerveux 
est un phénomène d’ordre physiologique. D ailleurs la 
vitesse de ces deux mouvements est tout à fait différente, 
ainsi que le prouvent les nombreuses recherches contem¬ 
poraines faites en vue de déterminer la vitesse de l’agent 
nerveux. 

C’est l’illustre physicien Helmholtz qui a le premier 
mesuré la vitesse de l’agent nerveux. Cependant Haller (i) 
avait par un procédé aussi ingénieux qu imparfait, la lec¬ 
ture d’un livre à haute voix, calculé cette vitesse nerveuse 
et l’avait trouvée de 50 mètres par seconde, approxi¬ 
mation très-grande des résultats réels calculés depuis. 
Les résultats d’Helmholtz s’appliquent surtout au nerf 
moteur (2) et il a trouvé d’abord une vitesse de 26.4 par 
seconde, en calculant par la méthode de Pouillet. Plus 
tard, en employant la méthode graphique, il arriva au 
chiffre de 27.25 par seconde. 

Après Helmholtz, un grand nombre d’auteurs ont étu¬ 
dié le sujet, Fick (3), Harless (4), Thiry (5), Munk (6), 

(1) Elementaphysiologîæ, l.X.sect, viii, p. 373, t. VI, édit. deLausanae. 

(2) Müller's arch., 1850. 

(3) Yierteljahrschrift der naUrforschende Gesellschaft in Zurich, 1862, 
p. 307. 

(4) Mêm. de VAcad. de Bavière, 1862, t, IX, p. 316. 

(5) Journ. de Henle, 1864, t. XXI, p. 300. 

(6) Arch. de Reichert, 1860, p. 798. 

Richet. 



50 VITESSE 

Hirsch <1), Shelske (2), Marey (3), Donders (4), Bloch (5) 
et Bast (6). Quelques-uns des résultats obtenus ont trait 
à la vitesse de l’agent nerveux sensitif, les autres pour la 
plupart sont des évaluations de la vitesse de 1 agent ner¬ 
veux moteur. 

Marey a essayé de mesurer la vitesse du courant nerveux 
sensitif, par la vitesse des actions réflexes sur la gre¬ 
nouille, il a trouvé ainsi une vitesse de plus de 30 mèties 
par seconde (7). Mais il faut noter que pour rendre les 
mouvements réflexes plus faciles à produire, il empoi¬ 
sonnait la grenouille avec la strychnine, et que cette intoxi¬ 
cation peut changer les conditions physiologiques. D ail¬ 
leurs, il remarque que la strychine semble augmenter la 
vitesse du nerf. Enfin, il faut tenir compte dans toute 
action réflexe du temps perdu dans la moelle, l’action des 
centres nerveux qui transforme le courant nerveux étant 
certainement beaucoup plus lente que le courant nerveux 
lui-même. 

Shelske opérait sur lui-même et il procédait la ma¬ 
nière suivante. Il faisait agir une décharge électrique sur 
un point du corps éloigné du centre et notait le temps qui 
s’écoulait avant la perception de la sensation. Puis il fai¬ 
sait agir la même excitation en un point des téguments 

(1) Chronologische Verauche über die Geschwindigkeit, etc. Neufchatel, 
1861, Arch. des sciences phys. et natur. de Genève, 1862, p. 160. 

(2) Arch. de Reichert, 1864, p. 151, 

(3) Du mouvement dans les fonctions de la vie, 1868, p. 410 et suiv. 

(4) Journ. de Vanatomie, 1869, et Arch. de Reichert, 1868, p. 657. 

(5) Arch. de physiologie, 1875, t. VII, p. 588. 

(6) Mém. de VAcad. des sciences de Berlin, avril 1867. 

(7) Loc. cit., p. 441. 



DE LA, sensibilité. 


54 


plus rapproché des centres, il notait encore le temps, et 
remarquait que la. sensation était perçue beaucoup plus 
vite. Il est arrivé ainsi à une vitesse de 29,60 (1) à 34,05.' 

Malheureusement, d’une part les expériences de Shelske 
ne sont pas assez nombreuses, de l’autre, elles ont un vice 
capital qui suffit pour leur ôter beaucoup de valeur. En ef¬ 
fet, le courant sensitif passe dans un cas par le nerf sciati¬ 
que et toute la moelle, dans l’autre cas, par un nerf très- 
court, et une portion très-courte de la moelle. On n’a donc 
pas la vitesse du courant nerveux sensitif dans les nerfs 
seuls, puisque on n’a pas tenu compte du retard, certain 
d’après Helmholtz, qu’a subi le courant nerveux sensitif 
en passant dans la moelle. 

Je ferai de bien plus graves reproches au travail de 
Bloch. D’abord il a par son procédé ,trouvé une vitesse de 
432 mètres par seconde, et ce chiflTreest si différent de tous 
les autres, qu’il faut accueillir cette détermination avec la 
plus grande réserve. Helmholtz, Marey et Scheîske ayant 
trouvé près de 30 mètres, il est permis de douter de l’exac¬ 
titude de la méthode de Bloch qui a trouvé 132 mètres 
pour les nerfs, et 156 pour la moelle, quand Helmholtz 
n’avait trouvé que 10 à 45 mètres pour la vitesse de la 
moelle. 

Sans entrer dans l’examen détaillé des expériences et 
des procédés de Bloch, je dirai que la critique qu’il porte 
contrôles expériencesdeSchelskeestprobablement erronée. 
Selon lui, l’excitation de la main est plus vite sentie que 

(1) Shelske, rappelant qu’Helmholtz avait d’abord trouvé 60 mètres par se¬ 
conde, suppose qu’il y a eu dans les calculs multipliés une erreur de chiffres, 
une division par 2 oubliée par exemple, et admet que le nombre qu’il a trouvé 
s’accorde avec le nombre trouvé par Helmholtz. 



VITESSE 


52 

l’excitation du visage. Ainsi le choc senti reçu par le nez 
n’est traduit par un mouvement qu’après un temps de 13 
à 17 centièmes de seconde, tandis qu’un choc reçu par la 
main est signalé après un temps de 11 à 14 centièmes de 
seconde. Vraisemblablement pour un tel résultat la mé¬ 
thode est défectueuse. 

A posteriori, l’insuffisance de sa méthode est facile à 
prouver d’abord par le grand nombre de calculs nécessaires, 
ce qui transforme une petite erreur en une erreur formi¬ 
dable, ensuite elle repose sur une donnée psychique dont 
nous ignorons tout à fait la réalité et qu’il est fort difficile 
d’apprécier. Deux chocs produits à deux^moments diffé¬ 
rents en deux points différents et étant perçus simultané¬ 
ment, la différence de temps entre les deux excitations 
mesure la durée nécessaire pour le passage du courant 
nerveux d’un point à l’autre. Qui ne voit combien cette 
appréciation de simultanéité est difficile à porter ? 

En présence de résultats si discordants, 132 mètres 
(Bloch), 60 mètres (Helmholtz), 32 mètres (Marey), 
29 mètres (Schelske), j’ai pensé qu’il était nécessaire de 
faire quelques expériences aussi rigoureuses que possible, 
et rien ne pouvait mieux nous prévenir des erreurs que 
l’étude attentive des procédés employés par'nos devan¬ 
ciers. 

l® La vitesse de la sensibilité ne peut être étudiée que 
•sur l’homme ; car sur les animaux on est forcé de mettre 
jeu l’activité de la moelle pour l’action réflexe, et le temps 
de passage dans la moelle retarde le courant nerveux; 

2“ Cette vitesse ne peut être comparée qu’en prenant 
deux points d’un même nerf, inégalement distants de la 



53 


DE LA SENSIBILITÉ. 

moelle, mais dans lesquels le passage du courant à tra¬ 
vers la moelle occupe nécessairement le même temps ; 

3° Il faut calculer rigoureusement et comparativement 
l’équation personnelle, et on ne peut mesurer la vitesse 
sensitive qu’après un très-grand nombre d’expériences 
faites sur le même individu; 

4® Il faut des appareils précis et à signaux instantanés; 

La méthode que j’ai employée réalise, j’espère, toutes 
ces conditions. En effet, les signaux étaient des signaux 
électriques, la vitesse de l’électricité étant telle que le re¬ 
tard estnégligeable. Comme appareils enregistreurs j’em¬ 
ployais le cylindre de Marey. Un diapason vibrant 500 
fois par seconde contrôlait la régularité de ce cylindre. 

Comme moyen d’excitation, le cylindre portait une gou¬ 
pille, qui, toujours au même moment de sa révolution, ve 
nait rompre le courant de' pile et produisait d*une part un . 
mouvement dans le signal, d’autre part une secousse per¬ 
çue par le sujet en expérience. Au moment où le sujet 
percevait, il pouvait sans le moindre effort rompre à son 
tour le courant de pile, au moyen d’un petit ressort placé 
à portée de sa main et tout près de lui. 

La distance séparant la ligne des premiers signaux 
électriques (ligne des excitations) de la ligne des seconds 
signaux (ligne des sensations), traduit par une quantité 
évaluable en secondes et fractions de seconde, la durée 
de différents mouvements qui sont les suivants : 

a. Transmission de l’excitation à la moelle (courant 
sensitif nerveux ) ; 

g. Transmission dans la moelle (courant sensitif 
médullaire) ; 



VITESSE 


b4 

y. Perception dans le cerveau, travail du cerveau 
pour élaborer une excitation des nerfs moteurs (1) ; 

B, Transmission du courant moteur dans la moelle 
et dans les nerfs moteurs (courant moteur ner¬ 
veux, courant moteur médullaire). 

e. Mouvements musculaires déterminant la pression 
du ressort et la rupture du courant de pile. 

Or, comme nous ne cherchions à connaître que la durée 
du premier mouvement, il fallait éliminer la durée de tous 
les autres. Pour cela deux conditions seulement sont né¬ 
cessaires : 

1® Prendre le même nerf sensitif à des points différents; 

2° Annihiler l’influence de l’équation pevsonnelle. 

Cette équation personnelle, qui a été étudiée avèctant de 
soin dans ces dernieis temps par Wolff, Donders (2), 
Exner (3), Hirsch (4), Wundt (S), Vierodt (6), exige pour 
être rendue constante plusieurs conditions, et j’ai fait sur 
ce sujet, dans le laboratoire de M. Marey, de nombreuses 
expériences, qui s’accordent complètement avec les résul¬ 
tats des autres auteurs. 

En premier lieu, il faut une attention soutenue que la 
présence d’une personne étrangère ne vienne pas distraire. 
Le moindre bruit, une parole, une mouche qui vole, retar¬ 
dent d’une quantité notable le signal qu’on doit donner. 

En second lieu, il faut que la série d’excitations succes- 

(1) C’est particulièrement ce travail qu’on appelle l’équation personnelle. 

(2) Journ. de l’anatomie, 1868, p..676. 

(3) Arch. de Pflüger, VII, p. 657. 

(4) Moleschott's Untersuchungen, IX, p. 200. 

(5) Grundzüge der physiologischen Psychologie, p. 761. 

(6) Der Zeitsinn nach Versuchen. Tüburgin, 1868. 



DE LA SENSIBILITÉ. 55 

sives soit bien régulière, et se succède à d’assez fréquents 
intervalles.Le rhythme qui survient ainsi finit par devenir 
très-facile à saisir. 

Enfin, il faut opérer toujours sur la même personne, car 
l’équation personnelle varie selon les individus. 

Les cinq ou six premières excitations ne doivent pas 
être mises en ligne de compte, car la perception est tou¬ 
jours très-retardée, et ce n’est qu’à la fin que se régularise 
absolument la durée constante des intervalles entre 1 exci¬ 
tation et la perception. 

Enfin il Æst nécessaire de s’y habituer par un fréquent 
exercice, et c’est seulement alors qu’on peut prendre la 
moyenne des expériences nombreuses que la méthode gra¬ 
phique permet de conserver indéfiniment. 

Les conclusions que j’ai tirées de mes expériences sont 
les suivantes : 

A. La vitesse des nerfs sensitifs est plus grande que 
celle des nerfs moteurs, et semble dépasser 50 mètres- par 
seconde. 

B. La compression ralentit la vitesse des nerfs. 

Toutefois, je ne peux pas encore donner ces résultats 

d’une manière définitive, car il y a encore difiérents points 
à élucider pour éviter toute cause d’erreur, et je compte 
dans un prochain travail revenir avec plus de détails sur 
ce point difficile et intéressant. 

Je ferai en outre remarquer, que probablement la sen¬ 
sibilité n’a pas une vitesse constante, ainsi que Wittich (1) 
semble le prouver, et que cette vitesse varie avec la qualité 
de l’excitant. Ainsi, d’après Wittich, les excitations méca- 

(1) Bemerkungerx über die Grenzen des Empfindungs vermôgens und 
WiUens (Arch. de Plüger, II. p. 329). 



VITESSE 


56 

niques seraient moins vite perçues que les excitations 
électriques. La vitesse étant de 0,23 à 0,25 centièmes de 
seconde pour la pression, et de 0,16 à 0,17 pour l’électri¬ 
cité, ce qui fait une différence d’environ 0,07 centièmes de 
seconde. 

Je regrette vivement de ne pouvoir entrer dans plus de 
détails sur mes expériences. Je me contenterai d’ajouter 
quelques mots au sujet de la fusion des sensations. 

Chacun sait que si on regarde un objet brillant, l’im¬ 
pression produite sur la rétine ne disparaît pas immédia¬ 
tement, en sorte que si on prend cet objet et si on l’anime 
d’un mouvement circulaire rapide, tpus les points bril¬ 
lants se confondront et apparaîtront finalement à l’expé¬ 
rimentateur comme un cercle de feu. Cela ne peut s’expli¬ 
quer que par la persistance dans la rétine de l’impression 
visuelle. Cette persistance a été calculée par différents 
auteurs, et elle est évaluée par Helmholtz à environ 1211" 
de seconde, ce qui signifie que dans une seconde, on ne 
pourra voir que onze objets différents. Au delà de cette 
limite, les sensations deviennent confuses et empiètent 
les unes sur les autres. 

J’ai cherché à mesurer la durée de cette persistance, non 
pour les sens spéciaux, mais pour la sensibilité générale, 
et voici comment je procédais : 

Deux secousses électriques éloignées l’une de 1 autre 
sont perçues distinctement. Supposons qü. on les rap¬ 
proche de plus en plus, il arrivera un moment où il n y 
aura plus qu’une seule sensation, les deux secousses dis¬ 
tinctes, mais rapprochées, étant confondues dans leur per¬ 
ception, tout comme deux objets vus à un très-court in¬ 
tervalle de temps, moins de un onzième de seconde. 



DE LA SENSIBILITÉ. 

semblent confondus à la vue. D’après mes recberclies, 
malheureusement encore incomplètes, il me paraît que 
la persistance est d’environ un vingtième de seconde ; ce 
qui signifie qu’en une seconde on ne pourrait ressentir plus 
de vingt secousses distinctes. Je serais tenté de croire, d’une 
part, que la sensibilité tactile est différente de la sen sibilité 
électrique, d’autre part, que plus l’excitation est forte, 
plus la fusion se produit vite. Deux excitations faibles 
seront perçues plus facilement distinctes, que deux exci¬ 
tations fortes séparées par le même intervalle de temps. 

D’ailleurs différents auteurs ont étudié cette question : 
Lissajous et Foucault, Preyer, Wittich (1), Valentin (2), 
Bloch (3), et plus récemment Lalanne (4). Lalanne a trouvé 
un maximum de I2I2 dé seconde et un minimum de 1224 
de seconde. Bloch est arrivé à un chiffre considérable,' et 
Wittich admet qu’il faut plus de 1500 excitations par se¬ 
conde pour qu’elles se fusionnent. La divergence des ré¬ 
sultats tient probablement en grande partie à la diversité 
des méthodes employées. 

Dans certains cas pathologiques, la vitesse de la sensi¬ 
bilité présente de grandes variations. Ainsi chez les ata¬ 
xiques, chez les alcooliques (5), on a noté un retard quel¬ 
quefois considérable, allant jusqu’à 30 secondes (Rom- 
berg). 

J’ai communiqué à ce sujet devant la Société de Bio- 


|j| (1) Arch. de Pfüger, t. II. 

I (2) Arch. fûr physîol. Heilkunde, t. XI. 

I (3) Loc. eit. 

1(4) Comptes-rendus, 1876,1.1, p. 1314, 
i|(5) Dagonet. Ann. méd, psych.; De VaXeoolxnme au point de uue de 
l’oliénat., 1873,t, IX, p. 187. 

Richet. 



58 RETARD CHEZ LES ATAXIQUES. 

logie un travail sur le retard des ataxiques (1), dont voici 
les conclusions : 

i” Chez les ataxiques, la vitesse de la sensibilité n est 
pas constante ; 

2° Le retard est d’autant plus grand que l’excitation est 
plus éloignée de la moelle ; 

3“ Le retard est d’autant plus grand que l’excitation est 
plus faible. 

Ces faits m’ont permis de comparer les lois de la trans¬ 
mission nerveuse sensitive chez les ataxiques, aux lois de 
l’action réflexe bien étudiées par Rosenthal.En effet, par 
suite de la destruction des cordonspostérieurs, les impres¬ 
sions sensitives passent toutes par la substance grise de 
la moelle, et la conduction dans les cellules nerveuses n’est 
pas identique à la conduction dans les fibres nerveuses. 
Aussi ai-je rejeté l’hypothèse suivant laquelle le retard 
serait dû non pas à la moelle, mais au nerf lui-meme, 

hypothèse qu’on aurait été tenté d’adopter tout d’abord en 

voyant le retard croître avec la distance qui sépare le 
nerf des centres. 

Dans quel sens se fait la transmission sensitive . Il 
semblerait logique de n’admettre que le sens centripète, 
et pourtant nous avons vu dans le chapitre premier que 
pour les nerfs de moyen calibre, ce courant nerveux se 
produisait également en haut et en bas. L’étude des va¬ 
riations électriques du nerf conduit à un même résul¬ 
tat comme aussi l’examen de certains faits pathologiques 
de la greffe animale. Parexemple,Paul Bert (2)ademontre 


(1) Cette note a été publiée dana la Gaz. mêd., juillet et août me. On 
en trouera un compte-rendu sommaire dans la Gaz. hebd.. jmn iSVB. 

(2) De la vitalité des tissus. Th. de doctorat ès soiênces, 1866. 



59 


EFFETS DU COURANT NERVEUX. 

que si on greffait une queue de rat encore vivante sous la 
peau d’un rat, la portion séparée ne mourait pas, qu elle 
reprenait rapidement sa sensibilité, et que c’était le bout 
de la queue qui était le plus sensible 

On a aussi constaté (i) dans un certain nombre de cas, 
qu’après la séparation complète d’une portion quelconque 
du corps d’un individu, si on appliquait exactement sur la 
plaie la portion séparée, la réunion primitive ne tardait 
pas à se faire. Dans ce cas, si la sensibilité revient, c’est 
que ies nerfs se régénèrent simplement : la circulation ner¬ 
veuse se rétablitparseconde intention, de la meme manière 
que la circulation sanguine. 


CHAPITRE III. 

DES EFFETS DU COURANT NERVEUX SENSITIF. 

Le principal effet du courant nerveux centripète, est de 
déterminer l’excitation des centres avec lesquels les nerfs 
sont en rapport. 

Quoique les résultats diffèrent avec la nature même des 
centres excités, le mécanisme est toujours le même ; c est 
une excitation nerveuse périphérique, qui met en jeu des 
centres soit percepteurs, soit moteurs ; et alors elle pro¬ 
duit, soit une perception, soit une action réflexe. 

(l) Friedberg, RétaUissement de la sensibilité dans les lambeaux ana- 
plastiques (Arch. de Virchow, 185S, t. XYl, p. 540). 

Georges Martin. Th. inang., Paris, 1873. De la durée de vitalüé des 
tissus dans les transplantations cutanées. 



60 EFFETS DU COURANT NERVEUX. 

Quant aux différentes perceptions, elles ne peuvent te¬ 
nir au mode d’excitation du nerf, mais à la nature même 
des centres percepteurs. Ainsi l’excitation du nerf optique 
produit une sensation lumineuse ; or, la spécificité de cette 
sensation est due, non au nerf optique, mais aux centres 
optiques excités. 

Nous reviendrons sur ce point dans la seconde partie. 
Pour le moment, envisageons l’effet d’une excitation sim¬ 
ple portant sur un tronc nerveux sensitif. 

Trois cas peuvent se présenter : 

1® Si le nerf est séparé des centres,"^ il n’y aura aucun 
effet de produit, à moins qu’il n’y ait des anastomoses 
telles, que le tronc nerveux sectionné soit encore en rap¬ 
port avec des troncs nerveux intacts, et qu’il y ait par là 
conduction de la sensibilité. 

2° Si le nerf est en rapport avec la moelle, et que la moelle 
soit séparée des centres, il n’y aura pas perception; au 
moins tout nous porte à croire qu’il en est ainsi. Mais, 
si la moelle est intacte, et si l’excitation est suffisante, il y 
aura action réflexe. Les nerfs de certains organes, du pha¬ 
rynx, du larynx, de la cornée, du rectum, de la vessie sont 
três-remarquables à ce point de vue, leur excitation par 
une cause quelconque produit un réflexe immédiat perçu 
ou non perçu, et il semble que l’énergie de cette action 
réflexe, dont le cerveau a plus ou moins conscience, e^- 
qu’il ne peut souvent pas empêcher, soit la cause de la 
soi-disant spécificité de ses sensations. L’anatomie a dé¬ 
montré formellement que dans tous ces cas, les noyaux 
d’origine des nerfs sensitifs et des nerfs moteurs étaient 
très-rapprochés : il n’est donc pas étonnant que l’excita¬ 
tion des premiers détermine l’excitation des seconds. 



DE l’engourdissement. 61 

D’ailleurs, dans certaines conditions, les nerfs de la 
sensibilité générale donnent lieu à des réflexes énergiques, 
par exemple, le spasme dit traumatique, certaines con¬ 
tractures, et cette maladie bizarre qu’on peut provoquer 
par l’expérimentation, appelée épilepsie spinale. Brown- 
Séquard, qui a fait sur ce sujet de si belles expériences, 
a même constaté que dans les régions dites épi-lepto^ènes, 
là où l’excitation périphérique provoquait par un réflexe 
immédiat la contracture spasmodique de plusieurs groupes 
de muscles, il y avait anesthésie (1). C’est assez indiquer 
que la conduction de la sensibilité n’était pas entravée de 
la périphérie à la moelle, mais que de la moelle au cerveau 
la conduction était troublée. 

3° Les centres nerveux sont intacts, et le tronc nerveux 
étant excité, il y a perception. 

C’est le cas le plus général, et aussi celui qu’il nous im¬ 
porte le plus de connaître. Il convient d’insister sur quel¬ 
ques particularités, car elle nous donnera l’explication 
de certains faits délicats et obscurs. 

A l’état normal, les sensations qui nous viennent de la 
périphérie sont presque nulles ; c est un sentiment mus¬ 
culaire trop vague pour être précisé, et même sur l’exis¬ 
tence duquel il y aurait lieu d’émettre quelques doutes. 

Au contraire, l’excitation d’un tronc nerveux, soit par 
l’électricité, soit par une contusion, une compression, soit 
par toute autre cause, nous donne des sensations particu¬ 
lières plus ou moins fortes, selon le degré de l’excitation 
elle-même. 

Lorsque l’excitation est légère, la sensation produite est 
une sensation d'engourdissement. 

(1) Arch. de physiolog., 1869, t. II, p. 430. 



g2 de l’engourdissement. 

En généra], on croit que l’engourdissement est un phé¬ 
nomène d’anesthésie, mais il me semble qu’il y a là une 
erreur évidente. L’engourdissement est une sensation de 
gêne, de pesanteur, de souffrance qu’il est impossible de 
confondre avec l’insensibilité, puisque on éprouve des sen¬ 
sations pénibles, là où à l’état normal on n’éprouve rien. 
Quand, par exemple, le nerf cubital n’est pas excité, 
nous ne sentons rien dans l’avant-bras ; au contraire, que 
ce même nerf soit légèrement comprimé, nous aurons une 
sensation de pesanteur, de fatigue, en un mot d’engourdis¬ 
sement qui occupera tout l’avant-bras : or, cette sensation 
ne peut être attribuée à l’inactivité du nerf, ce n’est pas 
une diminution, c’est une exagération de fonction. 

Ce qui a pu faire regarder àtort l’engourdissement comme 
un des premiers degrés de l’anesthésie, c’est que souvent 
il coïncide avec un commencement d’anesthésie tactile, 
mais il faut faire ici une distinction fondamentale entre 
la sensibilité générale, et la sensibilité tactile. 

La sensibilité générale peut être surexcitée, la sensibi¬ 
lité tactile ne peut pas l’être. Pour le toucher, 1 état nor¬ 
mal réalise les meilleures conditions, et pour peu qu’il y 
ait hyperesthésie du sentiment, il y a diminution de la 
sensibilité tactile. 

Que faut-il en effet pour qu’il y ait une perception tac¬ 
tile exacte et complète ? Deux conditions sont nécessaires, 
il faut que la transmission soit intacte, c’est-à-dire qu’il 
n’y ait pas d’anesthésie nerveuse, mais il faut aussi que 
la transmission ne soit pas exagérée, et qu’il n’y ait pas 
d’hyperesthésie nerveuse. Dans le dernier cas aussi bien 
que dans le premier, il y a anesthésie tactile. 



DE l’engourdissement. 6S 

Éclairons par des faits ce que ces considérations peuvent 
avoir d’obscur. 

Quand on fait l’anémie d’un membre par la compres¬ 
sion avec la bande élastique, l’excitation du nerf précède 
sa paralysie, et l’engourdissement et les fourmillements 
sont les premiers symptômes de cette excitation. A un mo¬ 
ment, il y a une hyperesthésie telle que le moindre contact 
produit des fourmillements très-désagréables. Chacun a 
pu observer sur soi des cas analogues. A la période des 
fourmillements, le moindre contact devient une irritation 
générale, et la sensation quoique forte est tellement vague, 
que l’on ne perçoit presque plus rien, en sorte que l’hy¬ 
peresthésie du nerf est aussi funeste à la perfection de la 
sensation que son anesthésie. 

J’ai vu une femme atteinte d’un cancer dû sein avec 
adénopathie symptomatique dans l’aisselle. Elle était su¬ 
jette à des phénomènes bizarres que M. Yerneuil attri¬ 
bua à une rétention lymphatique. Le bras devenait rouge, 
douloureux, et superficiellement œdématié. Il suffisait de 
toucher légèrement un point de la peau pour la faire souf¬ 
frir, et pourtant elle disait qu’elle avait le bras engourdi; 
et en effet, elle ne sentait pas le contact léger avec netteté, 
et ne pouvait bien distinguer l’écartement des pointes de 
l’esthésiomètre; chaque fois qu’on la touchait, c’était, sui¬ 
vant son expression, comme une traînée de feù. 

Tout récemment, j’ai vu à la consultation de la Pitié une 
femme atteinte de névralgie traumatique d’un doigt. Le 
moindre contact était douloureux, et pourtant elle disait 
qu’elle ne sentait pas bien, et qu’elle avait le doigt.comme 
engourdi. N’est-ce pas là un fait évident d’hyperesthésie 
nerveuse produisant de l’anesthésie tactile ? 



04 DU FOURMILLEMENT. 

Ainsi la conséquence de l’excitabilité exagérée d’un nerf 
se traduira d’abord par une sensation d’engourdissement 
liée à un certain degré d’anesthésie tactile, D ailleurs, la 
trop grande excitabilité du tronc nerveux s’accorde à 
merveille avec la diminution d’excitabilité de sesrameaux^. 
Nous verrons en effet, lorsque nous étudierons la manière 
dont meurt le nerf sensitif, qu’il meurt delà périphérie aux 
centres ; en sorte que le nerf est encore surexcité dans son 
tronc, quand déjà il est paralysé dans ses rameaux. 

Le fourmillement est un degré de plus dans l’excitabi- 
lité du nerf, et il y a une limite qu’il est impossible de 
préciser entre l’engourdissement et le fourmillement. Il 
semble qu’on ait des fourmis dans le membre, ou mieux 
une infinité de piqûres d’épingle excitant toutes les bran¬ 
ches et tous les ramuscules du'‘tronc nerveux excité. La 
compression d’un nerf produit ce phénomène , et l’électri¬ 
sation aussi. Cela s’explique parfaitement ; car l’excita- 
tion qui porte sur un tronc nerveux est toujours rappor¬ 
tée par le jugement sensitif à la périphérie du nerf. Or on 
ne peut par l’électrisation et la compression produire la 
sensation tactile, car cette sensation dépend de la struc¬ 
ture de la peau. 

Il n’est pas douteux que la perception nette et distincte 
des différents modes de sensation, et le toucher avec toutes 
ses variétés, pression, rudesse et résistance des corps, éten¬ 
due, température, etc., ne soi^intimement liée aux orga¬ 
nes nerveux périphériques situés dans le derme. De même 
que l’excitation du nerf optique ne donnera pas la sensa¬ 
tion visuelle d’un paysage ou d’une maison, mais produira 
simplement des phosphènes, de même l’excitation d’un 
nerf ne produira pas de sensation tactile, mais donnera un 



DU FOURMILLEMENT. 


65 


sentiment d’irritabilité générale, telle qu’en pourrait faire 
naître un millier de petites piqûres d’épingle allant irriter 
toutes les parties de la peau. 

Aussi croyons-nous peut-être contraire à la vérité d’ad¬ 
mettre une hypéresthésie tactile (1). Les aveugles ont une 
plus grande finesse du toucher, mais ce n’est pas de l’hy- 
péresthésie, ils touchent mieux, ils entendent mieux, mais 
c’est la perception qui est plus parfaite, et non l’excitabi¬ 
lité nerveuse plus développée. Nous avons souvent cher¬ 
ché avec l’esthésiomètre à constater de l’hypéresthésie 
tactile, et nous n’en avons jamais rencontré. 

Au contraire, quand un membre est hypéresthésié, la 
sensation tactile perd de sa finesse, tout comme un indi¬ 
vidu que la lumière-vive fait souffrir nA pas pour cela des 
sensations visuelles plus nettes. La photophobie n’est pas 
une bonne condition pour la vision. L’hypérësthésie, les- 
névralgies, les phlegmasies de la peau sont de détestables 
conditions pour le toucher. 

Nous pouvons donc regarder comme acquises ces deux 
propositions sur lesquelles nous ne reviendrons pas, mais 
qui auront de fréquentes applications dans le cours de ce 
travail. 

A. L’excitation faible d’un tronc nerveux produit une 
sensation d’engourdissement : quand elle est un peu plus 
forte, elle produit une sensation de tourmillement. 

B. L’excitabilité exagérée d’un tronc nerveux entraîne 
de l’anesthésie tactile; et l’hypéresthésie tactile n’existe 
pas. 

(1) Brown Séquard. Bull, de la Soc. de bioL, 1849, p. 162. — Micliéa, 
Gaz. des hôp.^ 1859, p, 437, 

Richet. ‘•1 



DU SCINTILLEMENT. 


Cet engourdissement, ce fourmillement ne sont que des 
sensations produites par des excitations faibles. Si l’exci¬ 
tation est plus forte, la sensation perçue sera presque dou¬ 
loureuse : Pour s en faire une idée, il suffit de s’électriser 
soi-même, et de faire passer le courant par un tronc ner¬ 
veux : il semblera alors qu’un millier d’étincelles partent 
de tous les points de la peau, et en même temps qu’un trait 
de feu traverse le nerf : c’est-ce que je proposerais d’appe¬ 
ler le scintillement, qui n’est à proprement parler pas une 
douleur, mais qui s’en rapproche par son intensité. 

Quand l’excitant est très-violent, la sensation devient 
très-intense, et la violente irritation du nerf produit de la 
douleur. Les différents modes de sensations produites par 
une douleur forte ne sont pas aussi variables qu’on le croi¬ 
rait tout d’abord, et on pourrait les ramener à trois ou 
quatre formes. C’est tantôt^un sentiment de brûlure (cau- 
salgie de Weir Mitchell) intense, tantôt un sentiment de 
déchirement, de rangement, que les malades expriment à 
peu près toujours de la même manière c’est comme si les 
chiens merongeaient. Quelquefois c’est une sorte de torsion, 
de pression, comme si on tordait les os, ou on les brisait à 
coups de marteau, quelquefois encore ce sont des éclairs 
de feu, des coups de lance qui traversent le nerf, et en gé¬ 
néral, les douleurs des ataxiques,^dues aux lésions médul¬ 
laires, prennent l’une ou l’autre de ces deux formes. 

Ainsi l’excitation d’un troéc nerveux produit différentes 
sensations qui varient avec l’intensité même de l’excita¬ 
tion : engourdissement, fourmillement, scintillement, dou¬ 
leur. Je n’ai pas besoin de dire que la distinction précise 
entre ces quatre degrés serait purement artificielle, et qu’il 



EXCITATIONS PATHOLOGIQUES. 67 

ne faut les considérer que comme des procédés de descrip¬ 
tion, et non comme des classes naturelles. 

L’étude de ces sensations quelquefois négligée par les 
pathologistes aurait de grands avantages. D’abord elle 
nous renseignerait sur un point de physiologie que les 
vivisections ne sauraient éclairer, en second lieu, elle four¬ 
nirait, pour le diagnostic et le pronostic des maladies, des 
notions souvent précieuses. 

On a en effet l’occasion de les étudier dans un grand 
nombre de cas, et presque toujours les malades les décri¬ 
vent complaisamment, leur maladie étant l’objet de toute 
leur attention. Ceux qui ont des tumeurs voisines des nerfs, 
fibromes, sarcomes, fibronévrômes, etc., des névral¬ 
gies, des affections de la moelle sont dans ce cas et les des¬ 
criptions pathologiques s’accorderaient sans doute avec 
les faits de la physiologie. 

Chez les ataxiques, les douleurs fulgurantes, les traits 
de feu, les fourmillements sont les conséquences de la 
myélite postérieure qui produit des sensations analogues 
à celles que provoque l’excitation directe d’un nerf. Il en 
est ainsi des autres myélites. J’ai vu à la Pit?é, un malade 
(salle St-Louis, n° 36), qui à la suite d'une fracture de la co¬ 
lonne vertébrale, éprouva pendant cinq semaines des élan¬ 
cements qu’il comparait à des coups d'électricité et qui durè¬ 
rent sans relâche pendant tout ce temps. Un autre malade, 
atteint de lympho-sarcôme du coUj_ ne ressentait rien 
quand ilj-estait immobile. Mais dès qu’il remuait la tête, 
immédiatement des douleurs fulgurantes lui traversaient 
le cou. Ces douleurs étaient telles que pour les éviter, il 
essayait de ne pas dormir; les mouvements involontaires 
qu’il faisait pendant le sommeil lui causant une douleur 



08 excitations pathologiques 

atroce. Un autre malade, atteint de névrôme du creux 
poplité ne souffrait pas quand il était couché , mais 
dès qu’il était levé, la tumeur comprimée par l’aponévrose 
sous laquelle elle était située, pressait le nerf et produisait 
un sentiment d’engourdissement et de fatigue générale. 
Si on pressait sur la tumeur, c’était disait-il, comme un 
■ coup d'électricité ; et cela lui donnait des frémis dans le 
pied. Cependant la sensation tactile était très-confuse, et 
il distinguait mal les pointes de l’esthésiomètre. 

J’ai trouvé une observation remarquable de Brachet (1), 
prise sur lui-même et qui décrit bien ces phénomènes. 

A la suite d’une plaie du poignet qui avait coupé le nerf 
cubital, il eut d’abord de l’anesthésie, puis des fourmille¬ 
ments incommodes, puis la partie interne delà main devint 

douloureuse au toucher; le moindre contact était comme 
celui d’un fer rouge, ou semblable à ce qu’on éprouve sur 
la surface fraîchement dénudée d’un vésicatoire, et cepen¬ 
dant les doigts conservaient de l’engourdissement. Au bout 
de quelque temps, la sensation devint moins vive, il lui 
semblaittoujours qu’on touchaitla surface vive d’un vési¬ 
catoire, mais recouverte d’un léger parchemin. A la 
paume de la main, la percussion de l’éminence hypo- 
thénar produisait une sensation semblable à une secousse 
électrique. 

Il est inutile d’ajouter que l’içtensité de ces sensations 
n’est pas seulement en rapport avec l’intensité de l’excita- 
f tion, mais que l’état physiologique du nerf joue un rôle 
prépondérant, dont il faut tenir grand compte.. S’il y a 
hypéresthéste, la moindre excitation provoquera une sen- 


(1) Traité de Vhypochondrie, p. 310. 




DES NERFS SENSITIFS. 


sation forte : ce sera le contraire, s’il y a anesthésie, même 
partielle. Ainsi dans le cas de Brachet rapporté plus haut, 
l’excitation était très-faible, mais la sensation était forte, 
par suite de l’état du nerf hypéresthésié. Chez une per¬ 
sonne saine, le choc de l’éminence hypothénar excite le 
cubital modérément ; il y a sensation tactile nette, mais il 
n’y a ni engourdissement, ni fourmillement; chez Brachet 
dont le cubital était hypéresthésié, cette faible excitation 
devenait l’origine d’une sensation confuse au point de vue 
tactile, intense aupoint de vue sensitif. D’ailleurs je compte 
revenir plus loin sur les modifications que l’hypéresthésie 
d’un nerf amène dans les perceptions sensitives. 

L’excitation des nerfs ou des centres nerveux médullai¬ 
res produit encore d’autres sensations, des bouffées de froid 
ou de chaleur, des démangeaisons, des chatouillements, 
toutes sensations répondant exactement aux sensations 
que nous éprouvons normalement par suite de l’excita¬ 
tion de la périphérie. 

Ainsi'chez les ataxiques, rien n’est plus fréquent que 
les bouffées de chaleur succédant à des bouffées de froid 
De même, chez les malades atteints de tumeurs qui avoi¬ 
sinent les nerfs ou la moëlle, de même aussi chez les 
amputés. Au contraire les sensations de démangeaison et 
de chatouillement sont plus rares, et on ne les observe 
guère à la suite des lésions de nerfs volumineux, tl semble 
que ces deux sensations soient le privilège des petits ramus- 
cules nerveux en voie de réparation. Cependant entre ces 
sensations, et le fourmillement proprenaent dit, il y a une 
série d,e nuances et de transitions impossibles à saisir, en 
sorte qu’on est forcé de les admettre comme des modalites 



70 SENSATIONS SUBJECTIVES 

peu étudiées encore à ce point de vue du fourmillement et 

du scintillement. 

Il y a donc entre toutes les sensations produites par 
l’excitation des nerfs une chaîne ininterrompue. L’engour¬ 
dissement, les bouffées de froid et de chaleur, le fourmille¬ 
ment, le scintillement, la démangeaison, le chatouillement 
étant tous symptômes de cette excitation nerveuse. Ces 
sensations ne sont pas douloureuses, mais elle peuvent le 
devenir. Il suffit pour cela que l’excitation soit plus forte 
ou simplement longtemps prolongée. D’abord tolérables, 
elles finissent par devenir douloureuses, et on ne saurait 
dire à quel moment commence la douleur. 

Le point sur lequel je voudrais insister en dernier lieu, 
est l’absence complète de sensation tactile. Ce point est in¬ 
téressant, car il peut contribuer a nous faire connaître un 
des éléments du sens du toucher. Rien n’est plus avanta¬ 
geux pour cette étude que l’analyse des sensations éprou¬ 
vées par les malades auxquels à été faite une amputation. 
Cette analyse est aussi des plus curieuses et des plus ins¬ 
tructives pour les fonctions sensitives des nerfs. En effet, 
la section d’un nerf ne fait pas disparaître la notion de 
l’existence des parties auxquelles il se distribuait. C’est 
un fait très-anciennement connu, et j’ai trouvé dans les 
archives de Reichert (1) une note de du Bois Reymond qui 
cite un passage de Descartes (Principes de la philosophie) 
qu’il n’est pas sans intérêt de reproduire ici. « On avait 
coutume de bander lesyeux à une jeune fille, lorsque le chi¬ 
rurgien la venait panser d’un mal qu’elle avait à la main, et 
on fut contraint de lui couper j usqu'es à la moitié du bras, ce 


(1) 1872, p. 760. 



DES AMPUTÉS 


71 


qu’onfit sans l’en avertir; onlui attacha plusieurs linges, en 
sorte qu’elle demeura amputée sans le savoir; elle ne lais' 
sait pas cependant d’avoir diverses douleurs, qu’elle pen¬ 
sait être dans la main qu’elle n’avait plus, et de se plaindre 
de ce qu’elle sentait, tantôt en l'un de ses doigts, tantôt en 
l’autre, de quoi on ne saurait donner d’autre raison, sinon 
que les nerfs de sa main qui finissaient alors vers le coude 
y étaient mûs de la même façon qu’ils auraient dù être au¬ 
paravant dans les extrémités de ses doigts pour faire avoir 
à l’âme, dans le cerveau, le sentiment de semblables dou¬ 
leurs. » 

Cette illusion sensitive par laquelle on rapporte à un 
membre les excitations du nerf qui se distribuait à ce 
membre est maintenant très-bien connue, et elle peut pro¬ 
duire des effets fort bizarres (1). 

J’ai interrogé souvent des malheureux à qui on venait 
de faire des amputations soit de la cuisse, soit de la jambe, 
et tous me faisaient à peu près la même réponse. Ils sen¬ 
taient des chatouillements intolérables, comme si on leur 
enfonçait des épingles dans le membrl disparu. L’attou¬ 
chement de la plaie leur produisait le même effet. Cela 
leur répondait dans tout le pied. 

Pendant les premiers jours, à ces phénomènes se joignait 
une sensation bizarre d’activité musculaire.Le pied se por¬ 
tait tantôt en bas, tantôt en haut, et parfois il leur sem¬ 
blait avoir des crampes dans les orteils qui se fléchissaient 
brusquement, cette crampe étant extrêmement doulou¬ 
reuse. Le fait est très-important à noter, car il semble 

(1) Rizet, Gas, méd, de Paris, 1861. — Guêaiot. Journ, de physiologie, 
t. IV. 



72 SENSATIONS SUBJECTIVES 

démontrer l’existence de nerfs spécialement affectés à la 
sensibilité musculaire. Quelquefois les orteils se fléchis¬ 
saient et se courbaient l’un sur l’autre, au moins d’après 
le dire des malades, quelquefois encore c’étaient des bouf¬ 
fées de chaleur ou de froid. 

Mais ce qui est caractéristique, c’est que les amputés 
sentent leur membre, et ne sentent pas de contact. Ainsi 
il leur semble tantôt que le pied est en dehors du ht, et 
alors instinctivement ils sont tentés de ramener leur 
couverture pour recouvrir le pied absent, tantôt il leur 
paraît qu’il y a un trou dans le lit, et que la jambe pend 
par ce trou et se balance. Une femme amputée de la cuisse 
pour un ostéosarcome du fémur, (St-Augustin n° 4), a eu 
ceite sensation pendant près d’un mois, et elle lui était 
devenue extrêmement désagréable. 

D’un autre côté Weir Mitchell a eu l’idée fort ingé¬ 
nieuse (1) d’électriser les moignons de ses malades, et il 
produisait des sensations surtout musculaires, et aussi 
des fourmillements et des engourdissements. 

Ainsi remarquons bien ce fait, c’est que l’excitation d un 
tronc nerveux donne toutes les sensations sauf une seule, 
la sensation de contact. Chaleurs, fourmillements, engour¬ 
dissement, activité musculaire, toutes ces sensibilités sont 
éveillées par l’irritation du nerf, de même aussi la sensa¬ 
tion de la présence du membre, mais du membre perdu 
dans le vide et flottant dans.l’espace. 

La conclusion est simple et importante. La sensation 
de contact et le toucher ne peuvent pas être provoqués 
par l’excitation d’un tronc sensitif, car il manque une 


(1) Loc. cit. 



CONCLUSIONS 


73 


condition essentielle, l’irritation périphérique des appa¬ 
reils terminaux. De même, pour revenir à une comparai¬ 
son faite plus haut, que l’irritation du nerf optique ne 
donne pas la vue d’un paysage, de même l’irritation d’un 
nerf de sensibilité générale ne donne pas la sensation de 
contact. Pour qu’il y ait vue d’un objet ou contact d’un 
objet, il faut que ces objets excitent non pas le nerf lui- 
même, mais les terminaisons nerveuses, qui modifient 
d’une manière inconnue encore l’excitation périphérique. 
L’expérience déjà citée de Volkmann ne laisse aucun 
doute à cet égard. 

Résumons maintenant les principales données éparses 
dans ces trois premiers chapitres. 

lo La sensibilité est une excitation cérébrale ou provo¬ 
quée par l’excitation d’un nerf centripète ou de la moelle. 

2“ Le courant nerveux centripète ou sensitif considéré 
dans un nerf n’a de sens nettement défini que dans les 
nerfs d’un certain volume ; dans les ramuscules nerveux 
terminaux, le courant nerveux sensitif se propage égale¬ 
ment dans l’un et l’autre sens, ainsi que le démontre l’exis¬ 
tence de la sensibilité récurrente, d’autant plus manifeste 
que les nerfs sont plus petits. 

3° La cause de l’excitabilité d’un nerf sensitif est dans 
un changement d’état brusque de ce nerf. Les nerfs sensi¬ 
tifs sont particulièrement excitables par le contact des 
objets, ce qui tient sans contredit au renforcement que 
donnent à l’excitation mécanique les appareils terminaux 
de la périphérie, dont la fonction est encore très-obscure. 

4“ La vitesse des nerfs sensitifs est plus grande que celle 


Richet. 


10 



com- 


74 des ANi. thésies 

des nerfs moteurs. Cette vitesse est ralentie par la 
pression. Chez les ataxiques, elle n’est pas constante, et 
elle est en rapport direct avec l’intensité de l’excitation. 

5® L’excitation d’un nerf donne des phénomènes tels que 
l’enjjOurdissement, le fourmillement, (démangeaison et 
chatouillement), le scintillement, la douleur aiguë , les 
bouffées de froid et de chaud ; mais ne peut donner la sen¬ 
sation de contact qui nécessite la mise en jeu des corpus¬ 
cules nerveux terminaux. 


CHAPITRE IV. 

DES ANESTHÉSIES, DES ANALGESIES, ET DES HYPOALGÉSIES 
PÉRIPHÉRIQUES. 

On appelle anesthésie la privation de sensibilité d’un 
tissu ou d’une région, ou d’un organe. 

Lorsque la sensibilité tactile est conservée, mais que la 
sensibilité à la douleur est abolie, on dit que c’est une 
analgésie ou anesthésie à la douleur. 

Il m’a semblé qu’il y avait lieu d’employer un mot spé¬ 
cial pour exprimer soit une insensibilité relative à la 
douleur, soit la sédation d’une douleur pathologique : le 
mot hypoalgésie est un néologisme dont je m excuse sin¬ 
cèrement. Mais il me servira dans le cours de cette étude, 
< et je pense qu’on pourra l’employer avec avantage pour 



PÉRIPHÉRIQUES 75 

désigner cet état d’engourdissement à la sensibilité dou¬ 
loureuse et cette analgésie incomplète qu’on cherche à 
obtenir pour calmer les douleurs pathologiques. 

Prenons quelques exemples : 

Lorsqu’un individu est chloroformé et ne sent plus rien, 
ni le contact ni la douleur, c’est de l’anesthésie; 

Lorsqu’une hystérique a conservé le sens du toucher, 
mais ne perçoit plus d’excitations douloureuses, c’est de 
l’analgésie; 

Lorsqu’un ataxique, tout en percevant les sensations 
tactiles, n’éprouve à la brûlure ou au pincement que 
de vagues sensations douloureuses, c’est de l’hypoalgésie. 

Dans les trois cas, qui ne sont que dés modalités d’un 
même phénomène, une diminution d’excitabilité, la cause 
primitive est dans les centres nerveux. Ce sont des anes¬ 
thésies centrales.' 

Nous dirons donc que lorsque l’anesthésie reconnaît 
pour cause un trouble fonctionnel ou organique du cer¬ 
veau ou de la moelle épinière, elle est centrale. 

Lorsque la cause est un trouble fonctionnel ou orga¬ 
nique, soit des troncs nerveux, soit des extrémités ner¬ 
veuses microscopiques, nous dirons que l’anesthésie est 
-périphérique. 

Nous traiterons dans la seconde partie des anesthé¬ 
sies centrales plus importantes et plus complexes que 
les anesthésies périphériques. Pour le moment nous ne 
nous occuperons que de ces dernières.,, . 

Nous ne savons presque rien sur les anesthésies péri¬ 
phériques autres que celles de la peau. 

Celles-ci reconnaissent plusieurs causes : 



COMPRESSION 


76 

1° La section, la destruction, la commotion, la compres- 
’sion d’un ou de plusieurs troncs nerveux; 

2“ Le contact de là peau avec certaines substances dites 
stupéfiantes ; 

3° Le froid ; 

4° La privation de sang; 

5“ Certaines lésions mal déterminées des dernières radi¬ 
cules nerveuses et consécutives à des altérations patholo¬ 
giques de la peau. 

§ i. — Lésion des troncs nerveux. 

Nous avons dit plus haut quels étaient les effets de la 
section ou de la destruction d’un tronc nerveux, nous 
n’avons donc pas à y revenir. Mais, sans que la continuité 
du nerf soit interrompue, s’il est, par une cause quel¬ 
conque, fortement ou longtemps comprimé, la région in¬ 
nervée par le nerf comprimé devient après des vicissitudes 
variables anesthésique et analgésique. 

L’étude de la compression nerveuse et de ses phéno¬ 
mènes est fort intéressante : en effet, c’est la seule expé¬ 
rience qu’on puisse faire sur soi-même, pour apprécier la 
marche de la perte d’excitabilité des nerfs. 

Au point de vue pathologique, la question de la com¬ 
pression des nerfs est aussi fort intéressante; car dans 
beaucoup de cas de paralysies, la compression paraît jouer 
un rôle important. 

Examinons d’abord les faits physiologiques. 

Vulpian etBastien (1) ont les premiers étudié les effets 

(1) Comptes rendus de VAcad. des sciences, 1855, t.XLI, p. 1009. 



des nerfs . ' ' 

de la compression des nerfs en expérimentait sur eux_ 
mêmes, et ils ont obtenu des résultats constants. 

Ils distinguent deux périodes : une période de progrès, 
et une période de décroissance. Dans la période de progrès 
ou d’augment, ils ont reconnu quatre stades : un premier 
stade de fourmillements ; un deuxième intermédiaire de 
retour à l’état normal; un troisième d’hypéresthésie ; un 
quatrième d’anesthésie tactile et musculaire. Le stade 
intermédiaire est très-irrégulier, ce qui tient sans doute à 
la difficulté d’agir toujours dans les mêmes conditions. 
Quant au dernier stade, c’est-à-dire à l’anesthésie totale, 
il est précédé d’une période d’hypéresthésie qui est souvent 
assez longue. Toutes les sensibilités distinctes, de tact, de 
température, de chatouillement, s’exaltent isolément et 
finissent aussi par disparaître isolément. L’hypéresthesie 
comme l’anesthésie va des parties superficielles aux par¬ 
ties profondes, et le contact des corps froids cause parfois 
des sensations de brûlure. 

La période de déclin est caractérisée par des phénomènes 
identiques qui ont lieu seulement en sens inverse, un stade 
d’anesthésie, un stade d’hypéresthésie, un stade intermé¬ 
diaire et un atade de fourmillements. Ce dernier est très- 
compliqué et commence par une invasion rapide et centri¬ 
fuge de froid, suivie d’une sensation de vague malaise qui 
semble remonter jusqu’aux centres (?).,C’est seulement 
alors que se manifestent les fourmillements. 

En tout cas, les auteurs ont remarqué que les troubles 
portaient d’abord sur le nerf sensitif et que le nerf moteur 
n’était atteint que beaucoup plus tard. 

Malheureusement ils n’indiquent pas le procédé qu ils 



COMPRESSION 


78 

ont employé, de sorte qu il est difficile de reproduire ces 
phénomènes d'une manière exactement semblable. 

C’est sans doute la raison qui fait, qu’expérimentant sur 
hous-rnêmes, nous n’avons pas pu constater tout à fait les 
mêmes symptômes. 

Nous nous sommes servis d’une bande élastique en 
caoutchouc qui comprimait fortement le membre duquel 
d’ailleurs le sang avait été chassé, mais incomplètement, 
par une légère compression ; et nos résultats concordent 
avec ceux qui ont été donnés par différents auteurs et no¬ 
tamment par Soulié (1), Krishaber (2), Laborde (3). 

En somme, dans ces conditions, surtout si on a soin de 
laisser une certaine quantité de sang dans le membre, ce 
n’est pas à l’anhémie qu’il faut attribuer les troubles de 
la sensibilité, mais à la compression même du nerf; car 
l’expérimentation montre que les phénomènes nerveux de 
l’anhémie sans compression ne surviennent que trente- 
cinq à quarante minutes après la suppression *du sang. 

Si l’on emploie une très-forte compression, on peut 
obtenir l’anesthésie. D’après les expériences de Laborde 
et Morel, on voit survenir différentes périodes : une pre¬ 
mière période d’anesthésie qui est très-courte et ne dure 
guère que trois minutes; une deuxième période de retour 
à l’état normal, plus passagère encore; une troisième 
période d’hypéresthésie, et enfin une quatrième qui est 
l’anesthésie. 

Si l’on veut constater sur soi-même les effets de la 

(1) Th. inaug. Contribution à l'application de l'appareil d’Eamarch. 
Paris, 1874, p. 21 et suiv. 

(2) Bull, de la Soc. de chirurgie, mai 1874. 

(3) Bull, de la Soc. de biologie, 1874, p. 210 et 2!4. 



79 


des nerfs. 

bande élastique, on ne peut se servir d’une compression 
aussi forte qui est très-douloureuse, et c’est sans doute à 
cette différence dans le degré de compression qu il faut 
attribuer la divergence entre mes observations et celles de 
Laborde et Morel. D’ailleurs il est des phénomènes et des ■ 
sensations subjectives que les expériences sur des ani¬ 
maux ne peuvent guère éclairer. 

Il est assez difficile de classer les phénomènes en pé¬ 
riodes bien nettes, car ils s’enchevêtrent pour ainsi dire ; 
il est donc nécessaire de prendre pour classer ces périodes 
le symptôme dominant, qui n’est pas toujours facile à dé¬ 
gager clairement. 

La première période est caractérisée par une sensation 
générale dans le membre comprimé d’engourdissement, 
auquel se mêlent des bouffées de froid ou de chaleur. Elle 

est plus ou moins longue selon.le degré de compression. 

La seconde période est caractérisée par des fourmille¬ 
ments. Ces fourmillements, ainsi que nous l’avons dit 
plus haut, ne sont en somme qu’un phénomène d’hypê- 
resthésie. Ils portent surtout sur l’extrémité d«s orteils ; 
dès qu’on touche le mollet ou le genou, ils s accentuent, 
non pas dans la partie touchée, mais dans les orteils. 

La troisième période est l’hypèresthésie tactile et 1 hy- 
péresthésie à la température, ou thermohyperesthésie; 
peu à peu, l'hypéresthésie tactile disparaîtpour faire place 
à l’anesthésie, tandis que la thermohypéresthésie continue 
à augmenter. Le moindre contact produit une sensation 
de brûlure ; la pression produit le même effet. Un corps 
très-froid produit la sensation de froid ; mais cette sensa¬ 
tion est très-pénible. Il m’a semblé qu’elle était retardee. 



go COMPRESSION 

Cependant le fait aurait peut-être besoin d’être encore 
vérifié. 

D’ailleurs cette troisième période est tout à fait iden¬ 
tique à celle que Vulpian a constatée, et Soulié l’a aussi 
retrouvée. 

La quatrième période est caractérisée par l’anesthésie 
complète des parties superficielles; ni le contact, ni la 
chaleur ne sont perçus. Mais la sensibilité à la douleur 
des parties profondes persiste encore, et une épingle qu’on 
ne sent pas si on la promène sur la peau, cause une sen¬ 
sation douloureuse dès qu’on l’enfonce au-delà du derme. 
Le sens musculaire est aussi à peu près complètement 
aboli. 

Cette classification ne diffère que peu de la classification 
adoptée par Vulpian et Bastien. Mais pour la période de 
déclin, les résultats sont plus différents. Il nous a semblé 
qu’il n’y avait qu’une seule période, celle de sensation de 
froid très-intense, et de fourmillements beaucoup plus 
marqués que dans la période d’augraent. 

Les rechei’ches de Waller (1) et celles de Weir Mit¬ 
chell i;2) ne sont pas plus explicites, et les faits nouveaux 
apportés par eux ne sont que des faits de détail ayant 
trait surtout à la durée relative des périodes. Toutefois je 
mentionnerai l’expérience de Weir Mitchell qui, quoi¬ 
que faite sur le nerf moteur, n’en est pas moins digne 
d’intérêt. Il prend un sciatique de lapin qu’il excite 
à des intervalles réguliers. Chaque fois que le nerf est 
excité, il y a une contraction dans le muscle. Le nerf est 

(1) pToceed, London Royal society, mai 1862, p. 80. 

(2) Des Usions des nerfs, trad. franç., 1874, p. 116. 



81 


plongé lüi-même dans un’petit ballon rempli de mercure, 
et en passant d’une paroi à l’autre du ballon le nerf tra¬ 
verse le mercure. Si on augmente la charge du mercure, 
le nerf sera graduellement et en croissant comprimé. Une 
compression par la pression de 50 centimètres de mercure, 
pendant dix secondes de durée, interrompt la conduction 
nerveuse. Mais si on cesse de maintenir la pression, e 

nerf au bout d’une demi-minute reprenait ses propriétés 

normales. 

Pour résumer, nous dirons que dans la compression des 
nerfs les faits les plus intéressants sont ; 

L’hypéresthésie précédant l’anesthésie ; 

Les différentes sensibilités s’exaltant ou se paralysant 
isolément; 

La progression, tant de l’hypéresthésie que de 1 anes¬ 
thésie, allant des extrémités du membre à sa racine et de 
la surface cutanée aux parties profondes; 

Le retour rapide des fonctions après la suppression de 
la cause qui a amené leur paralysie, 

La persistance et l’intensité de la thermohyperesthesie. 

Nous aurons d’ailleurs à revenir plus tard avec detail 
sur la signification d’un certain nombre de ces faits. — 
Notons seulement encore ce phénomène étrange de l’anxiété 
et de l’agitation générales qui -surviennent pendant une 
compression nerveuse énergique, et l’insensibilite des par¬ 
ties superficielles de la peau précédant de beaucoup 1 in¬ 
sensibilité des parties profondes. 

Dans la pathologie des nerfs, la compression joue un 
rôle qu’on a peut-être exagéré, si on veut nettement la 
séparer de la contusion. En somme, par compression, nous 
entendons qu’il n’y a pas d’altération matérielle du nerf. 

Richet. 



82 COMPRESSION PATHOLOGIQUE 

qui détermine une névrite. Q.ue les phénomènes de la né¬ 
vrite se rapprochent plus ou moins des phénomènes de la 
compression, cela est évident, mais ce n est pas cependant 
la même chose, et il est dans la plupart des cas assez dif¬ 
ficile de les distinguer. 

La compression peut survenir de bien des manières dif¬ 
férentes. La tête luxée d’un os, de l’humérus, princinale- 
ment (1), fusage des béquilles chez les ampntés (2), des an¬ 
ses de fer des porteurs d’eau (3), une bretelle (4), la pression 
de latête reposant sur l’avant-bras pendant le sommeil (5), 
une des branches du forceps dans l’accouchement (6) sont 
des causes de compression moins fréquentes qu on le croi¬ 
rait au premier abord, mais qui cependant ont été bien 
étudiées par les pathologistes. Ce qu’il y a de remarquable 
c’est que les troubles fonctionnels ont lieu bien plutôt du 
côté du mouvement que de la sensiljilîté, en sorte qu il 
pourrait sembler y avoir là désaccord entre les faits patho¬ 
logiques et les expériences de Tulpian. Mais ce désaccord 
n’est qu’apparent. En effet, pour toutes ces compressions, 

(1) Empis. Paralysies du membre supérieur à la suite de luxations du 
bras. Th. inaog. Paris, 1850. — Duoheane de Boulogne. De l’électrisation 
localisée, 3® édit,, p. SU dt suiv. 

(2) haféron. Recherches sur la paralysie des nerfs du plexus brachial, 
Th. inaug. Paris, 1868. — Verneuil. Gaz. hebd., 1866, p. 233. — Hérard. 
Gaz. des hôpitaux, 1865, p. 381. 

<3) Bafihon. Recueil de méd. de chirurgie et de pharmacie militaires, 
avril 1864. • 

(4) Guénot. Paralysie consécutive à la compression. Ih. inaug. Fans, 
1872, p. 9. 

(5) Panas. Mém. de l’Acad. de méd,, 1871. 

(6) Landouzy. Essai sur l’hémiplégie faciale chez les nouveau-nés. Th. 
Inaug. Paris, 1839. — Danyau. Bull, de la Soc. de chir., 1851, p. 148. ~ 

Ouéniot. Ibid., 1867, p. 34. 



I>ES NERFS, 


83 


ce ne sont pas les nerfs de tout un membre qui sont com¬ 
primés, c’est un seul et unique nerf, le radial par exemple 
ou le cubital, Ort comme nous l’avons vu précédemment^ 
l’interruption de l’influx sensitif dans un seul de ces troncs 

nerveux n’est pas suffisante pour amener l'anesthésie de 

la région qu’il innerve, grâce aux anastomoses entre leurs 
terminaisons. 

Les malades qui ont pu donner des renseignements 
accusaient presque toujours quelques fourmillements au 
début; mais je ne sache pas qu’ils aient jamais signale des 
phénomènes d’hypéresthésie. 

Lorsque la compression persiste, ou même lorsque elle 
elle a duré assez longtemps pour altérer le nerf, la sensi¬ 
bilité est intacte ou à peu près, mais les muscles sont pa- 
ralysés; cependant quelques fois il y a de l’anesthesie. 
Duchenne de Boulogne en a rapporté quelques cas, un 
entre autres des plus curieux (i) : à la suite d’une compres¬ 
sion (ou contusion) légère du cubital, un malade fut prive 
pendant cinq ans de l’usage de sa main qui était insensible 
dans la région du cubital, et dont les interosseux étaient atro¬ 
phiés. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’après cinq séances 

d’électrisation, la sensibilité et la mobilité reparurent dans 
la sphère du cubital. C’est là un fait intéressant qui 
s’accorde avec ce que nous avons dit plus haut de 1 in¬ 
fluence de l’électrisation. 

En résumé il y a un fait qui semble dominer l’histoire 
de la compression des nerfs, c’est l’absence ou te peu d’in¬ 
tensité des douleurs. Aussi croyons-nous qu’il ne faut pas 
attribuer à la compression simple, ces atroces douleurs 

(1) De Véteetrigation Idéalisée, 3^ édit., p. 333, obs, XXVIL 



g4 * ACTION THÉRAPEUTIQUE 

dont souffrent les-malades affectés de tumeurs soit du 
cou, soit des vertèbres, soit des os du crâne, et que géné¬ 
ralement on attribue à la compression. Il y a, outre la 
compression, une inflammation par voisinage du tissu 
conjonctif du nerf, ou des éléments nerveux eux memes. 
En un mot la compression seule n’est pas douloureuse, et 
s’il y a douleur, il y a névrite. 

Il est cependant des cas où ces deux phénomènes se 
trouvent mélangés et sont difficiles à séparer. Ainsi quel¬ 
quefois le tronc nerveux est comprimé au point que ses 
extrémités soient insensibles : il y a alors anesthésie. Mais 
en même temps, le nerf est enflammé, et le malade éprouvé 
des douleurs vives que, par suite d’une illusion senso¬ 
rielle commune, il rapporte à la périphérie. On a alors 
une anesthésie douloureuse, fait qui s’observe quelquefois 
dans la névralgie et certains zonas. 

' Il est probable que souvent la compression est due a 
l’hypertrophie du névrilème. Dans certaines névralgies on 

trouve aussi des points d’anesthésie (1). 

On a songé il y a longtemps à utiliser les effets de a 
compression des nerfs pour faire des opérations sans dou¬ 
leur. C’est, dit-on, Hunter qui a conseillé à Moore de com¬ 
primer le sciatique pour faire l’amputation de la cuisse 
sans que l’opération soit sentie par le patient, et Lie- 
geard (2) parait avoir agi de même. Mais ce moyen pénible 
et d’un usage difficile fut abandonné. La compression 
avec des bandes en caoutchouc par la méthode de Gran- 
desso Silvestri dont l’honneur est, à tort, attribue a 


(1) VoirAlquier. De l’anesthésie cutanée. Th. '“"g' “ 

(2) Mélanges de méd. et de chir.. pratiques, p. 350. Caen, 183 . 



DE DA COMPRESSION. 


85 

Esmarch, produit d’excellents effets au point de vue de 
l’hémostase, mais au point de vue de l’algostase, les effets 
sont moins constants. On a essayé aussi sans grand suc¬ 
cès la compressioiî des troncs nerveux dans les névral- 
gies. 

Au point de vue thérapeutique, la compression directe 
joue un rôle assez important ; mais on ne saurait affirmer 
d’une manière absolue qu’elle est hypo ou hy.peralgésique. 
En effet, dans certains cas, une compression modérée sou¬ 
lage manifestement le malade (1), dans d'autres cas, au 
contraire, cette compression produit des douleurs intolé¬ 
rables. Sarazin (2) a remaraué que dans les affections où 
les éléments de tissu sont hypertrophiés et très-vasculai¬ 
res, la compression avait de très-bons effets. C’e.st proba¬ 
blement aussi à cette anhémie relative qu’il faut attribuer 
l’hypoalgésie consécutive à la compression dans les 
phlegmasies et les érysipèles. 

Si au contraire la compression empêche les liquides 
septiques de se faire jour au dehors, on comprendra 
sans peine qu’elle peut être très-douloureuse. 

Cette explication est très-vraisemblable dans la plupart 
des cas. Cependant on ne peut la donner toujours. Grisolle 
insistait beaucoup sur le soulagement que la pres¬ 
sion abdominale donnait aux malades affectés de coliques 
saturnines,c’était même pour lui un moyen de diagnostic. 
Romberg (3) a vu des névralgies du trijumeau qui n’étaient 

guéries que par une forte compression. D’autres fois une 

(1) Velpeau. Bandage compressif dans Vé-'ysipele phlegmoneux, etc. 
[Arch. gén, de méd., 1826, t. XI, p. 192). 

(2) Art. Compression (Dict: de méd. et de chir. pratiques, t. VIII, p. 789), 

(3) Archiv fur Psychiakie, 1868, t. I, p. 1. 



86 COMMOTION DES NERFS, 

légère pression avec la main réussit à calmer des dou¬ 
leurs vives (1). En définitive il en est de ce point comme 
de la plupart des phénomènes du système nerveux. On 
n’en sait rien ou presque rien, et par cela même, il faut 
reconnaître que notre ignorance est à peu près complète en 
pareille matière. 

La section, la ligature, la cbmpression, la contusion, la 
brûlure ne sont pas les seuls agents mécaniques agissant, 
sur le nerf sensitif. Nous avons vu plus haut comment agis¬ 
saient l’écrasement et la distension. A ces causes il faut en 
ajouter une dernière, encore très-obscure, la commotion. 

La commotion n’est pas la contusion. Dans la contusion 
il y a une altération matérielle des tissus, tandis que dans 
la commotion, c’est un ébranlement violent qui ne produit 
qu’un trouble moléculaire. Il est incontestable que la com¬ 
motion existe pour les centres nerveux, en dehors de 
toute contusion et de toute compression. Je serais tenté de 
croire qu’il en est de même pour les nerfs. Le fameux cas, 
si souvent cité, de Lamothe (I) dans lequyl un coup de 
queue de billard détermina sans la moindre lésion trau¬ 
matique apparente pendant une quinzaine de jours l’in¬ 
sensibilité absolue du bras me semble un fait bien avéré de 
commotion. Le choc du coude contre un objet dur produit 
dans toute la sphère du cubital des fourmillements et une 
insensibilité absolues. 

En tous cas, c’est une question qu’il serait nécessaire 
d’étudier de nouveau, et je me contente de la signaler en 
passant. 

(1) Barret. Tic douloureux de la face. Th. iiiaug. Paris, 18T6, p. 30. 
Darget. Th. inaug. Paris, 1876. 

(2) Œuvres chirurgicales, t. ïî, p, 617. 



■ SUBSTANCES STUPÉFIANTES. 


87 


§ II. 

Ck)ntact avec les substances stupéfiantes. 

Tous les observateurs depuis les anciens jusque aux 
modernes ont remarqué que par le contact avec certaines 

substances, soit volatiles, soit liquides, la peau devenait 

insensible. Sans remonter à Pline (1), ni aux Chinois (2), 
ni aux sorciers du moyen âge (3), nous allons énumérer- 
rapidement les principales de ces substances. 

L’acide carbonique paraît jouir incontestablement de la 
propriété d^anesthésier la peau. Ingenhdusz, qui en fait 
mention pour la' première fois (4) rapporte cette découverte 
à un médecin français dont il ne dit pas le nom. Berroës 
dit que sur son doigt privé d’épiderme par un vésicatoire, 
le contact de l’air oxygéné déterminait de vives douleurs, 
et que ces douleurs cessaient aussitôt, s’il plongeait le 
doigt dans l’acide carbonique (S). John Eward (6), et Mo- 
jon (7), le célèbre médecin de G-ênes, l’employèrent à deux 
époques très-différentes pour calmer les douleurs des 
organes ulcérés. Plus tard, Hardy, Simpson, d’Edim- 

(1) Historia mundi, lib. XXXVI, cap. XI. —, H s’agit de l’acide carbo- 

*(2) Stanislas Julien. Recueil de médecine ancienne et ■tmdenm^ 1849. — 
Il s’agit psTobabtenent du ■Cmumahis, indica .{Hacbich), 

(3) Bodin. Démonomanie, 1598, p. 247. — Il s’agit de breovages "et de 
décofitians ïiaroeüiaes, ©il la mandragore, la jusquiame et Topium jouent le 
principal iüôle. 

(4) Miscellanea phy^ico-mediea, 1794, p. 8. 

(5) Considérations, cm the .n^dical Mseicrnd <m the production of facticiaus 
airs bÿ Th. Ber,mes cmd James Watt,.Sristo,b, 1795, p. 43. 

(6) The hispjry of tv» cases of ulcerated cancer of the mamma ; m.e P 
mhich has heen cured, the other much relieved by a new method of 
applyiny earbonic .acid air. Londres, .1794. 

(7) Bull. gén. de thérap., 1834, t. VII, p. 350. 



gg ACTION DE l’acide CARBONIQUE. 

bourg (1), FolliD (2), Broca (3), Verneuil (4) s’en servirent 
pour le même objet, et obtinrent quelques succès, tout au 
moins une sédation manifeste des douleurs. 

Ces faits ne sont guère difficiles à interpréter. En elîet, 
il y a dans l’application de l’acide carbonique deux choses 
dont il faut tenir compte: présence d’un gaz prétendu 
anesthésique, et absence d’oxygène. L’action de l’oxygene 
sur les tissus nerveux a été bien mise en lumière par 
Brown Séquard(6). Après l’ouverture du canal rachidien, 
il a trouvé une hypéresthésie notable des parties du corps 
situées derrière l’ouverture, et recevant leurs nerfs de la 
région de la moelle mise à nu. Cette hypéresthésie cessait 
si on empêchait ie contact de la moelle avec l’oxygène, et 
si on remplaçait ce gaz par un gaz inerte, tel que l’hydro¬ 
gène. C’est ainsi qu’il explique comment, chezles oiseaux, 
la simple mise à nu du renflement lombaire, dans lequd 
la substance grise est ouverte àl’extérieur (sinus rhomboi- 
dal) produit des convulsions et de la paraplégie, après 
quelques minutes d’exposition à l’air. 


Il) Gaz. des hôp., l'856. -u a 

(2) Note sur Vanesthêsie locale par le gaz carbonique {Arch. gén. de 

méd.). Paris, nov. 1856. , . . , , 

(3) Broca. Monit. des hôp., 4 août 1857. - Blaize. De Vanesthesie locale. 


Th. inaug. Paris, 1857. . . . „ ..i, , 

(4) Le Play De Vanesthêsie locale par la pulvérisation de l ether et 
dLription d’un nouveau pulvérisateur par le gaz acide carbonique. Th, 
inaug. Paris, 1866, p. 12. - Lejuge. Traitement des ulcérations du col de 
l'utérus par Vacide carbonique. Th. inaug. Paris, 1858. 

(5) Consulter à ce sujet Demarquay, Essai de pneumatologie médicale, et 
Dechamhre, art. Acide carbonique {Dict. encyclopéd., t. XII, p. 331. 

(6) Proceedings of the Royal Society, 1857, p. 598, et Journal de physio¬ 
logie, t. I, p. 617. Influence de l'oxygène sur les propriétés vitales de la 
moelle épinière et des nerfs. 



ACTION DES GAZ. oU 

Que l’on se reporte maintenant à l’expérience si claire 
et si précise de Beddoës, reproduite plus récemment par 
Salva (1) et on verra que c’est bien à l’influence^de l’oxy¬ 
gène qu’est due la douleur du derme dénudé. L’oxygène 
au contact des .tissus est un oxydant qui les irrite, et ces 
phénomènes de combustion chimique produisent un chan¬ 
gement d’état dans les nerfs qui se traduit par une douleur 
très-vive. Follinet Verneuil font remarquer que l’acide 
carbonique échoue pour calmer les douleurs de l’ar¬ 
thrite etdu phlegmon, tandis qu’il réussit dans les douleurs 
atroces qui accompagnent les cancers ulcérés et d’autres af¬ 
fections où les expansions nerveuses sont mises à nu. 
L’oxyde de carbone aurait les mêmes propriétés (2). Je ne 
sache pas que l’emploi de l’azote ou de l'hydrogène ait été 
tenté mais ces deux gaz produiraient probablement les 
mêmes effets. Les essais de Demarquay et Leconte ne 
sont guère que pour chercher l’influence de ces gaz sur la 
cicatrisation des plaies (3). 

La question de l’analgésie périphérique, au point de 
vue chirurgical, est trop importante pour que nous n’in¬ 
sistions pas sur les rapports intimes qu’il y a entre le 
contact de l’air et la douleur. 

Chacun sait qu’après une coupure de la peau, il y a une 
douleur au point coupé, douleur qui ne survient pas im¬ 
médiatement. Tant que le sang coule, elle est très-modé¬ 
rée, mais une fois que le sang s’est arrêté, il y a une sen¬ 
sation de cuisson, de brûlure qui va s exaspérant pen- 

(1) Th. inaug. Paria, 1860. 

(2) Coze. Effets locaux de Voxyde de carbone (Comptes rendus de 
l’A-cad. des sciences, 2 mars 1857). 

(3) Arch, gén. de méd.. 1859, 1862. 

Richet, 



90 ACTION DE l’oxygène 

dant trois ou quatre heures après la blessure. Il est 
facile de montrer que cette douleur est due en grande par¬ 
tie à l’action de l’oxygène sur les nerfs coupés. 

En effet, si on réunit immédiatement les deux bords de 
la plaie de manière à les accoller étroitement l’un à l’autre, 
il n’y a aucune douleur ; tout au plus un sentiment obscur 
et vague de pression, de contusion; tandis que la douleur 
lancinante causée par la blessure irait en s’exaspérant si 
la plaie était laissée à jour. 

Je suis sujet en hiver, à avoir des sortes de crevasses 
aux mains. Ces crevasses étant exposées à l’air sont extrê¬ 
mement douloureuses. Mais si je les recouvre d’une ban¬ 
delette de diachylum, au bout de quelques minutes la 
douleur a complètement disparu: si au contraire j’enlève 
le diachylum, il suffît de quelques minutes d’exposition 
à l’air pour faire revenir la douleur. 

C’est aussi ce que tous les chirurgiens ont observé dans 
le traitement des brûlures. La principale, pour ne pas 
dire la seule indication, est de mettre les plaies à l’abri du 
contact de l’air. Le baume oléo-calcaire (Hunter), l’huile 
d’olive (auteurs anciens), le collodion (Valette), la gomme 
arabique (Rhind), le diachylum (Velpeau), le taffetas ciré 
(Bretonneau), l’ouate (Anderson, Alph. Guérin), n’ont pas 
d’autre effet que de soustraire le derme dénudé à l’action 
irritante de l’oxygène. L’acide carbonique ou l’hydrogène 
auraient probablement le même résultat. 

Je ne sais s’il faut accepter les conclusions de Ranke (1) 
et d’Ewald (2). Ces deux auteurs prétendent que le nerf, 

(t) Lehensbedingungen der nerven, 1868, p. 97. 

(2) Unabhângîgkeit der thâtigen nerven vom Sauerstoff (Archives de 
Pflügej,t. n,p,U2). 



91 


SUR LES PLAIES. 

comme le muscle, est indépendant des gaz qui l’entourent 
et qu’il vit dans l’oxygène à peu près aussi longtemps 
qu’en dehors de l’oxygène. Cette opinion n’est guère en 
harmonie avec les faits si intéressants que Bert a étudiés 
sous lemom de respiration des tissus (1). 

D’ailleurs, au point de vue de l’oxygène pur,l expérience 
a été faite. Guidés par des données théoriques plus ou 
moins justifiées, Laugier (2), puis Demarquay (3) ont 
appliqué l’oxygène au traitement de la gangrène et spécia¬ 
lement de la gangrène sénile. Quoique dans certains cas 
ils semblent avoir obtenu la sédation des douleurs, dans 
d’autres cas, les plus nombreux, il y eut exacerbation (4) 
Pellarin (5) déclare que les bains d’oxygène amènent un sur¬ 
croît de souffrance, sans compensation pour les malades. 

Il en est ainsi-pour toutes les plaies, et les pansements 
ouatés, remis en honneur par Alph. Guérin, si leur effica¬ 
cité est parfois contestable au point de vue de la suppres¬ 
sion des germes, au point de vue de la sédation de la dou¬ 
leur, rendentdes services évidents: je pourrais citer nombre 

d’observations où j’ai vu des douleurs vives calmées par 
l’application d’une couche d’ouate imperméable empê- 
thant l’accès irritant de l’air. 

Je me contenterai d’en citer un seul exemple (salle 
Saint-Louis, n° 58, Pitié). Il s’agit d’un homme robuste, 
âgé de 24 ans, qui eut le pied écrasé par la roue de sa 
voiture. Au moment de l’accident, il n’éprouva presque 

(1) Leçons sur la respiration. 

(2) Gaz. des hôp., 1852, p. 230. 

(3) Pneumatologie médicale, p. 762 et suiv. 

(4) Demarquay. Loc. cit., p. 768, 772, etc, 

(5) Union méd., 1863, p. 136. 



92 DE LA DOULEUR 

aucune douleur, mais au bout de dix à quinze minutes le 
pied broyé lui causa des soulFrances extrêmes qui durèrent 
environ six heures, jusqu’au moment où il arriva à l’hô¬ 
pital et où on lui mit un appareil ouaté. Au bout de cinq 
minutes, les douleurs étaient calmées, et il put reposer 
pendant la nuit. Le lendemain matin, il souffrait un peu 
dans son pied, qui \e piquait, disaihil. Mais il n’y avait 
pas de comparaison à établir entre cette légère douleur et 
celle qu’il avait éprouvée auparavant. 

Il faut néanmoins faire cette remarque essentielle que 
s’il y a inflammation, il y a douleur, malgré l’absence 
d’oxygène, et que, la compression exaspérant les douleurs 
inflammatoires, l’appareil ouaté ne convient plus dès qu’il 
y a une inflammation phlegmoneuse. Aussi les douleurs 
ressenties par le malade, et en même temps l’élévation de 
la température sont-elles de précieuses indications qui 
commandent l’enlèvement de l’appareil ouaté. 

Si même on veut pénétrer plus avant dans la question, 
on verra que dans une plaie simple la douleur est due à 
trois causes différentes, mais agissant souvent ensemble : 

1° Le contact de l’air ; 

2“ La rétention du pus ou des liquides ; 

3® Le travail inflammatoire lui-même. 

Dans les plaies simples et se réunissant par première 
intention, il n’y a pas de douleur dès qu'on a nais la plaie 
à l’abri du contact de l’air. 

Dans les plaies enflammées, la douleur est non pas 

(1) Cf. Hervey. Applications de Vouate à la conservation des membres. 
Th. inaug. Paris, 1873, p. 62 et suiv. 



DANS LES PLAIES EXPOSÉES. 93 

abolie, mais diminuée, si on la met à l’abri de 1 irritation 
oxygénique. 

De cette triple cause de douleur résulte une triple indi¬ 
cation thérapeutique qu’un habile chirurgien saura met¬ 
tre à profit en la variant judicieusement, selon les affec¬ 
tions et les malades qu’il aura à traiter. 

Tel est le cas des plaies simples, régulières, dans les¬ 
quelles on ne voit survenir aucune complication ; mais il 
n’est pas rare d’observer deux conditions qui modifient 
singulièrement l’état de la sensibilité des plaies, d’une 
part le contact avec des substances irritantes, d’autre part 
une prédisposition spéciale, une sorte de névralgie de la 
plaie ou de l’ulcère. 

On comprendra sans peine que le passage d’un liquide, tel 
que l’urine ou les matières fécales, excite douloureusement 
les extrémités nerveuses divisées. Les auteurs classiques 
n’insistent guère sur ce sujet : il semble pourtant quil 
ne manque pas d’importance, et je pourrais en citer deux 
cas que j’ai recueillis dans le service de clinique de M. le 
professeur Verneuil, dont j’avais 1 honneur d etre 1 in¬ 
terne. 

Dans le premier cas, il s’agit d’un malade à qui M. Ver- 
neuii avait enlevé tout le gland et une partie de la verge 
pour un épithélioma à marche rapide. L’opération fut 
faite avec le galvano-cautère, et dans les premiers jours 
la douleur fut modérée, mais après la chute de l’eschare le 
passage de l’urine sur la plaie vive déterminait des dou¬ 
leurs intolérables et presque des accès convulsifs, telle¬ 
ment la douleur était violente. 

Dans le second cas, c’était une fistule à l’anus qui fut 
opérée avec le thermo-cautère. Le quatrième jour de 



DES DIFFÉRENTES CAUSES 


94 

l’opération , comme Fescliare était tombée "et que les 
matières fécales, n’étant plus retenues par le sphincter 
divisé, se répandaient sur la plaie, la malade fut prise 
de douleurs très-vives qui l’empêchaient de dormir 
et la maintenaient dans un état perpétuel d’agâtation et 
d’anxiété. Des cautérisations avec la solution de nitrate 
d’argent modifièrent heureusement l’hyperesthésie de la 
plaie. C’est là, je crois, le meilleur traitement qu’on puisse 
suivre en pareil cas. 

11 est encore d’autres circonstances qui, en dehors de 
l’accès de l’air, des substances irritantes et de l’inflam¬ 
mation, rendent les plaies très-douloureuses. 

Ainsi les gerçures du sein ont le fâcheux privilège de 
causer des souffrances extrêmes, et il en est de même pour 
les fissures à l’anus ; c’est que, par suite de la disposition 
anatomique de ces organes, la plaie se complique de la 
contracture, soit du sphincter anal, soit des fibres lisses 
du mamelon, et ce spasme des muscles qui bordent une 
plaie vive est atrocement douleureux. 

Quant aux autres plaies douloureuses, nous n’en savons 
presque rien de positif. Nous ne parlons pas des cas de 
diphthérie, de pourriture d’hôpital et de phlegmon. Dans 
ces cas, l’inflammation suffit pour expliquer le surcroît de 
sensibilité. Nous ne parlons pas non plus de l’hypé- 
resthésie des plaies d’amputation vers le trentième ou 
quarantième jour, hyperesthésie qu’il est rationnel d’at¬ 
tribuer à une névrite. Mais il est des ulcères ou des plaies 
simples qui tout à coup, sans qu’on puisse en expliquer 
la cause, deviennent extrêmement douloureux. Cette né¬ 
vralgie traumatique que peu d’auteurs avaient signalée, 
a été étudiée avec beaucoup de soin par M. Verneuil dans 



DE douleur dans LES PLAIES. 95 

un mémoire inséré dans les Archîvvs de médecine. Nous 
reviendrons plus tard sur la symptomatologie de ces né¬ 
vralgies. Mais pour ce qui touche à leur étiologie, nous 
n’en savons presque rien de positif. Ainsi parfois (1) des 
ulcères deviennent sans cause appréciable extrêmement 
douloureux. 

J’en ai observé un cas chez un homme assez âgé, atteint 
d’ulcère variqueux sous-malléolaire. Cet ulcère était 
devenu tellement sensible qu’en l’effleurant rien qu’avec 
une plume on faisait pousser au malade des cris de dou¬ 
leur. En somme, cette sensibilité des plaies ou, si l’on 
veut, cette névralgie essentielle des plaies est assez rare. 
Le traitement a une influence très-heureuse. On pourrait 
mettre en usage la cautérisation de la plaie avec le chlo¬ 
rure de zinc ou le nitrate d’argent, et y joindre un traite¬ 
ment général par les narcotiques, associés au sulfate de 
quinine. 

Quant à l’inflammation douloureuse, on peut la ranger 
en deux ordres différents. 

Dans un cas, il s’agit d’inflammation franche, aiguë, 
phlegmoneuse. Le type de cette inflammation est l’arthrite 
ou le panari. 

Dans l’autre cas, la plaie est à peine enflammée ; elle 
est modifiée cependant à sa surface. Sans que ce soit de 
la diphthérie proprement dite, on voit de petites plaques 
blanchâtres se dessiner par places sur le fond granuleux 
et rouge de la membrane bourgeonnante. Il se fait évidem¬ 
ment là un travail irritatif qui altère les extrémités du 

(1) Swan (TVeatise on diseases and injuries ofthe nerves. Londres, 1834) 
rapporte un cas dans lequel il fit la section du nerf sciatique poplité externe 
pour un ulcère douloureux rebelle à tout traitement. 



96 ACTION DE l’air 

nerf. C’est un cas tout différent de l’hyperesthésie simple 
dans laquelle il n’y ani névrite, ni phlegmon, ni substances 
irritantes, et qui paraît due, par suite de notre ignorance 
des fonctions nerveuses, à une maladie sine materiâ. 

Pour résumer cette discussion nous dirons que dans les 
plaies simples il y a trois causes à la douleur : 

±0 Le contact de l’air ; 

2» La rétention des liquides ; 

3“. L’inflammation. 

Et que dans les plaies compliquées il peut survenir 
comme accidents augmentant la sensibilité et provoquent 
la douleur : 

1® Le spasme des muscles de la plaie ; 

2“ Le contact avec des excrétions irritantes ; 

3° Un état névralgique de la plaie. 

Revenons maintenant à l’influence de l’air sur les 
tissus. 

A vrai dire, la question est moins simple qu’elle ne le 
semble au premier abord. En effet ce n’est pas seulement 
dans le traitement des plaies qu’il est avantageux d’écar¬ 
ter l’action de l’oxygène, c’est encore dans le traitement 
des inflammations sous-cutanées. Quelque étrange que 
paraisse cette affirmation, il est facile de la prouver par 
un grand nombre de faits qui viennent à l’appui. 

En effet les douches locales d’acide carbonique ont, 
dans un certain nombre de cas où il n’y avait pas de plaie 
(Mojon, Maisonneuve), amené une sédation de la douleur 
et une sorte d’anesthésie locale. Il en serait de même de 
l’oxyde de carbone, d’après Coze, 

Tous les chirurgiens savent que pour soulager une in¬ 
flammation vive (phlegmon, anthrax, furoncle), il suffit de 



SUR LES INFLAMMATIONS. 97 

recouvrir les parties d’un cataplasme.Comment agit ce ca¬ 
taplasme? Ce n’est pas par la température ; car souvent il 
est appliqué très-chaud, et d’ailleurs en peu de temps il 
arrive à la même température que les parties enflammées. 
Ce n’est pas non plus par l’activité des substances qu’il 
contient, mucilagineuses ou féculentes, fort inoffensives, 
telles que la graine de lin, la fécule ou la mie de pain : 
c’est parce que l’humidité empêche le contact de l’air . 

Aussi plusieurs chirurgiens ont-ils obtenu quelques 
succès par l’application, soit de l’ouate, soit de la poudre 
d’amidon, soit du collodion dans les inflammations phleg- 
moneuscs. S’ils n’ont pas toujours réussi, c’est que sou¬ 
vent ces inflammations étaient graves, et marchaient pro¬ 
gressivement, et ensuite c’est qu’il est très-difficile d’appli¬ 
quer soit l’ouate, soit le collodion, de manière àempêcher le 
contact de l’air sans produire une eertaine compression, 
laquelle peut avoir des conséquences fâcheuses. 

Sur un furoncle qui n’est pas ouvert, le contact d’un 
morceau de diachylum empêche la douleur de s’exaspérer, 
et il est impossible d’attribuer cette analgésie relative à 
autre chose qu’à l’absence d’irritation par l’oxygène de 
l’air. 

Tout récemment, désireux de juger cette question, j’ai 
prié une malade atteinte de tumeur blanche du genou, et 
dont la cuisse et la jambe étaient immobilisées dans un 
appareil silicaté avec une fenêtre pour le genou, de laisser 
à l’air le genou malade, ordinairement recouvert d’ouate. 
Il n’y avait pas de plaie à l’extérieur, et aucune des condi¬ 
tions de l’appareil n’était changée que l’exposition à l’air 
de la partie malade. Au bout de quelques heures elle souf¬ 
frait tellement, et son genou était devenu tellement chaud, 
Richet. ,j3 


98 ACTION DE l’air 

qu’elle fut forcée de remettre l’ouate, ne pouvant endurer 
le contact de l’air sur la région enflammée. 

C’est pourquoi il ne convient d’ajouter qu’une confiance 
très-médiocre aux explications des succès obtenus pour 
calmer la douleur par tous les onguents plus ou moins 
compliqués employés par les empiriques ou les médecins. 
L’axonge est la base qui sert de véhicule à toutes les sub¬ 
stances médicamenteuses ; et en réalité, c’est elle qui, em¬ 
pêchant l’abord d’un air irritant, rend plus tolérables les 
vives douleurs d’un phlegmon ou d’une orchite. 

Si réellement c’était à l’humidité des cataplasmes ou à 
l’activité des substances médicamenteuses contenues dans 
les pommades, qu’était due la sédation des douleurs par 
les cataplasmes et les pommades, une substance sèche et 
inactive n’aurait aucun effet sur la douleur. 11 est cepen¬ 
dant avéré que le collodion calme la douleur de 1 érysi¬ 
pèle (1), et que, pour l’orchite (2), s’il n’abrège pas la ma¬ 
ladie, au moins il est puissant pour apaiser la douleur, A 
vrai dire, l’application de l’éther sur le scrotum est telle¬ 
ment douloureuse au début, que la plupart des cliniciens y 
ont à peu près renoncé. 

Il ne faut pas ajouter une grande foi aux théories, et par¬ 
ticulièrement à celles qui sont en complet désaccord avec 
les doctrines classiques. Aussi ne sommes-nous point dis¬ 
posés à soutéhir les idées de M. de Robert de Latour sur 
a cause de l’inflammation (3) et de la chaleur animale ; 

(1) Christen. Viertelsjahrschrîft fûr prakt. Heîlk., 1852, t. IV.—Rou¬ 
get. Du collodion dans le traitement de l'érysipèle. Th. Strasbourg, 1854. 

(2) Dechange. Arch. belges de méd, milit., 1852. — Bormafont. Bull, de 
VAcad. de méd., 1854, p. 584. 

(3) Union méd., 1859, 1863. Traitement de la phlegmatia alba dolens, 



SUR LES tissus! 


99 


idées fort bizarres et fort peu scientifiques au moins dans 
leur ensemble. Toutefois les cas de guérisons qu’il rapporte 
sont bien authentiques, et |il est probable qu’il y a là une 
donnée inconnue qu’il faut essayer d’éclaircir. 

Il est certain qu’en présence d’un fait qui paraît étrange 
on est disposé a le nier, ce qui n’est pas scientifique, ou à 
l’expliquer par des raisonnements alambiqués et à se 
payer de mots. C’est pourtant ce qu’il faut bien se garder 
de faire, car on passe ainsi à côté d’une découverte, et en 
se contentant de mauvaises raisons, on recule la question 
au lieu de l’avancer. Il en est ainsi pour ce sujet de l’exci¬ 
tation de la peau par l’air. Tout ce qu’on a dit pour expli¬ 
quer les phénomènes bizarres consécutifs au vernissage 
des animaux est plus ou moins dénué de sens. En somme, 
on ne sait pas ce qui en est; jet mieux vaut avouer notre 
ignorance que d’émettre des hypothèses contradictoires 
et invraisemblables sur fia respiration de la peau, la con¬ 
gestion viscérale, l’apnée, etc. 

Aussi au point de jvue physiologique comme au point 
de vue médico-chirurgical, la question de l’action de 1 air 
sur la peau nous paraît devoir être étudiée à nouveau 
et posée sur de nouvelles bases. Nous n’avons pas pu faire 
des expériences sur ce sujet. Mais il nous a semblé néces¬ 
saire de rappeler qu’il y a là quelque chose à chercher, et 


p. 477, et Traitement de la métropéritonite [par le collodion, ibid., 18684, 
p. 233. Voir aussi du même auteur, dans la Tribune médicale, 1873, Lettres 
d'un médecin gui finit à un médecin qui commence. 

(1) Voir la thèse récente de Michaut. Paris, 1876. Du collodion en thé- 
tapeutique, où se trouvent rapportés plusieurs cas de phiegmasies profondes, 
guéries par le collodion. 



100 DE l’anesthésie 

qu’il ne faut pas se contenter des doctrines négatives pro¬ 
fessées aujourd’hui sur ce sujet (1). 

Cette insuffisance des doctrines classiques au sujet des 
fonctions de la peau n’est pas moindre pour ce qui a trait 
à l’absorption et à l’action locale des substances dites 
anesthésiques. 

Ainsi ces substances, telles que le chloroforme, le bi- 
chlorure de méthylène, l’éther, qui, absorbées par les pou¬ 
mons, produisent l’anesthésie des centres nerveux, appli¬ 
quées localement, agissent-elles sur la périphérie? Nous 
possédons sur ce sujet un certain nombre de faits assez 
précis. Ainsi, mon père, qui a le premier (2)songé à appli¬ 
quer l’anesthésie localisée à la chirurgie, a fait sur ce sujet 
une expérience qui peut paraître décisive. Ën plongeant 
pendant dix minutes son doigt dans l’éther, il obtint une 
analgésie de quelques instants. Il est vrai qu’il avait fait 
autour du doigt une ligature avec une bande : et que, dans 
la discussion qui eut lieu à la Société de chirurgie, et plus 
tard, dans d’autres ouvrages (3), c’est à la compression du 
doigt qu’a été attribuée l’anesthésie : et selon la plupart 
des auteurs, dans l’anesthésie locale obtenue par l’évapo- 

(1) Becquerel et Breschet. Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 1841, 
t. XIII. — Fourcault. Ibid., 1843, t. XVI, 1844, t. XVIII. — Bouley. Re¬ 
cueil de médec. vêtérin., 1850, p. 5 et 805. — Balbiani. Th. inaug. Paris, 
1854. — Edenmâsen. Zeitschr. fur rationn. medizin., t. XXII. — Socoloff. 
Centralblatt, 1872, p. 689. — Cl. Bernard. Leçons sur les anesthésiques, 
p. 368. — Castel, Th. inaug. Paris, 1876. — Senator. Centralblatt, 1874, 
p. 254. — Laschke-witsch. Centralblatt, 1868, p. 325. 

(2) Mém. sur Vanesthésie localisée, lu à la Soc. de chir. (Bull, de la 
Soc., 1854, et Gaz. des hôp., 17 mai 1854). 

(3) Murelle. Th. inaug. Paris, 1855, p. 29. —Marc. Th. inaug. Paris, 

1866, p. 16. 



LOCALISÉE. 101 

ration rapide de l’étlier sur la peau, c’est le froid qui est 
la cause unique de la perte de sensibilité. 

Sur cette question de l’anesthésie locale comme sur 
tant d’autres, les expériences de Cl. Bernard jettent une 
vive lumière (1). Il se sert d’une solution de chloroforme 
dans l’eau à 1/100 et prend deux grenouilles préparées 
de manière qu’il n’y ait pas de communications entre 
le corps et les pattes autres que par les nerfs lombaires et 
la moelle. Dans ces conditions, si on plonge le corps de la 
première grenouille dans l’eau chloroformée, il y aura 
anesthésie, non-seulement du corps, mais aussi des pattes. 
Si, au contraire, on prend l’autre grenouille et que l’on 
plonge ses pattes dans l’eau chloroformée, il n’y aura 
anesthésie ni des pattes, ’ni du tronc de la grenouille. Ce 
qui signifie bien clairement que l’anesthésie par la périphé¬ 
rie n’existe pas, au moins pour l’éther et le chloroforme, 
et que, pour que la périphérie soit anesthésiée, il est néces¬ 
saire que les centres soient en contact avec les substances 
anesthésiantes. 

Ainsi voilà deux expériences qui paraissent se contredire 
formellement. D’une part, l’expérience de mon père qui 
semble démontrer qu’il y a par l’action propre de l’éther 
une anesthésie locale; d’autre part, celle de Cl. Bernard, 
qui démontre que l’anesthésie locale n’existe pas. Mais 
ces expériences ne se contredisent pas. Nous ne saurions 
trop insister sur cette idée que deux faits sont également 
vrais tous les deux, et que, s’ils semblent opposés l’un à 
l’autre, c’est que les conditions sont différentes. 

J’ai fait un certain nombre d’expériences pour essayer 

(1) Leçons sur les substancesjanesthêsiques, p. 103 et sniv. 



^02 expériences sur l’anesthésie 

d’élucider cette question. Pour cela, j’ai préparé des gre¬ 
nouilles à peu près de la même manière que d’après le pro¬ 
cédé de'ciaude Bernard. Je séparais les pattes du tronc, en 
sorte que le train postérieur n’était relié à la partie supé¬ 
rieure que par les nerfs lombaires et les^s du bassin. Une 
ligature cutanée réunissait les parois abdominales sec¬ 
tionnées, et empêchait les viscères de faire saillie au de¬ 
hors. Les trains postérieurs des grenouilles ainsi préparées 
étaient plongés dans différents liquides, et j’explorais 
ensuite leur sensibilité au moyen de l’électricité. Or, dans 
ces conditions, la solution de chloroforme dans l’eau n’a¬ 
git pas sur la périphérie, tandis^ qu’elle agit parfaitement 
sur les centres. Au contraire, le chloroforme appliqué pur 
agit très-manifestement sur la sensibilité. Non-seulement 
il agit sur les muscles qu’il rend rigides et dont il détruit 
la contractilité, mais encore il porte son action sur les 
nerfs. Les courants électriques les plus forts ne peuvent 
provoquer la moindre trace de sensibilité , lorsqu’ils sont 
appliqués sur les parties qui plongeaient dans le chloro¬ 
forme; tandis que plus haut la peau et les troncs nerveux 
sont parfaitement sensibles. Afin d’éviter que la vapeur 
de chloroforme agisse au-dessus des parties immergées, il 
faut le recouvrir d’eau qui ne se mélange pas au chloro¬ 
forme et le surnage. 

On aurait tort de croire à une contradiction entre cette 
impuissance du chloroforme dilué, et cette action éner¬ 
gique du chloroforme pur. En effet, le chloroforme pur 
semble se comporter comme une substance caustique des¬ 
tructive des propriétés du nerf. Si on plongeait les pattes 
d’une grenouille dans l’acide sulfurique, il n’y aurait rien 
d’étonnant que l’insensibilité en fût la conséquence. 



localisée. ^03 

En effet la destruction du nerf doit amener la perte de ses 
fonctions. C’est l’anesthésie, mais c’est aussi la mort du 

tissu. ^ 

Ce n’est donc pas tout à fait l’anesthésie telle qu on 1 en¬ 
tend généralement, dans laquelle les éléments anato¬ 
miques ne sont pas détruits, mais dont les fonctions sont 
seulement suspendues pour un temps. Il en est de la véri¬ 
table anesthésie, comme de la privation de mouvement^ 
des cils vibratiles, lorsque on les met en contact avec la 
vapeur de chloroforme ou d’éther. Dès qu’on les soustrait 
à l’influence de ces vapeurs, le mouvement reprend. La 
vie n’est pas abolie, elle est seulement arrêtée (1). De 
même, pour qu’il y eût une anesthésie véritable, il faudrait 
que les éléments eussent conservé leur vie propre, et qu’ils 
pussent revenir à leur état primitif. 

A ce compte le chloroforme pur ne serait pas un anes¬ 
thésique local, car il est douteux que les parties submer¬ 
gées et devenues rigides puissent revenir à la vie. J’ai 
conservé vivantes des grenouilles dont le train postérieur 
avait été trempé dans du chloroforme pendant cinq mi¬ 
nutes. Ce court espace de temps avait suffi pour détruire 
l’irritabilité musculaire et l’irritabilité nerveuse, en sorte 
que les parties plongées dans le chloroforme étaient anes¬ 
thésiques; mais elles ne pouvaient plus revenir àla sensi¬ 
bilité. Cependant, pour nous conformer à la définition que 
nous avons donnée au début de ce chapitre, nous dirons 
que c’était bien une anesthésie, mais une anesthésie diffé¬ 
rente de l’anesthésie véritable, dans laquelle les parties 

(1) Claude Bernard. Leçons sur les propriétés des tissus vivants. Paris, 
1866, p. 136. 



l’absorption 


104 DE 

anesthésiées n’ont pas perdu leur vitalité,et peuvent reve¬ 
nir à la vie. Il est possible que si les voies circulatoires 
n’étaient pas interrompues, le retour à la vie se serait 
opéré, ainsi qu’on le voit dans la thérapeutique médico- 
chirurgicale, lorsque le chloroforme est appliqué sur des 
régions douloureuses. 

En effet, il est certain que le chloroforme agit localement 
pour calmer les douleurs, soit d’une arthrite, soit d’un 
phlegmon, soit d’une névralgie. Tous les médecins savent 
que des applications d’huile chloroformée soulagent beau¬ 
coup les malades. Cela tient-il à la révulsion que produit 
le chloroforme? Je ne crois pas que l’explication soit suf¬ 
fisante. En effet, d’autres substances rubéfiantes et exci¬ 
tantes amènent un résultat tout différent. On pourrait en¬ 
core admettre que la sensibilité pathologique n’est pas la 
même que la sensibilité normale, et que les substances qui 
calment la douleur peuvent très-bien ne pas détruire la 
sensibilité tactile. A vrai dire cette explication est loin de 
me satisfaire complètement, et.je crois qu’il faut chercher 
une raison plus physiologique. Pour cela, il est nécessaire 
d’entrer dans des considérations qui paraîti’onttout d’abord 
étrangères à mon sujet, mais qui en font pourtant essen¬ 
tiellement partie. 

L’absorption cutanée diffère selon qu’on envisage l’ab¬ 
sorption des gaz ou l’absorption des substances liquides 
et solides, mais dans l’un et l’autre cas cette absorption 
est très-faible. 

L’absorption des gaz par la peau est évidente. La célèbre 
expérience de Bichat (1) en est une preuve, et depuis, 


(1) Bichat. Anatomie générale. 



DES GAZ PAR 


PEAU. 


105 


d’autres expérimentateurs l’ont suffisamment démon¬ 
trée (1). Les gaz et les substances volatiles introduites ainsi 
dans la circulation générale peuvent être retrouvées dans 
le sang et les excrétions ; mais, au moins chez l’homme, 
cette pénétration de la peau par des gaz est extrêmement 
faible, et je ne sais si elle a jamais été suffisante pour 
amener une intoxication générale. 

Cependant l'absorption locale paraît dans certaines cir¬ 
constances se faire avec une remarquable énergie. Ainsi 
nous avons tous remarqué qu’après une autopsie, si nos 
plains avaient plongé dans l’abdomen, et touché pendant 
quelque temps les intestins et les viscères, elles gardaient 
pendant plusieurs heures l’odeur infecte de la décomposi¬ 
tion cadavérique. Malgré des lavages répétés,rien ne peut 
enlever cette odeur qui persiste malgré tout. Il en est de 
même pour l’acide phénique et certaines substances odo¬ 
rantes et volatiles. Ce sont là, en vérité, des expériences 
toutes faites qui méritent d’être interprétées physiologi¬ 
quement. 

Remarquons d’abord que malgré la toxicité de ces sub¬ 
stances, on n’observe aucun effet général, et que, par consé¬ 
quent, quoiqu’elles se trouvent absorbées par la peau, elles 
y restent fixées sans passer dans la circulation. Tout au 
moins la quantité de substance qui y passe est très-mi- 

(1) Chaussier. Précis d’expériences faites sur les animaux avec le gaz 
hydrogène sulfuré iSiblioth. méd., t. I, p. 108). — Collard de Maytigny. 
Action du gaz acide carbonique sur Véconomie animale {Mêm. de VAcad. 
des sciences, juin 1826). — Chatin. Recherches expérimentales sur quelques 
principes de toxicologie. Th, inaug. Paris, 1844. — Bluff. Dissertatio de 
absorptione cutis. — Rahuteau. Bull, de la Soc. de biologie, 1870, p, 136; 
1868, p. 189, et Elém. de thérapeutique, 2« édit., p. 6. 

Richet. ’ 



^0g de l’absorption locale 

nime, si minime qu’elle doit être détruite par les oxyda¬ 
tions interstitielles à mesure qu’elle est portée dans le 
sang. C’est ce que semble indiquer la persistance de 
l’odeur. En effet cette odeur met un très-long temps, huit 
OU dix heures environ, à disparaître, ce qui prouve que 
l’absorption de la substance fixée dans la peau est insi¬ 
gnifiante. 

Il y a donc là une distinction importante à faire entre 
l’absorption ordinaire, telle que nous la connaissons pour 
le poumon et pour le tissu Cellulaire, et l’absorption par 
la peau. Celle-ci est plutôt une imbibîtion des éléments du 
derme et de l’épiderme, qu’une pénétration dans la circu¬ 
lation générale. Il èst probable que la substance volatile 

se combine avec les tissus quelle touche, et que, par les 

progrès de la rénovation interstitielle, cette combinaison 
se détruit peu à peu, et la substance étrangère finit ainsi 

par disparaître. . 

De cette manière on peut expliquer facilement 1 action 
locale des anesthésiques, action locale qui ne dépasse pas 
la peau et qui ne produit jamais de phénomène general 
sur l’organisme. D’ailleurs tous les chirurgiens ont con¬ 
staté que l’anesthésie locale, excellente pour empêcher la 
douleur des incisions superficielles, n’avait aucun effet sur 
les tissus profonds, et que, si on peut mettre par ce moyen 
à Fahri de la douleur l’excision d’un furoncle, on ne le 
peut pas pour l’amputation d un doigt. 

Le mécanisme de cette anesthésie est assez différent du 
mécanisme de l’anesthésie centrale. En effet, dans l’anes¬ 
thésie locale, les terminaisons nerveuses du derme et de 
la couche de Malpighi sont directement en contact avec un 
liquide caustique, qui, lorsqu’il est appliqué sur le nerf, 


ou IMBJBÏTION 


407 


détruit son excitabilité (i) ; il n’y a donc rien de surpre¬ 
nant à ce qu’en traversant la couche cornée de l'épiderme, 
ces gaz finissent par détruire l’excitabilité nerveuse. En 
somme, s’il faut s’en rapporter à l’étymologie et à la défi¬ 
nition du mot, c’est une anesthésie, mais une anesthésie 
chimique, pour ainsi dire, différente de l’anesthésie phy- 
siol^ogique qu’amènent des traces de chloroforme porté 
par le sang jusque aux centres nerveux. 

Ce que nous venons de dire de l’absorption cutanée ne 
s’applique évidemment qu’à l’homme. En effet, chezla gre¬ 
nouille, par exemple, l’absorption cutanée est très-intense, 
et on les empoisonne presque aussi bien en mettant une 
solution toxique sur la peau qu’en l’injectant dans le tissu 
cellulaire. J’ai essayé différentes substances, au point de 
vue de leur action locale sur la sensibilité, et je n’ai pas 
rencontré de substance volatile qui n’agît pas comme anes¬ 
thésique. Ainsi j’ai mis des grenouilles préparées comme 
je l’ai indiqué plus haut dans le chloroforme, l’éther, le 
sulfure de carbone, la benzine, la térébenthine, l’alcool, 
l’acide phénique, et j’ai toujours constaté l’anesthésie des 
parties immergées après un temps très-court, cinq à dix 
minutes environ. 

Avec l’éther et la benzine, corps moins denses que l’eau, 
on peut disposer l’expérience d’une manière un peu diffé¬ 
rente. Une légère couche d’éther surnage l’eau, et on 
trempe les pattes de la grenouille, de manière qu’elles 
plongent dans l’eau presque totalement, et qu’une mince 
section transversale de la patte soit en contact avec l’éther. 
Dans ces conditions la sensibilité est abolie dans toute la 


(1) Yoy. Longet. Bull, de VAcad. de méd., février 1847. 



108 


ACTION DES GAZ SUR 


portion plongée au-dessous ; cependant les nerfs moteurs 
ont conservé leurs propriétés, non pas dans la région en 
contact avec l’éther, mais dans la région subjacente. On a 
alors une zone qui interrompt la continuité nerveuse avec 
les centres ; en sorte que l’excitation de la moelle ne peut 
plus agir sur les muscles de la patte, et que d’autre part 
l’excitation des nerfs sensitifs de la patte ne peut plus par¬ 
venir jusqu’àla moelle. Il semble que l’absorption transver¬ 
sale existe seule, l’absorption longitudinale faisant com¬ 
plètement défaut. Il est vrai de dire que, les artères et les 
veines étant liées, les circulations lymphatique et san¬ 
guine ne se font plus, et que par conséquent on n’est plus 
dans les conditions normales. 

Au début, toutes ces substances qui finissent par détruire 
le nerf excitent la sensibilité et produisent de vives dou¬ 
leurs, comme le témoignent les efforts des grenouilles 
pour s’y soustraire. D’ailleurs il est certain qu’on ne peut 
jamais obtenir d’anesthésie, sans avoir au préalable une 
certaine hyperesthésie ; de plus sur les limites de la zone 
anesthésique et de la zône sensible, il y a une zone 
hypéresthésique. Des courants électriques appliqués en ce 
point provoquent des mouvements de défense de l’animal, 
tandis que, s’ils sont appliqués aux autres parties du 
corps, l’animal ne réagit pas. 

On comprendra sans peine que je n’ai pas épuisé la liste 
de toutes les substances gazeuses ou volatiles avec lesquel¬ 
les on pourrait expérimenter. Mais il est extrêmement 
probable que tous les hydrocarbures agiraient comme 
la benzine et la térébenthine, les éthers comme l’éther 
éthylique et le chloroforme, les acides comme l’acide acé¬ 
tique, les alcools comme l’alcool éthylique. C’est une in- 



LES NERFS SENSITIFS. 409 

duction très-légitime, et je crois qu’il est permis de conclure 
que toutes les substances volatiles, étant absorbées par la 
peau, peuvent être considérées comme des anesthésiques 
locaux. En premier lieu viennent les substancés non mis¬ 
cibles à l’eau ; en second lieu les substances acides ou al¬ 
calines, et en troisième lieu les substances avides d’eau. 

D’après ce que nous avons vu des conditions d’excita¬ 
bilité d’un nerf, toutes ces substances agiront sur le nerf, 
car elles changeront l’état chimique de ce nerf. Q.ue ce soit 
l’acidité ou l’alcalinité trop forte, que ce soit l’absorption 
d’eau, que ce soit une oxydation ou une réduction, le ré¬ 
sultat sera toujours le même, une excitation forte du nerf 
sensitif, lequel, d’abord hypéresthésié, deviendra finale¬ 
ment anesthésié quand la destruction chimique sera com¬ 
plète. 

Tous ces corps agiront d’autant mieux qu’ils seront plus 
volatils, et que par conséquent l’absorption cutanée sera 
plus facile. En somme, dans tous ces cas, substance anes¬ 
thésique signifierait presque substance volatile caustique. 
Quelle est donc en vérité la limite précise qui sépare une 
substance caustique d’une substance anesthésique? Est-ce 
la désorganisation du tissu? Mais le chloroforme qui détruit 
le muscle de la grenouille est à la fois un caustique et un 
anesthésique, et l’alcool qui, injecté dans le tissu cellulaire 
produit de l’anesthésie générale, est, étant appliqué loca- 
ment, un caustique puissant qui détruit à la fois la peau, 
le muscle et le nerf (1). 

Il faut noter cependant que la période d’anesthésie est 
plus ou moins longue, et que si le résultat final, c’est-à- 


(1) Verstraeten. Buîî. de la Soc, de biologie, 1875, p. 163. 


110 ACTION ANESTHÉSIQUE 

aireTanestliésia (1), est toujours le même, non-seulement 
elle est obtenue au prix de douleurs plus ou moins vives, 
mais encore il peut se faire, pour quelle soit obtenue, qu’il 
y ait destruction plus ou moins complète du tissu. 

Les expériences sur les animaux faites comme nous ve¬ 
nons de les décrire, ne peuvent résoudre cette question de 
la persistance de la vitaïité du tissu consécutivement à l’a- 
nestLésie: en effet, les voies circulatoires sont interrompues, 
et les parties séparées condamnées fatalement à la mort. 
Sur l’homme, on a fait un grand nombre d’essais pour 
trouver des anesthésiques locaux, mais on ne peut les em¬ 
ployer tous indifféremment. Le chloroforme pur produit 
une vésication violente, souvent même une escharification, 
et son action s’accompagne de douleurs très-vives. 

On a employé l’éther et aussi le sulfure de carbone. 
Mais ce qui est un avantage au point de vue du résultat 
thérapeutique, est un inconvénient pour une conclu¬ 
sion scientifique, etces corps agissent plus par le froid qu’ils 
produisent en s’évaporant que par leur action chimique 
sur les nerfs. On a essayé le mélange de chloroforme et 
d’acide acétique (2). On atrouvé aussi des propriétés anes¬ 
thésiques au hromoforme (3), à l’iodoforme (4), au sesqui- 
chlorure de carbone (5). 

L’acide phénique (alcool phénylique semble agir à 
la fois comme caustique et comme anesthésique, et 

(1) Marc. Th. inaug. Pa* s, 1866. - Neis. Th. inaug. De Vanesthésie lo¬ 
calisée. Paris, 1870. — Perrin. Art. Anesthésie {Dict. encyclop. des sciences 
médicales). 

(2) Fournier. De la chloroacétisatian. Paris, 1861. 

(3) Rahuteau. Bull, de la Soc. de biologie, 1875, p. 169. 

(4) Bull. gén. de the'rap.," janvier 1857. 

(5) Aran et Mialhe. 



111 


DE l’acide PHÉNIQUE. 

il présente cet avantage sur le cliloroforme qu’il n’est pas 
douloureux, et cet avantage sur l’éther qu’il ne produit 
pas de réfrigération. Aussi peut-on s’en servir commodé- 
ipent pour étudier l’action des anesthésiques locaux. 
D’ailleurs, comme M. Verneuil se sert de l’acide phenique 
pulvérisé pour désinfecter les plaies, c’était une occasion 
toute naturelle de vérifier la propriété anesthésique de 
cette substance, propriété que quelques auteurs ont déjà 
constatée (1). 

Au point de vue du soulagement qu’un pansement à 
l’acide phénique apporte à la douleur des plaies, il ne 
m’a pas semblé que les résultats fussent absolument déci¬ 
sifs. L’irrigation continue, l’ouate, et les autres panse- 
ments sont quelquefois aussi puissants contre la douleur. 
Il est même quelques malades à qui l’acide phénique con¬ 
centré semble causer quelques douleurs : mais c est là 
une exception que je n’ai rencontrée qu’une seule fois, et 
la plupart du temps l’action de l’acide phénique em¬ 
ployé comme pansement est non seulement antiseptique, 
mais analgésiqué. X..., âgée de 28 ans (salle Saint-Augus¬ 
tin, n“ 22), atteinte d’adénite chronique des ganglions sous- 
maxillaires, est opérée par M. Verneuil, qui enlève la 
tumeur le 3 j uillet, après avoir endormi la malade. L’opé¬ 
ration, sans être difficile, fut assez longue, il fallut faire 
une incision d’environ 15 centimètres, et extirper la tu¬ 
meur qui résistait beaucoup. La malade en se réveillant 
souffrait si peu, qu’elle ne voulait pas se croire opérée ; on 
lui fit le pansement phéniqué, pendant qu’elle était encore 

(1) Adelmann. Action anesthésique de Vaeide phénique {Berlin Klin. 
WochensUatt, 1873. n» 52).-Smith (cité par Lahhée, J-ourn. de thêrap., I, 
P 33'7. 1874). — Bergonzini. Lo spallanzani, 1874. 



112 ACTION ANESTHÉSIQUE 

dans la somnolence qui suit les inhalations chloroformi¬ 
ques. Le soir, elle souffrait si peu qu’elle ne voulait pas se 
croire opérée. Jusque au moment de sa guérison, elle ne 
souffrit pas un instant, et m’assurait n’avoir jamais res¬ 
senti la petite cuisson qui suit les incisions de la peau. 
Cependant elle n’était pas hystérique, et n’avait d anes¬ 
thésie en aucun point du corps, non plus que sur les bords 
de la plaie. 

Sur la peau intacte, l’acide phénique paraît avoir une 
action particulière. Andrew Smith (1) aurait obtenu une 
anesthésie complète par la pulvérisation de cette substance. 
Ni le contact, ni la douleur n’auraient été perçus; il est vrai 
que la solution était concentrée (8S/100), ce qui suppose 
que le dissolvant n’était pas de l’eau pure, mais un mé¬ 
lange d’eau et d’alcool. 

Évidemment le degré de concentration doit jouer un 
grand rôle dans cette production de l’anesthésie. En effet, 
avec des solutions à B^lOO, on n’obtient pas d’anesthésie 
proprement dite. On ne ressent que les premiers effets de 
l’anesthésie, c’est-à-dire une excitation nerveuse au premier 
degré, des fourmillements, une sensation d’engourdis¬ 
sement, et comme des bouffées de chaleur et de froid.' 
Il en est de ces fourmillements comme de ceux que produit 
la compression d’un nerf. Ils ne sont pas spontanés, mais 
ils succèdent à une excitation sensible même très-légère. 
Ainsi il suffit de remuer la main pour qu’immédiatement 
on ressente des fourmillements. En touchant, un point 
quelconque de la peau, on perçoit une excitation qui va 
s’irradiant, et dépasse de beaucoup le point de la peau 


(1) Loc. cit., p. 337. 



dk l’acide phéniqüe. 413 

touché primitivement. En somme, cette sensation irradiée 
est analogue à celle qu’on perçoit par l’excitation électrique 
de courants induits fréquemment interrompus, appliqués 
sur un tronc nerveux. C’est le premier effet de 1 excitation 
faible d’un nerf ou des extrémités nerveuses. 

Cette action dé l’acide phénique est véritablement caus¬ 
tique, car la peau ainsi irritée subit une sorte de désorga¬ 
nisation qui, pour ne pas aller jusque à l’eschare, n en est 
pas moins bien évidente. En effet l’épiderme se disso¬ 
cie, et au-dessous de lui le derme se fissure. Sur des 
plaies vives le contact de l’acide phénique fait apparaître 
des plaques blanchâtres qui sont comme le premier indice 
de la cautérisation. 

J’ai vdulu chercher si cette action anesthésique de l’a¬ 
cide phénique était réelle, comme le pense Andrew 
H. Smith. Pour cela, j’ai pris une solution concentrée 
d’acide phénique, selon cette formule : 

Acide phénique. 25 


Eau.. • • 100 

Alcool. 50 


Cette solution, étant projetée par une fine pulvérisation 
sur un point de la peau, a rendu ce point anesthésique et 
analgésique en très-peu de temps, sans qu’on puisse in¬ 
voquer le refroidissement, qui était presque nul, contrai¬ 
rement à ce qu’on observe dans les pulvérisations d’éther. 
L’analgésie a été complète, mais elle tenait à une action 
réellement caustique. Pendant quelques heures j’eus, aux 
points touchés par l’acide phénique, une rougeur très-vive 
avec une sensation de brûlure assez désagréable pour que 

15 


Richet. 






ABSORPTION 


114 

je sois résolu à ne m’y plus exposer. Enfin l’hypéresthésie 
était très-vive et le moindre contact déterminait une sen¬ 
sation douloureuse. C’est le second degré de la réparation 
nerveuse, dont le premier degré semble être le fourmille¬ 
ment. L’hypére.'îthésie produite ainsi par l’acide pbénique 
a persisté deux jours. 

Nous nous sommes assez étendu sur l’absorption à 
propos des gaz et des liquides volatils pour n’avoir pas 
besoin de revenir longtemps sur ce sujet, à propos des 
substances solides ou liquides non volatiles. L’absorption 
par la plaie des substances non volatiles a été niée par 
beaucoup*d’auteurs (1). Mais ces expériences sont en 
opposition avec celles d’autres savants, qui ont constaté 
la présence dans les excrétions de l’iodure de potas¬ 
sium (2), de la rhubarbe (3), de la garance (4), de la digi¬ 
taline (5). Nous ne parlons de l'absorption ni de l’eau, qui 
est un corps volatil, ni du mercure, qui est extrêmement 
volatil, ainsi que Merget (6) l’a récemment démontré, ni 
de l’iode, ni du camphre, toutes substances liquides ou 
solides qui émettent à la température ordinaire des va¬ 
peurs très-sensibles. 

(1) Séguin. Ann. de chimie, t. XCII, p. 46. — Scoutetten. Lettre à 
ÏAcad. de méd. Metz, 1869.—Sehâfer. Sitzunsbergicht der Wiener Acad,, 
1858. Bd. XXXII, p. 143. — Demarquay. De la glycérine, p. 92 et suiv. 

_Homolle. Union méd., 1853. — Parisot. Recherches expérimentales sur 

Vabsorption par le tégument externe. Paris, 1863. — Hébert. Th. inaug. 
Paris, 1861. 

12) Westrumb. Physiologische Untersuchungen über die Einsaugungs- 
kraft der Venen. Hanovre, 1825. 

(3) Bradner Stuart. Meckels Arch., I, p. 151. 

(4) Hofmann. Cité par Rabuteau. Elém, de thérap., 2* édit., p. 8. 

(5) Rabuteau. Bull, de la Soc. de biologie, 1868, p. 189. 

(6) Comptes-Rendus de VAcad. des sciences, déc. 1871 et janv. 1872. 



DES SUBSTANCES SOLIDES. 


115 


Quoi qu’il en soit, il paraît bien prouvé que si cette 
absorption existe, elle est tellement minime que l’on ne 
doit pas en tenir compte au point de vue des effets géné¬ 
raux produits sur l’ensemble de l’organisme. Que dire 
pourtant de l’expérience journalière et si ancienne des 
médecins et des chirurgiens qui emploient avec avantage 
le laudanum et les baumes composés pour apaiser la dou¬ 
leur? Il nous semble que l’explication est moins difficile 
qu’on le croit généralement. Ainsi que nous le disions plus 
haut, il y a une absorption générale, c’est-à-dire le pas¬ 
sage dans la circulation de substances appliquées soit sur 
la muqueuse pulmonaire, soit sur la muqueuse intesti¬ 
nale, soit sous le derme. Mais il y a aussi une absorption 
locale, qu’il conviendrait d’appeler plutôt une imbîbitîon. 
Les éléments anatomiques se combinent avec la substance 
qui les attaque et qui agit sur eux, mais ne les tra¬ 
verse pas. Pour prendre une comparaison qui rendra cette 
différence plus claire, l’absorption générale pourra être 
comparée au passage d’une solution sucrée à travers une 
membrane animale, l’absorption locale à l’imbibition 
d’une mèche de coton qui plonge dans l’alcool. 

Cette distinction étant bien admise et nettement démon¬ 
trée, nous voyons comment certaines substances liquides 
non volatiles peuvent agir localement sur la sensibilité, 
sans être entraînées dans la circulation générale. Ainsi, 
sans qu’on puisse invoquer comme unique explication, la 
mise à l’abri de l’air le laudanum, d’après la pratique 
invétérée des médecins, calmerait les douleurs des 
phlegmons et des arthrites, mais sans produire d’a¬ 
nesthésie proprement dite. Au contraire le baume de 
conicine (1) semblerait avoir des propriétés anesthésiques. 



CONCLUSIONS 


116 

Une personne ayant fait des frictions avec ce baume eut 
une insensibilité des doigts qui avaient été en contact 
avec la conicine. Une coupure accidentelle ne fut pas 
ressentie. En cessant les frictions, l’anesthésie disparut, 
pour revenir quand on les recommença. Romberg a si¬ 
gnalé des cas d’anesthésie des bras chez les lessiveuses, 
dont la peau touche sans cesse des solutions caustiques. 
Par un contact prolongé avec le mercure on a signalé des 
paralysies sensitives (2). Manouvriez (3) a remarqué, qu’à 
côté de l’intoxication saturnine générale et indirecte par 
les absorptions digestive et pulmonaire, il existe une into¬ 
xication saturnine locale et directe par absorption cutanée. 
Cette absorption cutanée est une véritable imbibition des 
tissus, et à la paralysie musculaire se joint l’anesthésie 
de la peau. Le bras et la main qui étaient en contact direct 
avec le plomb "étaient toujours plus malades que du côté 
opposé. Selon Villard, l’essence de hachisch, appliquée 
localement, serait hypoalgésique (4) ; tandis que l’essence 
de menthe (5) et la saponine (fl) seraient des anesthésiques 
locaux. 

Résumons cette discussion sur les anesthésiques lo¬ 
caux. Nous sommes amenés à conclure : 


(1) Gubler. Journ. de thêrap., 1875, t, II, p. 242. 

(2) Foot. Paralysie sensitive par contact avec le biiodure de mercure 
[Dublin Journ, of med. science, sept. 1873). 

(3) Arch, de physiologie norm. et pathol., 1870, t. Illj p. 408, et Th. 
inaug. Paris, 1872. Voir sur ce sujet : Drouet. Th. inaug., Paris, 1875, et 
Ladrat [Arch. de mêd,, déc. 1859); 

(4) Villard. Th. inaug. Paris, 1872, p. 35. 

(5) Delioux de Savignac. Union mêd:, t. XVII, p. 557. 

(6) Kohler. Berlin Klin. Wochensblatt, 1873. 


117 


générales. 

l» Que l’oxygène de l’air est un agent d’irritation, et 
que dans une plaie simple c’est à son action chimique 
qu’est due la douleur ; que l’indication est donc formelle, 
et qu’il faut soustraire les plaies au contact de l’air ; 

2° Que cette action s’exerce non-seulement sur les 
plaies, mais sur la peau intacte ; 

3» Qu’à côté de l’absorption générale, il y a une absorp¬ 
tion locale ou mieux une imbibition, ce qui explique com¬ 
ment l’action thérapeutique d’un médicament, appliqué 
sur la peau, peut être localisée à la région qu’il touche ; 

4“ Que toutes les substances volatiles agissant sur le 
nerf peuvent être regardées comme des anesthésiques 
locaux ; 

5» Que le premier degré de l’anesthésie périphérique 
est l’hyperesthésie, et qu’il n’y a que des limites indécises 
entre une substance anesthésique et une substance caus¬ 
tique. 

D’une manière très-générale, on peut donc dire qu’il y 
a des substances agissant sur les nerfs, et d’autres sub¬ 
stances n’agissant pas sur eux. Les substances inactives 
sont celles qui n’ont que des affinités chimiques faibles, 
comme l’azote, l’hydrogène et même l’acide carbonique. 
Au contraire, les substances chimiques actives, changent 
la constitution du tissu nerveux et produisent une hyper¬ 
esthésie, qui, lorsque le nerf est détruit, devient de 1 a- 
nesthésie. De fait, il y a des corps dont l’activité chimique 
n’est pas capable de produire eette anesthésie finale, et 
qui paraissent ne pouvoir produire que l’hyperesthésie du 
début; mais cela ne prouve pas que leur mode d’action 
soit différent. 

Des anesthésies périphériques, autres que celles de la 



H8 BE l'anesthésie locale 

peau, produites par des substances toxiques, nous n’a¬ 
vons presque rien à dire. 

Chez les ouvriers qui travaillent à la vulcanisation 
du caoutchouc et manient le sulfure de carbone, l’insensi¬ 
bilité de la cornée a été signalée par plusieurs auteurs, et 
en premier lieu par Bergeron et Lévy (1), qui ont 
fait sur des chiens et des lapins des expériences confir¬ 
matives à cet égard. On ne peut expliquer cette anesthésie 
par un empoisonnement central. En effet, l’anesthésie de 
la cornée est celle qui survient en dernier lieu, et il est dit 
par Bergeron et Lévy, dans les expériences qu’ils firent 
sur les animaux, que la sensibilité cutanée disparaissait 
bien après celle de la cornée et reparaissait avant elle. 
C’est le contraire de tout ce qu’on voit pour les agents 
anesthésiques. N’est-il pas très-probable que le sulfure 
de carbone, qui est très-volatil, agit localement sur la 
conjonctive et la cornée oculaires et détermine leur para¬ 
lysie sensitive, sans qu’il y ait dans ces deux membranes 
de lésion apparente ? 

§ III. 

Action du froid. 

Hunter avait depuis longtemps signalé l’influence du 
froid sur la sensibilité. Après avoir congelé l’oreille d'un 
lapin, il put la couper sans que l’animal manifestât la 
moindre souffrance. Larrey fit des observations à peu 

(1) Bull, de la Soc. de biologie, 1864, p. 49. — Tavera. Th. inaug. Paris, 
1865 . — Huguin. Th. inaug. Paris, 1874. — Marche. Th. inaug. Paris, 
1876, p. 32. 



PAR LE FROID. 


119 


près semblables, et il remarqua qu’à la bataille 4’EyIau, 
par un froid de 10 degrés au-dessous de zéro, les ampu¬ 
tations n’étaient presque pas douloureuses. Bégin, étu¬ 
diant l’action sur lui-même des bains très-froids (1), a 
noté une certaine insensibilité. «En sortant du bain, dit-il, 
on observe un fait très-remarquable ; c’est que les 
téguments sont presque insensibles au contact des corps 
extérieurs. Ce phénomène est tel que le passage du 
linge avec lequel on s’essuie n’est pas senti. Il semble qu’on 
se rapproche de ces peuples septentrionaux, qu’on voit 
demeurer étrangers aux sensations les plus vives et même 
aux blessures les plus cruelles » (?) 

C’est Arnott qui, le premier, employa les mélanges 
réfrigérants comme anesthésiques, et les premiers essais 
furent faits dans le service de Velpeau (2). Depuis, ces 
essais se sont multipliés (3), et c’est maintenant un pro¬ 
cédé généralement employé. 

Mais comme notre but n’est pas de traiter une question 
de thérapeutique chirurgicale, nous ne parlerons que des 
phénomènes physiologiques. Au bout de quelques mi¬ 
nutes, de une à cinq minutes, selon l’intensité de la source 
de réfrigération, l’anesthésie survient, et on peut faire 
l’incision superficielle de la peau sans douleur. La peau 
blanchit, devient exsangue, et il ne s’écoule pas de sang 
quand on la coupe. Quelle que soit la source de froid, 
glace pilée, mélange de glace et de sel marin, alcool ou 

(1) Art. Scrofule [Diction, des sciences mêd. Paris, 1820, p. 361). 

(2) Béraud et Foucher. Union mêd., avril 1850. 

(3) Foubert, 1854 ; Murelle, IfiSS ; Blaire, 1857. Th. inaug. Paris. Voy. 
aussi Perrin, Traité d'anesthésie chirurgicale. 


ACTION DU FROID 


120 

glycérine à O», évaporalion de l’éther et de sulfure de car¬ 
bone, le résultat final est identique, c’est toujours l’anes¬ 
thésie qu’on observe. Cette anesthésie, ainsi qu’Hor- 
vath (1) l’a fait remarquer, porte d’abord sur la sensibi¬ 
lité à la douleur. La sensibilité tactile n’est atteinte que 
secondairement. J’ai souvent eu l’occasion de constater ce 
fait chez une malade à qui je fis pendant longtemps des 
injections sous-cutanées de chlorhydrate de morphine 
pour apaiser les doulçurs d’un mal de Pott. Par hy¬ 
peresthésie ou pusillanimité, elle ne pouvait tolérer la 
petite douleur de la piqûre de l’aiguille. Afin de la lui 
éviter, j’anesthésiais la région avec la glace ou la vapori¬ 
sation de l’éther. Elle sentait très-bien la piqûre, mais 
c’était une sensation de contact et non une douleur. La 
pénétration de la morphine dans le tissu cellulaire était 
quelquefois douloureuse, mais si on avait soin de pro¬ 
longer la réfrigération, aucune sensation douloureuse 
n’était perçue. 

En somme, s’il est facile de produire l’anesthésie su¬ 
perficielle de la peau, il est assez difficile de rendre une 
région profonde tout à fait insensible. L’expérience de 
chaque jour est là pour en témoigner. 

Tout récemment, Letamendi (2)' a annoncé qu’on faci¬ 
litait l’apparition de la zone anesthésique en faisant avec 
le bistouri une incision superficielle. Selon le chirurgien 
de Barcelone, on devrait se guider d’après la présence 
d’une zone anémique blanchâtre qui serait l’indice d'une 
anesthésie locale complète. Cette indication n’est pas nou- 

(1) Centralblatt, 1873, n» 14. 

(2) Arch. de physiologie norm. et pathoL, 1875, p. 769. 



SUR LA DOULEUR. i21 

velle, et quant au procédé de Tincision, s^il est nouveau» 
au moins il est bizarre et inapplicable. Pour notre part, 
nous préférerions le procédé indiqué par Horand (1) qui, 
s’il voit l’anesthésie tarder, touche la région en'expérience 
avec un petit morceau de glace. Immédiatement la zone 
anémique et anesthésique se produit. 

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, l’éther et le sul¬ 
fure de carbone en se volatilisant agissent un peu par 
leurs propriétés chimiques et beaucoup par leurs pro¬ 
priétés physiques. C’est surtout par le froid produit qu’ils 
sont anesthésiques et les effets sensitifs qu’on perçoit sont 
identiques aux effets de la glace et d’up mélange réfrigé¬ 
rant. C’est d’abord une sensation très-vive de froid qui va 
peu à peu en se transformant, et qui ne tarde pas à deve¬ 
nir une sorte de pesanteur douloureuse qui devient elle- 
même une cuisson et une sensation de brûlure. Mais si la 
source de froid est à une très-basse température, la pre¬ 
mière sensation est une sensation de brûlure. Én effet son 
action étant identique à celle de la chaleur et produisant 
la désorganisation du nerf de la même manière, il ne peut 
y avoir de sensation différente. 

Si, au lieu d’être étendue sur une large surface, la sen¬ 
sation est localisée en un point, ce sera moins le senti¬ 
ment de brûlure qu’un sentiment de coupui’e et de déchi¬ 
rure. C’est ce que j’ai éprouvé moi-même en dirigeant 
maladroitement un jet d’éther sur mon doigt. J’éprouvai 
une douleur aussi vive que si j’avais reçu un coup de 
bistouri. Du reste, au point touché ainsi par le jet d’é- 

(1) Journ. de méd. de Lyon, 1867, et Areh, de physiol., 1876, pi 17Î. 


Richet. 



ACTION 


FROID 


ther, il y eut une phlyctène, comme pour une brûlure au 
deuxième degré. 

L’application du froid intense est très-douloureuse. 
Mais lors même que le froid n'est pas assez considérable 

pourproduire une anesthésie immédiate, la douleur est quel¬ 
quefois encore très-vive. Tout le monde connaît plus ou 
moins cette sensation désagréable que l’air froid fait 
ressentir aux mains et aux pieds et qu’on appelle Vonglée. 

A la première période, c’est une sorte de pesanteur 
gênante, bientôt suivie de fourmillements et d’une sensa¬ 
tion de cuisson. En définitive c’est l’hyperesthésie des nerfs 
précédant leur anesthésie. Cette hyperesthésie est quel¬ 
quefois très-pénible et produit dans certains cas assez de 
douleur pour qu’il n’y ait pas grand avantage, au point 
de vue'de la suppression de la douleur, à faire l’anesthésie 
locale par réfrigération, pour éviter la douleur opératoire 
sur des régions cutanées ulcérées ou phlegmoneuses hypo- 
algésique. 

Cependant, comme l’action est telle qu’elle agit surtout 
en diminuant l’activité de la circulation, il peut se faire 
que l’application de la glace, très-douloureuse dans cer¬ 
tains cas, contribue au contraire, lorsque elle est modérée 
et lorsqu’il s’agit d’inflammations francfies et aiguës, à 
modérer la douleur ; en un mot le froid est un agent hypo- 
algésique. 

Ainsi, depuis un temps immémorial les médecins em¬ 
ploient la glace pour calmer les douleurs des phlegmons 
et même des arthrites. Est-ce par la contraction des 
capillaires qui modère l’afflux sanguin ? Est-ce par une 
action spéciale sur les nerfs dont le froid ralentit l’excita¬ 
bilité ? Il est probable que ces deux causes agissent simul¬ 
tanément pour concourir au même résultat. Toujours 



SUR LES NERFS SENSITIFS. 


123 


est-il que le froid calme les douleurs inflammatoires. Mais 
si la température est trop basse, au moment où on cesse 
l’application du froid, la réaction est très-vive, et la dou¬ 
leur revient plus intense qu’auparavant. Aussi faut il 
manier cet agent calmant avec beaucoup de prudence. 

Chez l’homme et les animaux à sang chaud, la chaleur 
locale appliquée localement produit l’hyperesthésie, et 
pour que la chaleur soit anesthésique il faut que les tissus 
soient détruits. Chez les batraciens il en est ainsi. Claude 
Bernard a démontré (1) qu’en plongeant une grenouille 
dans de l’eau à 37 ou 38 degrés centigrades, l’anesthésie 
était complète. Cette anesthésie lui a semblé liée à un 
commencement d’asphyxie ; mais ce n’est pas une anes¬ 
thésie locale, c’est une anesthésie générale, et pour que la 
chaleur puisse anesthésier les pattes d’une grenouille 
séparées de la circulation générale, il faut que la tempé¬ 
rature soit à plus de 40 degrés, c’est-à-dire assez élevée 
pour détruire les tissus. Ayant préparé une grenouille de 
manière que sa patte ne soit reliée au corps que par 
le nerf sciatique, j’ai rendu cette patte complètement 
anesthésique en la plongeant dans de l’eau à 40”,2. La 
sensibilité ne reparut pas plus dans le nerf que les mou¬ 
vements dans ie muscle. Il y avait mort par la chaleur 
des éléments nerveux et musculaires. 

Le froid entre les mains des chirurgiens peut produire 
l’anesthésie ; il doit donc aussi dans des cas exceptionnels 
pouvoirproduire l’anesthésie accidentellement. Je ne parle 
pas des cas de congélation complète des membres : la 
destruction des tissus par le froid les rend naturellement 
insensibles ; je dis seulement que le froid, en agissant sur 
i (1) Leçons sur les anesthésiques, p. 92. 



124 


DES PARALYSIES SENSITIVES. 

un tronc nerveux, peut en déterminer la paralysie. Nous 
avons à voir en effet quelle est la véritable origine des 
paralysies dites rhumatismales : car le rhumatisme n’est 
qu’un être de raison. Il y a des rhumatisants chez qui 
le froid agit plus facilement que chez d'autres. Mais je ne 
comprends pas qu’on puisse dire que le rhumatisme para¬ 
lyse un nerf ou l’irrite. Chez les rhumatisants les nerfs 
sont peut-être plus excitables, mais il est tout à fait anti¬ 
scientifique de dire qu’une paralysie est produite par le 
rhumatisme. 

Le froid agit rarement sur les nerfs sensitifs, il n’y en a 
guère que deux qui soient paralysés par le froid; le triju¬ 
meau et le nerf radial. L’anesthésie du trijumeau (1) est 
assez rare pour ne pas avoir été souvent le sujet de 1 atten¬ 
tion des pathologistes. Ortel Ebrard (2) dit que sur 35 cas 
d’andsthésie du trijumeau, 7 sont attribuables au froid ; 
4 sont rapportés aü rhumatisme : ce qui fait au total 
11 cas d’anesthésie par refroidissement. Les autres sont 
dus presque uniquement à des tumeurs du crâne ayant 

envahi le nerf trifacial. 

Ce qu’il y a à remarquer dans ces anesthésies du triju¬ 
meau par refroidissement, c’est le contraste singulier qu’el ■ 
les offrent avec la névralgie de ce nerf. En effet, il n y a 
pour ainsi dire pas de douleurs, l’excitabilité du nerf est 
plus ou moins rapidement détruite, et, lorsqu’elle n existe 
plus, c’est à peine si les malades se rendent compte qu ils 
ont un côté de la face devenu insensible. 

(1) Dixoa. Med. cUr. Transactions., t. XXVIII. - Taylor. Afed. Times 
and Gaz., juillet 1854. - Romberg. Lehrbuch der Nervenkrankheiten^ 
Berlin, 1850.—OrtelEbrard. Pamïysie du trijumeau. Th. inaug. Pans, 1867 

(2) hoc. cit., p. 46. 



125 


PAR LE FROID. 

En somme, lorsque le froid agit sur un nerf, son premier 
elfet est de produire une excitation douleureuse et de ré-' 
veiller son excitabilité. De là la fréquence si grande des 
névralgies a frigore. Que cette action du froid soit poussée 
plus loin, il y a anesthésie a frigore, laquelle est incontes¬ 
tablement beaucoup plus rare; dans quelques cas la période 
d’hyperesthésie a été tellement rapide qu'elle a passé ina¬ 
perçue, alors la période anesthésique persiste, mais le plus 
souvent la période hyperesthésique est seule observee, et 
l’anesthésie que produit un froid plus intense est plus rare¬ 
ment constatée. 

Je n’ai pas à insister sur les symptômes de l’anesthésie 
du trijumeau. Quand elle n’est compliquée ni de troubles 
trophiques du côté du globe oculaire, ni de paralysie des 

masticateurs, elle est caractérisée uniquement par la perte 

du sentiment dans toute une moitié de la face. 

Charles Bell a même signalé (1) une bizarre coùséquence 
de cette insensibilité qui s’arrête sur la ligne médiane. 
Lorsque les malades portent un verre à leur lèvre, il leur 
semble que le verre est cassé. D’ailleurs cette sensation se 
retrouve dans l’hémianesthésie hystérique. 

Quant aux paralysies du radial a frigore, elles survien¬ 
nent en causant encore moins de douleurs que les paraly¬ 
sies du trijumeau. La période d’hyperesthésie, caractéri¬ 
sée par des fourmillements et des engourdissements, est 
loin d’avoir été constamment signalée. Cela tient peut-être 
à ce que la paralysie est survenue pendant le sommeü, 
dans un certain nombre de cas. Le malade se réveillait, 
avec une impuissance complète des muscles animés par le 


(1) Ch. Bell. Philosophical Transactions, 182o, p. 71. 



PARALYSIES 


126 

radial. Le froid avait épuisé déjà son action et détruit 
l’excitabilité du nerf (1). 

Au point de vue de l’anesthésie, il est rare que les para¬ 
lysies du radial par le froid amènent une anesthésie cu¬ 
tanée complète. La plupart du temps, il est vrai, on a 
signalé quelques légers troubles de la sensibilité; mais 
qui vont rarement jusque à l’insensibilité absolue. La 
cause en est peut-être dans l’existence de la sensibilité ré¬ 
currente. Si le nerf radial ne peut plus transmettre les 
impressions sensitives de la périphérie, l’excitation peut 
arriver aux centres par le médian et le cubital intacts, qui 
par leurs fibres anastomotiques vont donner la sensibilité 
aux régions que le radial anime principalement. 

M. Panas a soutenu que la paralysie du nerf n’était pas 
produite par le froid, et que la cause était toujours la com¬ 
pression. Il y a un certain degré de vérité dans cette asser¬ 
tion, et il est manifeste que, dans plusieurs cas, on a attri¬ 
bué au froid une influence qu’il n’avait pas, la compression 
pouvant être plus vraisemblablement invoquée comme cause 
déterminante. Cependant il est impossible d’admettre l’o¬ 
pinion de M. Panas, laquelle est beaucoup trop exclusive; car 
dans un grand nombre d’observations, il n’y a eu aucune 
compression, et le froid paraît avoir agi seul (2). 

(t) Voir sur les paralysies du radial a frigore : 

Ducheime de Boulogne. Recherches sur les paralysies du membre supé¬ 
rieur (Arch. gén. de méd., 1850, t. XXII, p. 34). De Vélectrisation localisée, 
30 édit., p. 700. Revillout. Gaz. des hop., 1870. Panas. Paralysie réputée 
rhumatismale du nerf radial (Arch. gén. de méd., juin 1873). Onimus et 
Legros. Traité d'électricité médicale. Vulpian. Bull, de la Société de biolo¬ 
gie, 1873, p. 115. Chapoy. Th. inaug. Paris, 1874, p. 43 et suiv. 

(2) Landry. Des principales variétés des paralysies de l’avant-bras. Th. 
inaug. Paris, 1876, p. 16. — Duchenne de Boulogne. Loc. cit., passim. 



i27 


DU NERF RADIAL. 

Comment le froid agit-il ? et pourquoi agit-il? C’est là 

un point très-obscur. La position superficielle du radial est 
loin d’être une explication suffisante. D’ailleurs la plupart 
du temps le froid est loin d’avoir été intense. C’est 1 im¬ 
pression rapide d’un courant d’air, le contact avec des 
linges mouillés, etc., toutes causes dont l’action a été peu 
prolongée et peu violente. 

Èst-ce par l’action du froid sur le nerf mênré? 

Est-ce, comme le pense Brown-Séquard (1) par une im¬ 
pression sensitive réflexe dont le point de départ serait la 
peau frappée par le froid? Cette impression transmise par 
le nerf radial irait se répercuter sur ce nerf même, en pa¬ 
ralysant sa puissance motrice? Pour Vulpian, le nerf ra¬ 
dial étant sensible dans tous ses points, il n’y aurait pas 

d’altération fonctionnelle du tronc nerveux lui même, et 

ce serait dans les communications nerveuses motrices du 
nerf avec le musde, comme dans les cas de paralysie déter¬ 
minée par le curare, que siégerait l’altération. Selon Weir 
Mitchell (2) le froid déterminerait une congestion du nerf. 

L’argument fourni par la conservation de la sensibilité 
ne semble pas suffisant, car d’après ce que nous avons vu 
pour la sensibilité récurrente, le bout périphérique coupé 
d’un nerf du hras est presque aussi sensible que son bout 
central. D’ailleurs la paralysie des plaques motrices des 
muscles est tout aussi difficile, sinon plus difficile à expli¬ 
quer quela paralysie dunerf lui-même. Enfin, très-souvent, 
dans la paralysie radiale afrigore, on observe de l’engour¬ 
dissement et des fourmillements. 

(1) Leçons sur le traitement et le diagnostic des principales formes de 
paralysie. Trad. franç. Paris, 1864, 

(2) Loc. cit., p. 62. 



j28 ACTION BU FROID 

Un fait que j’ai remarqué quelquefois sur moi semble¬ 
rait prouver que l’influence du froid ne porte pas sur la 
périphérie, mais sur le tronc du nerf. Trois ou quatre fois, 
en sortant d’une chambre chaude pour rester exposé quel¬ 
que temps à l'air froid, j’ai ressenti dans les deux mains des 
fourmillements assez incommodes siégeant au pouce et à 
l’index: en même temps la sensibilité était très-engour- 
die, au moins superficiellement : ces sensations, qu on 
ne peut guère attribuer qu’à une sorte d’hyperesthésie du 
radial, persistaient une heure ou deux, puis cessaient tout 
à fait. Est-il possible de les attribuer à l’action directe du 
froid sur la peau, et n’est-il pas infiniment plus probable 
que le nerf radial de chaque côté a été plus ou moins im¬ 
pressionné ? 

Il y a un fait qui doit mettre sur la voie de la cause 
immédiate des paralysies du radial, c’est que, de tous 
les nerfs sensitifs de l’organisme, c estle seul ou à peu près 
le seul qui se paralyse ainsi isolément, de même que parmi 
les nerfs moteurs le nerf facial est le seul qui, en dehors de 
toute cause centrale, puisse se paralyser par l’action du 
froid. Or, si le radial est placé assez près de la peau, il 
n’en est pas ainsi du facial; et pourtant, parleur étiologie, 
par leur indolence, par la forme des phénomènes, les pa¬ 
ralysies de ces deux nerfs ont une frappante analogie. 
D’ailleurs combien de nerfs sont placés plus superficielle¬ 
ment que le nerf radial, le cubital, par exemple, qui est 
atteint bien rarement de paralysies isolées, le sciatique 
poplité externe, etc., tandis que le nerf radial et le nerf de 
la vii“ paire, ont l’un et l’autre une disposition anatomique 
spéciale qui explique l’action du froid. 

En effet ils sont l’un et l’autre enfermés dans une sorte 



SUR LES TRONCS NERVEUX SENSITIFS. 

de gouttière osseuse qui les maintient immobiles, et il suf¬ 
fit que les parois du canal ostéo-fibreux qui les enchâsse 
augmentent de volume, pour que sur-le-champ il y ait com¬ 
pression du nerf et paralysie. Voilà pourquoi, à 1 exclu¬ 
sion de tous les autres nerfs, le radial et le facial peuvent 
être paralysés par Timpression du froid brusque. Ainsi 
que l’expérience journalière l’enseigne, chez les rhumati¬ 
sants le froid gonfle et dilate les tissus fibreux, c’est donc 
la compression qui est en réalité la cause des paralysies 
du radial et du facial. Mais ce n’est pas la compression telle 
que M. Panas la comprend, c’est la compression par le 
froid. 

D’ailleurs plusieurs auteurs (1) ont fait des expériences 
sur l’action du froid portant sur les troncs nerveux eux- 
mêmes, et les symptômes sont tout différents. En plon¬ 
geant le coude dans l’eau glacée, grâce à la situation si 
superficielle du* nerf cubital en ce point, on peut 
refroidir énergiquement ce nerf. La première sensation 
est une sensation locale de froid, et justement rapportée 
à la peau du coude; mais au bout de quelques minutes, le 
froid gagnant le tronc nerveux lui-même, on ressent des 
fourmillements et des picotements dans tout l’avant-bras; 
en même temps survient une douleur extrêmement vive, 
et pour la supporter, il faut, dit Romberg, beaucoup de 
courage. L’hyperesthésie des 3® 4® et 5“ doigts est telle que 
le moindre contact provoque une douleur extrême. Enfin 
l’anesthésie survient; et elle est complète, alors que la 

(1) Weber. De pulsu, resorptione, et tactu.—Waller. Proc. Royal Soc. 
London, 1860, t. II, p. 89. — Weir Mitchell. Loc. cit., p. 62. — Romberg. 
Zur Kritik der Valleixsche Schmerzenspuncte {Arch. für Psychiatrie, 
1868, 1.1, p. 1). 

Richet. 1^ 



130 ACTION DE i/aNHÉMIE 

motilité n’a pas encore tout à fait disparu. Même quand 
il y a anesthésie, il y a des crampes et des contractions 
involontaires, douloureuses dans les muscles. Enfin je no¬ 
terai une sensation générale de malaise sur laquelle nous 
reviendrons plus loin et qui survient presque toujours par 
suite de l’excitation trop forte d’un tronc nerveux volumi¬ 
neux. 

Quelquefois ces paralysies par le froid ont assez longue 
durée, mais en général elles disparaissent facilement. Le 
traitement par la faradisation a une influence très-heu¬ 
reuse ; sans qu’on puisse exactement se rendre compte de 
son mode d action, il est incontestable qu’il agit avec une 
grande puissance. 


§ III. Action de l’anhémie. 

Ainsi que tous les tissus, les nerfs ont besoin, pour vivre, 
d’être en contact avec le sang oxygéné. La privation de 
sang produit donc la mort du nerf. C’est un a priori 
que l’expérience vient confirmer. 

Ce n’est donc pas de l’anesthésie proprement dite; tou¬ 
tefois nous pensons qu’il faut rester attaché à la définition 
donnée plus haut de l’anesthésie, privation de sensibilité, 
et étudier les effets de cette anesthesie, et son mécanisme. 

En second lieu nous verrons comment en pathologie, 
l’anhémie ou l’oligohémie amènent tantôt la douleur, tan¬ 
tôt J'anesthésie. Enfin nous traiterons de l’hypoalgésie 
produite par la soustraction soit locale, soit générale 
d’une certaine quantité du fluide sanguin. 



NERFS. 


131 


C’est Flourens (1) qui, le premier, en injectant des subs¬ 
tances pulvérulentes inertes dans l’aorte d’animaux vivants 
a étudié les effets de Tanhémie sur la sensibilité. Les petits 
granules qu’il injectait agissaient mécaniquement, et lais- 

saientla motricité intacte, tandis que la sensibilité était abo¬ 
lie. Plus tard Vulpian (2) a expliqué cette différence entre 
la persistance des deux propriétés fondamentales du sys¬ 
tème nerveux, en montrant que l’anbémie portait moins 
sur les membres que sur la partie inférieure de la moelle. 
En injectant directement de la poudre de lycopode dans 
l’artère du membre, il a vu que la sensibilité dans le tronc 
du nerf sciatique persistait trois heures environ après qu’il 
eut été anhémié. 

Brown Séquard, après avoir constaté (3) que la sensibi¬ 
lité ayant disparu dans un membre anhémié pouvait, 
après un maximum de deux heures, reparaître dans le 
même membre, si on lui rendait du sang oxygéné, a essayé 
de se rendre compte d’une manière, plus exacte de l’in¬ 
fluence du sang sur la sensibilité, et il a constaté les faits 
suivants qui sont fort intéressants (4). 

Afin d’éliminer toute cause d’erreur provenant du réta¬ 
blissement de la circulation collatérale, non-seulement il 
liait l’artère, mais il faisait la section complète de tout le 
membre en ne respectant que les nerfs sciatiques. Il a vu 
ainsi que chez les lapins la sensibilité persistait environ 
22 minutes, 32 minutes chez le chien, 45 minutes chez le 

(1) Comptes rendus de VAcad. des sciences, 1847, p. 905. 

(2) Gaz. hébd., 1861, t. VIII, p. 350. 

(3) Journ. de la physiologie, t. I, p. 730. Propriétés et usages du sang 
rouge et du sang noir. 

(4) Ibid., 1861, t. VI, p. 140. 


132 EXPÉRIENCES SUR UA 

cochon d’Inde. L’élévation de la température hâtait la 
mort du nerf. La section des cordons postérieurs semblait 
au contraire la ralentir : Brown Séquard a même remarqué 
que quand la sensibilité paraissait éteinte, il suffisait de 
sectionner les cordons postérieurs pour la faire reparaître, 
ce qui montre que si la sensibilité paraît abolie, c’est que 
la sensation n’est pas assez forte pour exciter le èensorium 
commune, mais qu’en rendant cette sensation plus forte, elle 
peut devenir perceptible. 

Neumann (2) a essayé de déterminer aussi la durée de la 
mort du nerf sensitif par anhémie. Mais il en a seulement 
conclu que la température extérieure jouait un très-grand 
jtôle pour la rapidité de cette disparition, et que, à mesure 
que le nerf mourait, la sensibilité aux couramts d’induc¬ 
tion diminuait, la sensibilité aux courants de pile restant 
à peu près stationnaire. D’ailleurs il n’a fait qu’un petit 
nombre d’expériences. 

Plus récemment, Claude Bernard, dans son rapport sur 
les progrès de la physiologie en France (2), a magistrale¬ 
ment exposé la différence qui existe, suivant lui, entre la 
mort du nerf sensitif et celle du nerf moteur. Le nerf sensi¬ 
tif meurt physiologiquement par la moelle, comme le nerf 
moteur parlapériphérie. « Le nerf sensitif, dit-il, reste sen¬ 
sible indéfiniment au-dessus de la ligature des vaisseaux, 
et il en serait de même au-dessous, si la circulation des 
liquides pouvait empêcher l’altération locale de la fibre 
nerveuse... celle-ci n’est pas une mort physiologique. 

(1) De la -perte de Virritahilité dans les nerfs et dans les muscles {Arch. 
de Reichert, 1864, p, 554). 

(2) P. 24 et Appendice, p. 165 et suiv. 



mort nu NERF SENSITIF. 

Dans l’anémie nerveuse centrale, le nerf sensitif meurt 
physiologiquement en perdant graduellement ses proprié¬ 
tés, de la périphérie au centre, de son extrémité passive 
périphérique vers son extrémité active centrale. » 

Il est certain que la mort du nerf par l’altération de la 
substance nerveuse n’est pas identique à la mort de la 
sensibilité qui survient par la destruction de la moelle ; 
mais il n’en était pas moins important de rechercher les 

conditions de cette mort locale. C’est ce que j’ai cherche a 

faire, et je crois utile de donner ici le résultat de mes expé¬ 
riences, et la méthode que j’ai employée (1). 

J’ai fait ces expériences au Collège de France dans 
le laboratoire de mon savant et excellent maître, le pro¬ 
fesseur Marey. C’était par une température moyenne 
de 10 à 16 degrés centigrades , sur des grenouilles 
généralement petites et assez chétives. Le fait est impor¬ 
tant à noter, car Faivre (2)‘dit que les réactions des gre¬ 
nouilles sont différentes selon qu’elles sont grosses ou pe¬ 
tites, et Harless (3) prétend qu’il n’y a jamais deux gre¬ 
nouilles réagissant de la même façon à l’électricite et aux 
substances toxiques. 

Afin d’éviter un afflux sanguin quelconque, si leger 
qu’il fût, parla voie des circulations collatérales, je faisais 
la section de toute la cuisse, en ne conservant que le nerf 
sciatique que je garantissais contre la dessiccation. 

Comme il est assez difficile ’^de savoir d’une manière 


(1) J’ai présenté sur ce sujet une note à la Soc. de biologie ; voir aussi la 
Gaz. des hôp. et la Gaz. mêd., juin 1876. 

(2) Bull, de la Soc. de biologie, 1858, p. 126. 

(S) Jetions moléculaires dans la substance nerveuse {Mém. de l Acaa. 
royale delBavière, 1858, p. 66. 



134 expériences sur la 

exacte si une grenouille sent ou ne sent pas, j^ai pensé à 
rendre manifeste par une contraction musculaire éner¬ 
gique la L’,oindre sensation perçue. Pour cela, âu moment 
où je supposais la sensibilité sur le point'de s’éteindre 
dans la patte anhémiée, j’empoisonnais la grenouille avec 
une dose légère de strychnine. Cette substance, comme 
on le sait, surexcite la moelle épinière au point que la 
plus faible impulsion périphérique devient le point de dé¬ 
part d’un tétanos réflexe généralisé. 

Il est vrai d’ajouter que les impressions sensitives ne 
donnent pas lieu à ce réflexe, que la sensibilité à la cha¬ 
leur ne produit pas de contraction tétanique, et que la sen¬ 
sibilité tactile de la peau paraît avoir sur cette produc¬ 
tion de réflexes une influence prédominante. Toutefois, 
Texcitation électrique même très-faible suffit pouî-mettre 
enjeu l’activité des cellules de la moelle. Comme d’autre 
part, il est avéré que la sensibilité électrique est la der¬ 
nière qui persiste, cette contraction de la grenouille stry- 
chnisée sous l’influence de l’excitation électrique est un 
précieux réactif qui nous fait bien connaître l’état de la 
sensibilité. 

On pourrait objecter encore qu’en intoxiquant ainsi des 
grenouilles, je me mets en dehors des conditions physio¬ 
logiques normales, et que, par cela même qu’elles sont 
empoisonnées, elles doivent réagir différemment des gre¬ 
nouilles non empoisonnées. L’objection ne me paraît pas 
fondée. En effet, le membre anhémié ne recevant pas de 
poison, les terminaisons périphériques du nerf sensitif 
ne sont en rien altérées ; quant à ses terminaisons centra¬ 
les, elles le sont évidemment, mais cela importe peu, 
puisque je n’emploie la strychnine qu’afin de savoir si le 



MORT DU NERF SENSITIF. 135 

courant nerveux arrive ou non jusque dans la moelle. Je 
ne prétendais pas juger du degré d’excitabilité des racines 
postérieures. Mais ce que je cherchais seulement, c est à 
savoir si le courant nerveux, par l’excitation de la péri¬ 
phérie du nerf, passait par ce nerf, et pénétrait jusqu’aux 
centres. Le strychnine n’est donc là que pour rendre té¬ 
moignage de l’arrivée du courant nerveux dans les centres. 
Si l’excitation électrique de la périphérie donne un té¬ 
tanos généralisé, c’est que le courant a pu passer par le 
nerf et par conséquent que le nerf était excitable. 

Ces conditions ne sont pas tout à fait identiques aux 
conditions dans lesquelles s’est placé M. Claude Bernard, 
car il liait l’artère du membre, ce qui permettait peut-être 
à la circulation collatérale de se rétablir. C’est sans doute 
ce qui explique que les résultats ne sont pas tout à fait les 
mêmes : en effet il m’a semblé que la sensibilité disparais¬ 
sait avant la motricité. D’ailleurs, le tronc même du scia¬ 
tique restait sensible. » 

Le temps nécessaire à la mort du nerf m’a paru assez 
variable et compris entre les limites de 6 à 8 heures. 
Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce que chez des ani¬ 
maux à sang froid, la persistance des propriétés vitales 
soit quinze fois plus grande que chez des mammifères. 

On peut hâter la mort du nerf en l’épuisant par des cou¬ 
rants électriques induits. Il faut seulement faire cette re¬ 
marque très-importante que ces courants appliqués di¬ 
rectement sur le tronc nerveux lui-même, ne tuent 
pas le nerf, mais hâtent sa mort. C’est là une dis¬ 
tinction fondamentale à établir. En effet, immédiate¬ 
ment après Eexcitation électrique, si elle n’a duré que 
quelques minutes, le nerf est encore excitable, mais une 
demi-heure après cette excitabilité a cessé. 




136 expériences sur 

On peut au lieu d’exciter directement le nerf, exciter la 
patte, par exemple la membrane interdigitale de la gre¬ 
nouille. Il y a alors une série de courants 7ierveux remon¬ 
tant vers les centres,et il semble que ces courants épuisent 
le nerf; il est certain qu’il y a là une dépense de forces, 
probablement une dépense chimique, et que le sang fai¬ 
sant défaut pour réparer les pertes incessantes que néces¬ 
site la mise en jeu de l’excitabilité nerveuse, le nerf finit 
par s’altérer, faute de pouvoir retrouver des matériaux 
nouveaux nécessaires à son fonctionnement. Ainsi, un 
nerf privé de sang, mais non excité, met six heures a mou¬ 
rir, mais si, pendant qu’il meurt ainsi, on l’excite par 
l’électricité ou de toute autre manière, sa mort est bien 
plus rapide. 

Je me suis demandé si cet épuisement pouvait survenir 
par l’action de courants électriques même assez faibles 
pour ne pas être appréciables extérieurement par des 
réactions musculaires ; or, ces faibles éourants n é- 
puisent pas le nerf, et il suffit d’augmenter très-peu la 
force de la bobine d’induction pour voir immédiatement 
se manifester des effets sensibles. Ainsi, ces courants 
faibles n’agissent pas sur le nerf, et le nerf faiblement 
excité ne meurt pas plus vite que dans d’autres conditions. 

Quoi qu’il en soit, le nerf de sensibilité meurt avant le 
nerf de mouvement et avant le muscle ; ce sont les extré¬ 
mités périphériques qui sont d’abord atteintes ; la mort 
des troncs nerveux ne vient que plus tard ; et quand les 
agents mécaniques, destruction, écrasement, pincement, 
ne provoquent plus de contractions,» l’excitation élec¬ 
trique en produit encore immédiatement. 

Ce fait de la disparition des propriétés du nerf sensitif 



137 


avant celles du nerf moteur, et du muscle concorde avec 
les expériences de Faivre (1), et les expériences qu’on peut 
faire sur l’homme avec l’appareil de Silvestri. Faivre a vu 
en effet que, parla mort naturelle des éléments, le nerf 
moteur mourait avant le muscle, et même à un moment 
où le muscle avait une irritabilité exagérée. Nous avons 
vu aussi dans l’étude de la compression des nerfs (2) que 
la sensibilité disparaît un peu avant l’irritabilité muscu¬ 
laire. 

Il est difficile de dégager la cause pi'écise de l’anesthé¬ 
sie, quand on applique la bande de caoutchouc. Est-ce 
l’anhémie des nerfs ? Est-ce la compression ? ou ces deux 
causes agissent-elles ensemble? Voilà pourquoi les expé¬ 
riences sur les animaux offrent plus de précision, tandis 
que les expériences sur l’homme ont cet avantage que le' 
patient peut rendre compte de ses sensations. ' 

Si on applique la bande de caoutchouc de manière à ex¬ 
pulser soigneusement tout le sang contenu dans les tissus, 
et si la compression Q^u’on fait supérieurement est modérée, 
il est probable que les effets de la compression sont moin¬ 
dres que les effets de l’anhémie. Alors le patient ne sent 
ni les fourmillements ni les sensations bizarres que fait 
éprouver la compression du nerf. Au bout de trente à 
trente-cinq minutes les mouvements volontaires sont de¬ 
venus impossibles ; cependant la sensibilité à la douleur 
s’est tout à fait éteinte : il y a analgésie, anesthésie tac¬ 
tile, mais la thermoesthésie subsiste. Dans ces conditions 
l’électrisation du membre anhémié fournit des données 

(1) Loc. cit., p. 127. 

(2) Voyez plus haut p, 30 et suiv. 


Richet. 



DE l’anesthésie 


138 

très-intéressantes. Les courants électriques même forts 
ne provoquent plus d’excitation sensible, et cependant ils 
font contracter le muscle: ainsi, chez l’homme, la sen¬ 
sibilité électrique du nerf est détruite, tandis que l’irri- 
tâbilité musculaire est encore conservée. 

J’ai souvent constaté ce fait qui n’avait pas été observé 
par les expérimentateurs qui m’ont précédé. Si donc on 
énumérait les fonctions nerveuses et musculaires d’un 
membre anhémié, d'après l’ordre dans lequel ces fonc¬ 
tions disparaissent, on aurait successivement la précision 
des mouvements, la finesse du tact, la sensibilité de contact, 
la sensibilité à la douleur,la motricité volontaire, la sensi¬ 
bilité à la chaleur, la sansibilité à l’électricité, et en der¬ 
nier lieu l’irritabilité musculaire. 

La perte de la sensibilité à la douleur n’est donc pas 
un des phénomènes les plus marquants de l’anhémie d’un 
membre par la compression élastique. Aussi ne l’emploie- 
t-on guère pour l’anesthésie locale. Je noterai toutefois 
que M. Lefort a pratiqué une résection du coude et une 
amputation delà jambe sans chloroforme et obtenu Fanes 
thésie parce moyen (1) ; M. Trélat a mis aussi ce moyen en 
usage, mais sans un égal succès. J’ai pensé qu’en combi¬ 
nant Fanhémie d’un membre à la réfrigération par l’éther, 
on arriverait plus vite et plus sûrement à un résultat com¬ 
plet. De fait, jusqu’ici l’expérience m’a donné^raison. 

M. Verneuil a consenti, avec une extrême bienveillance, 
à expérimenter ce moyen pour trois opérations, un ongle 
incarné, une amputation du pouce, et une extirpation de 
tumeur à la paume de la main. Dans ces trois cas, Fanes- 


(1) Bull, de la Soc. de chirur., mai 1874, p. 361. 



ANHÉMIE. 


139 


thésie a été complète et a empêché absolument la dou¬ 
leur. Cependant, pour l’amputation du pouce, comme 
la région était très-enflammée, l’application d’un jet froid 
d’éther a produit d’asséz vives douleurs, mais l’opération 
en elle-même n’a été aucunement ressentie. 

Avant d’employer ce procédé dans une opération, j’avais 
fait sur moi-même et sur un de mes amis quelques expé¬ 
riences,et j’ai constaté que pour être sûr d’une anesthésie 
complète, il faut attendre dix à quinze minutes environ 
après la compression élastique avant de commencer la ré¬ 
frigération par l’éther. En effet, au début, le froid intense 
est assez douloureux. Au contraire, après quelques mi¬ 
nutes de compression, l’anesthésie a déjà commencé et 
permet d’appliquer sur la région malade un jet d’éther 
froid. Je çrois donc que ^e procédé, dans lequel la com¬ 
pression, l’anhémie et la réfrigération sont combinées 
pour produii-e l’anesthésie, pourra rendre des services 
quand le chloroforme sera repoussé par le malade ou le 
chirurgien. 

Voyons maintenant quels sont, en pathologie, les effets 
de l’anhémie locale sur la sensibilité. 

Lorsqu’il y a une perte abondante de sang, la sensibi¬ 
lité au lieu d’être émoussée est accrue : c’est là un fait 
d’expérience vulgaire. Schiff dit quelque part que pour 
explorer la sensibilité des animaux, il leur fait au préa¬ 
lable une saignée abondante, laquelle rend toutes leurs 
réactions sensitives beaucoup plus accentuées. Quand je 
faisais les expériences citées plus haut sur l’anhémie lo¬ 
cale chez les grenouilles, j’ai remarqué que si après avoir 
fixé une grenouille sur une plaque de liège, on lui ouvre 
l’artère fémorale, à mesure que le sang s’écoule, sa sensi- 



140 


DE l’aNHÉMIE nerveuse 

bilité s’accroît; les piqûres d’épingle qu’elle supportait 
d’abord sans réagir l’excitent assez pour provoquer des 
mouvements convulsifs. Il est probable que^ cet ac¬ 
croissement d’excitabilité tient à la moelle, et dépend 
de la m.oelle motrice tout autant que de la moelle sensi¬ 
tive. 

En tout cas, les névralgies par anhémie ne sont pas 
rares. Il semble, ainsi que le dit Romberg, que ce soit le 
cri de douleur des nerfs implorant un sang plus géné¬ 
reux, de sorte que la diminution du sang paraît agir sur 
,les nerfs comme sur la moelle, et augmenter l’excitabilité 
de toutes les parties du système nerveux. 

Il n’est pas surprenant que l’on trouve de l’hyperes¬ 
thésie au lieu d’anesthésie. En effet, en pathologie, les 
faits sont loin d’être aussi nets qu’en physiologie. 11 ne 
peut plus être question d’anhémie absolue, mais d’anhé- 
mie relative, ou mieux d’oligohémie. Aussi cette anhémie, 
qui s’arrête en chemin, pour ainsi dire, produit sur les 
nerfs le même effet qu’au début d’une expérience physio¬ 
logique, c’est-à-dire de l’hyperesthésie. L’anesthésie ne 
vient que plus tard, lorsque les parties malades sont 
absolument privées de sang. Il arrive même le plus sou¬ 
vent qu’il y a plusieurs zones dont la sensibilité est très- 
différente : une zone anhémiée dont les nerfs sont morts 
et qui est anesthésique ; une zone oligohémiée dont les 
nerfs sont hyperesthésiés et qui est le siège de vives dou¬ 
leurs. 

Le seul exemple peut-être d’anhémie locale complète que 
nous présente la pathologie, est cette affection singulière 
décrite sous le nom d’asphyxie locale ou gangrène symé- 



DANS l’asphyxie LOCALE. 

trique des extrémités (1). Cet état présente deux formes 
différentes. Dans certains cas, il s’agit d’une alteration 
passagère de la circulation, une sorte de syncope locale, 
dans laquelle .le doigt paraît comme mort. L’anesthésie 
arrive rapidement, mais la thermo-anesthésie manque 
dans la plupart des cas. C’est là un fait très-intéressant et 
parfaitement eu accord avec tous les faits que nous avons 
énumérés plus haut. 

Mais dans d’autres cas l’affection est plus grave, et les 
lésions plus durables. L’anhémie survient plus lentement, 
mais ne disparait plus et se termine par la gangrène. Au 
début les doigts pâlissent et deviennent exsangues. A ce 
moment surviennent des fourmillements et des élance¬ 
ments insupportables auxquels, succèdent des sensations 
de brûlure et de glace, et un peu après des douleurs into¬ 
lérables. Puis ces douleurs se calment et font place 
à des fourmillements et à des démangeaisons que les ma¬ 
lades comparent aux sensations des engelures. La sensi¬ 
bilité reparaît, sauf en quelques points qui sont livides et 
absolument gangrénés. 

Ces accès d’asphyxie locale reviennent par intervalles 
plus ou moins rapprochés, et toutes les fois qu’ils repa¬ 
raissent, c’est avec le même cortège de douleurs et de dou¬ 
leurs atroces. « Le symptôme qui attire tout d’abord 1 at¬ 
tention, dit M. Raynaud (2), c’est la douleur; elle est 

(1) M Raynaud. De l'asphyxie locale. Th. inaug. Paris, 1862. — Theze. 
Ouelquês considérations sur un cas d'asphyxie locale des extrémités. Th. 
inaug. Paris, 1872. — M. Raynaud. Art. Gangrène du Dict. de med. et de 
chir. J.-B. Baillière, t. XV, p 636, et Jrch. gén. de méd., janv.-fév. 1874. 
— Marroin. Arch. de méd. navale, t. XII, p. 210, t. XIII, p. 341. — 
Bréhier, Th. inaug. Paris, 1872. 

(2) Loc. cit., p. 642. 



142 BE l’anhémie nerveuse 

quelquefois le phénomène primitif et, en général, elle 
prend rapidement une intensité effrayante ; elle ne se 
borne pas aux extrémités affectées ; elle s’irradie à tout le 
membre, c’est une sensation de brûlure, de-déchirement ; 
elle survient par accès et, chose remarquable, ces exaspé¬ 
rations douloureuses coïncident avec une augmentation 
manifeste de la teinte cyanique. Je l’ai vue arracher des 
hurlements de souffrance: tantôt c’est un gémissement 
continu, interrompu seulement par des cris déchirants. 
Même dans les moments où survient un peu de calme, les 
pieds et les mains restent dans un état d agacement et 
d’irritabilité tel que les malades vous conjurent de ne pas 
en approcher. » Dans quelques cas les douleurs sont tel¬ 
lement intenses qu’eues ont donné lieu à des attaques 
épileptiformes (1). 

On se rendra, compte facilement de la différence entre 
ces deux formes d’anhémie locale : l’une est une simple 
syncope passagère, sans gangrène, ne causant que des 
fourmillements et de l’anesthésie, mais peu de douleur ; 
l’autre, au contraire, est une syncope qui survient dans 
un membre déjà gangréné, et elle est caractérisée par d’a¬ 
troces douleurs. C’est que dans ce dernier cas l’excitation 
nerveuse porte sur un nerf enflammé, et que l’inflamma¬ 
tion des nerfs accroît démesurément leur excitabilité. 
L’excitation d’un nerf sain produit des fourmillements, 
des démangeaisons, et une irritabilité très-péiüble; mais 
l’excitation d’un nerf enflammé et hyperesthésié provoque 
des douleurs atroces, comme celles que Raynaud a si bien 
décrites dans le passage que nous lui avons emprunté. 


(1) Thèze. Loc. cit. 



143 


DANS DIVERSES ASPHYXIES LOCALES. 

Au point de vue spécial où nous nous plaçons ainsi, 
cette étude de l’asphyxie locale a donc un grand intérêt; 
car elle nous montre le rapport intime qu’on peut établir 
entre tous les phénomènes des anesthésies périphériques. 
L’anesthésie est toujours précédée de l’hyperesthésie du 
nerf, et cette hypéresthésie se manifeste par les mêmes 
symptômes, fourmillements, démangeaisons, douleurs, 
tous symptômes d’autant plus accentués que le nerf est 
plus excitable. 

Nous pouvons, jusqu’à un certain point, rapprocher 
de l’asphyxie locale la sclérodermie et les autres gan¬ 
grènes. 

Dans la sclérodermie (1), nous trouvons à peu près les 
mêmes symptômes subjectifs, diminution de la sensibilité 
tactile, douleurs lancinantes et fourmillements à l’extré¬ 
mité des doigts. En géhéral les malades se plaignent de 
sensations de froid ou de chaleur insupportables, et ces 
phénomènes coïncident avec l’anhémie relative des parties 
douloureuses. Il est vrai que l’anhémie est loin d’être le 
symptôme dominant, et qu’il y a des lésions interstitielles 
des tissus qui permettent à la plupart des auteurs de 
classer les sclérèmes et les sclérodermies parmi les altéra¬ 
tions trophiques de la peau liées à des lésions du système 
nerveux central. 

Il faut rattacher aux sclérèmes et aux sclérodermies, 
cette affection épidémique bizarre, d’origine humorale ou 

(1) Dufour. Mém. de la Soc, .de biol., 1871, p. 179. — Bail, Charcot, 
Chalvet. Bull, de la Soc. de biol., 1871, p. 43, — Hallopeau. Note sur un 
cas de sclérodermie (Ibid.), 1872, p. 85. — Viaud. Sclérème des adultes. 
Th. inaug. Paris, 1876. —■ Lépiue. Bull, de la Soc. biol., mars 1873.—Bail, 
Ibid., 1874, p. .318. 



-144 DE l’anhémje nerveuse 

nerveuse connue sous le nom d acrodynie, et dont on a 
observé quelques cas sporadiques (1). H paraît probable 
qut Tanbémie locale qu’on observe à l’extrémité des doigts 
est la conséquence plutôt que la cause des troubles ner 
veux, et que, par conséquent, cela rentre dans les anes¬ 
thésies par lésions nerveuses. 

Voyons maintenant quels sont les phénomènes nerveux 
des différentes variétés de gangrènes. L'analyse des trou¬ 
bles sensitifs produits par la gangrène par asphyxie lo¬ 
cale, nous permettra d’être plus brefs. 

Dans la gangrène, il y a anesthésie complète partout où 
la circulation ne se fait plus. Souvent même cette anes¬ 
thésie s’étend au delà des ppints qui sont mortifiés. Entre 
la zone saine et la zone mortifiée existe une zone suspecte 
caractérisée par une anesthésie presque complète et 
qui, au point de vue chirurgical, ne saurait être déli¬ 
mitée avec trop d’attention. L’anesthésie est alors un 
symptôme d’une très-grande valeur. Que se passe-t-il en 
effet? Ce que nous appelons mortification n’est autre que 
la destruction cadavérique, putréfaction ou momification 
des tissus, et quand nous jugeons qu’une zone est morti¬ 
fiée parce que la peau est terne et blanche, c est qu elle 
était mortifiée depuis longtemps; les douleurs et l’anes¬ 
thésie, peut-être aussi la température de la région, sont 
les seuls indices de l’existence de la lésion. Si on pique, il 

(1) Chomel. Bull, de VAcad. de méd., août 1828. — Rue. Essai sur la 
maladie qui a régné à Paris en 1828. Th. inaug. Paris, 1829. — Ram- 
hert. Mém. sur Vacrodynie sporadique (Rev. méd. chirur., 1848, t. III, 
p. 255). — Tholozan. De Vacrodynie dans l’armée d’Orient (Gaz. méd., 
1861, p. 647 et suiv). — Bodros. Recueil de Mém. de méd. de chirur. et de 
pharm. militaires, 1875, p. 428. 



DANS DES GANGRÈNES. 145 

s’écoule du sang : mais ce n’est pas une preuve que la cir¬ 
culation existe; le sang veineux ne se coagulant pas, 
alors que la circulation artérielle a déjà cesse. 

Lorsque la gangrène survient rapidement, il n’y a que 
peu de douleurs. En effet, l’anhémie détruit rapidement 
l’excitabilité nerveuse, et la période d’hyperesthésie est 
passagère. On peut prendre comme type de ces gangrènes 
celle qui survient à la suite d’une embolie ou de la liga¬ 
ture de l’artère principale d’un membre. Dans ces deux 
cas, il y a des douleurs plus ou moins vives, mais qui 
durent peu et si on n’a pas constaté au début de l’hypé- 
resthésie, c’est que probablement on ne l’a guère re¬ 
cherchée,. D’ailleurs, après la ligature de l’artère princi¬ 
pale d’un membre, de la fémorale par exemple, il n’y a 
pas anhémie absolue, comme on serait tenté de le croire. 
Le soir même, la circulation collatérale est rétablie, et 
assez pour qu’on puisse sentir les battements de la pé¬ 
dieuse. 

Quand au contraire la gàngrène est lente et progressive, 
les douleurs sont atroces. Dans la gangrène sénile, par 
exemple, il y a une induration phlegmoneuse autour des 
points anesthésiés. Cette induration, dans laquelle les 
nerfs sont enflammés, est peu à peu envahie par l’anhé¬ 
mie, et l’altération progressive des nerfs cause des dou¬ 
leurs atroces pour deux raisons : d’abord parce que 
l’anhémie ne s’établit pas d’emblée et qu’il y a une pé¬ 
riode d’oligohémie plus ou moins longue, mais constante, 
et précédant l’anhémie, et ensuite parce que les nerfs 
enflammés sont beaucoup plus excitables que les nerfs 
sains. Cette vérité est tellement évidente quelle a à peine 
besoin d’être prouvée. Ne sait-on pas que l’incision d’un 
Richet. 



146 DE l’anhémie nerveuse 

panari est bien plus douloureuse que ne le serait la sec¬ 
tion de la pulpe du doigt, et la douleur de l’avulsion 
d’une dent saine est-elle comparable à celle que produit 
l’avulsion d’une dent, dont la loge périosto-alvéolaire est 
enflammée depuis plusieurs jours? 

D’ailleurs à côté de la zone gangrenée il y a une zone 
inflammatoire, et les douleurs propres du phlegmon vien¬ 
nent se joindre aux douleurs de la gangrène. 

Pour résumer, nous trouvons comme causes de 1 hypér- 
esthésie de la gangrène dite sénile, l’oligohémie et l’anhé¬ 
mie des nerfs enflammés. Cependant la complexité des 
formes cliniques est telle qu’il peut y avoir, en apparence 
comme en réalité, des différences considérables. 

Ainsi cette année, j’ai vu dans le service de M. Verneuil 
deux cas de gangrène sénile qui ont évolué simultanément, 
mais avec une étonnante diversité d’aspect. 

Dans le premier cas (salle Saint-Louis, n“ 60), c était 
un homme robuste, de formes athlétiques, alcoolique in¬ 
vétéré, (il a dû être enfermé six fois à Bicêtre), qui vit, 
après une assez longue période de douleurs (oligohémie 
prémonitoire), apparaître une tache noirâtre au gros or¬ 
teil. Peu à peu cette tache s’accrut et gagna rapidement 
tous les doigts de pied. Les points gangrénés étaient abso¬ 
lument insensibles, mais tout autour existait une zone 
hypéresthésique, au point que le plus léger contact éveil¬ 
lait de vives douleurs. Quant aux douleurs dites sponta¬ 
nées, elles sont intolérables. Depuis que la maladie dure, 
c’est-à-dire depuis six mois environ, le malade ne peut 
pas dormir, malgré le chloral et la morphine dont il est 
abreuvé, deux heures de suite; et pendant le jour, il 
souffre, dit il, un martyre abominable. 



DANS LES ANESTHÉSIES. 147 

L’autre cas est celui d’une femme très-âgée, (87 ans) 
(salle Saint-Augustin, n® 24), qui était entrée pour une 
lymphangite de la jambe. Cette lymphangite avait pour 
point de départ une petite excoriation superficielle qui, 
au bout de quelques jours, devint livide, puis s’agrandit 
et envahit tout le pied. En même temps l’autre pied se 
gangréna aussi, lentement, successivement, et peut-être 
sans grandes douleurs. Je dis peut-être, car je n’ai jamais 
pu me rendre compte si cette femme souffrait ou ne souf¬ 
frait pas. Jamais elle ne disait un mot quand on ne lui 
adressait pas la parole, et lorsqu’on lui demandait ins¬ 
tamment si elle souffrait, elle assurait qu’elle souffrait 
énormément. Mais l’adynamie profonde dans laquelle elle 
fut plongée jusqu’à sa mort, l’empêchait probablement de 
souffrir vraiment. Elle devait être comme dans un rêve 
perpétuel, le rêve des typhiques, par exemple, et dans cet 
état de stupeur il n’y a pas de réelle souffrance. 

Tels sont les cas dans lesquels la douleur est due à la 
privation ou à la diminution de sang aux abords des nerfs 
périphériques. Dans des cas plus nombreux, c’est l’afflux 
de sang qui cause la douleur, et alors la thérapeutique est 
plus puissante : il est en effet bien plus facile de diminuer 
l’abord du sang dans une région vasculaire, que de réta¬ 
blir la circulation d’une région anhémiée. Aussi la sai¬ 
gnée, soit locale, soit générale, a-t-elle une action hypoal- 
gésique manifeste dans les congestions locales telles que 
les phlegmons, les arthrites, etc. Il est vrai de dire que la 
congestion est loin d’être le principal élément de la dou¬ 
leur, et que les saignées ou les sangsues, si elles modèrent 
la congestion, ne peuvent agir qu’indirectemeni sur les 
modifications de tissu qui constituent l’inflammation, et 



148 des anesthésies 

qui sont la cause principale de la douleur dans les affec¬ 
tions aiguës. 

Dans les affections non inflammatoires et douloureuses 
telles que les névralgies, on a essayé aussi (1) de diminuer 
l’abord du sang; mais ce moyen paraît être justement 
abandonné, ainsi que les saignées locales dans le traite¬ 
ment des névralgies. Ici l’indication thérapeutique est 
tout, et s’il y a congestion intense, la saignée locale est 
indiquée, quoiqu’elle ne donne pas toujours de succès. 

D’après Gubler, chez presque tous les phthisiques 
parvenus à une période avancée, il y aurait de 1 anesthésie 
tactile. Il semble que cette perversion dans les fonctions 
de la peau soit liée à des troubles circulatoires, car, d’une 
part, on la rencontre dans beaucoup de maladies chro¬ 
niques où l’hématose ne s’accomplit pas, dans les vieilles 
maladies cardiaques, et les pleurésies chroniques; et, 
d’autre part, il y a dans les régions anesthésiques un état 
de cyanose incomplète, une sorte d’aspbyxie locale qui 
s’accompagne quelquefois de fourmillements et des pre- 
miers_signes d’une oligohémie nerveuse périphérique. 

Peut-être aussi l’état de dépression du système nerveux 
central n’est-il pas sans une certaine influence ? Pour 
l’exercice régulier d’un sens, l’intégrité de l’appareil cen¬ 
tral récepteur est nécessaire, et il y a lieu de se demander 
si l’insuffisance de l’hématose porte plutôt sur le système 
nerveux central que sur les expansions nerveuses de la 
peau. 

Dans l’analgésie hystérique, il arrive très-souvent que 

(1) Allier. De la compression des artères dans les névralgies. [Rev. thê- 
rap., mars 1854.) 



149 


DANS LES NÉVRALGIES. 

l’anesthésie d’une région coïncide avec une sorte d’ané¬ 
mie et de cyanose dé cette région ; mais nous nous réser¬ 
vons de traiter cette question, en étudiant les phéno¬ 
mènes de la douleur chez les hystériques. 

§ V. 

Des anesthésies liées à des lésions des nerfs, ou à des 
lésions de la peau. 

Parmi ces anesthésies, nous établirons deux groupes. Le 
premier groupe comprendra les anesthésies liées à la né¬ 
vralgie et à la névrite des gros troncs. 

Le second groupe comprendra les anesthésies qui ac¬ 
compagnent les maladies inflammatoires ou chroniques 
de la peau. 

Groupe a. — Nous avons assez insisté sur les rapports 
entre l’hypéresthésie et l’anesthésie pour qu'il nous soit 
utile d’y revenir. Nous nous contenterons de remarquer 
qu’un nerf hypéresthésié est bien plus près d’un nerf anesthé¬ 
sié quen’ens-est un ner-f sain, et qu’il n’y a par conséquent 
rien d’anormal à voir sur le trajet d’un nerf malade, tantôt 
de l’hypéresthésie, tantôt de l’insensibilité. 

Si l’on admet que la névralgie est une affection sine 
materiâ, ce qui semble toujours un aveu d’ignorance, la 
coexistence de l’anesthésie avec de vives douleurs, indi- 
querq qu’on a affaire non à une névralgie, mais àune névrite. 
Peut-être, comme l’a bien indiqué mon ami Landouzy (1), 
arrivera-t-on à distinguer la névralgie de la névrite par 
l'absence d’atrophie dansles muscles qu’innerve le nerf ma¬ 
lade. Mais en tout cas, il est fort difficile parles symptômes 

(1) De la sciatique et de l’atrophie musculaire qui peut la compliquer 
(Arch, gênîde mêd., 1875, p. 303). 



1SO DES ANESTHÉSIES 

subjectifs de distinguer la névralgie de la névrite. Aussi 
peut-on, au point de vue symptomatique, les confondre. 

C’est Beau (1) qui a le premier signalé l’anesthésie dans 
les névralgies. Après lui il y eut quelques observations 
disséminées (2), un travail de Notta (3),' et surtout une 
thèse intéressante de Hubert Valleroux (4). Hubert admet 
que dans les névralgies et spécialement dans la névralgie 
sciatique, il est constant de rencontrer des points anes¬ 
thésiques. Suivant lui, c’est une règle qui ne souffrirait 
que très-peu d’exceptions, toutes les fois qu’on explore 
attentivement la sensibilité. Il a remarqué encore que 
l’insensibilité cutanée est très-marquée là où la pres¬ 
sion est le plus douloureuse. Ce fait, qui paraît invrai¬ 
semblable, est pourtant en réalité plus commun qu’on ne 
le pense, et il a, selon nous, une grande importance au 
point de vue du diagnostic de la cause de la névral¬ 
gie. 

En effet, qu’avons-nous vu jusqu’ici dans les anesthé¬ 
sies nerveuses d’origine périphérique? La sensibilité à la 
douleur disparait après la sensibilité de contact, et, quel¬ 
quefois même persiste dans les cas où il j a de l’anes¬ 
thésie tactile. Au contraire, dans les anesthésies d’origine 
centrale, le nerf insensible à la douleur est encore sen¬ 
sible au contact. 

Un autre point important à noter, c’est la facilité avec 
laquelle ces anesthésies apparaissent ou disparaissent, 

(1) De la névralgie intercostale. 

(2) Cf. Lagrelette. De la sciatique, Th. inaug. Paris, 1869. 

(3) ArcTi. gên, de mêd. (Mêm. sur les lésions fonctionnelles qui sont sous 
la dépendance des névralgies'), 1854, t, IV, p. 1. 

(4) De la sensibilité cutanée dans la sciatique,Th. inaug. Paris, 1870. 



DANS LES MALADIES DE LA PEAU. 


151 


soit d’elles-mêmes, soit sous l’influence d’un traitement 
convenable, la faradisation par exemple. C’est une proba¬ 
bilité pour la non-existence d’une névrite. 

Groupe p. — Dans les maladies de la peau on rencontre 
fréquemment l’anesthésie. II y a quinze ans, on aurait re¬ 
gardé ces altérations fonctionnelles comme la conséquence 
de ia lésion organique cutanée, mais aujourd’hui les pro¬ 
grès de l’anatomie et de la physiologie pathologiques ont 
changé complètement la question. En effet, depuis les tra¬ 
vaux de Brown Séquard (1), de Schiff (2), de Claude Ber¬ 
nard (3), et surtout de Samuel (4), de Muller (5), et de Char¬ 
cot (6), on sait que les altérations soit des centres, soit des 
gros troncs nerveux, déterminent des lésions musculaires 
et cutanées de toutes sortes. On ne saurait juger alors si 
la lésion de la peau est antérieure à l’anesthésie ou si 
l’anesthésie a précédé la lésion cutanée. De même il est 
possible que l’anesthésie soit la cause même de la lésion 
périphérique. Si cela n’est pas prouvé pour la peau, au 
moins les expériences de Cl. Bernard semblent le démon¬ 
trer pour les kératites et ophthalmies consécutives à la 
section intra-crânienne du trijumeau. 

(1) Experimental Eesearches applied to Physioîogy and Pathology. 
New-York, 1853. 

(2) üntersuchungen zur [Physiologie des Nervensystem. Francfurt am 
Mein, 1855. 

(3) Leçons sur le système nerveux, 1857, t. II. 

(4) Pie trophischen nerven. Leipzig, 1860. 

(5) Beitràge zur Pathol, anatomie und Physiologie dos Rückenmarks. 
Leipzig’ 1871. 

(6) Leçons sur les maladies du système nerveux, 1875, t. I, p. 1-152, 
cette question y est magistralement traitée tant au point de vue Hstorique qu’au 
point de vue clinique. 




J 52 DES ANESTHÉSIES 

Ne pouvant entrer dans tous les détails de ce sujet, 
nous passerons rapidement en revue les principales 
anesthésies cutanées de cette sorte, sans juger la question 
si intéressante de la cause même de l’anesthesie et de 
l’origine centrale ou périphérique de la maladie cutanee. 

Le zona (herpes zoster) est le type parfait des affections 
cutanées symptomatiques. En effet il est le plus souvent 
consécutif à une névralgie et apparaît comme un épiphé¬ 
nomène de l’affection nerveuse primitive. On l’a vu se 
développer à la suite de myélites (1), de névrite (2), de 
traumatismes des nerfs (3), et dans tous ces cas on a con¬ 
staté de l’hypéresthésie. Il est probable qu’on aurait sou¬ 
vent trouvé des parties anesthésiques, comme on 1 a 
constaté dans quelques cas (4). Selon Rendu, ce qui ca¬ 
ractériserait l’anesthésie du zona, ce serait sa dissémina¬ 
tion par plaques au milieu de zones hypéresthésiques, 
aussi bien en dehors de la zone éruptive qu’au centre des 
vésicules. Il a signalé aussi la persistance de l’anesthesie 
après la cicatrisation de ces mêmes vésicules. 

Dans la lèpre, l’anesthésie est antérieure à la maladie 
ou plutôt elle en est le premier symptôme. Virchow (5) a 
montré qu’il s’agissait là d’une périnévrite véritable, ainsi 


(1) Charcot. Mêm. de la Soc. de Uol., 1865, p. 41. - Baerensprung. 

Canstatfs Jahreshericht, 1864, t. IV, p. 128. ^ j 

(2) Mongeot. Th. iaaug. Paris, 1867. Recherches sur quelques Roubles de 
nutrition consécutifs aux affections des nerfs. — Hyhord. Th. maug. 


Paris, 1871. Du zona ophthalmique. 

* (3; Verneuil. De l’herpès traumatique 


{Mém. de la Soc. de Uol., 1873, 


^ (4) Rendu. Recherches sur les altérations de la sensibilité (Journ. de 
dermatologie, t. VI, n» 1, p. 37, et Th. d’agrégat., 1875, p. 106). 

(5) Die krankhafte geschtvülze, t. II, p. 215. 



dans les maladies de la peau. 
que des travaux plus récents semblent le démontrer (1). 

Le mal perforant qu’on a, non sans quelque raison, com¬ 
paré à la lèpre, présente aussi des plaques d’anesthesie 
qui s’étendent bien au-delà de l’altération cutanée vi¬ 
sible (2). A certains égards la sclérodermie et l’acrodynie 
étudiées plus haut se rapprochent de ces affections. 

Quant aux autres altérations de la peau, elles offrent 
entre elles au point de vue des symptômes subjectifs beau¬ 
coup d’analogie. La thermo-anesthésie, plus ou moins 
profonde, semble être la règle. On la rencontre dans 
l’eczéma, le psoriasis, le lichen et dans toutes les affections 
inflammatoires. Il y a là un fait qu’il est bon de rappro¬ 
cher de la thermo-hypéresthésie qu’entraînent soit la 
compression, soit l’anhémie des nerfs. La congestion 
semblerait donc diminuer, et l’anhémie augmenter la sen¬ 
sibilité aux températures. Peut-être la différence tient-elle 
à la différence qu’il y a entre la masse du sang qu’il faut 
échauffer, dans l’un ou dans l’autre cas. 

Dans ^es affections inflammatoires, la sensibilité tac¬ 
tile est diminuée, mais la plupart du temps il y a hypé- 
ralgésie. Il y a néanmoins quelques exceptions. Dans le 
psoriasis circiné, on trouve de l’analgésie au centre des 
anneaux, là où la peau est intacte. Ce qu’il y a de parti¬ 
culier, c’est que dans le psoriasis scarlatiniforme, il y a 
anesthésie sans an^gésie, et que dans le psoriasis gut- 
tata il n’y a aucun trouble fonctionnel (3). 


^ll Rendu. ioc. cit., p. 32. — Lamblin. Th. iaaug. Pans, 1870. 

(2 Poacet. Gaz. hehd., jauv. 1872. - Duplay et Morat. Recherches sur 
a nature et la pathogénie du mal perforant (Arch. gén. de méd., 1873, 


page 257). 

(3) Rendu. Loe. cit,, p. 166. 
Richet. 



CONCLUSIONS 


154 . J 1 

Un autre fait général, c’est que les altérations de la 
sensibilité ne sont pas en rapport avec 1 etendue des 
lésions des tissus. Ainsi dans les scrofulides, telles que 
lupus, où la lésion est extrêmement étendue, il n y apres- 
que aucun trouble fonctionnel, tandis que dans le pitma- 
L rubra aigu, où on observe à peine quelques petites 
macules, il y a une analgésie assez détenue. Cela ne pa¬ 
raît-il pas démontrer que le système nerveux centra 
joue un grand rôle dans la production des maladies cuta¬ 
nées de cette nature ? 

Nous pouvons maintenant envisager dans leur ensemble 
les différentes anesthésies périphériques, car leur etu e, 
en montrant qu’il n’y a pas d’identité absolue entre elles, 
nous a cependant appris que leur mécanisme était tres- 
semblable. 

En résumé, nous avons deux faits principaux ; 

1" Vanesthésie est toujours précédée déune période d hy¬ 
peresthésie. , , . 

2» Les différentes sensibilités peuvent se paralyser tsole- 

"^cls deux faits peuvent ainsi rentrer dans le cadre des 
lois physiologiques formulées dans le chapitre II. En 
effet, tous les agents excitateurs des nerfs, par cela meme 
. qu’ils excitent les nerfs, finissent par les épuiser : ils sont 
donc sont aussi des agents paralysateurs de ces nerfs, et 

réciproquement: de sorte que, d’une manière tres-gene- 

rale on peut dire qu’une anesthésie périphérique est pro¬ 
duite par l’épuisement du nerf, et a toujours été précédée, 
soit d’une vive douleur, soit des symptômes caractéris¬ 
tiques de l’hypéresthésie. Cette hypéresthésie est extre 



155 


GÉNÉRALES. 

mement variable d’intensité et de durée, mais^ elle est 
constante. Entre la vive et rapide douleur qui suit la sec¬ 
tion d’un tronc nerveux, et les douleurs prolongées qui 
résultent de l'anhémie nerveuse, il y a une différence d’in¬ 
tensité, et de durée, partagées de telle sorte que 1 intensité 
supplée à la durée et la durée à l’intensité. 

En second lieu, dire que les sensibilités peuvent se 
paralyser isolément, cela signifie simplement que lorsque 
un nerf est paralysé, certains excitants agissent sur lui, 
quand d’autres sont impuissants. C’est aussi ce que la 
physiologie enseigne. Un nerf est épuisé par des excita¬ 
tions mécaniques, qui réagit encore aux excitations élec¬ 
triques. 

Expliquons ce fait, qui peut paraître obscur. Après la 
compression élastique et l’anhémie, on ne sent plus les 
impressions de contact, mais on sent encore des impres¬ 
sions de chaleur. Le nerf n’est donc plus excitable par le 
contact ; s’il était encore sensible aux excitations tactiles, 
on aurait des sensations tactiles, l’état des centres ner¬ 
veux n’ayant pas changé. Il est donc paralysé pour la 
sensibilité tactile. Mais comme la sensibilité à la chaleur 
esthypéresthésiée,le moindre contact étant, même à l’état 
normal, une excitation de chaleur faible, produit, quand il 
y a de l’hypéresthésie. une sensation de chaleur forte. 
C’est, à la vérité, une hypothèse : mais cette hypothèse est 
préférable à une fin de non-recevoir, comme lorsque on 
rapporte la spécificité des sensations à des modifications 
,particulières des troncs nerveux. 

Après ces faits fondamentaux, nous pouvons signaler 
encore certaines propositions qui sont assez générales 
pour être rapportées de nouveau ici. 



156 CONCLUSIONS. 

1. Le nerf sensitif meurt de la périphérie au centre. 

2. Les parties superficielles de la peau s’anesthésient 
avant les parties profondes. 

3. La thermo-esthésie persiste la dernière, alors que 
toutes les autres sensibilités ont disparu. 

4. La finesse du tact est ce qui disparaît en premier. 

5. Entre les agents anesthésiques et les agents hypé- 
resthésiques, il ne semble pas y avoir de différence essen¬ 
tielle, attendu que l’excitation exagérée ou prolongée d’un 
nerf de sentiment finit par amener sa paralysie, et que 
l’on ne peut le paralyser sans l’exciter préalablement. 

6. L’excitabilPté d’un nerf est extrêmement variable 
selon ses conditions physiologiques, et 1 excitation légère 
d’un nerf enflammé produit les mêmes effets que l’excita¬ 
tion violente d’un nerf sain. 



DEUXIÈME PiVRXlE 


De la Sensibilité comme fonction des centres. 


CHAPITRE PREMIER. 

DES LOIS DE LA SENSIBILITÉ. 

Depuis longtemps on a divisé les nerfs sensitifs en nerfs 
sensitifs généraux et nerfs sensitifs spéciaux; les nerfs 
optique, ojfactif et acoustique sont les trois nerfs de sen¬ 
sibilité spéciale. 

Mais la limite entre un nerf de sensibilité spéciale ou 
sensoriel et un nerf sensitif ordinaire n’est pas facile à 
établir. 

En effet, d’une part, le nerf glosso-pbaryngien sert au 
goût et pourtant c’est aussi un nerf affecté à la sensibi¬ 
lité générale. D’autre part, les nerfs qui servent au tou¬ 
cher ne" sont pas seulement des nerfs sensitifs généraux, 
ils sont aussi des nerfs sensoriels. 

Quoique je n’ignore pas à quel point le travail des clas- 



158 CLASSIFICATION DES NERFS SENSITIFS, 

sifications soit ingrat et stérile, je proposerai d’établir 
entre les nerfs de sensibilité cette division : 

Nerfs sensoriels : olfactif, optique, acoustique. 

Intermédiaires : glosso-pharyngien, lingual. 

Nerfs sensitifs : rachidiens, encéphaliques. 

Intermédiaire : pneumogastrique. 

Nerfs sympathiques venant des viscères. 

A ces trois sortes de nerfs répondent trois sortes de sen¬ 
sibilités. 

Les nerfs delà I*, de la IP et de la VlIPpaires crâniennes 
ne servent qu’à des sensibilités spéciales et exactement 
déterminées. Ils nous mettent en rapport médiatement 
avec le monde extérieur. 

Les nerfs sensitifs rachidiens ou encéphaliques nous 
font connaître le monde extérieur avec lequel ils nous 
mettent en rapport immédiatement. Ils transmettent des 
excitations qui, si elles sont trop intenses, produisent de 
la douleur, et ils règlent les mouvements musculaires. 

Au contraire les nerfs sensitifs du grand sympathique 
ne transmettent qu’une sensation vague, la plupart du 
temps inconsciente, et sont destinés principalement à 
mettre en jeu l’action réflexe, soit des vaso-moteurs, soit 
des nerfs moteurs viscéraux. Les nerfs sensitifs du grand 
sympathique partent des viscères, et ils ne nous font rien 
connaître des objets extérieurs. 

Le pneumogastrique qui, anatomiquement, est un nerf 
de sensibilité générale, semble au, point de vue physiolo¬ 
gique, avoir des fonctions assez analogues à celles du 



LOIS GÉNÉRALES. 159 

grand sympathique. C’est donc un intermédiaire entre les 
nerfs sensitifs proprement dits et les nerfs sensitifs sym¬ 
pathiques. De même le lingual et le glosso-pharyngien, 
servant à la fois au goût et à la sensibilité générale sont 
des intermédiaires qui relient les nerfs sensoriels aux 
nerfs sensitifs. 

Nous ne nous occuperons ici que des nerfs de sensibilité 
générale. C’est, en effet, à eux que se rapporte l’expres¬ 
sion sensibilité, quand on n’y ajoute pas d’épithète qui en 
restreint la signification. 

Il est de la plus grande importance de déterminer avec 
précision les lois, ou, pour se servir d’une expression 
moins ambitieuse, les conditions de la sensibilité; mais 
les auteurs classiques sont à peu près muets sur ce sujet, 
et on ne trouve rien non plus dans les mémoires originaux 
ou dans les recueils. C’est seulement dans le Traité de 
physiologie de J. Müller, qu’on trouve formulées quel¬ 
ques-unes des lois de la sensibilité. 

Voici quelles sont les propositions énoncées par Müller : 

1“ Lorsqu’un tronc nerveux est irrité, toutes les parties 
qui en reçoivent des branches ont le sentiment de l’irrita¬ 
tion, et l’effet est alors le même que si les dernières rami¬ 
fications de'ce nerf avaient été irritées toutes à la fois. 

2° L’irritation d’une branche du nerf est accompagnée 
d’une sensation bornée aux parties qui reçoivent des filets 
de cette branche, et non d’une sensation dans les branches 
qui émanent plus haut, soit du tronc nerveux, soit du 
même plexus. 

3° Lorsqu’une partie reçoit par le moyen d’une anasto¬ 
mose des nerfs différents, mais de la même espèce, après 
la paralysie d’un de ces nerfs, l’autre ne peut pas entrete - 



100 LOIS GÉNÉRALES. 

nir la sensibilité de la partie entière, et le nombre des 
points qui demeurent sensibles correspond à celui des 
fibres primitives demeurées intactes. 

Nous ne pouvons accepter cette proposition de J. Müller. 
En effet, il ne connaissait pas la sensibilité récurrente, et 
nous avons vu quel rôle important elle jouait dans les 
fonctions des nerfs sensitifs, nous remplacerons donc la 

101 de Müller par cette loi démontrée précédemment. 

Après la section d’un tronc nerveux, la sensibilité di¬ 
minue d’autant plus que le tronc nerveux est plus gros. 
Plus ce tronc nerveux est volumineux et proche de la 
moelle, plus l’anesthésie est complète et étendue. A me¬ 
sure que le tronc nerveux devient plus petit, son bout 
périphérique devient plus sensible, et les résultats de 
l’anesthésie sont ou nuis ou passagers. 

4° Les différentes parties de l’épaisseur d’un nerf sen¬ 
sitif produisent, quand on les irrite, les mêmes sensations 
que si des ramifications terminales différentes de ces 
parties du tronc venaient à être irritées. 

Müller a observé le fait sur lui-même et l’a bien dé¬ 
montré. 

5° Les sensations des fibres nerveuses les plus déliées 
sont isolées comme celles des troncs nerveux, et elles ne 
se mêlent point le§ unes avec les autres depuis les parties 
extérieures jusqu’au cerveau. 

6“ Lorsque le sentiment est complètement paralysé dans 
les parties extérieures, par le fait de la compression ou 
d’une section, le tronc du nerf peut encore, dès qu’il vient 
à être irrité, éprouver des sensations qui semblent avoir 



DE LA SENSIBILITÉ. 161 

lieu dans les parties extérieures auxquelles ils abou¬ 
tissent. 

7® Lorsque le membre dans lequel se répand un tronc 
nerveux a été enlevé par une amputation, ce tronc, attendu 
qu’il renferme l’ensemble de toutes les fibres primitives 
raccourcies, peut avoir les mêmes sensations que si le 
membre amputé existait encore, et cet état persiste pen¬ 
dant toute la vie. 

J’ai pensé qu’il serait utile de compléter les remarques 
de Muller par des recherches plus détaillées :aussi ai-je 
fait, dans le courant de l’année dernière, au laboratoire 
de M. Marey, une série d’expériences dans le détail des¬ 
quelles je vais entrer. 

Je parlerai tout d’abord de la méthode que j’ai em¬ 
ployée et des procédés d’exploration. 

L’étude de la sensibilité ne peut guère être faite complè¬ 
tement que sur l’homme. En effet, nous n'avons aucun 
moyen de savoir d'une manière rigoureuse si un animal 
peçoit ou ne perçoit pas de sensations. Ala vérité, l’action 
réflexe, soit normale, soit exagérée par certaines substances 
toxiques, donne un mouvement facile à voir et à enregis¬ 
trer, et peut fournir quelques renseignements utiles sur 
l’intensité de la sensation, la rapidité avec laquelle elle 
s’est produite, etc. Les changements de pression du sang, 
le ralentissement et parfois l’accélération du cœur, les 
mouvements de la pupille sont autant de moyens détour¬ 
nés qu’on a mis en usage pour apprécier la sensibilité. On 
conviendra cependant que ces procédés sont insuffisants 
pour connaître avec exactitude les perceptions sensitives 
réelles. Aussi ai-je pensé qu’il serait utile d'étudier la 
sensibilité sur l’homme, lequel peut seul rendre compte 
Richet. 21 



162 méthode gkaphiqüe 

de ses sensations, et de prendre pour explorer cette sensi¬ 
bilité, une excitation facilement mesurable. 

Il n’y a guère que deux sortes d’excitants des nerfs 
qu’on puisse mesurer et doser, c’est l’électricité d une 
part, et d’autre part, l’application sur les tissus de solu¬ 
tions salines ou acides, plus ou moins concentrées. Ce 
dernier moyen a donné à Tûrck et à Sanders-Ezn des ré¬ 
sultats intéressants dans leurs expériences sur les gre¬ 
nouilles. Mais comme il ne peut être employé pour 
l’homme, on est obligé de recourir à l’électricité. 

J’ai préféré l’emploi des courants d’induction à ceux de 
la pile, parce que le courant d’induction est plus puissant, 
qu’on a moins à s’occuper de la polarisation des tissus, et 
à envisager la différence des effets sensitifs qui dépendent 
du sens des courants, et du lieu d’application de l’un ou 
l’autre rhéophore. 

En outre, l’électricité a cet avantage incontestable qu’on 
peut inscrire facilement sur un cylindre le nombre et la 
fréquence des excitations au moyen d’appareils à signaux 
dont les indications sont instantanées. Pour inscrire ainsi 
les excitations électriques, ce qui permet d’établir un con¬ 
trôle indispensable, je me suis servi du signal de Marcel 
Deprez. 

Comme pile, j’employais tantôt trois, tantôt six élé¬ 
ments Daniel!. La bobine d’induction était celle qu’em¬ 
ploie Du Boi^-Reymond, 

Enfin, pour avoir une excitation toujours égale et com¬ 
parable à elle-même, les électrodes du courant induit 
étaient immergées dans deux vases remplis d’eau, et dans 
cette eau l’on plongeait la partie à exciter. 

Cependant, par cela même que la résistance des conduc- 



POUR LA SENSIBILITÉ 163 

teurs organiques peut être variable, la sensibilité peut 
différer selon la manière dont on fait l'excitation. 

En effet, avec des courants égaux, la perception sensi¬ 
tive n’est pas égale, selon qu’on fait passer le courant par 
les deux doigts de la même main dans un cas, et par les 
deux mains dans l’autre cas. Supposons que le courant 
passe du pouce à l’index de la même main, on arrivera, 
en éloignant graduellement la bobine, à un moment où 
l’excitation sera encore perçue, mais où elle sera très- 
faible. Si elle était plus faible encore, elle ne serait pas 
perçue. Ce sera la limite de la sensation distincte. Si on 
fait, au contraire, passer le même courant par un doigt de 
la main droite et un doigt de la main gauche, il n’y aura 
plus aucune sensation. 

Cette différence tient à un phénomène purement phy¬ 
sique, la différence de résistance des conducteurs orga¬ 
niques. Très-petite d’un doigt à l’autre de la même main, 
cette résistance est très-grande d’une main à l'autre, et 
comme l’intensité d’un courant est en raison inverse des 
résistances, si, dans le premier cas, on est sur la limite 
de la perception, dans le second cas la perception sera 
nulle. 

On peut vérifier le même fait d’une autre manière. Selon 
qu’on enfonce plus ou moins les doigts dans l’eau, on di¬ 
minue o,u 'on augmente la résistance. En plongeant très- 
profondément les deux doigts de la même main dans 
chacun des vaseg, la résistance est presque nulle, et la 
sensation est forte. En ne plongeant que l’extrémité des 
doigts, la résistance est plus grande, et la sensation est 
moins forte. 

Si on met un doigt seulement dans un vase, et qu’on en 



164 MÉTHOBE GRAPHIQUE 

mette plusieurs dans l’autre, pourvu que le courant ne 
soit pas trop fort, on ne sentira rien là où il y a plusieurs 
doigts, tandis qu’on perce vra une sensation très-nette dans 
le vase où est plongé un seul doigt. Il est facile de ratta¬ 
cher ce dernier fait à une observation déjà fort ancienne, 
c’est que, en supposant deux excitations électriques égales 
entre elles, la sensation perçue est d’autant plus forte que 
la surface électrisée est moins grande. Ainsi une quantité 
d’électricité égale à 1, disséminée sur une étendue de 
10 centimètres carrés de la peau, est moins douloureuse 
que si elle est appliquée sur une surface d’un centimètre 
carré. Aussi l’excitation par de larges plaques est-elle bien 
moins douloureuse que par des pointes, et l’électrisation 
avec le balai électriqdest très-pénible. 

Toutes ces conditions préliminaires étaient importantes 
à bien déterminer, pour donner quelque rigueur aux expé¬ 
riences dont le détail va suivre; car, pour étudier les phé¬ 
nomènes physiologiques, il faut éliminer les phénomènes 
dépendant de causes physiques. On évite aussi de nom¬ 
breuses occasions d’erreur. 

Pour interrompre le courant inducteur, j’ai dû employer 
divers appareils, tantôt le métronome, tantôt un électro¬ 
aimant, tantôt un diapason vibrant 500 fois par seconde, 
tantôt une roue portant des plaques d’ivoire et de cuivre 
qui, alternativement, pouvaient ouvrir ou fermer le cou¬ 
rant. Cette roue était mise en mouvement par un appareil 
d’horlogerie, mû lui même par la chute d’un poids. On 
avait ainsi des excitations de fréquence croissante, suivant 
un mouvement uniformément accéléré. 

Enfin le courant inducteur passait aussi par le signal 
électrique et par un interrupteur placé à la portée du sujet 



POUR LA SENSIBILITÉ. 165 

en expérience, qui pouvait à volonté ouvrir ou fermer le 
courant. 

Après avoir étudié les différentes conditions dans les¬ 
quelles se produit la sensibilité, j’ai songé à les comparer 
à celles qui donnent naissance au mouvement. La méthode 
graphique se prêtant merveilleusement à l’étude des fonc¬ 
tions musculaires, il ne restait plus qu’à choisir le muscle 
que je pouvais prendre comme terme de comparaison. 

Il m’a semblé que le muscle de la pince de l’écrevisse 
offrait de grands avantages à ce point de vue. Il semble 
que sur nul autre muscle, l’élasticité ne soit aussi éner¬ 
gique, La lenteur avec laquelle il se contracte, sa vitalité 
puissante sont autant de conditions favorables. Enfin on 
peut le mettre en rapport avec un levier sans mutilation 
grave : condition nécessaire pour une expérimentation 
physiologique rigoureuse. 

Voici d’ailleurs, en quelques mots, quelle est l’anato¬ 
mie de ce muscle. Son insertion fixe est radiée, et les fibres 
musculaires s’attachent d’une part à toute la surface in¬ 
terne de la pince, d’autre part, à une sorte de fibro-carti- 
lage (squelette interne), placé dans l'intérieur même de la 
pince et entouré de toutes parts par les fibres musculaires. 
A sa partie médiane, ce cartilage porte une sorte de crête, 
laquelle est le point de départ du rayonnement du muscle. 
Toutes le^ fibres contractiles se réunissent en un fort ten¬ 
don qui va s’attacher au tubercule externe situé à la base 
de la mandibule mobile. En face de ce tubercule, se trouve 
un autre tubercule à peu près semblable, quoique plus 
petit, et donnant insertion au tendon du muscle abduc¬ 
teur.’ Ce muscle est très-grêle, et s’insère dans toute la 
longueur de l’angle interne de la pince. 


166 SYSTÈME MUSCULAIRE DE l’ÉCREVISSE. 

Ces deux muscles, dont la force est si différente, agis¬ 
sent simultanément quand on les excite directement. Il est 
facile de n’enregistrer que la contraction de l’adducteur 
en coupant à sa base, c’est-à-dire au-dessous du tubercule 
interne de la mandibule mobile, le tendon du muscle 
abducteur. Mais j’ai renoncé à cette opération préliminaire, 
car elle ne changeait en rien les résultats et amenait une 
lymphorrhagie funeste â la vitalité du muscle. 

Pour éliminer toute action des centres nerveux sur le 
muscle, je faisais la section de la première patte, tout à 
fait à la base, entre le premier segment appendiculaire 
et le corps. Le muscle peut ainsi vivre quatre à cinq 
heures, et se prête très-facilement à toutes les expé¬ 
riences. Pour cela, on le fixe solidement sur une plan¬ 
chette et on attache la mandibule mobile à un tambour à 
levier, par un fil le plus court possible. Les oscillations 
du tambour à levier se transmettent à une plume qui 
inscrit le mouvement. 

Dans ces conditions, on peut agir sur le nerf ou sur le 
muscle, et les résultats sont à peu près les mêmes. 
Mais comme je me proposais d’agir surtout sur le 
muscle, je coupais.le bout de la mandibule fixe et j’enfon¬ 
çais un des pôles par l’ouverture ; l’autre pôle était planté 
à la base du muscle dans l’avant-dernier segment. Enfin 
j’employais les mêmes appareils électriques que pour 
l’exploration de la sensibilité, désirant autant que possi¬ 
ble étudier dans les mêmes conditions le sentiment et le 
mouvement. 



CONDITIONS GÉNÉRALES. 


167 


§ I. — Des variations de la sensibilité, suivant Vex¬ 
citabilité. 

La sensibilité n’est pas égale chez toutes les personnes. 
C’est un fait qu’il est très-facile de constater avec l’explo¬ 
ration électrique. Il m’est souvent arrivé de sentir nette¬ 
ment des courants électriques que d’autres personnes ne 
pouvaient sentir, et réciproquement je ne sentais pas des 
excitations parfaitement perçues par d’autres personnes. 

Cette particularité se rencontre aussi pour la contrac¬ 
tion musculaire, et entre autres pour les muscles de 
l’homme. On peut, au moyen d’une pince myographique, 
enregistrer la contraction de certains musclesj entre autres 
ceux de l’éminence thénar. Or, en expérimentant sur diffé¬ 
rentes personnes, on voit que pour produire la fusion com¬ 
plète, c’est-à-dire un tétanos sans oscillations, il faut chez 
des personnes différentes une fréquence variable dans les 
excitations ; autrement dit, .chez telle personne, il y aura 
fusion des secousses musculaires avec 20 excitations par 
seconde, chez d’autres, avec 20 excitations par seconde, il 
n’y aura pas de fusion parfaite, et il faudra 30 excitations. 

Enfin ces différences individuelles de la sensibilité peu¬ 
vent être rapprochées des différences dans l’énergie de 
l’action réflexe. Il est rare qu’on puisse trouver deux gre¬ 
nouilles, même décapitées, ayant des actions réflexes iden¬ 
tiques. Non-seulement la taille des grenouilles, l’état de 
la température ambiante, changent leur sensibilité réflexe, 
mais encore on trouve des différences individuelles qui, 
quoique peu marquées, sont réelles. 

D’ailleurs j’ai remarqué que ces variations individuel- 



i08 VARIATION DE l’EXCITABILITÉ. 

les de la sensibilité ne troublaient en rien les résultats. Je 
me suis assuré souvent que la loi qui était vraie pour la 
sensibilité d’un individu, était aussi vraie pour la sensi¬ 
bilité d’un autre, toutes les différences consistent seule¬ 
ment en ce que, pour éveiller une sensation distincte, il faut 
un peu plus ou un peu moins d’intensité dans 1 excitation. 

Un fait plus important, c’est l’épuisement de la sensi¬ 
bilité. Cet épuisement se manifeste aussi bien avec des 
courants faibles qu’avec des courants forts, et voici ce 
qu’on observe dans l’un et l’autre cas. 

Prenons d’abord une excitation faible, quoique distinc¬ 
tement perçue. Si on la continue pendant quelques minu¬ 
tes, bientôt toute sensation disparaît et on ne sent plus 
rien. Cependant le courant passe, et avec la même intensité 
qu’au début, car si on le fait passer par l'autre main, on le 
sentira très-nettement. 

Avec un courant fort l’épuisement se traduit d une autre 
manière ; je ne sais si en électrisant pendant longtemps un 
même point, on finirait par produire l’insensibilité. En 
tout cas, si après quelques minutes d’électrisation avec 
un courant très-fort, on électrise ensuite avec un courant 
qui était parfaitement senti auparavant, le même courant 
faible ne déterminera plus aucune sensation. Il y a là un 
phénomène de comparaison entre une sensation forte et 
une sensation faible qui s’accorde très-bien avec ce que 
nous savons des sensibilités spéciales telles que la vue et 
l’ouïe. Une éclatante lumière nous fait paraître ensuite la 
pénombre tout à fait obscure. De même une excitation 
électrique forte nous fait paraître nulle une excitation élec¬ 
trique faible, laquelle cependant, dans d’autres conditions 
physiologiques, éveillerait une sensation distincte. 



CONDITIONS GÉNÉRALES 169 

On peut faire disparaître une sensation faible par une 
sensation forte en procédant d’une autre manière. En exci¬ 
tant une main par des courants forts, et l’autre main par 
des courants faibles, on fera disparaître la sensation de 
l’excitation faible. C’est là un phénomène psychique assez 
irrégulier, l’attention et l’intelligence jouant un rôle pré¬ 
pondérant. 

Ce qu’il y a d’ailleurs de particulier dans cet épuisement 
nerveux, c’est le retour rapide de l’excitabilité. Je crois 
qu’on ne saurait le mesurer avec précision. Ce sont des 
données trop variables pour être traduites par des chiffres. 
En tout cas il suffit que pendant vingt à trente-cinq secon¬ 
des l’excitation cesse, pour qu’immédiatement son retour 
provoque une sensation distincte. Au bout de quelques 
minutes d’excitation la sensibilité a de nouveau disparu, 
et quelques secondes de repos suffisent pour la faire reve¬ 
nir. En somme, la décroissance de la sensibilité se compte 
par minutes, et le temps nécessaire pour son retour pour¬ 
rait se compter par secondes. 

Quand l’excitation est très-forte, la diminution dans la 
perceptivité douloureuse disparaît aussi assez rapidement. 
Si on arrête l’électrisation pendant quelques instants seu¬ 
lement, la reprise sera très-pénible et on préférera 
être excité par les mêmes courantssans que l’excita¬ 
tion soit toujours suspendue. Il semble que le ,retour de 
l’électrisation surprenne douloureusement le nerf, et pro¬ 
duise une sorte de choc, qui, si l’électrisation est continuée 
pendant quelque temps, s’atténue graduellement. Une 
pause de quelques secondes suffit au nerf pour qu il re¬ 
trouve ses fonctions, et soit de nouveau douloureusement 
ébranlé par le retour de l’excitation. 

Richet. 



tOIS DK LA 


170 

Je n’ai pas besoin de faire remarque^ à quel point ces 
phénomènes ressemblent aux phénomènes d’épuisement 
qu’on a constatés sur les muscles. Or, comme rien de sem¬ 
blable n’a été vu pour le nerf moteur, il est très-probable 
que ces faits de décroissance lente et de retour rapide tien¬ 
nent bien moins aux nerfs sensitifs qu’aux centres nerveux 
percevant les sensations. 

Nous avons parlé plus haut (page 165) de la limite de 
la sensation distincte. Il importe de revenir sur ce point. 
En effet, il y a pour la sensibilité générale, comme pour 
la vue et l’ouïe, un passage presque insensible entre la 
perception et la non-perception. Il arrive un moment où la 
perception est tellement confuse qu’on ne sait pas si elle 
existe. En tous cas, c’est une valeur limite, que nous appel- 
lei’ons limite de la sensation : elle répondra à l’excitation 
minimum capable d’être perçue nettement. 

Pour arriver à la détermination exacte de cette limite, 
il n’est pas indifférent d’aller en augmentant ou en dimi¬ 
nuant l’excitation. 

En effet, si on part d’une sensation très-nette pour arri¬ 
ver au moment où elle devient à peine perceptible, on 
pourra aller très-loin, et des excitations faibles seront 
nettement perçues. Que si au contraire on part d’une sen¬ 
sation nulle pour arriver à la limite où la sensation com¬ 
mencera à être perçue on trouve constamment qu’il faut 
une excitation plus forte que dans lepremiercas.M. Marey, 
à qui j’ai fait vérifier le fait, l’a comparé à ce qui se passe 
pour le sens de la vue. Si on suit de l'œil un objet qui s’é¬ 
loigne, un oiseau, par exemple, on pourra le voir alors 
même qu’il sera très-éloigné. Cependant il serait impossi¬ 
ble de l’apercevoir à cette distance, si au lieu de s’éloigner. 



SENSIBILITÉ 


171 



il se rapprochait de nous. Il 
semble qu’il y ait alors une sorte 
d’éducation de la perception 
comme si la sensation précédente 
nous apprenait comment il faut 
s’y prendre pour voir ou pour 
sentir la sensation qui suit. 

On peut d’une autre manière, 
encore rendre plus clair le fait 
de cette éducation de la percep¬ 
tion, pour cela on fait passer le 
courant de pile par un interrup¬ 
teur, et on gradue la bobine d’in- 
‘duction de manière à ce que 
l’excitation soit faible mais dis¬ 
tincte, puis sur le trajet du cou¬ 
rant de pile, on place un métro¬ 
nome qui ne rétablit le courant 

(1) Pour lire le tracé oi-joint et les tra¬ 
cés suivants, il faut se reporter aux let¬ 
tres placées à gauche de la figure. Ainsi, 
la ligne e indique les excitations électri¬ 
ques, tandis que la ligne m représente le 
graphique de la contraction musculaire. 
Pour la ligne e| chaque petit trait est une 
double secousse électrique d’induction (clô¬ 
ture et rupture de la pile). Ainsi, pour le 
premier groupe, s’il y a huit traits, cela 
indique huit ruptures, et huit clôtures; par 
conséquent seize excitations; quant à la 
fréquence du mouvement du cylindre enre¬ 
gistreur, elle varie dans les divers tracés que 
je donne ici mais pour ce qui nous occupe, 
sa détermination n’a pas très-grand intérêt^ 











172 SENTIMENT COMPARÉ 

que pendant peu de temps; à cet effet on adapte à la tige du 
métronome un fil métallique qui à chaque oscillation du 
balancierplonge quelques instants dans le mercure. Toutes 
les fois que le courant passe, l’interrupteur vibre et on peut 
s’arranger de manière à ce que le nombre des vibrations 
pour chaque fois que le courant est rétabli par le métro¬ 
nome soit invariable. Les signaux électriques de la figure 
ci-jointe (fig. 1, ligne e), indiquent bien comment se fait 
1 excitation, par différents groupes de huit excitations 
réunies. Or, si on se sert de ces courants disposés 
ainsi, pour explorer la sensibilité, on ne sent pas tout d’a¬ 
bord, mais peu à peu on arrive à sentir l’excitation. Il 
semble que les premières secousses servent seulement à 
préparer les centres nerveux à sentir les suivants. 

Quoique le fait paraisse purement psychique, on peut 
reproduire la même expérience sur le muscle, et le 
tracé de la fig. 1, p. 117 en montre les résultats. 

Le premier groupe des excitations électriques de la ligne 
e ne produit pas d’effet musculaire. Le second groupe, au 
contraire, donne un commencement de contraction et 
enfin au troisième et surtout au quatrième groupe , il y 
a une contraction manifeste, de sorte que si l’on tra¬ 
duisait la perception sensitive par une représentation 
graphique schématique, on aurait absolument le tracé de 
la courbe myographique m delà figure 1. 

En réalité, le phénomène est beaucoup plus complexe 
qu'il ne paraît l’être, et nous verrons plus loin à que] 
ordre de faits il convient de le rattacher. Constatons seu¬ 
lement ici qu’il y a une éducation de la perception et que 
dans le muscle il y a un fait analogue, une sorte d’éduca¬ 
tion de la contraction ce qui rapproche avantageusement 



AU MOMENT l'O 

un phénomène en apparence psychique d’un phénomène 
moins complexe et mieux connu comme la contraction 
musculaire. 


§ II. _ Des variations de la sensibilité selon le nombre, la 

fréquence et l'intensité des excitations. 


1, Des deux courants d’intensité moyenne développés 
dans la bobine induite par la rupture et la clôture d’un 
courant de pile, un seul agit en apparence sur le nerf sen¬ 
sible, c’est le courant de rupture. Pour que le courant de 
clôture agissé, il faut que la bobine induite soit tout à fait 
rapprochée de la bobine inductrice, et alors, tandis que le 
courant de clôture est faiblement perçu, le courantde rup¬ 
ture est extrêmement douloureux. 

Ainsi, avec des courants d’intensité moyenne ou faible, 
c’est la rupture qui donne une sensation. Mais ce qu il est 
nécessaire d’ajouter, c’est que le courantde clôture qui 
semble ne pas agir, agit en réalité efficacement lorsqu’il 
est très-rapproché du courant de rupture. Si pour un cou¬ 
rant de moyenne intensité, la rupture et la clôture sont 
proches l’une de l’autre, la sensation perçue est unique, 
mais plus forte que si la rupture et la clôture étaient sépa¬ 
rées par un intervalle de temps notable. 

Cela est vrai aussi à la limite. Il arrive un moment où 
la rupture isoléeou séparée de la clôture par un intervalle 
suffisant, n’est pas sentie, tandis que la rupture suivant 



ITION 


174 DE LADDI 

immédiatement la clôture est légèrement, quoique nette¬ 
ment, sentie. 



Fig. 2. — Série A. La rupture et la clôture étant très-rapprociées, sont bien 
perçues. — Série B. La rupture et la clôture (r et e) étant plus espacée» 
ne sont pas perçues. L’intensité de l’excitation ne varie pas. 


La figure 2 qui reproduit graphiquement des interru¬ 
ptions électriques faite au métronome fera comprendre 
ceci plus facileqient. On percevait une sensation aux in¬ 
terruptions très-courtes des lignes A, la rupture et la clô¬ 
ture se succédant de très-près, tandis qu aux lignes B in¬ 
diquant des interruptions (c clôture, r rupture) un peu 
plus longues il n’y avait pas de perception. 

On arrive donc par cette expérience très-simple à ce fait 
qui ne laisse pas d’être imprévu. Deux excitations, étant iso¬ 
lées ou séparées par unlong intervalle, sont insuffisantes pour 
produire un effet sensitif, tandis quelles produisent cet effet 
lorsqu elles sont rapprochées Vune de Vautre. 

Il faut donc admettre qu’il y a un accroissement d’exci¬ 
tabilité ou une accumulation d effet, ce qui revient abso¬ 
lument au même, soit dans les nerfs sensitifs, soit dans 
les centres. Or, de ces deux hypothèses, la première est 
manifestement erronée. Gruenhagen a montré que, quelle 
que fût la fréquence des interruptions, jusqu’à dix mille 
















ET DE TA FUSION. 


175 


par seconde, il n'y avait pas àe fusion dans la variation né¬ 
gative du nerf. D’ailleurs elle est en désaccord avec ce que 
nous savons du nerf moteur, tandis que la seconde est fa¬ 
cile à comprendre et s’accorde très-bien avec ce que nous 
savons du travail dans les centres nerveux. 

C’est ce fait d’accumulation, de condensation, d’addition, 
de sommation, que nous allons maintenant étudier (1). 

(1) La sommation a été entrevue par Pflüger {Effets des exatations élec¬ 
triques, Berlin, 1865), mieux étudiée par Gruenhagen {Ueher die sum- 
mation von nervenreizen, Arch. de Henle, |1865, t. XXVI. Yersuche 
über die intermîtterende nervenreizungen, Arch. de Pflüger, 1872, t. VI, 
p. 157) et Setschenoff {Effets des excitations électriques et chimiques, 
Gratz, 1868). J. Tarchanoff en a fait l’objet d’un travail intéressant 
{Bull, de VAcad. de Saint-Pétersbourg, 1871, t. XVI, p. 67). Le même 
sujeta été, à un point de vue différent, repris par RosenthaI(Siteangfsbericlite 
der phys. med. Soc. zu Erlangen, février 1873, p. 13), SterKng {Berichte 
der Sachs. Acad., 1875,p. 372) et Spiro (Studisn über Beflexe. Centraïblatt 
fur die med. Wiss,lS75, p. 435). Mais ce que ces auteurs ont dit delà 
sommation et du travail des centres s’applique aux actions réflexes, et, sauf 
quelques courtes remarques de Gruenhagen, je ne crois pas que ces phéno¬ 
mènes aient été étudiés aupoint de vue dés lois de la sensibilité générale. 

Ainsi, ce travail latent soit, des muscles soit du cerveau,lequel ne se manifeste 
qu’à la fin d’une plus ou moins Ipngue série d’excitations égales entre elles, 
n’avait été, à ma connaissance, étudié par aucun auteur avant moi : et tout ce 
qu’on avait observé jusque ici s’appliquait aux actions motrices de la moelle épi¬ 
nière. J’ai publié déjà l’exposé sommaire des résultats que j’avais obtenus 
dans les comptes-rendus de l’Académie des Sciences (4 décembre 1876). 

« Mais le mot de sommation n’est pas fi-ançais dans ce sens, et on n’a le 
droit d’employer des néologismes que quand on n’a pas d’autres ressources. 
Or, si nous prenons comme point de comparaison les phénomènes de la con¬ 
traction musculaire, nous avons des expressions qui peuvent nous être très- 
utiles. Lorsqu’un muscle est excité par des courants interrompus très-rap- 
prochés, et qu’on ne peut plus distinguer les différentes secousses musculaires, 
on dit qu’il y a fusion. Ainsi dans la figure 3, les excitations très-rapprochées 
se sont fusionnées dans le muscle et il semble que les secousses musculaires 
marquées sur la ligne M soient uniques. Au contraire, il n’y * pas fusion pour 
les contractions marquées dans la figure 12, il y a simplement addition, la 



176 DE l’addition 



Pour mettre en pleine évi¬ 
dence ce phénomène de l’ad¬ 
dition dans les centres ner¬ 
veux, il faut prendre d’une 
part des interruptions ex¬ 
trêmement fréquentes, d’au- 


^ secousse suivante venant s’ajouter à 
3 la première avant que la première 
oî ait achevé son action, 
g. Il faut dénommer anssi cet état .par- 
’S, ticulier du muscle qui n’a pas encore 
.2 achevé sa contraction, et qui est sur- 
^ pris par une excitation nouvelle au 
§ moment où il n’est pas encore revenu 
.SP àl’état normal. Je crois qu’on pourrait 
m l’appeler persistance d'action. Ainsi 
la persistance d’action fait que les se- 
gj coasses s'additionnent si elles sont un 
peu rapprochées, et, si elles sont plus 
^ fréquentes, qu’elles se fusionnent, 
g, Nous remplacerons donc le mot de 
iS sommation par le mot à'addition, 
^ seulement nous distinguerons l’addi- 
g, tion latente, telle qu’on peut la voir 
S dans la figure 1, de l’addition appa- 
■g* rente qu’on voit dans la figure 12. 
O Le mot de summation des allemands 
g s’appliquera surtout à l’addition la- 
I tente. 

si, (1) On voit que les excitations mar- 
E quéeslesparsignaux électriques S pro¬ 
duisent un effet musculaire M lors¬ 
que les signaux sont très-rapprochés, 
tandisque s’ils sontplus espacés,comme 
par exemple au haut de la ligne S il 
n’y a aucun mouvement musculaire, 
comme l’indique la ligne M . 









LATENTE. 


177 



tre part des interruptions très-éloi- 
gnées. Alors rien n’est plus net, et 
tout le monde peut facilement vé¬ 
rifier le phénomène. On ne perçoit 
absolument rien avec une clôture 
et une rupture isolées, tandis qu’a¬ 
vec un courant d’intensité égale, on 
a une sensation assez forte même 
pour être désagréable, si les in¬ 
terruptions sont très-fréquentes, 
comme celles qui sont produites 
par les vibrations d’un diapason 
vibrant cinq cents fois par seconde. 

Par des excitations croissant se¬ 
lon un mouvement uniformément 
accéléré, comme on peut en obtenir 
en déterminant des ruptures et des 
clôtures avec la chute d’un poids, 
on arrive au même résultat. 

Sur le tracé de la figure 4, on 
pourra en trouver une démonstra¬ 
tion très-nette. Les interruptions 
vont en croissant graduellement de 
fréquence et le sujet en expérience 

(1) Pour lire ce tracé il suffit de comprendre 
que la durée nécessaire à la perception est 
égale à la longueur des signaux électriques. 
Tant que les interruptions sont espacées, le 
sujet ne perçoit rien, mais dès qu’eUes se 
rapprochent, le sujet perçoit et arrête la si¬ 
gnal, la fin des signes électriques correspond 
donc exactement au moment de la perception. 

Richet. 













178 DE l’additi 



interrompt le courant dès 
qu’il a senti. Aussi le point 
où s’arrêtent les interrup¬ 
tions électriques répond-il 
au moment delà perception. 
On voit qu’il faut aux inter¬ 
ruptions une certaine fré¬ 
quence pour qu’il y ait per¬ 
ception ; si elles sont au 
contraire très-rapprochées, 
il y a perception immédiate, 
et elles sont sur-le-champ 
arrêtées par l’individu qui 
perçoit. 

Sur la seconde ligne oa 
verra aussi l’influence de 
l’éducation perceptive. Les 
trois séries d’excitations re¬ 
produites sur cette ligne sont 
de plus en plus courtes, ce 
qui prouve qu’on perçoitplus 
rapidement après la seconde 
qu’après la première, et 
après la troisième qu’après 
la seconde excitation. 

Donc, en premier lieu, 
nous pouvons affirmer que 
des excitations égales entre 
elles mais répétées fréquem~ 
ment produisent un effet sen¬ 
sitif qu’une seule excitation 








LATENTE. 179 

égale aux premières^ mais isolée, est impuissante à produire. 

Pour le muscle le même fait se remarque, et l’analogie 
est très-frappante. J’en donne ici un tracé (fig. 5) suffisam¬ 
ment démonstratif. Les interruptions étaient faites de la 
même manière que pour l’exploration de la sensibilité et 
il n’est pas possible de contester l’identité des phénomènes. 

Il y a toutefois cette différence, c’est que dans le muscle 
il y a fusion, tandis que dans les centres nerveux, il n’y 
a probablement qu’une addition. En effet, on ne perçoit 
pas une sensation unique et continue, mais une série 
d’excitations discontinues. Tout au moins pouvons-nous 
dire qu’il y a peut-être fusion partielle. D’ailleurs le faitn a 
guère d’importance au point de vue qui nous occupe en 
ce moment, car entre l’addition et la fusion il n’y a qu’une 
différence de degré. 

Mais il ne suffit pas de démontrer l’existence de l’addi¬ 
tion dans les centres nerveux, il faut encore examiner dans 
quelles limites elle se produit, et quels sont ses principàfux 
effets. 

Si on prend tantôt des courants faibles, tantôt des cou¬ 
rants forts, il n’y a pas de retard appréciable dans la sen¬ 
sation quand ce sont des secousses isolées. J’ai fait sur cè 
sujet de nombreuses expériences, après avoir rigoureuse¬ 
ment noté mon équation personnelle. Or, une fois l’équa¬ 
tion personnelle devenue à peu près constante pour une 
excitation d’intensité moyenne, j’ai vu que si l’intensité 
est faible ou si elle estforte, il n’y a que très-peu de retard, 
en tout cas il est à peu près négligeable. Le fait est impor¬ 
tant à noter, car il ne s’accorde pas avec les recherches 
récentes d’Exner ou deDonders.Mais je crois que ces savants 
physiologistes ont mal interprété le phénomène de retard. 



DES 


180 DU RETARD 

et que l’explication que j’en donne ici est la seule exacte 
et conforme à la réalité des faits. 

Il n’y a donc aucun retard pour des secousses isolées ; 
mais c’est tout autre chose s’il s’agit de plusieurs secous¬ 
ses, et le retard avec des excitations fréquentes et faibles 
est la conséquence naturelle de l’addition. Supposons en 
effet que la première excitation ne produise rien, ni la 
deuxième, ni la troisième, mais que, par suite de l’addi¬ 
tion de ces excitations successives, la douzième seule soit 
perçue, il est clair que le retard sera manifeste, puisque le 
moment de la perception n’arrivera qu'à la douzième exci¬ 
tation. 

Si au contraire on excite avec des courants forts, la 
première excitation étant déjà perçue, il n’y aura pas de 
retard autre que celui qui est dû à l’équation personnelle 
et aux mouvements nécessaires pour que le sujet en expé¬ 
rience arrête lui-même les signaux électriques. 



Fig.. 6 (1) 


La figure 6 donne de ce phénomène une démonstration ri¬ 
goureuse. Sur chaque ligne on voit des signaux électriques 


(1) Les lignes A A A répondent aux courants d’intensité forte ; les lignes F F 
aux courants d'intensité faible. Le sujet arrête lui-même. 



















181 


EXCITATIONS RÉPÉTÉES. 

qui répondent alternativement à des courants tantôt très- 
forts, tantôt très-faibles, quoique toujours nettement per¬ 
çus. Les courants forts répondent aux lignes AA et les 
courants faibles aux lignes FF, en sorte qu’un courant fort 
était toujours suivi d’un courant faible. Dès que le sujet 
en expérience percevait une sensation, il arrêtait lui-même 
le passage du courantde pile, et par conséquent le moment 
d’arrêt du signal répond exactement au moment où la sen¬ 
sation a été perçue. On voit donc à quel point la sensation 
est retardée pour les courants faibles F F, quand on les 
compare avec la rapidité de la sensation pour les courants 
forts AA. 

Cependant, même pour les courants faibles, la sensation 
est encore très-nette: mais elle es retardée, parce que les pre¬ 
mières excitations n’éveillentaucune sensation lorsqu’elles 

sont faibles, et qu’il faut un certain nombre de ces excita¬ 
tions s’additionnant dans les centres récepteurs pour qu’un 
effet sensible soit produit. 

Le même phénomène se démontre peut-être mieux en 
faisant lentement croître ou décroître l’intensité des exci¬ 
tations, résultat qu’on obtient facilement en éloignant ou 
en rapprochant la bobine induite de la bobine induc¬ 
trice. 

Dans la figure 7 l’intensité va en croissant: les signaux 
marquent les interruptions électriques, ils étaient arrêtés 
par le sujet en expérience dès qu’il percevait une sensa¬ 
tion: on voit ainsi que la trace des signaux va en diminuant 
de longueur, à mesure que l’intensité de 1 excitation 
augmente, ce qui signifie évidemment que la vitesse 
de la perception augmente avec l’intensite des excita¬ 
tions. 



DU RETARD 


182 

L'’expérience a été faite si souvent, et les tracés obtenus 
sont si démonstratifs que je crois pouvoir affirmer l’exac¬ 
titude de cette loi. 

Four des excitations répétées et égales entre elles, le moment 
de la perception est d’autant plus retardé que leur intensité 



Fig. 7. 


Courants d’intensité variable allant en augmentant d’intensité du haut au bas 

de la figure. Le sujet arrête dès qu’il sent. 

est plus faible et d'autant plus rapide que leur intensité est 
plus grande. 

Cette loi peut s’appliquer aussi à la contraction muscu¬ 
laire. Seulement, pour avoir une expérience rigoureuse, il 
faut prendre des muscles qui ne soient pas fatigués. Alors 
enverra, comme dans le tracé delà figure 8, que si l’exci¬ 
tation est forte comme pour les excitations de la ligne e, la 
contraction musculaire est presque instantanée, tandis que 
pour les excitations marquées àla ligne e’, le retard est très- 
considérable, et que la courbe myographique m' ne com¬ 
mence que très-tard relativement à la courbe myographi- 
que m qui répond à une excitation plus intense. 

Jusqu’ici nous n’avons considéré que l’excitation par 
des interruptions électriques, mais il est évidentque nous 
pouvons regarder les excitations des nerfs par les agents 
physiques, mécaniques et chimiques, plutôt comme una 













183 

















134 DE LA FUSION 

somme d’excitations que comme une excitation unique. 
Pour le sens de l’ouïe, par exemple, le fait est incontesta¬ 
ble. La lumière, la chaleur, probablement aussi l’action 
chimique, ne sont que des vibrations moléculaires d’une 
fréquence prodigieuse, et il est probable qu’on peut appli¬ 
quer à ces excitations, la loi que nous venons de démontrer 
pour les excitations électriques. Tout nous porte à croire 
qu’il en est ainsi; cependant, nous ne pouvons donner que 
comme une hypothèse très-probable cette loi corollaire 
de la première. 

Pour une excitation ayant une durée appréciable, le mo¬ 
ment de la perception est d’autant plus retardé que son 
intensité est plus faMe, et d’autant plus rapide que son in¬ 
tensité est plus grande. 

Revenons maintenant aux effets sensitifs produits par 
l’électrisation avec des courants induits fréquents. Il s’agit 
de connaître le rapport de la sensibilité avec la fréquence 
des interruptions. 

Tout d’abord j’ai cherché à mesurer non plus l’addition, 
mais la fusion des impressionssensitives. La connaissance 
exacte du moment où cette fusion se produit aurait une 
certaine importance. En effet, nous pourrions par là con¬ 
naître la durée de la vibration des centres nerveux, comme 
nous connaissons la durée de la secousse musculaire, et 
calculer peut-être par ce moyen la durée de la persistance 
d’action dans les centres. 

Les auteurs qui se sont occupés de la question sont 
arrivés à des résultats très-variables, au moins pour les 
nerfs de la sensibilité générale; car, pour la vue et pour 
l’ouïe, les résultats de Helmholtz sont positifs. 

Il est évident qu’il y aura fusionlorsque deux excitations 



DES EXCITATIOJJS 


185 

successives se confondront au point qu’elles sembleront 
être une excitation unique. Or, si on dispose un courant 
électrique de manière qu’un cylindre enregistreur rompe 
le courant à un même moment de sa rotation, à cha¬ 
que révolution du cylindre on percevra une sensation 
produite par la rupture du courant. Si, dès qu orr a eu la 
sensation, on rompt soi-même le courant par le moyen 
d’un petit ressort placé à portée, tantôt on percevra une 
seule excitation, tantôt on en percevra deux, selon qu’on 
aura répondu à l’excitation avec une grande promptitude 
ou une certaine lenteur. Si la promptitude est très-grande, 
on ne perçoit qu’une seule sensation. Naturellement, il 
faut pour que cette expérience réussisse, avoir acquis une 
certaine habitude et être arrivé à corriger son équation 
personnelle. 

Or, en supposant que l’équation personnelle soit sensi¬ 
blement constante, c’est-à-dire n’excédant pas 2/100 de se¬ 
conde, ce qu’on peut, sans trop de difficulté, obtenir sur 
soi-même, lorsque l'équation personnelle est à son mini¬ 
mum d’écart, il y a fusion, lorsqu’elle est à son maximum, 
il n’y a plus fusion : ceci n’indique-t-il pas d’une manière 
incontestable, que la limite maximum de la fusion est pré¬ 
cisément, sans qu’il y ait entre ces phénomènes le moindre 
rapport, un espace de temps qui correspond à l’équation 
personnelle minimum ? Or, cet espace de temps étant d’en- 
yiron 4/100 de seconde, on voit que pour qu’il y ait fusion 
de deux excitations, il suffit qu’elles n’aient pas plus de 
4/400 de seconde de distance entre elles. 

(1) 'Voyez ce que nous avons dit plus haut dans la première partie, 
nages 35 à 50. 


Richet. 


24 



186 


DE LA FÜSION 


Quoique j’aie l’intention de tenter encore quelques expé¬ 
riences sur ce sujet pour le compléter, je tiens à faire 
remarquer qu’il ne faut pas, quand même la sensation 
paraîtrait discontinue, en conclure qu’il n’y a pas 
fusion des excitations. En effet, les nerfs de la sensibilité 
générale paraissent différer des nerfs spéciaux, tels que le 
nerf optique et le nerf acoustique, en ce que des excitations 
même continues, comme la compression ou la pression, 
par exemple, semblent discontinues. Le seul moyen donc 
déjuger s’il y a fusion dans les centres nerveux, c’est de 
calculer la distance maximum nécessaire entre deux exci¬ 
tations pour qu’elles ne paraissent plus en faire qu’une 
seule. Aussi croyons-nous notre méthode la seule appli¬ 
cable, au moins pour l’excitation électrique. Pour les im¬ 
pressions tactiles, il est possible que les résultats soient 
tout différents. 

J’ai ensuite cherché à étudier le nombre des excitations 
nécessaires pour provoquer une sensation dans le cas d’ex¬ 
citations trop faibles pour être perçues quand elles sont 
isolées. 

Sur le tracé de la figure 9 sont marquées plusieurs ex- 



Fig. 9. — A. Interruptions en nombre limité, non senties marquées à 
première ligne. B. Interruptions en nombre illimité arrêtées dès que le 
sujet perçoit. On voit que la première, celle de la troisième ligne, est la 
plus longue, comme toujours, par suite de l’éducation perceptive mentionnée 
plus haut. 
















DES EXCITATIONS, 


187 

citations électriques de même fréquence, l’intensité du 
courant étant invariable. Un métronome ne permettait le 
passage du courant que pendant un espace de temps li¬ 
mité, pendant qu’il y avait environ cinq interruptions 
de l’électro-aimant. 

Les signes A de la première ligne représentent les inter¬ 
ruptions faites par le métronome, de telle sorte que, chaque 
fois qu’il rétablit le courant, le courant est interrompu envi¬ 
ron cinq fois par un électro-aimant. Or, ces cinq excitations 
n’étaient pas perçues. Au contraire, pourles lignes inférieu¬ 
res B, l’individu arrêtant lui-même dès qu’il éprouvait une 
sensation, on voit qu’il sentait parfaitement des courants 
exactement semblables et interrompus avec la même 
fréquence. La seule différence est que, pour le premier cas, 
le nombre étant illimité, il finissait par sentir, tandis que 
dans le second cas, le nombre étant limité par l’oscillation 
du métronome, il n’avait pas le temps de sentir. 

Cette expérience est peut-être plus instructive que toutes 
les autres pour démontrer le phénomène de l’addition dans 
les centres, elle nous montre que souvent cinq excitations 
sont insuffisantes, et qu’il en faut un plus grand nombre 
pour produire un effet sensitif. 

D’ailleurs, ce qui démontre mieux encore le même phé¬ 
nomène, c’est l’étude delà contraction musculaire. Si on 
prend un courant faible, des interruptions dont la période 
est limitée par un métronome n’auront produit aucun effet. 
Si, au contraire, on laisse quelque temps les interruptions 
s’établir, on voit que le muscle finit par se contracter. 

Supposons que le courant soit un peu plus fort, et nous 
aurons un tracé analogue à celui qu’on voit à la figure 1. 
La première période ne produit pas d’effet musculaire. 



Jgg = DE l’addition 

mais la seconde en produit un, et la troisième un 
autre plus marqué encore. De sorte que l’addition se ma¬ 
nifeste, non-seulement pour les secousses isolées, mais 
encore pour les groupes et les périodes d’excitations, 
quoique elles soient séparées par un espace de temps 
très-appréciable. 

L’importance de cette éducation musculaire comparée à 
l’éducation perceptive, n’échappera à personne : on verra 

quelarapiditéplusgrandedes dernièresperceptionsestdue 
à un phénomène d’ordre physique, à une sorte d’élasticité, 
qu’il est permis, vu la similitude des réactions, de com¬ 
parer à l’élasticité du muscle : nous pouvons donc affirmer 
que ce qu’on appelle l’éducation de la perception, n’est 
qu’une variété particulière des phénomènes de l’addition 
dans les centres. 

Ainsi, le nombre maximum des excitations qui peuvent 
s’additionner est certainement plus grand que cinq, et il 
est difficile de le déterminer avec plus d’exactitude. Au 
contraire, le nombre minimum est facile à trouver. 


En effet, nous savons que les secousses de la rupture et 



Fig. 10. 


La ligne des excitations a répond à la courbe myographique a' qui est 
nulle. La ligne des excitations b' répond à la courbe myographique b\ Le 
courant en a et en b est le même. En b les interruptions sont produites 
par les mourements combinés d’ua métronome, et d’un interrupteur très-lent. 




189 


et de la fusion 
delà clôture pouvaient s'additionner. Le même résultat 
est obtenu avec des courants d’ordre physique semblable, 
en sorte que deux excitations très-rapprochées éveillent 
une sensation; mais, lorsqu’elles sont plus éloignées, il 
n’y a aucun phénomène de perception. 

La figure 10 montre à quel point pour la contraction 
musculaire le phénomène est identique. La ligne droite a 
correspond aux interruptions de la ligne a et indique qu il 
n’y avait aucun mouvement produit dans le muscle, tan¬ 
dis que la ligne h’ qui répond aux interruptions plus 
rapprochées, tantôt deux, tantôt trois, tantôt quatre de la 
ligne b’, démontre que le muscle est excitable par deux 
excitations très-rapprochées qui ne produisent rien si elles 
sont plus éloignées. Naturellement aux lignes a et b, 1 in¬ 
tensité du courant était toujours la même. On voit aussi 
dans cette figure à quel point la quatrième excitation est 
plus puissante que les trois premières. Chaque fois qu elle 
vient se surajouter aux trois premières,la contraction de¬ 
vient plus énergique. On peut donc conclure que, lors¬ 
qu’une excitation unique est insuffisante, trois excitat.ons 
et même deux excitations, suffisent pour provoquer un 

mouvement. , ^ -x j 

Ainsi, pour résumer toute cette partie de notre etude, 

nous pouvons affirmer que, toutes choses égales d’ailleurs,< 

des interruptions rapides seront mieux senties que des in¬ 
terruptions lentes, et regarder comme très-probable que 
le nombre des excitations nécessaires pour amener une 
perception, est d’autant moindre que ces excitations sont 
plus fortes et plus rapprochées. , . , , 

Il nous reste maintenant à étudier la duree de la 
persistance des impressions sensitives dans les centres, 



190 


DE l'addition 


autrement dit, quel est entre deux excitations successives 
l’intervalle minimum, pour que la seconde excitation ne 
vienne pas s’additionner à la première. 

Je n’ai évidemment pas besoin d’ajouter qu’il n’y a pas 
d’identité à établir entre cet intervalle qui mesure la durée 
maximum de la persistance des impressions, et le très-court 
espace de temps pendant lequel deux excitations successi* 
ves se sont confondues au point de n’en plus paraître for¬ 
mer qu’une seule. Dans ce dernier cas, c’est un phénomène 
de fusion, tandis que dans le cas qui nous occupe ici, c’est 
un phénomène d’addition. 

Je pensais d’abord que cette limite serait facile à con¬ 
naître et qu’elle avait une durée constante. En conséquence, 
j’ai essayé de la mesurer en prenant des interruptions 
très-lentes et croissant très-lentement. Mais je ne tardai 
pas à m’apercevoir que mon hypothèse n’était rien moins 
que justifiée. En effet, plus l’interruption est lente, plus 
pour éveiller une sensation, l’excitation a besoin d’être 
forte. C’est une conséquence directe de la loi que nous ver 
nous de démontrer précédemment. On arrive ainsi à cette 
limite de la perception qu’il est toujours si difficile d’ap¬ 
précier. C’est du reste à peu près ce qui se passe pour un 
muscle épuisé ou excité faiblement. Il se contracte si peu 
que sans le myographe on ne saurait dire s’il s’est con¬ 
tracté, ou s’il est resté immobile, et que, même avec le 
myographe, il est impossible de préciser exactement le 
moment où la contraction a commencé. D’ailleurs pour 
tous les phénomènes physiologiques il y a comme une 
chaîne continue dont tous les anneaux voisins se ressem¬ 
blent tellement qu’il faut en prendre un plus éloigné pour 
constater une différence. Autant ces phénomènes sont fa- 



Fig. 11. (1) 


ET DE LA FUSION. 


191 


ciles à délimiter quand on prend les 
extrêmes, autant quand on prend les 
semblables, on trouve l’incertitude et 
la confusion dans les limites. 

Il s’agissait donc de voir les effets 
de plusieurs courants d’intensité di¬ 
fférente- La fig. 11 représente les 
interruptions produites par trois de 
ces courants. Le courant marqué à la 
ligne A est le plus faible, celui qui 
est marqué à la ligne C est le plus fort. 
Le sujet en expérience arrêtait le cou¬ 
rant dès qu’il éprouvait une percep¬ 
tion. 

Ce qu’il était naturel de prévoir 
est arrivé. Plus le courant est fort, 
plus la ligne des excitations est vite 
terminée, ce qui signifie que la percep¬ 
tion est plus prompte. En somme, 
dans ce tracé, les interruptions finales, 
qui sont les seules ressenties par le 
patient, sont d'autant moins rappro¬ 
chées que l’intensité de l’excitation 
est plus grande. 

La conclusion qu’on doit en tirer est 
toute naturelle et elle s’accorde par- 

(1) Le courant A est faible, le courant B plus 
fort, le courant Cplüs fort encore. Le sujet arrête 
dès qu’il perçoit, de sorte que les dernières exci¬ 
tations sont les seules perçues.| - -- 









\Q2 DE KA PERSISTANCE 

faitement avec les propositions précédentes qu’elle com¬ 
plète et justifie en les éclairant. 

La persistance d'une excitation dans les centres nerveux a 

une durée proportionnelle à l'intensité de cette excitation. 

Cette loi qui règle le phénomène de l’addition dans les 
centres nerveux ne s’applique probablement pas au phé¬ 
nomène de la fusion; mais on peut la vérifier pour les 
phénomènes d’addition musculaire. J’ai pensé que le phé¬ 
nomène serait plus net si au lieu de prendre des excitations 
isolées, je prenais des excitations multiples formant des 
groupes séparés par un certain intervalle, et composes 
d'un nombre égal d’excitations isolées; la disposition 
précédemment indiquée du métronome et de l’électro- 
aimant m’a servi à cet effet. 

La fig. 12 nous donne la démonstration de ce phénomène 
musculaire. Les lignes e’, m’ se correspondent de telle 
sorte que les interruptions de e’ ont produit les contrac¬ 
tions fusionnées de la ligne m\ Après chaque contraction 
fusionnée, le muscle a repris la forme primitive et est 
revenu à la ligne m’. Dans ce cas, l’excitation étant 
faible, la fusion était com.plète pour les groupes d’exci¬ 
tation de la ligne e’. Mais il n’y avait pas d’addition 
pour les groupes envisagés séparément : au contraire, 
pour les excitations marquées à la ligne e’ à laquelle 
répondent les lignes m’, l’intensité du courant étant plus 
forte, la persistance d’action était plus longue et le muscle 
ne revenait que lentement à sa force primitive. Donc, outre 
les fusions des excitations de chaque groupe, il y a 
par suite de l’intensité de l’excitation, addition des grou- 




CONCUSIONS 193 
pes, de telle sorte qu’a- 
près chaque période ex¬ 
citatrice, pour des cou¬ 
rants forts, il y a per¬ 
sistance d’action, quand 

avec des courants fai¬ 
bles, toutes choses éga¬ 
les d’ailleurs,il n’y apas 
persistance d action. 

Il me semble donc 

évidentque pour le mus¬ 
cle comme pour les cen¬ 
tres nerveux, la persis¬ 
tance d’une excitation 
est proportionnelle a 
l’intensité de cette exci¬ 
tation. 

Ainsi tous ces faits 
s’éclairent l’un pari au¬ 
tre et s’enchaînent de 
telle sorte que l’on ne 
saurait les séparer. La 
conclusion générale est 
que .pour les centres 
nerveux, comme pour 

P) La ligne des excitations 
e répond à la courbe myogra- 
grapbique m. La ligne e’ ré¬ 
pond à m’. Bnm, par suite de 
la persistance d’action, le mus¬ 
cle ne revient pas à sa forme 
primitive. 

Richet. 25 
















CONCLUSIONS 


194 

les muscles, il y a identité dans la forme de la fonction. 
Si l’on pouvait traduire par un graphique les phénomènes 
du sentiment, on aurait des courbes analogues aux courbes 
de la contraction musculaire avec des secousses simples, 
des tétanos incomplets par addition, des tétanos complets 
par fusion. 

Sinouspouvionsprendre une comparaison vulgaire,nous 
dirions que l’excitation d’un nerf est semblable au pas¬ 
sage d’un courant électrique dans un fil métallique, tandis 
que l’excitation des centres serait comparable aux vibra¬ 
tions d’une cloche qui continue à résonner longtemps après 
qu’elle a été ébranlée. 

On pourrait aussi faire un rapprochement intéressant 
entre les phénomènes de perception sensitive et les phé¬ 
nomènes de perception douloureuse. En effet, une excita¬ 
tion dont la durée est aussi courte que celle d’une excita¬ 
tion électrique ne serait pas douloureuse, si elle ne 
durait que le temps même de l’excitation. Une douleur 
qui ne durerait pas au delà d’un dixième de seconde serait 
comme nulle, et on n’aurait pas à s’en préoccuper. Mais 
une excitation forte laisse après elle une trace qui dure 
longtemps, et c’est cette vibration des centres nerveux, 
consécutive à une excitation unique, d’autant plus pro¬ 
longée que cette excitation est plus forte, qui constitue par 
sa durée la douleur même. Des excitations un peu moins 
intenses, mais durant pluslongtem§s, finissentpar devenir 
douloureuses et produisent par leur addition une sorte de 
tétanos de la sensibilité. 

Enfin les auteurs qui ont étudié l’action réflexe ont vu 
que les centres réflexes de la moelle épinière se com¬ 
portent de la même manière, en sorte que l’on peut, d’une 



CONCLUSIONS 


195 

manière générale, établir une analogie entre les fonctions 
de ces deux tissus placés à l’extrémité, l’un des nerfs mo¬ 
teurs, l’autre des nerfs sensitifs, et admettre pour les 
centres nerveux encéphaliques ou médullaires une sorte 
d’élasticité comparable à celle du tissu musculaire. 

Conclusions. — 1. La sensibilité ne peut être étudiée 
d’une manière fructueuse que sur l’homme, et l’électricité 
d’induction est le moyen le plus exact de l’apprécier. 

2. Par une longue série d’excitations égales entre 
elles et très-rapprochées, la sensibilité décroit lentement, 
mais après un court repos revient rapidement à l’état nor¬ 
mal. 

3. Deux ou plusieurs excitations égales entres elles et 
très-rapprochées produisent un effet sensitif qu’elles sont 
insuffisantes à produire si elles sont isolées ou éloignées 
l’une de l’autre, ce qui démontre qu’il y a dans les centres 
nerveux une accumulation d’effet, ou mieux une persis¬ 
tance d’action comparable au phénomène de la contraction 
musculaire. 

4. Le muscle avec lequel on peut le plus avantageu¬ 
sement comparer la sensibilité est le muscle de la pince 
de l’écrevisse dont l’élasticité est considérable et qui, par 
la lenteur de ses réactions et sa puissante vitalité, est très- 
favorable à l’exploration myographique. 

5.11 faut distinguer la transmission d’une excitation qui 
est toujours très-rapide, quelle que soit son intensité, et 
le résultat de cette excitation, qui est tantôt un sentiment, 
tantôt un mouvement. La transmission est un phénomène 
qüi dépend du nerf, le sentiment et le mouvement sont 
des phénomènes dépAidant soit des centres nerveux, soit 



CONCLUSIONS 


196 

des muscles, et Us ont après l’excitation une persistance 
d’action dont la durée est proportionnelle à l’intensité de 
l’excitation. 

6- Par suite de cette persistance, quand les excitations 
se suivent avec une certaine rapidité, il se fait entre elles 
dans les centres nerveux récepteurs, ou dans les muscles, 
soit une addition, soit une fusion. 

7. L’addition est évidente pour les centres nerveux 
comme pour les muscles : elle se produit avec un minimum 
de deux excitations, et un maximum qui semble être à peu 
près illimité. 

8. La fusion s’observe plus difficilement pour les centres 
nerveux que pour les muscles. Elle semble se produire 
lorsque deux excitations sont séparées par un intervalle 
maximum de 1(25 de seconde. 

9. Pour des excitations égales entre elles et fréquemment 
répétées, le moment de la perception est d’autant plus re¬ 
tardé que leur intensité est plus faible, et d’autant plus 
rapide que leur intensité est plus grande. 

10. Le nombre des excitations nécessaires pour amener 
soit la perception, soit le mouvement, est inversement 
proportionnel à l’intensité et à la fréquence des excita¬ 
tions. 

11. Il y a une sorte d’éducation de la perception, même 
à d’assez longs intervalles, entre deux perceptions consé- 
cütives. Le même fhénomène s’observe sur le muscle, et 
il est rationnel d’y Voir un fait d’addition. 

12. Ces propositions sont probablement générales et 
peuvent s’appliquer d’une part aux excitations physiques, 
chimiques, mécaniques, autres que l’électricité, d autre 
part aux phénomènes de la perceptivité douloureuse. 



CONCLUSIONS 

13. Il y a analogie entre ces phénomènes sensitifs et les 
lois de l’action réflexe que Pflüger, Tarchanoff et Rosen- 
thal ont récemment mises en lumière; ce qui porte à croire 
que le travail des centres nerveux, soit perception pour 
l’encéphale, soit action réflexe pour la moelle épinière, se 
fait d’une manière analogue. 

14. Le système nerveux, placé à l’extrémité des nerfs 
sensitifs, et le système musculaire, à l’extrémité des nerfs 
moteurs, ont deux fonctions qui ne sont pas analogues, 
mais dont la forme est identique, et on pourrait repré¬ 
senter schématiquement le sentiment et le mouvement par 
des courbes graphiques absolument semblables. 


CHAPITRE II. 

DES DIFFÉRENTES VARIÉTÉS DE LA SENSIBILITÉ GÉNÉRALE. 

Cette question est une des plus obscures de la physio¬ 
logie, et malgré de nombreux travaux elle n’est pas encore 
sur le point d’être élucidée. Avant d’entrer dans le détail 
des faits il est nécessaire de résumer les données que nous 
possédons aujourd’hui sur les rapports des nerfs avec les 
centres nerveux. 

Un nerf n’a pas d’autre fonction que celle de trans¬ 
mettre une excitation. La transmission de cette excitation 
est ce que nous avons étudié plus haut sous le nom de 
courant nerveux. Il y a un courant nerveux centripète et 
un courant nerveux centrifuge. Les courants centripètes 
agissent sur les centres, les courants centrifuges agissent 



SENSIBILITÉ 


198 

sur les muscles. Ils ne font que mettre en jeu l’irritabilité 
des parties avec lesquelles ils sont en rapport, et cette 
irritabilité peut être éveillée par d’autres excitants que 
l’excitant nerveux. Ainsi d’une*part l’électricité agit sur 
un muscle dont les nerfs sont paralysés par le curare, et 
d’autre part des excitations portant directement sur la 
moelle donnent des impressions sensitives. 

Si après l’excitation du nerf optique il y a une sensa¬ 
tion visuelle, la spécificité de cette sensation tient non 
pas au nerf lui-même, qui est simplement un cordon con¬ 
ducteur, mais au centre avec lequel il est en rapport. Il 
en est certainement de même pour le nerf acoustique, et 
probablement aussi pour les nerts de l’olfaction et du 
goût. 

Mais si cette distinction est facile à établir pour les nerfs 
sensoriels, il n’en est pas ainsi pour les nerfs de la sensi¬ 
bilité générale. A l’état normal, des excitations différentes 
éveillent des sensibilités différentes. Un corps chaud 
appliqué sur la main donnera une sensation de chaleur, 
la pression une sensation de pression, le contact une sen¬ 
sation de contact, etc. 

Cette distinction entre les diverses formes de la sensi¬ 
bilité n’est pas une pure abstraction. Dans la plupart des 
maladies des nerfs, l’une d’elles peut être atteinte sans 
que les autres le soient, et les paralysies de ces sensibi¬ 
lités se font isolément, l’une étant détruite, quand l’autre 
est exaltée, ainsi que nous l’avons démontré au chap. IV 
de la première partie. 

De là, deux hypothèses qu’il faut poser le plus nette¬ 
ment possible. Naturellement l’une est vraie, à l’exclusion 
de l’autre. Ou bien le mode de transmission par le nerf 



GÉNÉRALE 

diffère selon le mode de l’excitant. La différence de percep¬ 
tion tient à la différence de l’excitation du nerf. Ou bien 
l’excitation d’un nerf est toujours identique à elle-même, 
ne variant que d’intensité et de durée, et la différence de 
perception tient à la différence des centres percepteurs. 

Pour corriger ce que ce langage a d’abstrait, prenons 
un exemple. Le nerf sciatique transmet des sensations 
de chaleur, de contact, de pression, de douleur ; tel est le 
fait qu’il faut expliquer. 

Or, on ne peut l'expliquer que de deux manières ; ou 
bien ces perceptions différentes tiennent à ce que l’exci¬ 
tant étant variable, une coupure agissant autrement qu’un 
morceau de glace, ou la pression par une pince, la nature 
de la transmission nerveuse varie selon le genre de 1 exci¬ 
tation que le nerf subit. C’est l’explication la plus généra¬ 
lement adoptée (1). Ou bien il existe dans le cerveau des 

centres percepteurs pour la température, le contact, la dou¬ 
leur, tels que s’ils entrent en jeu par suite de l’excitation 
des nerfs qui y arrivent, il y a perception de chaleur, de 
contact ou de douleur. C’est l’opinion développée par Brown 
Séquard, et qu’on est maintenant porté à abandonner (2). 

Pour ma part, j’ai étudié pendant longtemps les diffé¬ 
rents phénomènes des paralysies du sentiment, soit péri¬ 
phériques, soit centrales, et je n’ai pu me former une 
conviction définitive en faveur exclusivement de l’une ou 
l’autre de ces hypothèses. Toutefois je ne comprends 
guère le discrédit dans lequel est tombée l’opinion de 
Brown-Séquard, et, sans me faire le champion d’une hy- 


(1) Voir Vulpian. Art. Moelle du Dict. encyclop. 

(2) Voir Mac-Dounell dans la Revue de* sciences méd., 1876, 1.1, p. 469, 



200 


SENSIBILITÉ 


pothèse évidemment très-contestable, je dirai qu’elle a 
deux avantages sur l’autre. . , 

Le premier avantage, c’est qu’elle est très-claire et très- 
facile à saisir. Elle rend compte des faits démontrés de la 
manière la plus précise et la plus nette. Voilà aine hysté¬ 
rique qui a une analgésie complète de la main, et piour- 
tant elle sent très-bien le froid, le chaud, le contact, lé 
chatouillement; donc les nerfs qui transmettent la dou¬ 
leur sont paralysés. Un ataxique ne sent que la tempé¬ 
rature et la douleur ; donc tous les nerfs transmettant 
d’autres sensations que ces sensations de température et 
de douleur sont paralysés. A la vérité, on peut et on doit 
admettre que dans certains cas ce ne sont pas les nerfs 
eux-mêmes, mais les centres récepteurs qui sont paraly¬ 
sés. Ainsi chez les hystériques, par exemple, il est très- 
probable que l’analgésie a une cause centrale : toutefois 
l’explication reste la même. 

Le second avantage de la théorie de M. Brown Séquard 
est qu’elle fait rentrer le nerf sensitif dans les conditions 
générales du nerf moteur, et qu’elle cadre bien mieux avec 
les données physiologiques. 

Ces deux avantages seraient donc suffisants pour la 
faire adopter dans son ensemble, si elle ne prêtait pas à 
trois objections, dont une seule d’ailleurs nous paraît 
digne de considération. 

La première objection est qu’il faudrait supposer une 
complexité prodigieuse aux centres nerveux et aux nerfs, 
puisque chaque région du corps, si petite qu’elle fût, 
devrait posséder plusieurs sortes de nerfs, dont chacun 
serait en rapport avec un des centres destinés spéciale¬ 
ment à la perception d’une des impressions périphériques. 



GÉNÉRALE 201 

Or, à vrai dire, cette objection ne nous paraît pas fon¬ 
dée, puisque nous ne nous faisons aucune idée de la com¬ 
plexité des organes nerveux centraux, et que cette com¬ 
plexité paraît extrême. Dans l’une et l’autre hypothèse, 
il n’y a pas de simplification possible, et la science est 
forcée de reconnaître qu’elle ne sait rien de précis sur 
cette sorte de travail intérieur des centres, qui fait que 
telle excitation est suivie d’une sensation de chatouille¬ 
ment, telle autre d’une sensation de douleur, etc. 

La seconde objection est qu’il faudrait créer alors une 
infinité de conducteurs spéciaux (Vulpian), le besoin de 
respirer, de tousser, d’éternuer, de vomir, etc., consti¬ 
tuant des sensibilités spéciales. 

Malgré l’autorité du professeur Vulpian, il me paraît 
impossible d’admettre cette objection et pour plusieurs 
raisons. D’abord parce que le nombre de ces besoins n’est 
pas extrêmement considérable, qu’on pourrait le ramener 
à une dizaine, tout au plus ; que le nombre des centres 
moteurs spéciaux, d’après les nouvelles recherches, paraît 
devoir être beaucoup plus grand, et qu’en tout cas l’exis¬ 
tence de ces centres de sensibilité est nécessaire, puisque 
ces sensibilités existent réellement, et ne peuvent être 
niées comme existences distinctes. La principale raison 
pour laquelle cette objection n’a pas de valeur, c’est que 
ces différents besoins n’ont rien de caractéristique que le 
réflexe qu’ils provoquent. Cligner, respirer, bâiller, éter¬ 
nuer, sont des fonctions dans lesquelles le nerf sensitif, 
qui va aux centres et le nerf moteur, qui en vient, jouent 
également leur rôle. Ce qu’on appelle un besoin n’est autre 
qu’un réflexe sollicité avec énergie par le nerf sensitif. La 
sensation vient donc, à proprement parler, de ce qu’on 
Richet. 36 



202 DES DIFFÉRENTES 

appelle le sens musculaire et n’en est qu’une variété. Au 
demeurant, du moment qu’on est forcé d’admettre l’exis¬ 
tence de centres moteurs spéciaux pour ces différentes 
fonctions, on ne peut regarder comme trop complexe la co¬ 
existence, à côté de ces centres moteurs, de centres sensi¬ 
tifs qui leur sont étroitement liés. 

Dans l’une comme dans l’autre hypothèse, on doit re¬ 
connaître qu’il existe plusieurs genres de sensibilité, et 
pour ma part je trouve la difficulté tout aussi grande d’ad¬ 
mettre que selon le mode d’excitation du nerf les cellules 
nerveuses de la moelle seront irritées d’une certaine ma¬ 
nière, et produiront une perception spéciale, que de re¬ 
connaître à la moelle certaines régions spéciales, desser¬ 
vies par des nerfs spéciaux, lesquels entrent en jeu sous 
l’influence des excitations diverses. 

La troisième objection a beaucoup plus de force que les 
deux autres. Elle n’est cependant point énoncée dans l’ar¬ 
ticle de Vulpian (1) sur les fonctions de la moelle. Le fond 
de cette objection est qu’il y a à la périphérie une série 
d’appareils (corpuscules de Pacini, de Vater, de Malpighi, 
de Krause, etc.), encore assez imparfaitement connus au 
point de vue anatomique, et dont la fonction est absolu¬ 
ment ignorée. Or, il est très-possible que ces appareils ne 
soient pas également impressionnés par les différentes 
excitations, telles que la chaleur, le contact, la pres¬ 
sion, etc. ; et selon leur mode d’excitabilité ils transmet¬ 
traient aux centres telle ou telle sensation à 1 e;^clusion 
des autres sensations. 

Vulpian (2) gssimile cette spécificité des cellules ner- 

(1) Dict. encyclop., t. VIII, p. 398 et suiv. 

(2) Loc. eit., p. 423. 



SENSIBILITÉS. 203 

veuses périphériques à la fonction que certains auteurs 
attribuent à la rétine. En effet M. Donnell (1) et Dor (2) 
pensent, contrairement à la doctrine d’Helmholtz et de 
Young, qu’il n’y a pas de conducteurs spéciaux pour les 
différentes couleurs du spectre, et que la sensation de 
telle ou telle couleur dépend du rapport entre l’excitabi¬ 
lité du nerf et la qualité physique des excitations lumi¬ 
neuses. Cependant, en pareille matière, les autorités de 
Young et d’Helmholtz sont tellement imposantes qu’on a 
de la peine à se décider contre eux, surtout quand leur 
opinion n’est pas solidement réfutée. 

En résumé, la valeur des objections dirigées contre 
l’ancienne doctrine de Brown-Séquard, que Schifl admet 
encore aujourd’hui, est presque nulle, et il est extrême¬ 
ment facile de les mettre à néant de fond en comble. Nous 
ne prétendons pas la défendre ; elle est trop hypothétique 
pour être inattaquable, mais cette doctrine explique si 
clairement les faits qu’elle offre une très-grande commo¬ 
dité pour le langage, et c’est à ce titre que nous nous en 
servirons. Il n’est pas besoin de rappeler ici que ce n’est 
qu’une hypothèse, que par conséquent elle est sujette à 
caution, mais nous attendrons pour la rejeter qu’on ait 
trouvé contre elle des arguments plus sérieux que ceux 
qui ont été invoqués jusqu’ici. 

Voici donc ce que nous admettrons dans le courant de 
cette étude. 

Il existe dans l’axe encéphalo-médullaire des centres de 
sensibilité qui, lorsqu’ils sont mis en jeu, éveillent te^Ie 

(1) Bull, de la Soc. de bîol., 1874. 

(2) Site, der Bern. naturfors. Gesellchaft, juillet 1872. 



204 CLASSIFICATION 

OU telle perception. Ils sont mis en jeu par les nerfs 
venant de la périphérie. 

Ces nerfs n’ont pas de spécificité d’action ; ils sont sim¬ 
plement excitables, et selon Je centre avec lequel ils sont 
en rapport, c’est telle ou telle excitation qui est perçue. 
Ainsi l’excitation du nerf optique donnera une sensation 
de lumière, l’excitation du nerf laryngé supérieur, le 
besoin de tousser, l’excitation d’un nerf mixte, la sensa¬ 
tion de température, de contact, de pression, de chatouil¬ 
lement, de douleur même, selon ses connexions avec les 
centres de contact, de pression, de chatouillement ou de 
douleur. 

Ces excitations nerveuses sont renforcées et développées 
par la disposition des appareils périphériques qui sont 
annexés aux nerfs et qui rendent les sensations plus nettes 
et mieux déterminées, en développant 1 intensité des 
faibles excitations. Cela est démontré pour les nerfs sen¬ 
soriels, très-probable pour les nerfs du toucher, et vrai¬ 
semblable pour les autres nerfs. 

Mais laissons de côté les hypothèses, qui sont toujours 
plus ou moins stériles, et venons à l’étude des différentes 
sensibilités, en tâchant d’éclaircir ce dédale obscur qu’on 
appelle la sensibilité générale. 4 

La distinction entre la sensibilité tactile et les autres 
sensibilités avait échappé à Weber, qui a fait sur le sens 
du toucher de si belles observations (1). Entrevue par 
Gerdy (2) et Gendrin (3), elle a été réellement affirmée 
d’une manière précise, pour la première fois, par Beau, 

(1) De pulsu, respiratione et tactu, t842. ^ 

(2) Mém. sur le tact et les sensations cutanées. L'Expérience, 1842, t. IX> 

^ (3) Bull, de VAcad. de méd., août 1846. 



205 


DES SENSIBILITÉS 

qui en a fait le sujet d’un mémoire important. Beau dis¬ 
tingue avec beaucoup de sagacité la perte de la sensation 
tactile ou anesthésie de la perte de la sensation doulou¬ 
reuse ou analgésie (1). Plus tard, Landry étudia avec 
soin (2) les divers genres de sensibilité, et il a été suivi 
dans cette voie par beaucoup d’auteurs, parmi lesquels je 
citerai seulement Brown-Séquard (3) et Schiff (4). Quant 
aux autres auteurs qui ont parlé des différents modes de 
sensibilité, je les mentionnerai en temps et lieu. 

La classification admise actuellement pour les diffé¬ 
rentes sensibilités et développée dans les traités classiques 
de physiologie, est qu’il y a environ six genres de sensi¬ 
bilités : 

Le toucher ; 

La pression ; 

La température ; 

Le chatouillement ; 

Le sens musculaire; 

La douleur. 

Cependant, si nous recherchons quelles sont les diffé¬ 
rentes sensations arrivant aux centres nerveux, nous en 
trouverons un certain nombre d’autres qui n’ont pas pris 
place dans cette classification. 

Eliminons d’abord les sensations générales telles que la 

(1) Bull, de VAead. de méd., août 1847, et Recherches dingues sur 
Vanesthésie (Arch. gén. de méd., 1848). 

(2) Des sensations tactiles {Arch. gén. de méd., 1852). 

(3) Transmission dans la moelle épinière {Journ. de physîol., t. VI, 
p. 124). 

(4) Même sujet (Comptes-rendt,i de ï'Acad. des sciences, mai 1854 et 
sept. 1862). 



DES SENSIBILITÉS 


faim et la soif. En effet, quoique rapportées à des organe 
périphériques, ces sensations sont manifestement cen¬ 
trales ; nous n’avons pas à nous en occuper ici. 

Nous passerons encore sous silence la sensation qu’on 
a appelée sensation d'équilibre, et qu’on a voulu localiser 
dans les canaux semi-circulaires de l’oreille int;erne (1) et 
le sentiment général de l’existence (2), deux sensations 
trop mal définies et trop peu connues pour être étudiées 
avec fruit. 

Parmi les autres sensations, les unes sont sensorielles 
ou perceptives, la vue, l’ouïe, l’odorat et le goût; les autres 
sont rapportées à la sensibilité générale ; c’est de celles-là 
seulement que nous nous occuperons. 

Parmi elle, il en est un petit groupe qui a un carac¬ 
tère commun le différenciant nettement des autres. 
Certaines sensibilités sont spéciales à certains organes et 
liées à des mouvements de ces organes. Ce sont des sen¬ 
sibilités qu’on pourrait appeler motrices, parce qu’elles 
éveillent toujours l’action réflexe. Elles sont locales, pro¬ 
voquées par l’excitation des nerfs de la région et tiennent 
très-probablement à l’excitabilité de certains centres sen¬ 
sitifs, liés étroitement aux centres moteurs correspon¬ 
dants. Ce sont les sensations de : 


(1) Flourens. Recherches sur le système nerveux. Paris, 1842, p. 438. — 
Goltz. Pflüger s Archiv, t. III, p. 172. 

(2) Béraud et Rcfcin {Elém. -de physiol., t. I, p. 155) décrivent comme 
eensation distincte les angoisses circulatoires, et une sensation de malaise 
général, qu’ils attribuent aux nerfs centrifuges du cœur, et qui seraient au 
sentiment de la vie (cénestbésie) ce que la fatigue est à la contraction mus¬ 
culaire. 



MOTRICES 


207 


Volupté (1) ; 

Respiration ; 

Bâillement; 

Eternument ; 

Toux; 

Déglutition ; 

Vomissement ; 

Défécation ; 

Miction; 

Clignement. 

Sans pouvoir entrer dans tous leè détails qui seraient 
nécessaires, nous allons étudier le caractère général 
qu’otfrent ces dix sensibilités. Cette étude étant faite, 
nous comprendrons plus facilement les différentes variétés 
de la sensibilité générale. 

§ I- 

Des sensibilités motrices. 

Ainsi que nous le disions plus haut, toutes ces sensibi¬ 
lités ont un caractère spécial, qui est de mettre en jeu un 
groupe de muscles appropriés à une fonction, ou quelque¬ 
fois le muscle qui est seul à remplir cette fonction. 

Prenons un exemple ; la sensation de iatoux,je suppose : 
cette sensation est un véritable besoin, en ce sens qu’ell e 

(1) Le rapprocbement de la sensation voluptueuse avec les sensibilités spé¬ 
cialement liées à une fonction musculaire a été fait il y a déjà plusieurs an¬ 
nées par Lussana {Journ. de physioL de Brown Séquard, t. VI, p. 187). 



208 DES SENSIBILITÉS 

commande énergiquement l’acte musculaire qui doit ex¬ 
pulser des bronches le corps etranger qui s’y est introduit. 
En analysant cette sensation et l’ensemble de ce phéno¬ 
mène, on trouve ; 

1° Des nerfs bronchiques transmettant une excitation 
aux centres ; 

2° Un centre sensitif excité, et par -conséquent une 
perception; 

3" Le centre moteur juxtaposé, excité de même; et par 
conséquent un mouvementmusculaire, par l’intermédiaire 
des nerfs expirateurs ; 

4“ La conscience de ce mouvement revenant aux centres, 
grâce au sens musculaire. 

Nous pourrions analyser de même toutes les autres sen¬ 
sibilités que nous avons appelées motrices ; et nous y 
trouverions toujours les mêmes éléments, nerf centripète 
excitateur d’un centre sensitivo-moteur qui donne à la 
fois la perception aux centres neveux et le mouvement 
aux muscles. 

Ainsi ce sont des sensibilités différentes, mais ces dif¬ 
férences tiennent uniquement à la nature du centre ner¬ 
veux excité, et non à la différence de l’excitation. La 
fonction du nerf laryngé supérieur qui donne la sensation 
de la toux, est la même que celle de la branche ophthal- 
mique de Willis qui donne la sensation du clignement. 
Dans l’un et dans l’autre cas, c’est toujours la fonction 
nerveuse, tandis que la fonction des centres qu’ils excitent 
est différente dans l’un et dans l’autre cas.' 

Aussi ces nerfs ne font-ils aucune différence entre les 
agents qui les<excitent ; que ce soit un agent thermique, 



MOTRICES. 


209 


chimique et mécanique, le résultat est le même et la sen¬ 
sation produite ne diffère pas. 

Ce point est trop important pour ne pas mériter d’être 
éclairci. 

Lorsque la vessie est distendue par l’urine, la muqueuse 
vésicale donne aux centres une sensation spéciale qui 
est le besoin d’uriner, et de même la muqueuse rectale 
distendue par les matières fécales provoque le besoin 
de la défécation. 

Mais il n’y a dans ces sensibilités rien qui dépende fata¬ 
lement de la nature de l’agent excitateur; et l’excitation 
des deux muqueuses, de quelque nature qu’elle soit, amène 
le même effet. Par exemple, si on introduit dans l'anus 
des corps étrangers, on provoque le besoin de la défécation 
absolument comme si le rectum était rempli de matières. 
Les blessures du rectum occasionnent souvent la même, 
sensation. Quand, à la suite de rectite, la muqueuse rectale 
est enflammée, comme dans la dysenterie, par exemple, 
l’hypéresthésie nerveuse est telle que le plus léger contact 
entraîne le besoin de la défécation. Il en est de même pour 
la vessie. Lorsqu’on sonde un malade, le cdiitact de la 
sonde avec le sphincter vésical provoque la même sensa- 
sion que l’accumulation d’une trop grande quantité d’urine. 
C’est ainsi qu’un calcul vésical donne lieu à de fréquentes 
envies d’uriner. Comme dans la rectite, il y a dans la cys¬ 
tite une telle hypéresthésie nerveuse, que la plus légère 
excitation devient une excitation forte capable de mettre 
en jeu le centre sensitivo-moteur, d’où dépendent d’une 
partie besoin d’uriner, d’autrepart, l’expulsion de l’urine. 

On comprendra sans peine qu’il serait inutile de pour¬ 
suivre la même démonstration pour tous les nerfs sensitifs 
Richet. 27 



210 BES SENSIBILITÉS 

qui servent à provoquer ainsi des actions réflexes irrésis¬ 
tibles: il me suffira d’ajouter que l’excitation électrique de 
ces nerfs provoque des sensations de même nature, ce qui 
par conséquent est une preuve de plus pour démontrer 
qu’il n’y a pas de spécificité dans le genre de l’excitation, 
et que le caractère particulier de telle ou telle de ces sen¬ 
sations tient aux centres nerveux excités. Ainsi un fort 
courant électrique appliqué près de l’anus provoque le 
besoin de la défécation; l’excitation du bout central du 
largyngé supérieur fait tousser les animaux sur lesquels 
on expérimente. 

Il est intéressant de voir à quel point ce que nous avons 
dit dans le chapitre précédent de la perception et de la len¬ 
teur du travail cérébral se justifie pour ces perceptions sen¬ 
sitives spéciales. Rien n’est plus lent en effet que l’ébran¬ 
lement nécessaire pour amener le mouvement réflexe et 
la perception complète. Par exemple pour la sensation 
nauséeuse produite par la titillation du voile du palais, 
ce n’est qu’au bout d’une demi-minute et souvent plus 
de temps encore que la nausée et le vomissement sur¬ 
viennent. D’abord, il n’y a aucune sensation très-nette, 
puis peu à peu l’excitation finit par s’accumuler : elle 
monte, monte graduellement, comme de l’eau tombant 
goutte à goutte dans un vase, finit par déborder le 
vase. C’est qu’il se passe là dans les centres nerveux un 
travail analogue au travail cérébral et au travail médul¬ 
laire étudiés plus haut, et que l’élaboration, soit d’une 
perception, soit d’un mouvement, nécessitent un espace 
de temps appréciable. Toutefois, pour des excitations 
très-fortes, la duiée du travail perceptif est négligeable. 
Ainsi une blessure de la conjonctive produit immédiate- 



MOTRICES. 


211 

ment le clignement. Un corps étranger dans le larynx 
amène immédiatement la toux qui doit l’expulser des voies 
aériennes. 

Quoi qu’il en soit, la perception du besoin précède tou¬ 
jours le mouvement qu’elle doit provoquer. Le mouve¬ 
ment ne se produit qu’à la fin, lorsque les centres nerveux 
sont chargés, pour ainsi dire, par l’excitation prolongée 
venant de la périphérie. Si, le mouvement étant accompli, 
la cause de l’excitation persiste, le besoin deviendra de 
plus en plus impérieux, et peu à peu se transformera en 
une véritable douleur. Tout se passe donc comme si l’exci¬ 
tation exagérée des centres sensitifs mis en jeu, finissait 
par arriver jusqu’à un centre cérébral siège de la douleur. 
Mais c’est là un domaine encore trop hypothétique pour 
qu’il nous soit permis de nous y aventurer. Nous nous 
contenterons donc de constater que l’excitation démesurée 
deces nerfs spéciaux peut produire de la douleur. 

^n tout cas, ces centres sensitivo-moteurs peuvent être 
paralysés isolément, ainsi que la pathologie nous en donne 
de fréquents exemples. Le bromure de potassium agit 
spécialement sur la sensation nauséeuse qu'il empêche. 
Chez les personnes ayant pris une dose plus ou moins 
forte de ce sel, on peut titiller la luette, le voile du palais, 
et l’arrière-gorge sans provoquer de vomissements 

Pareillement, chez les hystériques, cette sensibilité est 
souvent paralysée isolément, comme aussi la sensibilité 
spéciale de la conjonctive au clignement (1). Il en est de 
même pour la partie supérieure des voies respiratoires 

(1) Liégeois {Mém. de la Soc. de biol., 1859, p, 209 et 261) a constaté 
r anesthésie de cette sensibilité avec persistance du clignement. 



212 DES SENSIBILITÉS 

chez les malades atteints de paralysie labio-glosso laryn¬ 
gée et la paralysie de la sensibilité réflexe du larynx y 
est notée comme un des premiers phénomènes (1). Chez 
un grand nombre de paralytiques généraux, l’anes¬ 
thésie rectale ou vésicale précède la plupart des autres 
symptômes, lorsque à ce moment il n’y a encore aucune 
anesthésie des téguments. Les malades ne sentent pas le 
besoin d’uriner ou de déféquer, et ces paralysies isolées 
devancent toutes les autres. 

Réciproquement, les sensibilités spéciales du rectum et 
de la vessie peuvent être conservées alors que toutes les 
autres sont abolies. Ainsi récemment, j’ai vu dans le ser¬ 
vice de M. le professeur Lasègue, (salle St-Charles, n® 22) 
une hystérique de 17 ans complètement anesthésique. 
Cette malade, ainsi qu’elle le disait elle~même, ne sent 
aucun point de son corps, et cependant elle sent parfai- 
^ tement le besoin d’aller à la selle et d’uriner (2). 

De même la sensation delà volupté est aussi, dans des 
cas fort rares, lésée isolément. Brown-Séquard a vu deux 
cas d’anesthésie spéciale de la volupté ; toutes les autres 
espèces de sensibilités de la muqueuse uréthrale et de la 
peau de la verge persistant (3). 

Althaüs en rapporte un autre cas (4). On en trouverait 
peut-être un plus grand nombre sans la fausse honte qui 
empêche les malades de parler. Fonsagrives en cite un 

(1) Krishaber. Gaz. hehd., 1872. 

(2) Son observation, assez incomplète d’ailleurs, est rapportée dans la thèse 
inaug. de Desbrosses (Paris, 1876). De l’anesthésie dans l’hémiplégie hysté¬ 
rique, p. 75. 

(3) Journ. de physiol,, Transmission des impressions sensitives dans la 
moelle épinière, t. VI, p. 125. 

(4) Gaz. méd. de Paris, 1859. P. 525, 



MOTRICES. 


213 


exemple très-remarquable observé sur une femme (1). 
Pour ma part, j’ai vu le cas inverse. Un jeune homme 
atteint de fracture de la colonne vertébrale avait une 
paralysie complète des membres inférieurs, delà vessie et 
du rectum. Cependant le gland avait conservé sa sensibi¬ 
lité, obtuse au point de vue du tact, de la chaleur et de la 
douleur, mais complète au point de vue des sensations 
voluptueuses. Le malade m’assurait avoir des érections et 
des éjaculations. 

De tous ces faits nous pouvons conclure qu’il y a des 
centres sensitifs liés aux dilîérentes sensations que nous 
avons énumérées plus haut. Certes, il serait désirable de 
pousser plus loin l’analyse physiologique et de déterminer 
avec plus d’exactitude la situation, la nature et les fonc¬ 
tions de ces centres, mais nos connaissances sont si peu 
avancées là-dessus que toute hypothèse serait prématurée. 
Heureusement les recherches contemporaines ont fait 
faire de grands progrès à l’étude des centres moteurs dans 
l^ncéphale (2) et dans la moelle (3). 

Il n’y a donc rien d’invraisemblable à admettre qu’il en 
est de la sensibilité comme de la motricité, et qu’à cer¬ 
taines sensibilités spéciales répondent des centres sensi¬ 
tifs spéciaux placés dans l’encéphale. ^ 

En somme ces centres encéphaliques sensitifs ne jouent 
pour cesdifférents mouvements qu’un rôle assez secondaire; 
la déglutition, le vomissement, le bâillement etc. (4), peu- 

(1) Art, Aphrodisie du Dict. encyclop., t. IV, p. 105. 

(2) Femer. — Hitzig. — Carville et Duret. 

(3) Büdge. Comptes-rendus de VAcad. des sciences, t. LVIII. p. 529. — 
Sohiff. — Gianuuzzi. Comptes-rendus de T Acad, des sciences, 1863, t. LVI, 
p. 53. — Masius. Journ. de l’anatomie, 1869, t. Vlj p. 103. 

(4) Floureus. Expêr, sur le syst, nerveux, 1842. 



214 des sensibilités 

vent s’accomplir sans qu’il y ait perception : il y a là cepen¬ 
dant un courant nerveux centripète,partant de la périphérie 
pour aller à la moelle; mais l’excitation ne pouvant aller 
plus loin, s’est bornée à mettre eu jeu le centre moteur 
dans la moelle, sans exciter le centre percepteur situé 
probablement plus haut dans l’encéphale : le courant ner¬ 
veux centripète serait à bon droit nommé sensitif, mais il 
faudrait alors distinguer la sensibilité consciente de la 
sensibilité inconsciente. 

Cependant, dans la plupart des cas, en dehors de l’état 
pathologique et de l’état de sommeil, il y a perception 
sensitive. Quelquefois les centres nerveux intellectuels 
peuvent arrêter ou suspendre le réflexe provoqué par l’ex¬ 
citation périphérique, mais cet arrêt ne peut durer long¬ 
temps, et cette influence cérébrale est forcément limitée. 
Lorsque les aliments sont préparés à la déglutition, 
il est très-difficile de retenir les mouvements de dégluti¬ 
tion qui doivent introduire le bol alimentaire dans l’œso¬ 
phage, et une fois le premier temps de la déglutition achevé 
et le second commencé, il est impossible d’arrêter l’action 
synergique des muscles du pharynx. De même, quand le 
rectum est distendu par les matières, ou la vessie par 
l’urine, un moment arrive enfin où la volonté est impuis¬ 
sante à empêcher la contraction expulsive de l’un ou 
l’autre de ces réservoirs. 

Pour la sensation de volupté, l’action des centres supé¬ 
rieurs a une influence prédominante; cette influence est telle 
que l’excitation périphérique est facilement entravée dans 
son action par une influence cérébrale de sens contraire ; 
une préoccupation, une crainte, une inquiétude suffisent 
pour rendre nulles toutes les excitations des nerfs des 



organes génitaux. D’un autre côté, en dehors de toute 
action cérébrale, il a pu y avoir chez des animaux dont la 
moelle était sectionnée, érection et même éjaculation en 
sorte que dans les circonstances dont nous parlons plus 
haut, l’action des centres nerveux serait une sorte d action 
paralysante plus ou moins analogue à ces paralysies par 
irritation que Brown Séquard a si bien etudiees. 

Enfin, pour terminer, nous dirons que souvent 1 excita¬ 
tion sensitive, venant de la périphérie, n’est pas nécessaire, 

et que l’excitation des centres sensitifs eux-mêmes peut, 

en dehors de tout courant nerveux centripete, produire 
des sensations spéciales. Certains poisons provoquent le 
vomissement en agissant sur l’éncéphale comme aussi les 
tumeurs cérébrales. 

Dans les rêves, des illusions érotiques suffisent pour 

provoquer l’éjaculation et la sensation voluptueuse Mais 
toutes ces conditions sont rares, et dans la plupart des cas 
il faut une irritation venant de la périphérie. Il n y a ex 
ceptionque pour le bâillement et le besoin de respirer 
Ces besoins sont très-probablement d’origine purement 
centrale, et tiennent aux modifications chimiques du sang 
qui nourrit le bulbe rachidien. 

Toutefois des excitations partant de la périphérie peu¬ 
vent par une sorte de phénomène d’arrêt, suspendre la. 
respiration. Ainsi Schiff (1) a remarqué qu’un J^t d eau 
froide sur la peau produisait de la dyspnée. Rolhng et Falk 
(2). disent que toutes les excitations cutanées amènent 
un ralentissement des mouvements respiratoires. 


(1) Comptes-rendus de VAead. des f P' 

(2) Arci fur anaU, 1869. — Deutsche Klimk, 1873. 



216 


DE LA SENSIBILITÉ 


§ 2 . 

De la sensibilité tactile et de ses différentes formes. 

Nous venons de voir qu’il y avait des sensibilités spé¬ 
cialement dévolues au mouvement; il y en a d’autres qui 
ont un autre but, c’est de nous faire connaître les objets 
extérieurs, la forme, la consistance, le poids, la tempéra¬ 
ture de ces objets. 

Aussi, à côté des sensibilités motrices, proposons-nous 
d’établir un groupe de sensibilités perceptives ayant pour 
fonction une connaissance plus ou moins complète du 
monde extérieur. 

Les physiologistes ont établi six groupes; mais il est 
facile de voir que le chatouillement n’a aucune analogie 
avec le sens du toucher : c’est une modification des centies 
qui ne nous fait rien savoir sur l’excitation produite, et 
par conséquent nous devons le ranger, ainsi que la sensa¬ 
tion de démangeaison, dans le groupe des sensibilités que 
j’appellerais volontiers affectives, dans lesquelles la sen¬ 
sibilité à la douleur joue le principal rôle. 

Cette classification est en partie artificielle, comme 
toutes les classifications des faits. En réalité, les faits ne 
peuvent être classés naturellement ; car il y a une chaîne 
ininterrompue de l’un à l’autre, en sorte que tout ce qui 
établit des catégories est factice : mais il importe peu. Ce 
qu’on peut exiger d’une classification, c’est qu elle soit de 
nature à rendre les démonstrations plus claires et plus 
méthodiques, et à faire saisir le lien qui réunit des faits en 



TACTILES. 


217 

apparence disparates. Aussi croyons-nous bien fondée 
cette division ; sensibilités motrices, provoquant un ré¬ 
flexe musculaire particulier, et une perception sensitive 
particulière; sensibilités affectives, provoquant une sen¬ 
sation douloureuse à différents degrés ; sensibilités per¬ 
ceptives, &men&nt une connaissance du monde extérieur. 

Etant ainsi comprises, ces sensibilités perceptives seront 
toutes destinées à un seul sens, c’est-à-dire au sens du 
toucher. A vrai dire, elles doivent se subdiviser en plusieurs 
sous-ordres : contact, température, sens musculaire, pres¬ 
sion. Le sens du toucher n’est donc qu une entité psycho¬ 
logique: car il se compose de ces quatre variétés qui peut- 
être exigent chacune des nerfs spéciaux, et en tout cas se 
paralysent isolément. 

, Examinons d’abord le contact.: cette sensation se com¬ 
pose elle-même de plusieurs éléments qu’il faut distin¬ 
guer. 

Létiévant (1) fait remarquer avec raison que l’on sent 
le contact même à travers une masse inerte, que par con¬ 
séquent la notion du contact léger, de l’ébranlement pro¬ 
duit par une impression extérieure peut très-bien coexister 
avec une paralysie superficielle de la sensibilité. Il suffira 
que les parties sous-jacentes aient conservé l’intégrité de 
leurs fonctions sensitives, pour qu’il y ait courant ner¬ 
veux centripète et perception dans les centres. 

Cette sensation que j’appellerais volontiers le contact 
léger, ou simplement le contact, est la sensation tactile 
par excellence. Il est probable que chez les animaux inté¬ 
rieurs, tels que les mollusques et les bryozoaires, la sensa- 

(1) Des sections nerveuses, p. 50. 

Richet. 28 



2j‘g DES SENSIBILITÉS 

t.on tactUe se borne à la notion d-„n corps 

toucher leur périphérie tégumentaire. Eu tout cas, chez 

l’homme elle est prodigieusement 

fait remarquer plus haut (1) que le 

facilement excitable que le nerf moteur, et 

rence tenait probablement au 

pour les nerfs sensibles par les appareils places a la per 
phérie. Bien des faits viennent à l’appui de cette yp 

‘“"ais an citer nn qui concorda arec las expériancas da 
Volkmann at las nriennas snr la sansibihta 
flexa chas la granouilla, Sonrant on a 1 occasion da vo 
des plaies bonrgeonnnntas, assez sensibles do 
ranses ; or, si on las toucha fortamant, on provoqua de la 
douleur; an contraire, si on ne las toucha que 
la contact ne sera pas perçu, l’excitation était insuffisante 
pour mettra an jeu las narts sans appareils terminaux 
Ldis que cette même excitation est suffisante pour exciter 
les nerfs du derme qui ont une disposition de renforcement 
toute particulière. De même sur la granouilla 
l’excitation cutanée produit un tétanos que 1 excitation 
directe du nerf ne produit pas. . -a - 

Cette sensation de contact ne peut pas être ItyParestha- 

siée- si, à l’état normal, sur la peau saine, un contact loger 

n’asi pas perçu, il n e sera pas perçu non plus meme dans la 
cas d’hypéresthésie delà région. Cependant 1 hyperesth^esie 
pourra être telle qu’un léger contact devienne <i»"- 

Lr Dans les inflammations de la peau (phlegmon fu¬ 
roncle, etc.), comme dans les névralgies, le fait est très- 


(1) Voyez page 38 et suiv. 



249 

tactiles. 

évident. Dans certains cas même, ^ 

Générale par exemple dans quelques myehtes. Carpe 
ter fl) rapporte l’observation extrêmement curieuse 
ter (1) rapporte^ moindre ébranlement 

individu nomme Kitt , p ^ g tactiles 

‘":=?E='lS:=“:--= 

been slight, but to me tn and pain, tbe 

a„.ostn..de.escrea.^th..e^^^^^^ 

TTTioÛlLl tL gaouBd when te haajBmped from a 

1 +hat be augbt. » Chez les névropathiques, 
place ‘l*»* ies, lemoindreéba.ale- 

Te— 

"ThypTeaThreUa douleur, .1 n'y a pas h.péresthdsie 

'^“.““‘'“fdu touclaer estcoustitaé par d’autres perceptions 
" en particulier par la locali^tion et la distincfion 

? lermârad'ê” et du toucher plrjsiologiqne, 

"‘esdouuTscluenousfournisseut les modiücations de ces 

“ptur lÜgVrîi u.“—langue parfaitement deux 
(,) Tedd. CsCofcd. d-C. «"d 



220 DES SENSIBILITÉS 

pointes, on emploie le compas de Weber (1), l’esthésio- 
mètre de Sieveking (2) ou celui de Manouvries (3). Beau¬ 
coup d’auteurs ont fait des recherches sur cette particula¬ 
rité du sens du toucher. Weber a constaté qu’il y avait des 
différences considérables entre les différentes régions du 
corps, et il a dressé des tableaux qu’on trouvera dans tous 
les traités élémentaires de physiologie (4). Vierordt (5) 
appelle sens du lieu cette sensibilité qui permet de distin¬ 
guer deux points différents. Ses recherches et celles de 
ses élèves (6) ont démontré que la délicatesse du sens du 
lieu était d’autant plus marquée que l’on s’éloignait plus 
de l’axe de rotation du membre. Plus récemment le même 
auteur a étudié la précision avec laquelle on juge le trajet 
et la direction d’une excitation cutanée. Gubler (7) a 
fait remarquer, après Weber, que la sensibilité transver¬ 
sale était plus développée que la sensibilité longitudinale, 
à l’exception du bout des doigts et de la langue. Enfin, 
M. Brown-Séquard (8) a fréquemment étudié les modifica¬ 
tions pathologiques de la sensibilité tactile (9). 

(1) Loc. cit., 

(2) British and Foreign med. chir. Review, janvier 1858. 

(3) Bull, de la Soc. hiol., 1874, p. 375 et Arch. dephysiol. 1876, p. 757. 

(4) Beaunia, p. 878 ; Longet, t. lit, p. 66, etc. 

(5) Zeitschrift fur Biol., 1870, t. YI, p. 53. Traduit dans le Joum. 
Æanat. et de physiol., 1870, t. YII, p. 265. 

(6) Kottenkamp et Ulrich. VersuChe ueber den Raumsirn der Haut der 
oberen Extremitâten (Zeitschrift für Biol., 1870). Hartmann. Ibid., 1871. 

(7) Comptes-rendus de la Soc. de biol., 1859, p. 125. 

(8) Journ. de physiol., t. IV, p. 124. 

(9) Voir aussi Meissner. Zeitschrift für Rationnelle medizin, 1859, t. VII, 
p. 92. — Schuppel. Revue des sciences méd., t. III, p. 618. — Putnam. 
Ibid., t. VI, p. 120. — Drosdorff. Centralblatt, 1875, n» 17, p. 259. — 

Rendu. Ann. de dermatologie, déc. 1874 et janv. 1875. Belfilld. Lefèvre. 
Th. inaug. Paris, 1837. 



221 


TACTILES. 

J’ai fait de nombreuses explorations au moyen du com¬ 
pas de Weber, et j’ai été frappé de la difficulté qu’on 
éprouve à faire des observations précises. Rien n’est plus 
étonnant à cet égard que les dixièmes de millimètre que 
les élèves de Vierordt reconnaissent avec tant de sûreté. 
Si on n’applique pas les deux pointes instantanément, si 
on ne les maintient pas absolument immobiles, si on per¬ 
met au sujet de faire le plus léger mouvement, si on les 
laisse trop longtemps en place, toute l’observation est 
faussée : or, est-on jamais assuré de réaliser toutes ces 
conditions ? 

Outre cela, il est très-difficile, pour ne pas dire impos¬ 
sible, de saisir quelle est exactement la limite de la sensa¬ 
tion. Il y a pour chaque région de la peau une étendue 
très-nette où, par l’application de deux pointes, on ne per¬ 
çoit qu’une seule pointe; mais au delà de cette zone en 
existe une autre, d’autant plus étendue que la sensibilité 
tactile est moins développée (Vierordt) : c’est une zone 
d’indécision, dans laquelle les sujets ne peuvent dire si 
on les touche avec deux pointes ou avec une seule. Je pro¬ 
poserais donc d’établir, d’une manière précise, l’étendue de 
cette zone aux différentes régions : nous aurions ainsi une 
exactitude beaucoup plus grande. 

Enfin, il n’est pas indifférent d’aller en augmentant l’é¬ 
cartement du compas ou en le diminuant. Si on prend un 
écartement perçu nettement pour arriver à la sensation 
limite, cette limite sera très-reculée et toute différente de 
ce qu’elle aurait été, si l’on eût procédé en sens inverse, en 
mettant d’abord les deux pointes toutes voisines pour les 
écarter ensuite peu à peu. Manouvriez (1), qui a aussi re- 
(1) Th. inaug. Loc. cit et Arch. de physiol., p, 759, 1876. 



222 des sensibilités 

marqué le fait, propose de prendre la moyenne de deux 
observations faites ainsi en sens contraire. 

J’ai eu plusieurs fois l’occasion d’explorer avec le com¬ 
pas de Weber des malades ayant une distension énorme 
de la peau, et j’étais surpris de la distance à laquelle il 
fallait mettre les pointes du compas pour obtenir une dis¬ 
tinction des pointes. Une malade portant une énorme tu¬ 
meur sarcomateuse de la cuisse, grosse comme une tete 
d’enfant, à plus de 20 centimètres ne distinguait encore 
qu’une pointe. Un malade, ayant une tumeur du scrotum, 
ne distinguait les pointes qu’à 9 centimètres, ce qui est 
près de trois fois plus qu’à l’état normal. Je pourrais citer 
d’autres exemples, mais il suffit de signaler le fait qui est 
constant. 

Sur les malades ayant une cicatrice qui réunit deux 
portions de la peau piimitivement éloignées, c est en vain 
qu’on rapproche les pointes; pourvu que chacune d’elles 
soit sur un côté distinct de la cicatrice, elles ne seront 
jamais confondues. 

Tous ces faits sont confirmatifs de la théorie de Weber, 
qui est ingénieuse et probablement vraie, quoique encore 
hypothétique. 

J’ai fait une observation qui a vraisemblablement 
échappé à Weber et aux auteurs qui l’ont suivi. La notion 
de contact est très-obscure sur les parties autres que la 
peau, en particulier sur les plaies granuleuses. Si on met 
les deux pointes du compas sur la p.laie, le malade sentira 
un écartement A, par exemple (en général 6 à 10 centi¬ 
mètres). Si, au contraire, on ne met qu’une pointe sur la 
plaie, l’autre étant située sur la peau, en appuyant égale¬ 
ment avec les deux pointes, on n’obtiendra qu’une seule 



223 


TACTILES. 

sensation même avec un écartement 2 A (12 à 20 centi¬ 
mètres). 

En somme, le fait est facile à expliquer, c est la con¬ 
firmation expérimentale du vieil adage hippocratique : 

« Duobusdoloribussimulobortis,nonineodemloco, ma- 

« jor alterum obscurat. » En tout point c’est analogue a 
l’expérience que j’ai faite sur la sensibilité électrique, par 
laquelle je montrais qu’une excitation forte paralysait une 
excitation faible et empêchait la perception de cette der¬ 


nière. 

Ainsi que Weber l’avait remarqué, la muqueuse du 
gland est douée d’une sensibilité tactile très-obscure (1), 
tandis que le prépuce a une sensibilité tactile assez déve¬ 
loppée : or, en appliquant une pointe sur le prepuce et 
l’autre sur le gland, on voit qu’il faut un écartement de 
plus de 8 centimètres pour qu’il y ait distinction de la 
perception. Au contraire, si les deux pointes sont appli¬ 
quées simultanément sur le gland, un écartement de 4 cen- 
timètres est distinctement perçu. L’explication de ce fait 
est absolument la même que pour le fait d’une surface 
granüleuse. La pression du compas sur la peau produisant 
beaucoup plus que la même pression sur le gland, cette 
dernière n’est pas sentie; elle le serait cependant si 1 autre 
n’existait pas qui obscurcit la plus faible. 

Si on touche très-rapidement la peau avec une pointe et 
qu’ensuite avec l’autre pointe, à quelque distance, on 
touche une autre région de la peau, le sujet percevra quel¬ 
quefois, mais non toujours, deux sensations. Il faut evi- 


(IjWeter, loc. cit., 
Berne, 1839, et Gra 
new PhüoaophicalJo'^ 


, et Valentin. Defunct 
ives Observât, on ih 
i., 1836, t. XLI, p. 


nervorum cerehralium, 

1 of Touch {Hdimburgh 



224 DU SENS MUSCULAIRE 

demment rapporter ce fait à la persistance de l’impression, 
en vertu de laquelle le sujet éprouve encore la sensation, 
alors que la cause qui l’a provoquée a disparu. Il serait 
sans doute très-intéressant de rechercher le temps et les 
conditions nécessaires à la persistance de cette impression ; 
mais je n’ai pu tenter cette recherche, et je me contente de 
signaler le fait qui est assez intéressant pour être noté. 

Le sens du toucher nous fournit encore beaucoup d’autres 
notions sur les objets extérieurs; il nous permet déjuger 
leur forme, leur consistance, leur poids, leur température. 
La forme relève évidemment de la notion de contact et de 
la notion de localisation. La consistance et le poids dé¬ 
pendent du sens musculaire. 

Bien des travaux ont été faits sur le sens musculaire (1), 
et ce qui résulte le plus clairement de la lecture des prin¬ 
cipaux mémoires écrits sur ce sujet, c’est que le sens mus¬ 
culaire existe, ou tout au moins qu’il y a une notion com¬ 
plexe de cei'taines qualités des objets extérieurs, notion 
que le contact simple ne peut pas donner (2). Quels sont 
les conducteurs dans la moelle de ces impressions? c’est 
ce qu’on ne saurait bien déterminer. Il y a complet désac¬ 
cord sur cette question entre la plupart des physiolo¬ 
gistes. 

(1) Bernstein. Untersuchungen ueber den Erregungsvorgang. Heidelberg, 
1871, p. 239. — Bernhardt. Zur Lehre von muskelsinn (Arch. fur Psycha- 
trie, 1872, p. 618). — Sachs. Recherches sur les nerfs sensibles des muscles 
(Archiv fur anat., 1874, p. 645). — Schultze et Furbringer. Sehnenreflexe. 
(Centralblatt, 1875, p. 929). — Schiff. Lehrbuch der Physîol., p. 118. — 
Rolliker. Zeitschrift fur Wissenschaflliche zoologie, t. XII, p. 157. 

■■'2) Vulpian n’admet pas l’existence du sens, musculaire (art. Moelle du 
Dict. encyclop., p. 422). Il en est de même de Bernhardt (Archiv fur Psy¬ 
chiatrie, 1872, t' III, P- 518). 



DE LA THERMOESTHÉSIE. ^ 

En tout cas faire du toucher un sens ne relevant que 
del sensation de contact, ce serait sinsuUërement rétrécir 
e domaine de ce sens. Le sens 
sens particulier, il ne fait que 
dans une mesure très-grande. Lorsqu on ai 
UTCC l’esthcsiomètre, invariablement les sujet P ^ 

riencc font des mouvements pour donner p us 

leursensation.Régulièrementilenesttoujoursains^ 

toucher un objet et le connaître, nous ne nous contenton 
pas de reffleurer, mais de le palper, de le presser pour 
juger de son poi^s, de sa résistance, de sa consistance, 
toutes données qui ne sont fournies que par le sens mus- 

“cè qu’il y a de plus curieux dans l’étude du sens mus- 
culata c’e« que souvent il conserve son intégrité au milieu 
del’ane’sthésiegénérale.Ainsileshystériquesneperdentque 
ILment le seL musculaire, et alors que toutes les autres 
sensibilités tacüles ou aSectives sont abolies, ont “nse^e 
la faculté de coudre, de tricoter, d’écrire, etc., mouvements 
oui exigent des sensations très-parfaites et complexes. ^ 

Le sens de la température ou thermoesthésie existe ven- 
tablement et il fait encore partie du sens du toucher, 
observe très-rarement sa paralysie isolée, mais souvent on 

foît sa persistance au milieu de l’anesthésm 

centrale, soit périphérique. Dans les affections u sys ^ 
nerveux central, la paralysie agitante ’ J 

souventunesens.tiondechaleurinsuppottable{l). Dans les 

.“toxicationsparl’arsenic(2),par la belladone, on retrouve 

(1) Ch.™t. Xcc.» 1» Kl -Wi» d« ‘ '• 

p. 176., 

(2) Rabuteaa. Toæicoî., p. 137. 


Richet. 



226 de la sensibilité 

aussi cette sensation. Les amputés ont souvent des bouf¬ 
fées de chaud et de froid, et la compression d’un nerf pro¬ 
duit aussi le même résultat; ce qui prouve que pour les 
sensations de froid ou de chaleur l’appareil tégumentaire 
périphérique n’est pas nécessaire. 

Quant au sens dit de la pression, je ne comprends guère 
comment il a été admis, sans motif, par la plupart des 
auteurs : en effet, ou la pression est douloureuse, ou elle 
n’est pas douloureuse. Si elle est douloureuse, on ne sent 
plus de pression réelle, on éprouve une douleur qui ne 
donne aucune notion perceptive; si bien que certaines 
douleurs, ayant une tout autre cause, ressemblent aux 
douleurs produites par la pression, une forte brûlure par 
exemple (1). Il n’y a donc pas lieu de faire une classe à part 
pour la douleur produite par la pression, c’est une forte 
excitation des nerfs, toute mécanique, et qui n a rien de 
particulier ni comme excitation ni comme perception. 

Si la pression est légère sans être douloureuse, on aura 
bien à la vérité une perception nette de la pression; mais 
si l’on voulait en faire une sensation spéciale, à ce compte 
il faudrait en créer une infinité d’autres, par lesquelles 
nous jugeons de la dureté, de l’humidité, de la rugosité 
des objets, etc. En somme ce n’est qu’une excitation méca¬ 
nique qu’il faut assimiler aux excitations mécaniques 
que donne le contact. 

Cependant, comme dans toutes les erreurs, il y a dans 
la classification généralement reçue, par laquelle la sen¬ 
sation de pression est distinguée des autres, un certain 
point de vue qui est exact. Souvent on voit des malades 
ayant une anesthésie incomplète. On peut piquer, pincer, 

(1) Robin et Béraud. Elêm. de physîol., t. I, p. 140. 



DE PRESSION. 227 

brûler la peau sans provoquer ni perception, ni douleur. 
Mais si on presse fortement dans la main le membre tout 
entier, le malade sentira une douleur d'ans quelques cas, 
dans d’autres cas il aura la simple perception sans dou¬ 
leur. Cela suffit-il pour faire de la sensibilité à la pression 
une classe à part (1)? 

Pour résoudre la question, rappelons-nous la manière 
dont meurent les nerfs sensitifs : d’après les expériences 
rapportées plus haut, le nerf sensitif meurt de la péri¬ 
phérie au centre et des parties superficielles aux parties 
profondes ; il arrive alors très-souvent que les rameaux 
profonds et les branches volumineuses d’un nerf sont en¬ 
core sensibles, alors que les ramuscules terminaux dis¬ 
persés dans la périphérie tégumentaire ont perdu leurs 
propriétés vitales. Or, l’excitabilité de ces rameaux pro¬ 
fonds est mise en jeu par une pression forte, tandis que le 
contact, le toucher proprement dit, ne met en jeu que les 
ramuscules terminaux dont la fonction est abolie en pre¬ 
mier lieu. Il y a donc lieu de distinguer une sensibilité 
superficielle, tégumentaire, et une sensibilité profonde qui 
appartient aux muscles, aux troncs nerveux eux-mêmes, 
au tissu conjonctif et aux os. Ce n’est pas une différence 
dans la nature de la sens ibilité, mais uniquement une 
différence dans son siège (2). 

Cette sensibilité tégumentaire et superficielle doit même 
être subdivisée en deux classes fort distinctes, surtout au 
point de vue pathologique ; en effet, il arrive souvent, 
surtout dans les anesthésies légères, que le malade ne 

(1) M. Brown-Séquard {Journ. de physiol., t. VI, p. 613), se refuse aussi 
à admettre la sensation de pression comme une espèce distincte. 

(2) Weir Mitchell. Loc. cit., p. 228. 



228 CLASSIFICATION 

sente pas un contact léger; la piqûre très-superficielle 
d'une épingle ne provoque ni douleur, ni même perception. 
Que si on enfonce l’épingle profondément, il ressentira 
nettement la douleur (1). Il n’est pas anesthésique à pro¬ 
prement parler, puisqu’il sent encore nettement des exci¬ 
tations, mais il a perdu la finesse, et, comme je le disais 
plus haut, la fleur de la sensibilité. Il distingue mal les 
pointes de l’esthésiomètre, il ne sent pas un effleurement, 
tandis qu’un contact brusque et un peu plus fort éveille 
une sensation très-nette; l’excitation, portant sur la face 
profonde du derme, produit une vraie douleur. Il y a donc 
lieu, selon moi, de distinguer une sensibilité superficielle 
et une sensibilité dermique. 

Je crois que ces distinctions, insuffisantes peut-être, au 
point de vue de la physiologie absolue, sont très-vraies et 
très-sûres au point de vue clinique. 

Voici donc la division que je proposerais d’établir pour 
les sensibilités perceptives qui constituent, par leur en¬ 
semble, le sens du toucher : 

Sensibilité musculaire, répondant à une excitation phy¬ 
siologique, à la fois à la périphérie par une contraction 
musculaire, et dans les centres par la mise en jeu des 
noyaux moteurs juxtaposés aux noyaux sensitifs; 

Sensibilité thermique, répondant à une excitation phy¬ 
sique, et permettant d'apprécier la température des corps ; 

Sensibilité tactile, répondant à une excitation méca¬ 
nique, et ainsi subdivisée : 

Sensibilité superficielle; 

Sensibilité dermique ; 


(1) Cf. Mesnôt. Th. inaug., 1852. 



229 


DES SENSIBILITÉS TACTILES, 

Sensibilité profonde (sens de la pression des 
anciens auteurs). 

Toutes ces sensibilités peuvent, si l’excitation est trop 
forte ou le nerf trop excitable, ce qui revient au même, 
devenir des sensibilités à la douleur; ainsi une contraction 
musculaire exagérée devient une crampe atrocement dou¬ 
loureuse : une température très-élevée, une excitation mé¬ 
canique trop forte, causent des douleurs dont par l’effet de 
l’habitude on arrive à distinguer la cause, mais qui n’ont 
en réalité qu’un seul résultat, une sensation douloureuse. 

Q.uant à la sensibilité provoquée par l’électricité ou par 
des actions chimiques, comme à l’état normal, il n’y a pas 
d’excitations de cette nature; elle ne répond à aucune 
perception, et on ne peut leur supposer de conducteurs 
spéciaux, puisque l'électricité et les corps chimiques actifs 
mettent en jeu un tronc nerveux dans sa totalité, de sorte 
que c’est le courant nerveux que ces excitations produisent 
et que leurs effets ont déjà été étudiés plus haut (1). 

Il est toutefois un point sur lequel je voudrais insister 
de nouveau, car il me tient à cœur pour ainsi dire, et il serait 
à désirer que l’attention des histologistes se portât sur cette 
question. Il y a certainement à la périphérie, pour la sen¬ 
sibilité tactile, des appareils destinés à renforcer l’impres¬ 
sion mécanique, et je ne comprends guère qu’un aussi bon 
physiologiste que Weir Mitchell ait pu dire (2) : 

« L’hypothèse d’appareils de réception spéciaux à la pé¬ 
riphérie reste sans fondements physiologiques solides, d 

Or ces fondements physiologiques nous les trouvons, 


(1) Yoyeï partie, chap. II, 

(2) Lo<i. cit., trad. frang., p. 48. 



230 


TRANSMISSION 


au contraire, dans ces faits qui sont maintenant surabon¬ 
damment démontrés (1) : 

A. La sensibilité extrême des nerfs tactiles aux excita¬ 
tions mécaniques, même très-faibles, si faibles qu’elles 
n’exciteraient pas un nerf sciatique de grenouille, lequel 
est pourtant si excitable. 

B. L’absence totale de sensations tactiles par l’excitation 
des troncs nerveux, laquelle excitation produit des sensa¬ 
tions de chaleur, de contracture, de fourmillements, etc., 
selon l’intensité de l’excitation et certaines conditions pa¬ 
thologiques mal déterminées. 

Lavoie de transmision des impressions sensitives dans 
la moelle, dans le bulbe et le cerveau, a fait le sujet d’un 
nombre immense de travaux, et je me contenterai d’en 
donner un résumé succinct. 

Après le mémoire de Fodéra (2),les ouvrages plus éten¬ 
dus de Longet (3) et de Stilling (4), on crut à une très- 
grande simplicité dans les fonctions de la moelle épinière. 
Les cordons postérieurs servaient au sentiment, les cor¬ 
dons antérieurs au mouvement. Cependant le problème 
devint bientôt plus compliqué. M. Brown Séquard (5) ad¬ 
mit, en s’appuyant sur les expériences les plus ingénieuses, 
et un ensemble imposant d’observations pathologiques, 

(1) Voyez plus haut, chapitre II, partie. 

(2) Journ. de Magendie^ 1823, p. 197. 

(3) Anat. et phys. du syst. nerveux, t. I, p. 267. Paris, 1842. 

(4) Untersuchungen uber die functionen des Rückenmarka und der 
nerven. Leipzig, 1842. 

(5) Th. inaug. de Paris, 1846. 

Comptes-rendus de la Soc. de biol., 1849, p. 162 et p. 15. 

Gaz. hebd, de médecine, 1855, n»* 31, 32, etc. 

Journ. de’physiol., 1 . 1, p. 176, t. VI, p. 124, etc. 



DES IMPRESSIONS SENSITIVES. 

les conducteurs de toutes les impressions sensitives (sauf 
le sens musculaire) s’entre-croisaient dans la moelle épi¬ 
nière, et passaient par la substance grise, que les impres¬ 
sions de la douleur sont disséminées dans la substance 
grise et dans les cordons antérieurs, et que les impres¬ 
sions de contact et de chatouillement passent par les cor¬ 
dons antérieurs. De son côté Schiff (1) suppose que les 
impressions tactiles passent par les cordons postérieurs, 
tandis que toutes les autres impressions sensitives sont 
transmises à l’encéphale par les parties grises de la moelle. 
D’autres expérimentateurs ont cru que les faisceaux 
latéraux étaient chargés du rôle de conducteurs (2); ce¬ 
pendant leurs expériences, quoique plus récentes, sont 
loin d’avoir une valeur suffisante pour renverser, soit la 
théorie de Schiff, soit la théorie plus satisfaisante de 
M. Brown Séquard (2). Vulpian qui réfute toutes ces opi¬ 
nions, en présence de tant de contradictions, admet qu il 
n’y a probablement pas pour les impressions sensitives de 
route déterminée dans la moelle. (3). Cette opinion se rap¬ 
proche de celle de Wundt(4> qui suppose qui l y a une voie 
principale (hauptbahn) et une \oie accessoire (nebenhahn) 
pour la conduction de la sensibilité, 

Q,uoi qu’il en soit, il est certain qu’une partie des fibres 

(!) Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 22 mai 1854 et sept. 1862. 

Luys. Mêm. de la Soc. de Moi., 1856, p. 94. 

Voir aussi Longet. Traité de physiol., t. Ill, p. 332. 

(2) Türok. Arch. gêner. de méd., 1852, t. XXIX, p. 79. 

Miesoher. Comptes-rendus des travaux du laboratoire de Leipzig, 1870. 

Kawrecki. Ibid., 1870. 

WoroscMloff. Ibid., 1874, p. 99 et 1875. 

(3) Art. Moelle du Dict. encyclop. des sciences méd., p, 396. 

(4) Grundzüge der physiol. psychol., p. 110 et suiv. 



RÉCEPTION 


232 

nerveuses qui conduisent à l’encéphale les excitations delà 
périphérie cheminent parla substance grise et s’entre-croi- 
sent (au moins une fois), et il est avéré aussi que les cor¬ 
dons postérieurs ont un certain rôle dans cette transmis¬ 
sion, mais qu’il faut bien se garder de les considérer 
comme les seuls conducteurs, ainsi qu’on l’admettait au¬ 
trefois, 

Dans la moelle allongée et dans l’encéphale, il y a en¬ 
core de plus nombreuses incertitudes. Ainsi, il n’est pas 
certain que les impressions passent par les cordons resti- 
formes, comme le veut Longet (1), ou qu’elles soient sans 
route déterminée (2) ou même qu’elles passent toutes par 
la substance grise, comme le suppose Brovim-Séquard. 

Quant à l’encéphale, des travaux remarquables et tout 
récents (3) ont déterminé avec précision le point où se fai¬ 
sait la concentration générale de tous les conducteurs de 
la sensibilité. Ce point qui est comme le centre et le foyer 
de toutes les sensations qui viennent de la périphérie, a 
été démontré, tant par les expériences physiologiques que 
par les observations d’hémi-anesthésie suivies de mort, 
être à la limite de la couche optique (capsule interne de 
Meynert). Toute lésion, dit M. Charcot, qui interrompt la 

(1) Traité de physiol., t. III, p. 367. 

(2) Vulpian. Leçons sur le système nerveux, p. 491. 

Laborde. Art. Moelle allongée du Dict, encyclop., p. 608, 

(3) Türck. Situngsberickte der Acad, zu Wien., 1859, t. XXXVI, 
p. 191. — Jackson. London Hospitals Reports, 1866, t. III, p. 373. — 
Veyssières. Th. inaug. Paris, 1874. — Charcot. Leçons sur les maladies 
du système nerveux, 2« édit., p. 300 [Progrès méd., 23 janv. et 6 fév. 1875, 
et Gaz. méd.. 1876, p. 380). —Raymond. Th. inaug. Paris, 1876.— 
Lasègue, Arch. gén. de méd., mars 1876. — Pitres. Gaz. méd., 1876, 
p. 361. 



233 


DES SENSIBILITÉS. 

continuité de la capsule interne dans son tiers postérieur 
a pour conséquence une anesthésie totale du côté opposé et 
qui porte simultanément sur la sensibilité cutanée et les 
sensibilités spéciales. 

Au delà de ce point y a-t-il dans le cerveau des parties 
spécialement destinées à la sensibilité? On regarde les 
lobes postérieurs comme étant probablement destinés à 
cette fonction : mais il faut encore de nombreuses recher¬ 
ches pour que le fait puisse être affirmé. En tout cas, le 
développement de ces lobes cérébraux paraît, en anato¬ 
mie comparée, être corrélatif à la perfection de la sensibi¬ 
lité, laquelle est elle-même en rapport avec la perfection 
de l’intelligence. 


CHAPITRE III 

DE LA SENSIBILITÉ A LA DOULEUR. 

Est-il besoin de définir la douleur? Nul être vivant ne 
l’ignore, et si, parmi les êtres vivants il en est qu’une 
organisation rudimentaire rend impropres à souffrir beau¬ 
coup , Thomme a le triste privilège d’une organisation 
assez délicate pour éprouver, connaître et apprécier la 
douleur sous toutes ses formes. 

En fait, la douleur est une fonction intellectuelle, et 
l’homme tient le premier rang, aussi bien pour l’aptitude 
à la douleur que pour toutes les autres facultés intellec¬ 
tuelles. 

La nature, qui semble se soucier beaucoup moins du 
bonheur que de la vie de ses enfants, a placé à côté de 
Rich^et. 30 



234 


DE DA DOULEUR 
nous cette gardienne infatigable qui nous avertit des dan¬ 
gers. Elle veille sur nos organes et nous empêclie de leur 
demander des efforts trop lourds pour eux. C’est la senti¬ 
nelle de la vie : elle nous arrête dans nos excès, et nous 
châtie sans pitié de nos fautes. Maïs aussi, que de fois 
dépasse-t-elle le but ? Et ne vaudrait-il pas mieux vivre 
peu de temps, à l’abri de toute souffrance, que de mener 
une longue existence empoisonnée par la douleur? 

Le médecin doit se donner la noble tâche de combattre 
la douleur. C’est lâ son principal rôle ; car bien souvent 
il est impuissant à arrêter les efforts de la maladie. 
L’organisme épuisé n’est pas une machine qu’un habile 
mécanicien peut remettre en état, et toutes les ressources 
de la thérapeutique sont impuissantes à conjurer la mort 
d’un hydrophobe,d’un phthisique ou d’un cancéreux; mais 
au moins nous ne sommes pas désarmés contre la dou¬ 
leur et l’expérience de plusieurs siècles nous a légué de 
précieuses indications: c’est à les connaître, à les mettre 
en usage que le vrai médecin doit surtout s’appliquer, et 
on comprendra sans peine quel immense intérêt doit lui 
offrir l’étude de la douleur. 

Cette étude a été faite de tout temps : mais elle a été 
disséminée partout, et p’est à peine si on peut citer quel¬ 
ques travaux d’ensemble entrepris sur ce sujet (1). Sans 

(1) Boissîer de Sauvages. Theorica doloris. Dissertât. Moatpellier, 1757. 

Petit (M. Ant.). Discours sur la douleur. Lyon, an VII. 

Vivier. Esquissesur la douleur. Th. inaug. Paris, 1851. 

Guénéhaud. Du symptôme de la douleur. Ibid., 1853. 

Beclercq. Phénomènes de la douleur. Ibid. 1865. 

Dieulafoy. Art. Douleur du Dict. de méd. et de <ehir. pratiques, t. XI, 
p. 678. 



nous dissimuler la difficulté du sujet, nous allons essayer 
de rattacher ce phénomène aux autres fonctions mieux 
connues du système nerveux (1). » 

Nous traiterons d’abord des manifestations et des ori¬ 
gines extérieures de la douleur; nous étudierons ensuite 
les effets de la douleur sur le système nerveux, et succesr 
sivement les analgésies de cause centrale, les caractères 
et les causes physiologiques de la douleur. 


§ I. — Des signes de la douleur. 

La douleur est un phénomène purement central. C’est 
une perception qui peut exister, même assez intense, sans 
se manifester par aucun signe extérieur, et que par consé¬ 
quent il est impossible de doser. 

Tous les physiologistes savent que, quand on fait une 
vivisection, il y aune diversité absolue entre la manière 
dont les animaux semblent souffrir. Les uns restent im¬ 
mobiles, l’œil fixe, sans s’agiter, sans se plaindre : ils pa¬ 
raissent comme frappés de stupeur. Les autres, au con¬ 
traire, gémissent ou hurlent, se débattent, ne restant pas 
un instant sans lutter et chercher à fuir. Chaque incision 
qu’on fait, chaque déchirement, chaque tiraillement est 
immédiatement suivi d’un soubresaut qui trouble le ré¬ 
sultat de l’expérience. 

Il en est de même pour les opérations chirurgicales. 

(lyLes thèses soutenues à, la Faculté de médecine, Bilon (an XI), Sarrazin 
(anXIII), Mengy (1821), Nicod (1822), Bazot (1843), Schnepf (1855), Roussô 
(1865), Saïd (1869), ne sont (jue pour traiter la question de séméiologie. 



DES SIGNES 


236 

Aujourd’hui que la pratique de l’anesthésie s’est généra¬ 
lisée à toutes les opérations, il est rare de voir ces exem¬ 
ples de courage stoïque dont il était fait mention dans la 
première partie de ce siècle, et aux époques qui Font pré¬ 
cédée. On cite le cas d’une femme à qui l’on fit la résection 
du maxillaire supérieur, et qui, pendant l’opération qui 
dura près d’une heure, ne fit entendre ni un cri ni une 
plainte. J’ai vu un cas de courage assez rare pour être 
mentionné.C’était unhommede45 ans environ,très-éner¬ 
gique et très-résolu, qui voulut se faire enlever sans chlo¬ 
roforme une petite tumeur de la parotide. Il se trouva que 
cette tumeurs’enfonçaitprofondément dans la glande,etque 
l’opération qui eût dû être achevée en trois minutes ne le 
fut guère qu’au bout d’un quart d’heure. Pendant ce 
temps, il fallut tirailler avec la sonde cannelée et le doigt, 
et couper avec le bistouri une bonne portion de la parotide 
et des tissus voisins, et le malade ne poussa pas une 
seule plainte. Quand ce fut fini, il poussa un soupir de 
soulagement, mais ce fut le seul signe indiquant qu’il eût 
ressenti de la douleur. 

Dans les accouchements, dans les douleurs intenses 
comme celles de la colique hépatique ou de la colique né¬ 
phrétique, il y a encore des différences, mais ces différences 
sont beaucoup moins accusées. Quelle est la femme qui 
supporte un accouchement laborieux sans se plaindre? 
Quel est le malade atteint de crampes douloureuses, 
d’accès de goutte ou de névralgie, qui supporte la douleur 
sans contorsions et sans gémissements ? 

Pour notre part (ceci est, et ne pourra j’amais être qu’une 
hypothèse), nous ne croyons phs tant aux différences de 
coucage qu’aux différences de sensibilité. Il y a certaine- 



DE LA DOULEUR ‘ 

ment de grandes variations individuelles dans la résis¬ 
tance à la douleur. Tel qui se lamente s’il est seul, en pré¬ 
sence d’une foule nombreuse contiendra ses gémissements : 
et nous ne voudrions pas qu’on pût nous croire capables 
de refuser à l’homme le pouvoir de se commander. Mais il 
y a une limite au-delà de laquelle le courage n’est qu’un 
vain mot. 

Claude Bernard fait remarquer que certaines races de 
chiens ne sont pas propres aux expériences sur la sensibi- 
bilité récurrente : ainsi les chiens de chasse meurent par 
épuisement nerveux avant qu’on puisse voir la sensibilité 
reparaître dans les racines antérieures. Dupuytren dit que 
certains malades étaient pris d’accidents nerveux après de 
grandes et douloureuses opérations. C’est ce qu’il appelait 
des hémorrhagies de la sensibilité. Brown-Séquard a re¬ 
marqué que les hommes et les animaux du Nouveau- 
Monde supportaient avec plus de courage les traumatis¬ 
mes et les opérations que ceux du vieux continent. On 
peut se demander si ce sont des différences de courage ou 
de sehsibilité. 

Pour rendre plus claire cette distinction, prenons un 
animal dont l’intelligence modeste ne semble pas com¬ 
patible avec des efforts d’héroïsme. Accorder à la gre¬ 
nouille du courage, ce serait faire un abus de langage inex¬ 
plicable, et émettre une hypothèse pour le moins bizarre. 
Et pourtant, toutes les grenouilles ne réagissent pas de la 
même manière à des excitations identiques.Dira-t-on que 
certaines grenouilles sont courageuses, et que les autres 
ne le sont pas ? On serait d’autant moins autorisé à le faire 
que lorsqu’on prend des grenouilles de même taille, de 



DKS SIGNES 


238 

même variété, nourries de la même manière, et dans des 
conditions de température identiques, elles réagissent tou¬ 
jours autant, et il n’y a guère de différence appréciable.En 
hiver la sensibilité de ces animaux est tellement engour¬ 
die qu’on peut pratiquer sur eux toutes sortes de vivisec¬ 
tions sans paraître leur faire de mal. En été, au contraire, 
dès qu’on les touche, elles se mettent à crier. Elles se¬ 
raient donc plus braves en été qu’en hiver, plus braves 
quand elles n’ont pas perdu de sang que quand elles 
ont subi une hémorrhagie? Ne vaut-il pas mieux recon¬ 
naître que leur sensibilité est plus vive en été qu’enhiver, 
et qu’une opération, lorsque leur moelle estanhémiée,est 
bien plus douloureuss que lorsque leur moelle est intacte? 

Pour les mammifères, et surtout pour l’homme, il y a 
un élément de plus que chez les batraciens. Cet élément, 
c’est le courage et la volonté. Quelle est au juste son in¬ 
fluence, c’est ce que personne ne saurait dire. Mais il me 
semble certain qu’en général on ne tient pas assez de 
compte des variations individuelles de la sensibilité. 

Quelle que soit la cause de la douleur, ses manifesta¬ 
tions ont à peu près toujours la même forme, et nous 
pouvons distinguer ses effets sur les muscles de la vie 
animale, et ses effets sur les muscles de la vie organique. 
Nous ne parlons, bien entendu, que de la douleur subite, 
EÎve et aiguë, survenant brusquement et surprenant l’a¬ 
nimal ou l’homme en plein repos organique. 

Les muscles de la vie animale peuvent se contracter sous 
l'influence de la douleur. Ainsi, le cri qu’on ne peut rete¬ 
nir, les gémissements, les hurlements plaintifs pendant 
l’expiration, et surtout le spasme des muscles innervés 



DE LA DOULEUR 

par le facial. Est-ce ou n’est-ce pas un réflexe? et quelle 
est la part de la volonté dans cette contraction synergi¬ 
que de tout un groupe musculaire? C’est un problème en¬ 
core insoluble aujourd’hui. Cependant, certains faits ten¬ 
draient à prouver que c’est un simple réflexe. Ainsi, par 
exemple, lorsque des malades endormis par le chloro¬ 
forme subissent une grave opération, il peut se faire que 
le chloroforme n’ait pas complètement paralysé leur sys¬ 
tème nerveux ; et à un moment donne, celui qui devrait 
être le plus douloureux de l’opération, sans que le ma¬ 
lade se réveille, on surprend une contraction spasmodi¬ 
que, passagère, rapide comme un éclair, des muscles de la 
face. Ces malades sont d’ailleurs en un état de résolution 
presque complète. Dira-t-on qu’ils ont souffert? Leur vo¬ 
lonté et leur mémoire ne sont-elles pas entièrement abo¬ 
lies? 

Quant aux appareils de la vie organique, ils sont peut- 
être plus sensibles à la douleur. Ceux-là sont les vérita¬ 
bles agents réflexes de la douleur. 

Il y a longtemps déjà que Bichat avait tait cette remar¬ 
que importante que pour reconnaître si une douleur est 
fausse ou véritable, il suffit d’explorer le pouls. Mais les 
expériences des physiologistes modernes ont donné des 
résultats plus précis. Je ne puis entrer dans tous les dé¬ 
tails de cette question fondamentale, mais il est néces¬ 
saire d’en dire quelques mots. 

Lorsqu’on excite le bout central d’un nerf de sensibi¬ 
lité, on voit entre autres deux phénomènes se produire, 
l’élévation de tension dans l’appareil circulatoire et la 
diminution de fréquence sinon l’arrêt (Jes battements 
cardiaques. ^ 



240 DES SIGNES 

Selon Wundt (1), ce sont les premières manifestations 
de la sensibilité, et elles ne manquent jamais même quand 
toutes les autres font défaut. Il y a là un effet réflexe, 
d’une part sur le muscle cardiaque, d’autre part, sur ces 
muscles innombrables qui forment la paroi contractile des 
plus petites artères. La voie centrifuge réflexe pour ces 
derniers éléments est encore peu connue, tandis que pour 
le cœur, la voie centrifuge est certainement le nerf vague. 
En sectionnant le pneumogastrique on n’a plus d’effet 
cardiaque, et d’autre part, en graduant l’excitation des 
nérfsde sensibilité générale, on obtient des résultats iden¬ 
tiques à ceux qu’on aurait en graduant de la même ma¬ 
nière l’excitation électrique directe du nerf vague. Les in¬ 
téressantes expériences de mon ami François Franck ont 
porté quelque lumière sur plusieurs points de la question 
(2). Ainsi il a montré qu’une excitation vive et brusque dé¬ 
terminait toujours un arrêt du cœur et quelquefois un 
abaissement de la pression carotidienne (3). Sur desani¬ 
maux à qui les lobes cérébraux sont enlevés, le réflexe per¬ 
siste encore, et il est vraisemblable qu’il y a ici simple ré¬ 
flexe sans conscience, c’est-à-dire sans douleur. Si on anes¬ 
thésie les animaux en expérience, le réflexe ne se produit 
pas. Mais Franck a bien montré que cette absence de réac¬ 
tion tenait à la paralysie du pneumogastrique qui ne réa¬ 
gissait plus à l’excitation, en sorte qu’on aurait tort de 
conclure rigoureicsement qn'iX n’y a pas de douleur. A vrai 


(1) Grundzûge der physiol. psychol., p. 186. 

(2) Travaux du laboratoire de M. Marey, année 1876, p. 221. 

(3) Voy. la figure 127 du Mém. de Franck, p, 258. 



DE EA DOULEUR 


241 


dire, il est très-probable que dans l’anesthésie chlorofor¬ 
mique complète, il n’y a plus de sensibilité à la douleur. 
Mais ce qui empêche le réflexe cardiaque de se produire, 
c’est que le pneumogastrique, qui en est la voie centrifuge, 
est paralysé. 

Nous n’accepterons donc aucunement l’opinion de 
Vigouroux (!). Selon lui, la sensibilité [serait encore con¬ 
servée, même après l’abolition de tous les reflexes, et pen¬ 
dant l’anesthésie, la douleur agirait sur le cœur de ma¬ 
nière à produire une syncope. Le pouls disparaît au 
moment de l’opération qui serait le plus douloureux (!), Il 
ne faut donc pas pousser le chloroforme jusqu’au bout. 
L’action i-éflexe est une sorte de dérivation à la douleur (!!), 
et quand cette dérivation est supprimée par l’agent anes¬ 
thésique, la douleur se porte tout entière sur le cœur dont 
elle peut arrêter les battements. 

Nous n’accepterons pas, non plus, 1 opinion de Koeh 
qui prétend (2) que la sensibilité des nerfs cutanés dispa¬ 
raît après celle des nerfs des muqueuses. Au contraire, il 
nous semble prouvé, d’après les nombreuses chloroformi¬ 
sations auxquelles nous avons assisté, que la sensibilité 
des conjonctives, des narines et de l’anus est celle qui dis¬ 
paraît en dernier lieu. 

J’ai fait souvent cette remarque que, chez des individus 
chloroformés, les deux derniers muscles (après les muscles 
de la respiration), capables de se contracter étaient l’iris 
et le sphincter anal. Sur un individu immobile, endormi, 
plongé dans une résolution complète, l’iris est contracté \ 

y 

. (1) Comptes-rendus de l’Acad. des sciences-, 1861, p. 202. 

(2) Centralblatt für Chirurgie, bov. 1875. 

Richet. 



DES SIGNES 


242 

si à ce moment l’opération devient plus douloureuse, il y 
a immédiatement une réaction du côté de l’iris qui se dilate: 
en'même temps le sphincter anal se contracte: cependant 
les battements cardiaques n’ont changé ni de rhythme ni de 
fréquence. C’est, il est vrai, l’elfet d’une excitation intense, 
qui devrait être douloureuse ; mais de faibles excitations, 
non douloureuses à l’état normal, peuvent aussi produire 
cette dilatation de l’iris. Ainsi, quand l’iris est ainsi con¬ 
tracté,si, dans la sphète du trijumeau et des nerfs delà face, 
on excite la peau mécaniquement par un léger choc ou de 
l’eau froide, on voit immédiatement l’iris se dilater: quel¬ 
quefois même il y a des contractions dans les muscles de 
la face. Ce ne sont pas des excitations douloureuses, mais 
des excitations de contact simples, qui provoquent ces ré¬ 
flexes. Quand l’iris n’est plus capable de se contracter, la 
résolution est complète, et il n’y a plus ni douleur, ni au¬ 
cun des signes de la douleur: c’est à ce moment qu’il faut 
cesser les inhalations chloroformiques (j), et il serait 
dangereux de les pousser plus loin. 

Ainsi tous ces actes réflexes ne sont pas à proprement 
parler des réflexes de la douleur. Ils coïncident avec la 
douleur, mais ne sont pas produits par la douleur. D’une 
part, en effet, si on supprime les centres cérébraux, ces 
réflexes n’en persistent pas moins; d’autre part, ils se pro¬ 
duisent avec des excitations faibles, non douloureuses, 
aussi bien qu’avec des excitations intenses. Il faut toutefois 
reconnaître qu’il est impossible de savoir d’une manière 
précise si la douleur est perçue ou ne l’est pas, quand la 
mémoire et la volonté sont abolies, et que les manifesta- 

(1) Budin et Gojne.Arçhives de physiologie, 1875, p. 61. 



DOULEUR, 


243 


tions de la douleur ne peuvent plus avoir lieu.. Dans 
ce cas la douleur ne serait plus une réalité ; ce serait une 
sorte d’abstraction théorique, mais non la douleur vérita¬ 
ble, celle qui fait souffrir et crier. 

Il est donc probable que les réflexes de la vie 
organique dont nous parlons ici n’ont aucun rapport 
direct avec la douleur. Ils sont produits parla meme cause 
qui a produit la douleur ; et l’excitation forte d’un nerf de 
sensibilité, laquelle amène une impression douloureuse, se 
réfléchit en même temps sur les organes délicats et impres¬ 
sionnables comme le cœur, l’iris et les vaso-moteurs; quant 
aux réflexes de la vie animale, portant sur les muscles 
du larynx et de la face, ils sont en quelque sorte des mou¬ 
vements de défense plus ou moins instinctifs et coor¬ 
donnés. 

§ II. De l’influence de Vétat des nerfs sur la douleur, et de 
l’influence de la douleur sur le système nerveux. 

Variations de la sensibilité dans les nerfs. — L’état des 
nerfs joue un rôle important dans la sensation dou¬ 
loureuse, et on commettrait une grave erreur en supposant 
au nerf une excitabilité toujours égale, et aussi régulière¬ 
ment soumise à des lois physiques, qu’un fil de métal con¬ 
ducteur de l’électricité. Les exemples d’hypéresthésie liée 
uniquement à des troubles nerveux périphériques sont 
assez communs pour qu’on ne puisse mette en doute cette 
affirmation. 

Ainsi, par exemple, quand le bras est fortement com¬ 
primé au-dessus du pli du coude, au moment où il y a 
de la thermo-hypéresthésie. Un quart d’heure après le 


244 DE l’hypéresthésie 

début de la compression des nerfs, il suffit de presser 
fortement un doigt de la main pour faire éprouver au 
patient une vive douleur. Cette douleur semble une sen¬ 
sation de chaleur, mais ce n’en est pas moins une vraie 
douleur cependant les centres ne sont en rien modifiés 
par cette compression périphérique. 

Dans tous les cas de phlegmon, d’arthrite, de névral¬ 
gie, etc., le moindre contact est douloureux, la plus lé¬ 
gère excitation dans la sphère du nerf hjpéresthésié pro¬ 
duit une douleur intense, extrêmement redoutée par le 
malade. 

Cet état d’hypéresthésie des nerfs, à la suite de causes 
diverses, soit inflammatoires, soit névralgiques, explique 
fort bien comment l’avulsion d’une dent malade est plus 
douloureuse que celle d’une dent saine, l’incision de la 
peau phlegmoneuse plus pénible que celle de la peau in¬ 
tacte. Ce sont comme des tissus tout préparés à la dou¬ 
leur par les souffrances antérieures, et une incision au 
milieu de ces tissus est en effet beaucoup plus douloureuse 
qu’au milieu des tissus sains. L’observation de chaque jour 
est là pour le confirmer. 

Cette différence de sensibilité entre des parties enflam¬ 
mées et des parties saines est telle que certains organes 
absolument insensibles normalement, deviennent sensi¬ 
bles aux excitations douloureuses quand ils s’enflamment. 
Flourens, remarquant que les observations de Haller (1) 
étaient en désaccord avec les affirmations des chirurgiens 
et en particulier de J.-L. Petit, a fait sur ce sujet des 

(là Mém. sur la nature des parties sensibles et irritables, etc., 1.1, p. 136. 
Lausanne. 



DOULEUR. 


245 


expériences intéressantes et décisives (1). Il reconnaît 
d’abord, ainsi que Haller, l’insensibilité absolue des par¬ 
ties fibreuses non enflammées, dure-mère, périoste et ten¬ 
dons. Puis il les enflamme par l’application d’une pom¬ 
made épispastique, et alors il leur trouve une certaine 
sensibilité. On pouvait piquer à côté l’une de l’autre, dit- 
il (p. 803) la portion delà dure-mère enflammée, et la por¬ 
tion de la dure-mère à l’état sain, et selon qu’on piquait 
l’une ou l’autre, l’animal criait, souffrait et s’agitait, ou 
l’animal ne sentait rien. 

«Toutes ces expériences, dit-il encore, sont nettes et déci¬ 
sives, toutes parlent, toutes accusent la sensibilité des 
parties fibreuses et tendineuses, latente ou cachée à l’état 
sain, et manifeste, patente, excessive à l’état malade. Une 
grande contradiction de la science disparaît donc enfin, les 
mots douleurs de la goutte, douleurs des os ont un sens et 
un sens physiologique, car tant que les parties siège de 
ces douleurs passaient pour absolument insensibles, ces 
mots n’en avaient pas. Au fond, quoi qu’en dise Haller et 
son école, il n’y a point de partie absolument insensible 
dans le corps vivant. La sensibilité est partout, etdans les 
parties mêmes où elle est le plus obscure, il suffit d’un 
degré d’irritation donné pour la faire passer de l’état caché 
à l’état manifeste. » 

Ces expériences sont trop précises pour être infirmées 
par l’affiràation plus ou moins dénuée de preuves de Jo- 
bert (2) qui déclare que les tendons ne deviennent jamais 
sensibles, mais que c’est leur gaîne qui s’enflamme. Aussi 

(1) Comptes-rendus\de VAcad. des sc., t. XLIII,p. 642 et t. XLIV, p. 804. 

Linas. Lettre à Flourens, ibid., t. XLIV, p. 922; 

(2) Comptes-rendus de VAcad. des sciences,|186x, 2* sem., p.561. 



246 


DE l’hyperesthésie 

regardons-nous comme démontré que les tendons enflam¬ 
més sont sensibles (1), ce que l’on peut expliquer du reste 
très-bien si on se rappelle qu’il y a des nerfs dans les ten¬ 
dons ; c’est un utile rapprochement à tenter que de com- 
paier cette sensibilité des tendons malades à la sensibilité 
des nerfs malades. Le nerf hyperesthésié a gagné autant de 
sensibilité que le tendon, et entre un nerf malade et un 
nerf sain, il y a la même différence de sensibilité qu’entre 
un tendon malade et un tendon sain. Seulement la sensi¬ 
bilité du nerf sain est déjà exquise, tandis qu’elle est très- 
obscure sur le tendon sain. Romberg déclare que le ti¬ 
raillement d’un nerf sain est peu douloureux, tandis que le 
tiraillement d’un nerf enflammé est atrocement pénible. 

Un fait intéressant nous montre bien la différence qu’il 
y a entre l’excitabilité d’un nerf sain et celle d’un nerf en¬ 
flammé, en dehors de toute condition psychique. Tarchanoff 
(2) a montré qu’en excitant le mésentère ou l’intestin d’une 
grenouille, on n’obtenait pas facilement le réflexe d’arrêt 
cardiaque signalé par Goltz. Que si on laisse le péritoine 
exposé à l’air, en quelques heures il s’enflammera et les 
nerfs sensitifs seront tellement hypéresthésiés qu’il suffira 
du plus léger attouchement pour arrêter les mouvements 
du cœur. 

Prenons l’utérus par exemple. Chez une femme bien 

(1) Voy. Sachs, Die nerven der Sehnen {Arch. de Reichert et Dubois 
Reymond, 1875). 

Schultze et Furbriüger. Expérimente über Schnenreflexe KCentralblatt, 
1875, p. 929). ■ I \ . 

(2) Nouveau moyen <f arrêt du coeur de la grenouille (Gau. méd„ 1875, 
n» 15). 



douleur. 


247 


portante, Tutérus est presque tout à fait insensible. On peut 
le couper, le cautériser sans provoquer de douleurs. Mais 
s’il est enflammé, il est devenu, au contraire, si excitable 
que son contact provoque des douleurs intolérables. Cer¬ 
tains cancers de l’utérus, même quand le vagin n est pas 
envahi, sont tellement douloureux, que je ne crois pas 
qu’on puisse trouver d’atfection plus cruelle. Il est vrai 
que souvent les cancers de l’utérus poursuivent leur évolu¬ 
tion sans provoquer de phénomènes de sensibilité. Les 
tissus fibreux insensibles normalement deviennent parfois 
le siège de douleurs très-vives, dans les rhumatismes et 
dans les tumeurs blanches. Le périoste qui est dépourvu 
de sensibilité s’il est inctact, s’il s’enflamme, provoque des 
douleurs intolérables, et la douleur d’une périostite chro¬ 
nique est véritablement atroce. Les os eux-mêmes acquiè¬ 
rent par l’inflammation une sensibilité dont ils sont à peu 
près dépourvus, quand ils ne sont pas enflammés. Cette 
proposition est aussi vraie pour la plupart des organes 
viscéraux, dont la sensibilité normale est pour le moins 
très-obtuse. L’estomac, les intestins, la vésicule biliaire, la 
vessie sont dans ce cas. C’est à peine si un homme sain 
sent le contact d’une sonde dans la vessie. Au contraire, 
les individus qui ont la pierre et une cystite consécutive 
souflFrent énormément, dès qu’on vient à toucher la mu¬ 
queuse vésicale avec un corps étranger. Certains malades, 
dont la peau est anesthésiée, peuvent, si elle subit une 
altération pathologique, recouvrer la sensibilité sous cette 
influence excitatrice. Ainsi Manouvriez (1) cite le cas d’un 
saturnin qui avait de l’analgésie au bras. Il se brûla 


(1) Loc. cit.. Th. inaug. 



248 DE LHYPÉRESTHiSIE 

le bras, et la sensibilité à la douleur reparut avec l’inflam¬ 
mation qui suivit cette brûlure. Guyon (1) a vu que dans 
l’anesthésie lépreuse, s’il y avait inflammation, l’anesthé¬ 
sie disparaissait. 

L’origine de ces troubles nerveux, si dans quelques cas 
rares on a pu trouver de la névrite, est loin d’être une 
névrite dans le sens anatomique du mot, c’gst-à-dire une 
congestion du névrilème , ou une altération organique 
du nerf affecté. Il y a une hypéresthésie nerveuse siégeant 
soit dans les troncs nerveux, soit dans la moelle, ce qui est 
plus vraisemblable : nous pouvons presque jusqu’à un 
certain point comparer cet éréthisme sensitif que donnent 
à la moelle des excitations douloureuses trop intenses, 
prolongées pendant longtemps, à l’état d’éréthisme moteur 
de l^moelle empoisonnée par la strychnine. 

De Vhypéresthésie dans les centres. — Mais l’hyperesthésie 
peut faire un pas de plus et, gagnant lescentres supérieurs, 
devenir générale. Weir Mitchell en cite plusieurs exem¬ 
ples des plus intéressants. C... (p. 324) eut le nerf médian 
et le nerf cubital déchirés par une balle; quelques jours 
après, il souffrait tellement que le moindre contact, 
le pas d’un visiteur causaient une exacerbation insup¬ 
portable. On lui réséqua deux ou trois pouces du nerf 
médian. Le malade prétendit qu’il n’en recevait aucun 
soulagement, et ses souffrances au lieu de diminuer ne 
firent que s’accroître. Le simple froissement du papier 
lui causait des douleurs insupportables. Pendant un jour 
ou deux après son opération, il n’était plus le même, sui¬ 
vant son expression. S... (p. 333), blessé par une balle au 

(1) Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 1856, t. LXIII, p. 900. 




A LA DOULEUR. 


249 


creux axillaire du côté droit, eut une contracture et une 
névrite qui au bout d’un mois atteignit son maximum d’in¬ 
tensité. Les bruits, les vibrations, le contact des corps secs 
réveillaient ses souffrances. Le frottement de ses bottes 
lui produisait une sensation insupportable à laquelle il 
remédiait en mouillant ses bas... Il fait usage de gants 
ouatés qu’il îiumecte fréquemment. Il craint par-dessus 
tout qu’on imprime le moindre mouvement à sa main 
droite, et il manifeste un nervosisme et des dispositions 
hystériques telles que les personnes en relation avec lui le 
croient atteint de folie... La fin de cefte observation est 
aussi intéressante. En effet, il guérit et ses douleurs 
disparurent, mais non pas complètement, car elles repa¬ 
raissent lorsqu’il entend un grand bruit, ou lorsqu’il est 
vivement ébranlé par un train de chemin de fer par exem¬ 
ple, aune émotion morale, à un choc un peu fort de la 
main jadis malade. Sans avoir vu d’hypéresthésie cen¬ 
trale aussi intense, j’ai soigné une jeune fille atteinte 
d’ostéite vertébrale et souffrant d’horribles douleurs que 
la morphine seule soulageait:-elle ne pouvait cependant 
se résoudre à supporter la douleur de la piqûre qui lui 
paraissait épouvantable, comme si une douleur nouvelle 
se surajoutant aux autres eût été au-dessus de ses 
forces. 

Rien n’est plus instructif que de comparer ces altérations 
fonctionnelles du système nerveux sensitif avec certaines 
altérations fonctionnelles du système nerveux moteur. A 
l’état normal, pour produire un réflexe, il faut une excita¬ 
tion périphérique assez intense ; mais dans certains cas la 
plus légère excitation amène un réflexe, qui tantôt se 


Richet. 


n 



250 


limite à une région de la moelle, tantôt devient général. Il 
y a des cas d’hypéresthésie motrice localisée et d’hypéres- 
thésie motrice généralisée. Les premiers sont de beaucoup 
les plus rares ; c’est ce que Brown-Séquard, qui en a fait 
une étude remarquable, appelle l’épilepsie spinale (1). 
J’en ai vu pour ma part un cas extrêmement remarquable 
à la Salpêtrière dans le service de mofe cher maître M. Mo¬ 
reau, de Tours, Une petite imbécile, âgée de dix-sept ans, 
avait la jambe criblée de cicatrices consécutives à une os¬ 
téite. Il suffisait de lui toucher soit une cicatrice, soit 
la peau de la jambe, pour provoquer aussitôt, dans 
les muscles de ce membre, mais nulle part ailleurs, un 
spasme instantané que j’ai essayé de mesurer avec des ap¬ 
pareils enregistreurs, et qui m’a semblé être plus rapide 
que l’impression perçue par la malade. Quant aux cas 
d’épilepsie traumatique si bien étudiés encore par Brown- 
Séquard, ils sont extrêmementfréquents,et aujourd’hui ce 
semble, assez bien connus (2). Le spasme, au lieu de porter 
sur un petit groupe de muscles, porte sur l’ensemble du 
système musculaire de la vie animale. Enfin le tétanos 
ne paraît être autre chose qu’une contracture générale 
par suite d’une excitation périphérique ayant produit une 
excitabilité démesurée du système moteur de la moelle 
épinière. 

Ainsi, nous voyons un remarquable accord entre ces 
différents états qui constituent deux séries parallèles dont 
l’excitation sensitive est le premier terme. L’excitation 
d’un nerf sensitif, si elle est modérée, produit une sensation 

(1) Voyez Oppler. Arch. fur Psychiatrie, 1874, t. IV, p, 784. 

(2) Bull, de la Soc. de biol., 1870, p. 9 et 91 et passim. 



simple; un peu plus forte, elle produit soit un seul réflexe, 
soit plusieurs réflexes, soit ces réflexes de la douleur, 
que nous avons étudiés plus haut, soit de la douleur. 
Enfin dans certains cas, cette excitation sensitive produit 
une hyperesthésie de la moelle, portant, tantôt sur la sen¬ 
sibilité, et alors c’est d’abord l’hypéresthésie d’une région, 
et plus tard l’hypéresthésie générale, tantôt sur la motilité, 
et alors suivant l’intensité et suivant des conditions patho¬ 
logiques mal déterminées, c’est en premier lieu l’épilepsie 
spinale et la contracture; en second lieu, l’épilepsie géné¬ 
rale et le tétanos. Cette hypéresthésie générale, que nous 
avons signalée plus haut, est donc en quelque sorte un 
tétanos de la sensibilité. On ne saurait mieux faire que 
de comparer des phénomènes assez bien connus, comme 
ceux du tétanos, aux phénomènes encore si mystérieux de 
la sensibilité et de la douleur. 

La douleur par son intensité même peut finir par alté¬ 
rer la raison. Un des exemples rapportés plus haut en est 
une preuve. J’en citerai encore deux cas empruntés à 
Weir Mitchell. «cC..., sergent, eut une névrite atrocement 
douloureuse du nerf cubital, à la suite d’une blessure par 
une balle. Il guérit incomplètement. Cependant C... 
déclare que ses souffrances ont altéré sa raison. Quoi¬ 
qu’elles soient bien calmées au moment où je le vois, 
il se plaint que son esprit a autant souffert que son corps ; 
sa mémoire est altérée et son caractère est devenu très- 
irritable. P... (p. 68) à la suite d’une névrite du nerf scia¬ 
tique eut des douleurs atroces. Par moments, le blessé 
supplie qu’on le tue...; à d’autres moments, il est étendu, 
les yeux ouverts, jetant des regards furieux sur les per¬ 
sonnes qui, en passant devant son lit, déterminent des 



252 


DE DA DOULEUR. 


secousses qui exaspèrent ses tourments. Au bout de 
quelques mois d’un traitement actif, il guérit : mais de gai 
et jovial qu’il était auparavant, puisqu’il avait dans sa 
compagnie la réputation d’un joyeux compagnon, il était 
devenu mélancolique et morose. La lecture lui donnait des 
vertiges ; la mémoire des événements récents était infidèle, 
Les douleurs de ^accouchement peuvent aussi être la cause 
d’accès de manie passagère. Cazeaux (1) raconte qu’uïie 
femme, après un travail prolongé et après les plus horri¬ 
bles souffrances, cessa tout à coup de se plaindre, prit un 
visage riant, et après quelques phrases incohérentes, 
chanta à pleine voix le grand air de la « Lucia di Lammer- 
moor. » « Souvent, dit-il, la violence des douleurs plonge 
la femme dans la plus vive anxiété et trouble ses facultés 
à tel point qu’on la voit se livrer à des actes de violence. 
La face est brûlante, l’œil fixe et hagard, les traits se dé¬ 
composent, la malheureuse crie, se lamente, appelle la 
mort et supplie qu’on la tue ou qu’on mette fin à ses souf¬ 
frances. Le trouble des facultés intellectuelles est quelque¬ 
fois complet, et les femmes disent dans leur délire les 
choses les plus extravagantes. J’ai observé deux cas sem¬ 
blables. M. Montgommery dit aussi avoir observé des 
femmes qui, pendant quelques minutes, déliraient com¬ 
plètement au moment où la tête franchissait l’ouverture 
de la matrice. » 

Après les opérations, on constatait autrefois, quand il 
n’y avait pas de chloroforme, un délire de durée plus ou 
moins variable. Dupuytren l’appelait délire nerveux des 
opérés. Il est admis que le délire nerveux n’était que le 

fl) Traité de* accouchements, 7* édit., 1867,~p. 283. 



COMME CAUSE DE FOLIE. 253 

délire alcoolique et que les opérés étaient tout simplement 
des ivrognes ; mais peut- être y aurait-il lieu de vérifier 
plus rigoureusement le fait. 

Descot (1) rapporte le cas d’un malade qui, ayant un 
traumatisme du nerf sciatique, était pris par accès de 
douleurs si vives qu’elles « allaient jusqu’à l’épilepsie. » 
D’un autre côté, le spasme douloureux des amputés et 
des blessés est excessivement douloureux, et il est pos¬ 
sible que la douleur perçue au moment du spasme, quoi¬ 
que l’ayant précédée, fût confondue avec celle-ci. 

En somme, ce qui fait ici pour nous l’intérêt des spasmes 
traumatiques, c’est qu’ils nous permettent de bien com¬ 
prendre les phénomènes sensitifs avec lesquels, ainsi que 
je l’ai dit plus haut, les phénomènes moteurs présentent 
une remarquable analogie. Dans les deux cas il y a inter¬ 
mittence, repos apparent, pendant lequel soit le système 
nerveux central, soit le muscle, semblent se charger len¬ 
tement pour donner ensuite une brusque décharge soit de 
mouvement, soit de sensibilité. 

Ces vues sont sans doute hypothétiques, mais il est 
possible que les faits pathologiques les confirment. Je 
pourrais citer à ce sujet l’observation d’une femme chez 
qui le spasme traumatique et la douleur se confondaient 
au point qu’on ne pouvait les distinguer. M. Verneuil 
avait fait l’amputation du sein pourune tumeur cancéreuse 
de cet organe, et pour aller chercher les ganglions malades 
dans l’aisselle, le nerf musculo-cutané avait été sec¬ 
tionné. Les douleurs furent très-vives pendant les quel¬ 
ques heures qui suivirent l’opération ; elles disparurent 


(1) Affections locales des nerfs. 



des effets 

peu à peu le jour suivant pour reparaître le surlendemain 
avec une intensité vraiment formidable. Toutes les huit 
ou dix minutes, la malade est prise de crampes doulou¬ 
reuses qui vont du coude à l’épaule ou de l’épaule au coude 
sans qu'elle puisse préciser dans quel sens. La douleur 
est telle que la malade crie, contracte la bouche et la face 
et ouvre démesurément les yeux. L’agitation est contil 
nuelle; elle se remue sans cesse, ne fait que parler de 
plaies, de coupures, de blessures, de son opération. Une 
injection de 2 centigrammes de morphine, puis une autre 
dose égale sont impuissantes à la calmer. Le len¬ 
demain, ce sont les mêmes phénomènes, plus accentués 
encore, surtout du côté de la crampe musculaire qui 
est devenue plus intense. Enfin survient vers dix heures 
un véritable accès de délire ou de manie aiguë, qu’il est 
tres-difficile de calmer. C’est sur cette malade que M. Ver- 
neuil fit, pour la première fois, l’opération de névrothripsie 
dont nous avons parlé plus haut (1). 

La marche de cette douleur est des plus instructives en 
ce sens qu elle a suivi une voie parallèle à la contracture. 
D abord localisée dans la plaie, la douleur s’est étendue 
ensuite a tout le bras; puis est survenue la crampe des 
muscles du bras, consécutive à l’irritation périphérique 
produisant d abord de la douleur, ensuite du spasme mus¬ 
culaire. L hyperesthésie est devenue ensuite générale et a 
sans doute ete la cause des accès de manie, et il serait 
possible que le tétanos fût survenu plus tard, si la névro¬ 
thripsie neût entravé la marche ascendante de la né- 
vrite. 


(1) Voy. Ire partie, chap. 1. 


d’une douleur prolongée. 255 

Dans les maladies chroniques accompagnées de longues 
souffrances, quel est le médecin qui n’a remarqué le chan¬ 
gement de caractère, rirritabilité, le nervosisme des ma¬ 
lades ? La moindre chose les contrarie ou les met en co¬ 
lère. Les goutteux, les rhumatisants, les névralgiques sont 
dans ce cas. Il semble qu’à la suite d’une hypéresthésie 
médullaire il y aitplus tard une sorte d’hypéresthésie céré¬ 
brale. L’aptitude du système nerveux à être excité fortement 
par des excitations faibles, irait donc en suivant cette pro¬ 
gression : hyperesthésie de la partie malade, d’abord; plus 
tard, de toute la région avoisinante ; plus tard enfin, hy¬ 
peresthésie sensitive générale ; et enfin, après de longues 
années où la douleur semble s’être accumulée par le temps, 
hypéresthésie morale. 

Ainsi il existe un rapport étroit entre une douleur ét 
l’état des nerfs. Nous savons que ce qui est douloureux 
dans un cas, n’est pas douloureux dans un autre, par suite 
de l’hypéresthésie soit acquise, soit idiopathique de l’in¬ 
dividu atteint, et nous avons vu que la névralgie, irradiée 
ou directe, était une des'causes les plus fréquentes de 
l’hypéresthésie, que l’inflammation était une cause non 
moins efficace, et que des excitations sensitives, longtemps 
prolongées, finissaient par produire une hypéresthésie ga¬ 
gnant progressivement une région de la moelle, puis toute 
la moelle, et, plus tard, les centres nerveux eux-mêmes. 

La douleur ne peut agir directement que sur le système 
nerveux; mais par l’entremise du système nerveux elle 
semble porter son action sur les fonctions nutritives. Une 
douleur prolongée produit un abaissement notable de la 
température (Mantegazza). Je rappellerai aussi le fait 
qu’ont signalé les physiologistes d’Alfort : sur les animaux 



256 DES HYPERESTHÉSIES DU SYMPATHIQUE 

qui servent aux opérations, le sang est presque dépourvu 
dé fibriné comme le sang des animaux surmenés. Quant 
aux dyspepsies et aux troubles des fonctions digestives 
qu’entraîne une douleur prolongée, c’est un phénomène 
plus psychique que physiologique, et la douleur agit 
comme le chagrin et les privations. 

Le grand sympathique peut aussi être le siège d’une 
hypéresthésie plus ou moins vive. Colin (1) dit que les 
ganglions du grand sympathique sont tous sensibles, sur¬ 
tout le ganglion semi-lunaire et les ganglions thoraciques. 
Le pincement est de toutes les excitations celle qui paraît 
agir le plus efficacement. Les irritations faibles semblent 
n’agir qu'au bout d’un long temps. Enfin, les nerfs gan¬ 
glionnaires sont moins sensibles que les ganglions, et la 
sensibilité s’affaiblit à mesure que les nerfs et les plexus 
deviennent plus petits. Les petits nerfs n’ont presque pas 
de sensibilité; mais de tous les nerfs du grand sympa¬ 
thique, les plus sensibles seraient ceux qui unissent les 
ganglions au système cérébro-spinal (rami communi¬ 
cantes). Selon Cl. Bernard (2), l’excision du grand sympa¬ 
thique produirait de l’hypéresthésie dans la région où il se 
distribue (3). 

Nous ne savons guère comment expliquer ce fait que 
dans l’état normal la sensibilité du grand sympathique est 
nulle, mais qu’elle s’exagère démesurément par la maladie. 

(1) Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 1861, 1®*^ sem., p. 969. 

(2) Comptes-rendus de la Soc. de biol., 1851, p. 184. 

(3) Pour ce qui a trait à la pathologie et aux hypéresthésies du sympa¬ 
thique, lire la revue critique d’Euleuburg et Guttmanu {Arch. für Psychia¬ 
trie, U II, p. 153 et 176). 



257 


DES ANALGÉSIES. 

Piégu (1) suppose que c’est une hypertrophie du névrilème» 
et Reil (2) admet que ces ganglions sont des demi-conduc¬ 
teurs qui arrêtent les impressions faibles et ne laissent 
passer que les excitations intenses. 

§ III. Des analgésies de cause centrale provoquées. 

Le chloroforme, qu’on peut regarder à juste titre comme 
le type des agents anesthésiques, supprime la douleur des 
opérations. Si on pousse très-loin la chloroformisation, il 
arrivera un moment où tous les membres de la vie animale 
et tous les réflexes de la vie organique seront supprimés. 
Le malade est plongé dans un état de sommeil absolu et de 
résolution complète. Il n’est guère probable qu’il perçoive 
de la douleur à ce moment; mais si l’intoxication est 
moins profonde, il se débat, s’agite, se plaint comme s il 
souffrait; une fois réveillé, il n’a conservé aucun souvenir 
de ce qui s’est passé. Est-ce ou non de la douleur? 

Pour moi, il me semble évident que toutes les fois que 
le malade se plaint et se débat, il y a douleur, douleur 
moins vive peut-être, et surtout plus passagère; mais 
le fait de la douleur n’en est pas moins positif, et nous 
n’avons pas d’autre moyen pour le juger que de nous en 
rapporter aux gémissements plaintifs des malades. C est là 
le seul signe extérieur, et, si nous l’avons, il doit nous suf¬ 
fire : cependant cette douleur a un caractère spécial, c’est sa 
rapidité et sa facilité à disparaître de la mémoire. Sou¬ 
vent, pendant le chloroforme, on voit un cri de douleur se 

(1) Th. inaug. Paris, 1846. 

(21 Reils Archiv, t. VIII, p. 189, 

Richet. 



EFFETS 


258 

terminer par un chant joyeux graduellement transformé ; 
comme si, dans le cerveau empoisonné, les impressions 
passaient sans laisser de trace. A vrai dire, cette douleur, 
si rapide qu’on n’en conserve pas le souvenir, n’est rien, 
et c’est un moment presque mathématique dont il n’y a 
guère à tenir compte. Ce qui fait la cruauté de la douleur, 
c’est moins la douleur elle-même, si intense qu’elle soit,que 
son souvenir et le retentissement pénible qu’elle laisse 
après elle. Une douleur aiguë qui dure une seconde, et 
qu’une seconde après on ne se rappelle plus avoir existé, 
n’est pas une vraie douleur, et les gens qui souffrent ainsi 
ne méritent pas qu’on les plaigne. 

Souvent le chloroforme agit d’une autre manière ; il est 
analgésique et laisse persister les autres sensibilités. Mon 
père raconte (d) que s’étant fait chloroformer pour l’extir¬ 
pation d’une dent, il sentit le contact de l’instrument, en¬ 
tendit tout ce qui se passait et cependant n’éprouva aucune 
douleur. Je pourrais en multiplier les exemples tant per¬ 
sonnels qu’empruntés aux divers auteurs : X..., 

opérée de fissure à l’anus avec fistule, respire à peine 6 
grammes de chloroforme; on lui fait quatre incisions 
dans sa fistule. Elle sent le contact des ciseaux et dis¬ 
tingue bien qu’on lui fait quatre incisions, mais ne peut 
pas parler, ni exprimer ce qu’elle sent, et ne souffre en 
rien de l’opération qu’on lui fait. X..., âgée de 41 ans, 
est opérée par M. Verneuil au moyen de l’excision com¬ 
binée avec la cautérisation au therma-cautère pour des 
fistules multiples à l’anus. Pendant qu’on l’opère, je lui 
demande : Quel âge avez-vous?Elle me répond : J’ai 41 ans. 

11(1) Anat. méd. chir., 5® édit., p. 316. 



CHLOROFORME. 


259 


Elle ne se plaint pas du tout. Une fois réveillée, elle ne 
sent rien, ni la blessure, ni la brûlure; pendant une demi- 
heure, elle croit qu’elle n’est pas opérée et se lamente, 
s’imaginant qu’on l’a négligée. X... est chloroformée 
pour une fistule vésicale ; pendant l’opération je lui dis : 
Comment cela va-t-il? Elle répond : Cela ne va pas mal. A 
ce moment je la pince très-fortement et elle ne sent rien. 
X... est opéré d’une tumeur du testicule; pendant qu’on 
l’opère, il ne respire plus bien. Je lui introduis fortement 
dans la bouche une pince pour lui prendre la langue. Otez- 
moi donc cette cigarette, dit-il aussitôt. Réveillé, il ne 
conserve aucun souvenir. X... est chloroformé pour 
une amputation du pied; pendant qu’on lui lie les grosses 
artères, temps très-douloureux de l’opération, je lui passe 
une barbe de plume sons le nez. Ne me chatouillez donc 
pas les narines, dit-il. J’ai cité (1) le fait d’un jeune 
homme qui, étant chloroformé, pendant qu’on lui liait le 
cordon spermatique, entendit sonner la demie, et il dit 
tranquillement : Voici onze heures et demie. Au réveil, il 
n’eut aucun souvenir de ce fait. Un malade chloroformé 
pour une résection partielle du pied prétendit avoir été 
mal endormi et cependant n’avoir pas souffert. Je sentais 
tout ce qu’on me faisait, disait-il, mais c’était comme sur 
une jambe de bois. D’autres malades mal endormis accu¬ 
sent une sensation de pression et de pesanteur dans la 
région qui est incisée. Peut-être faudrait-il rapprocher ce 
fait de cette sensation de pesanteur et de pression que 
Robin et Béraud (2) ont dit être éprouvée par les malades 
à qui on fait subir une violente cautérisation. 

(1) Journ. de Vanat. et de la physiol., 1875, t. XI, p. 374. 

(2) Elém. de physiol., t. I, p. 140. 



260 EFFETS 

Chez les enfants l’analgésie est presque instantanée (1)., 
Dès les premières bouffées ils deviennent insensibles à la 
douleur. Il semble qu’il en soit de même pour les 
hystériques chez qui la sensibilité, si vive en apparence, 
est si fragile pourtant et toujours sur le point de dispa¬ 
raître. Récemment j’ai observé une fille de 14 ans (salle 
Saint-Augustin, n® 28), hystérique, quoique non réglée 
encore, et atteinte de contracture des muscles de la région 
externe de la jambe. On la chloroforma pour redresser sa 
jambe et la mettre dans un appareil inamovible. Dès les 
premières inspirations de chloroforme, la contracture 
avait disparu et l’insensibilité était complète. Cependant 
la malade avait conservé toute son intelligence et répon¬ 
dait très-nettement à toutes mes questions. Elle avait les 
yeux ouverts, et sans l’insensibilité qui était complète, 
on n’aurait pas vu qu’elle était chloroformée. 

Lacassagne, qui a étudié avec soin (2) les phénomènes 
psychologiques du chloroforme, admet que l’action de cette 
substance porte d’abord sur la sensibilité, ensuite sur la 
sensitivité. La sensibilité est excitée, émoussée, faussée ; 
peu à peu elle disparaît. Ce n’est que plus tard que les 
fonctions intellectuelles se troublent et produisent alors 
des sensations subjectives de toutes sortes. Quelquefois, 
il y a une sorte de catalepsie cérébrale, le malade re¬ 
prenant la conservation au point où il l’avait laissée. Un 
fait analogue se rencontre assez souvent dans certains cas 
d’épilepsie, d’hystéro-épilepsie, et même dans le tic dou¬ 
loureux de la face. 

(1) Bergeron. Th. inaug. Paris, 1875. Bit chloroforme chez les enfants. 

(2) Mém. de l’Acad. de mêd., 1868. 



DU CHLOROFORME. 261 

Quelquefois, sans qu^on puisse en savoir la cause, l’ac¬ 
tion du chloroforme est singulièrement prolongée. Il agit 
à distance, pour ainsi dire, et son action anesthésique dure 
très-longtemps. On observerait ce phénomène peut-être 
plus souvent, si on prenait soin de le rechercher. Je 1 ai 
noté deux fois, une première fois chez cette femme citée 
plus haut, et chloroformée pour une fistule à l'anus; une 
autrefois, chez un homme assez âgé, venu de la campagne 
pour se faire opérer d’un sarcome du maxillaire supérieur* 
On le chloroforma pour lui faire la résection de cet os, et 
il respira environ 10 grammes de chloroforme ; puis il sem¬ 
bla se réveiller, mais l’opération qui dura près de trois 
quarts> d’heure, sans qu’il fût nécessaire de lui redonner 
du chloroforme, ne lui parut pas douloureuse, quoiqu’il eût 
l’esprit très-présent et qu’il assistât, comme patient et 
comme spectateur, â tous ses détails. 

Un fait très-intéressant et que simultanément Cl. Bernard 
enFrance et Nüssbaum enAllemagne(2) ont mis en lumière, 
c’est qu’il suffit d’une petite dose de morphine, avant ou 
après la chloroformisation,pour obtenir des effets analgési¬ 
ques remarquables. Si on commence par le chloroforme, 
l’insensibilité produite se prolonge fort longtemps par suite 
de l’influence de la morphine, tandis qu’en donnant d’abord 
de la morphine, à peine l’inhalation du chloroforme est 
elle interrompue, que la sensibilité reparaît très-vite, mais 
en revanche, elle disparaît dès les premières bouffées de 
chloroforme, 

(1) Leçons orales de 1863, reproduites par Rabuteau {Bull, de thêrap., 
1864, t. LXVI, p. 233); Leçons sur les anesthésiques (Revue des cours 
scienti^gues, mars-avril 1869). 

(2) Jntelligenblatt fur Bayer. Aerz., oct, 1863. 



262 


EFFETS 

Ce procédé a été employé souvent pour les opérations 
chirurgicales, et il a donné des résultats excellents selon 
Guibert (1) : quelques bouffées de chloroforme chez un 
malade ayant subi une injection de morphine suffiraient 
pour émousser la sensibilité et permettre de petites opé¬ 
rations sans que le malade perde lavolonté ou la^conseienee. 
Labbé et Goujon (2) ont eu des résultats analogues, quoi¬ 
que moins nets ; d’autres auteurs nient complètement cette 
analgésie (3). Ils ont simplement constaté que par l’asso¬ 
ciation de la morphine et du chloroforme, la période d’ex¬ 
citation faisait défaut, et la résolution survenait très- 
vite. Cest donc un sujet méritant encore de nouvelles 
recherches. 

Les autres agents anesthésiques généraux paraissent 
agir comme le chloroforme. Il semble que l’intelligence et 
la conscience disparaissent toujours après la mémoire, 
et que toutes les fois que la mémoire disparaît, la dou¬ 
leur est presque négligeable. Ce rapport intime entre la 
douleur et la mémoire mériterait d’être étudié avec soin 
Voici un fait qui montre à quel point ces deux fonctions 
sont liées l’une à l’autre, même quand il ne s’agit plus du 
chloroforme. 

X... âgé de 15 ans, ayant par mégarde avalé une gorgée de 
potasse caustique est atteint trois mois après cet accident 
de rétrécissement de l’œsophage tel qu’il lui est impossible 
d’avaler la moindre cuillerée de liquide. M. Verneuil 

(1) Comptes-rendus de VAcad. des sciences, mars 1872. 

(2) Comptes-rendus de VAcad. des sciences, févr, 1872, 

(3) Piétri. Th. inaug. Paris, 1875. 

Demarquay. Gaz. des hôp., 1872. 

Koch. Sammlung Klinischer vortrâge de Volkmann, 1874, a» 80. 



263 


DES ANESTHÉSIQUES. 

pensant qu’au rétrécissement cicatriciel se joint un cer¬ 
tain degré de spasme musculaire empêchant le passage des 
sondes œsophagiennes même de petit calibre, lui fait 
prendre en trois heures 7 grammes de chloral en lavement; 
le moyen réussit complètement, et pendant que le patient 
est plongé dans une sorte de résolution complète, on réus¬ 
sit à faire franchir à la sonde le rétrécissement de l’œso¬ 
phage. A ce moment le malade pousse un cri, puis gémit et 
se plaint pendant quelques minutes. On lui fait une piqûre 
pour lui injecter 1 centigramme de morphine. Un sommeil 
prolongé s’ensuit. En sortant de ce sommeil, le petit ma¬ 
lade déclare ne rien se rappeler, et n’avoir pas du tout souf¬ 
fert. Il a cependant conservé le souvenir de la piqûre, 
mais quant au passage de la sonde, qui avait provoqué 
ses gémissements et ses lamentations, il ne s’en souvient 
en rien. Ainsi le chloral, qui, à faible dose, est un agent 
précieux pour calmer la douleur, peut faire disparaître la 
sensibilité complètement lorsqu’on emploie de fortes doses, 
et il n’est pas besoin d’obtenir la résolution musculaire. 

Certainement ce petit malade a souffert, mais cette souf¬ 
france a été très-vague, puisqu’il ne s’en souvient pas, et 
on peut se demander si c’est de la vraie douleur, et si, pour 
une vraie douleur, l’intégrité de l’intelligence et de la mé¬ 
moire ne sont pas nécessaires. 

Quelques chirurgiens et surtout Oré ont employé d’ail¬ 
leurs le chloral en injections intra-veineuses pour faire 
disparaître la douleur des opérations (1). 

(1) Oré. Comptes-rendus de VAcad. des sciences, août 1874 {Joum. de 
thérap., 1874, 1, p. 787); Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 1876, 
1« sem., p. 1272. Linhart. Comptes-rendus de VAcad. dès sciences, 1376* 
12® sem., p. 85. 





264 EFFETS DES ANESTHÉSIQUES 

En somme, toutes les substances volatiles anesthésiques 
agissent de la même façon : l’amylène (1), le bichlorure de 
méthyle (2), l'oxyde de carbone (3), le protoxyde d’azote, 
lekérosolène(4), le chlorure de carbone, le bromoforme(5), 
le nitrited’aniyle, etc. (6). L’alcool lui-même, à forte dose, 
est un véritable anesthésique dont l’action est incontesta¬ 
ble, mais qu’il est dangereux d’employer, et à une dose 
modérée il émousse la sensibilité. Pendant une ivresse 
légère, la douleur est perçue incomplètement ; les blessés 
qui arrivent à l’hôpital ont en général été blessés pendant 
l’ivresse, et souvent ils ne se plaignent de souffrir que 
quand l’ivresse est dissipée. 

Peut-être y aurait-il intérêt à comparer entre eux tous 
les corps alcooliques, tous les éthers et leurs dérivés ; et à 
constater qu’il y a dans leur action intime moins de dif¬ 
férence qu’on le croit en général, et que cette différence est 
surtout due à leurs propriétés physiques. 

En tout cas, ces substances agissent non sur l’excitabi¬ 
lité des nerfs, mais sur la sensibilité des centres. 

Les belles expériences de M. Cl. Bernard le démontrent 
très-nettement, au moins pour l’éther et le chloroforme. 
Une solution faible de chloroforme dans l’eau n’agit sur 

(1) Show. Med. Times, 18 avril 1857; Lancet, janv. 1857 . 

Tourdes. Bull, de VAcad. deméd., 1857. 

Luton. Arch. de méd., 1857. 

Robert. Bull. gén. de thérap., 1857, p. 126 et 227. 

(2) Saenger. Chloromethyl und chloroform {Berlin. Klin. WochensbL, 
1874, n» 38). 

(3) Tourdes. Comptes-rendus de VAcad. des sciences, 1857, 

(4) Bigelow. Union méd., sept. 1861. 

(5) Rabuteau. Bull, de la Soc. biol., janv. 1875. 

(6) Hardy. Bull, de la Soc. de biol., 1872, p. 185. 



265 


SUR LA SENSIBILITÉ 

une grenouille que si la solution vient au contact de la 
moelle épinière: les parties supérieures delà moelle ne 
sont anesthésiées que si elles sont directement en contact 
avec le chloroforme, tandis que la solution de chloroforme 
anesthésie toute la moelle, même lorsque c’est le cerveau 
seul qui est intoxiqué (1). 

Les anesthésiques généraux agissent donc parce qu’ils 
pénètrent dans la circulation et influencent les centres 
supérieurs. Si l’on suppose, ce qui est assez vraisemblable, 
que la douleur a son siège dans une partie déterminée de 
l’encéphale, les anesthésiques agiraient sur cette partie 
même. Ils agissent en même temps sur l'intelligence, et 
comme, pour le système nerveux, toute action paralysa- 
trice est précédée par une action excitatrice, la première pé¬ 
riode est l’excitation cérébrale qui n’a pas besoin de se tra¬ 
duire par des mouvements désordonnés (2), mais qui se 
traduit par de l’hyperidéation et de l’ivresse. La morphine, 
le protoxyde d’azote, le chloral, le chloroforme, l’alcool, 
agissent tous de la même manière, et l’ébriété est leur pre¬ 
mier effet. Lorsque cette ébriété est poussée plus loin en¬ 
core, il y a perte de la conscience et de la mémoire, mais 
la sensibilité persiste. Dès ce moment la douleur se trouve 
tellement modifiée par cette altération de la mémoire, qu’il 
est permis de se demander si c’est une douleur, quoique 
les réflexes de la vie organique persistent encore, et qu’il 

yaitcertainsactesintellectuelss’accomplissantendésordre, 

rêve, délire, association des idées, etc. Ce sont les ré- 


(1) Leçons sur les anesthésiques, p. 131. 

(2) 'Voy. Sert. Journ. de Vanat. et de laphysiol., 1868, t. IV, p. 325. 
Richet. 



266 


DES ANESTHÉSIES 


flexes de la vie organique qui disparaissent ensuite, et, 
à la dernière période, tout a disparu, la résolution mus¬ 
culaire est complète, il n’y a plus aucune réaction aux 
excitations sensitives même les plus fortes (1). 

Il est des substances qui semblent être l’inverse des 
anesthésiques et exciter la sensibilité au lieu de l’éteindre. 
Le hachich, le café, la belladone paraissent être dans ce 
cas, mais leur étude n’est guèrefaiteà ce pointdevue. Quoi 
qu’il en soit, à la dernière période, l’anesthésie survient 
aussi, et dans la pratique on les appelle hypéresthésiques, 
parce que le stade d’hypéresthésie est très-long. 

Nous avons parlé des intoxications chroniques où les 
divers genres de sensibilité se trouvent bizarrement dis» 
sôciés et nous n’insisterons pas davantage sur les intoxi¬ 
cations aiguës. 

Remarquons que pour le système nerveux central il en 
est comme pour le système nerveux périphérique. La pé¬ 
riode d’hypéresthésie précède toujours la période d’anes¬ 
thésie, mais la durée relative de ces périodes varie selon 
le poison et la dose employée. 

Remarquons encore que les substances qui agissent sur 
l’intelligence agissent aussi sur la sensibilité, et récipro¬ 
quement, que par conséquent ces deux fonctions sont 
étroitement liées l’une à l’autre, et qu’on ne peut les sé¬ 
parer. Pour les poisons spéciaux au système nerveux, la 
motricité ne semble atteinte que secondairement, et ses 
désordres paraissent liés aux troubles sensitifs et intel¬ 
lectuels. Là aussi il y a une remarquable analogie entre 
les nerfs périphériques et les centres nerveux. 

(1) J’ai étudié ces phénomènes psychologiques dans la Revue des Deux- 
Mondes, (15 février 1876) : Les poisons de Vintelligence. 



pathologiques 


267 

En dehors des poisons et des maladies, les troubles de 
la circulation cérébrale peuvent produire l’anesthésie. Il 
en est pour les centres nerveux comme pour les nerfs, et le 
sang est nécessaire à l’exercice intégral de la sensibilité, 
aussi bien dans les centres qu’à la périphérie. L’anhémie 
du cerveau produit d’abord une hypéresthésie passagère 
caractérisée par des vertiges, des bourdonnements d’o¬ 
reilles, une hyperidéation comparable en tout point à ce 
qu’on observe dans le chloroforme (1), puis l’anesthésie 
arrive complète. D’ailleurs cette anhémie du cerveau qui 
est à la fois la cause et la conséquence de la syncope, est 
incomplètement connuequant à ses elfets, et on la distingue 
difficilement de la congestion ou de l’hyperhémie. 

§ IV. —Des analgésies de muse centrale,pathologiques. 

La relation qui fait de l’intelligence et de la sensibilité 
deux fonctions synergiques ne se manifeste nulle part 
avec plus d’évidence que dans les faits pathologiques; 
nous allons passer rapidement quelques uns de ces faits 
en revue. 

L’anesthésie a été constatée depuis trente ans, par Du 
Crosant, dans la paralysie générale (2), non seulement à 
la période ultime , alors "que toutes les fonctions sont 
profondément troublées, mais dès le début, [avant l’appa- 

(1) "Voy. Fleimng. Anesthésie par la compression des carotides {Bull, 
gén. de thérap., t. XLIX, p. 37). 

(2) Revue méd., 1846, Ann. méd, psychol., 1846, p. 132. 

Michéa. Gaz. hebd.., 1856. 

Marcé. Th. d’agrég,, 1860. Des altérations de la sensibilité. 

Moreau. Th. iuaug. Paris, 1872. 



DK l’intelligence 


268 

rition de tout autre pîiénomène soit psychique, soit soma¬ 
tique. Il est vrai que dans la paralysie générale des alié¬ 
nés il y a une encéphalite, et qu’on peut attribuer l’anes¬ 
thésie à l’altération des circonvolutions cérébrales; mais 
dans presque toutes les affections mentales il y a aussi de 
l’anesthésie, même quand les lésions organiques, au 
moins celles qui sont perceptibles, sont nulles. 

La mélancolie avec stupeur (Baillarger) est le type 
des affections mentales anesthésiques; il n’y a dans la 
mélancolie aucune lésion matérielle des centres. D’ailleurs 
son invasion est quelquefois subite. Une terreur brusque 
un accident, un.chagrin suffisent pour la produire ; en 
même temps que le délire et la dépression survient l’anes¬ 
thésie, en sorte qu’il n’y a de troubles fonctionnels que 
dans la sensibilité et l’intelligence, ces deux troubles étant 
liés l’un à l’autre, apparaissant au même moment et dis¬ 
paraissant en même temps. Toutes les fois que le délire de 
dépression ou d’excitation augmente, l’insensibilité estplus 
complète. En un mot les fonctions sensitives des nerfs 
sont sous la dépendance de l’intelligence. De même qu’en 
intoxiquant l’encéphale d’une grenouille, on abolit complè¬ 
tement toute sa sensibilité, de même chez les mélanco¬ 
liques, les troubles intellectuels sidèrent la sensibilité et 
l’anéantissent. 

Aussi n’est-il guère scientifique d’admettre que l’impas¬ 
sibilité des malades provient, non de l’absence de la douleur, 
mais d’une idée délirante de supplice ou d’expiation né¬ 
cessaires. Il se peut qu’à la vue des appareils qu’on leur 
montre pour les effrayer et les forcer à parler,* ils éprou¬ 
vent une vive frayeur, il se peut même que par les excita¬ 
tions violentes qu’on essaie, il sentent un certain ébran- 



AVEC LA SENSIBILITÉ. 


lement : cet ébranlement n’est pas une douleur. L’idée 
délirante est trop puissante pour qu’une diversion quel¬ 
conque la modifie ; ils ne sont pas assez maîtres d’eux- 
mêmes pour réfléchir à leur douleur, et l’état de rêve 
dans lequel ils sont plongés est tel que rien ne peut les en 
éveiller. Les sensations qu’ils éprouvent ne peuvent être 
comparées à celles qu’un homme sain éprouverait à leur 
place. Car, à ce compte, il n’y a ni courage ni stoïcisme 
qui sauraient résister. 

Dans la manie, dans l’hypochondrie, dans la folie né¬ 
vropathique, il y a cette même relation entre l’intelligence 
et la sensibilité. Je pourrais citer un nombre infini d’ob¬ 
servations; je me contenterai d’en rapporter une seule. 

S.. mariée, âgée de 27 ans, entre à la Salpêtrière le 17 

décembre 1875. Elle est agitée, anxieuse, disant qu’elle 
souffre énormément, veut se tuer, etc. Dans l’intervalle de 
ses crises, elle est manifestement hypochondriaque et dans 
un léger état de stupeur mélancolique. Elle ne souffre pas 
quand on lui traverse la main avec des épingles; on peut 
la piquer au cou, à la main, à la figure : elle ne répond pas 
quand on lui demande si elle en souffre, mais elle m’a dit 
plus tard qu’elle avait senti la piqûre, mais que cela ne lui 
avait fait aucun mal. Deux jours après, l’état psychique est 
un peu amélioré, la sensibilité est aussi un peu revenue. 
Si on la pique légèrement, elle ne dit rien, mais, si on tra¬ 
verse la peau, elle retire vivement la main en disant qu’on 
lui fait mal. Dans la nuit suivante, elle eut un accès de 
délire silencieux, et prenant une aiguille à tricoter, après 
s’être piqué la paroi abdominale en plusieurs endroits, se 
l’enfonça dans l'abdomen. Le lendemain matin, le délire 
avait un peu diminué, et elle regretta d’elle-même la ten- 




270 RAPPORTS DE e’iNTELLIGENCE 

tative qu’elle avait faite. On n’osa pas essayer l’extrac¬ 
tion, car l’aiguille était enfoncée profondément, et il au¬ 
rait fallu certainement entamer le péritoine. Les jours 
suivants le délire diminua, et en même temps la sensibilité 
à la douleur revint ; en pressant sur l’aiguille, on provo¬ 
quait une légère douleur. Pourtant, au dire de S...if, 
1 introduction de l’aiguille ne lui avait fait aucun mal. 

Il est vrai que dans beaucoup de cas de manie il n’y a 
pas d'altération de la sensibilité; mais la manie n’est pas 
la destruction ou l’abolition des facultés intellectuelles : 
c’est une perversion du raisonnement plus ou moins svsté- 
matisé, ce n’est pas la mort même de l’intelligence, comme 
dans la démence. L’intelligence est déviée, mais elle est 
tout aussi vive : ce n’est donc pas une exception à la règle 
que nous avons posée. Cela est si vrai que, dans les cas 
de manie chronique avec accès de délire aigu, pendant le 
délire, il y a anesthésie complète, et la sensibilité revient 
dès que le délire cesse. 

Je sais bien que la question est des plus complexes; 
comme d’une part l’anesthésie est le résultat des causes les 
plus diverses, comme d’autre part les troubles de l’intel¬ 
ligence sont variés à l’infini, il y a un lien qu’il est le plus 
souvent difficile de saisir, mais qui se manifeste très-bien 
dans certains cas de démence sénile et d’imbécillité. Là 
l’intelligence est affaiblie et presque nulle, et la sensibilité 
suit son sort. Ce n'est pas de Panesthésie, c’est de l’hypo- 
esthésie, si je pouvais me permettre un néologisme de plus, 
Voici une observation de chacun de ces cas : 

Saas, âgée de 16 ans, imbécile, est dans le service de 
M. Moreau depuis six aus. Elle répond assez bien aux 
questions qu’on lui fait, sait lire l’alphabet, mais ne va 



AVEC LA SENSIBILITÉ 271 

pas au delà. Q.uand on la pince ou qu’on la pique, elle ne 
songe pas à retirer sa main. Si cependant on rapproche 
du poêle pour la brûler, elle la retire vivement, en disant 
que cela la brûle ; quand on la chatouille, elle indique le 
doigt qu’on touche ; elle dit qu’on la presse fort, si on lui 
comprime fortement la main. Mais il faut pour la décider 
à faire ces réponses l’accabler de questions. Elle ne songe 
ni à résister, ni à se plaindre, mais elle se sauve dès qu’on 
a fini l’exploration, et paraît enchantée quand tout est 
terminé. En l’électrisant, on a beaucoup de peine à lui 
faire reconnaître qu’elle sent quelque chose. Si on l’élec¬ 
trise avec un très-fort courant d’induction et le balai mé¬ 
tallique, elle retire sa main. Si on recommence en lui 
assujettissant la main, elle ne se débat pas, quelle que 
soit la force des secousses; elle ne dit pas que ces secousses 
lui font du mal, quoique, selon moi, elle les sente. On 
peut pousser ainsi très-loin l’électrisation. Si on la presse 
de questions, elle dit que le balai électrique lui fait comme 
des orties. 

Lamy, âgée de 83 ans, est sujette à des attaques mal 
caractérisées (congestion cérébrale?). Dans l’intervalle, 
son intelligence est affaiblie et tout à fait sénile. Elle ne 
réagit pas quand on la pince, même fortement ; quand 
on traverse la peau avec une épingle, elle ne dit rien 
et semble absolument insensible. Cependant, si on la 
presse de questions : « Oui, dit-elle, vous m’avez piquée, 
vous m’avez fait du mal. » 

Il semble donc que là où l’intelligence est diminuée, la 
sensibilité a diminué en même temps. Chez les gens faibles 
d’esprit, les idiots, les imbéciles, la vie est une sorte de 
rêve mal déterminé. Les sensations sont obscures et peu 



2'2 DÙ SOMNAMBULISME 

nettes, et l’impression qu’elles font aux centres peu du¬ 
rable et peu intense. Chez les mélancoliques et certains 
maniaques, une idée üxe empêche, par sa persistance et 
sa prédbminance, la sensibilité. Souvent une passion 
forte produit le même effet. Dans la chaleur du combat, 
les combattants ne sentent pas les coups qu’ils reçoivent, 
et une douleur qu’on prévoit depuis longtemps, sur la¬ 
quelle on concentre toute son attention, est bien mieux 
sentie qu’une douleur survenant à l’improviste, quand 
l’esprit est occupé de toute autre chose (1). 

Dans la névrose connue sous le nom de somnam¬ 
bulisme , et spécialement dans le somnambulisme 
provoqué, l’analgésie complète est la'règle. Mon ami 
R..., dont j’ai rapporté ailleurs l’observation (2), était, 
lorsqu’il était endormi, complètement insensible. Le 
chatouillement des narines et des oreilles n’était plus 
désagréable; je lui ai traversé la peau avec une épingle, 
et il n’a senti aucune douleur. Cependant il palpait les 
objets, et le tact n’était pas émoussé. Quand il fut réveillé, 
il se frotta la main à plusieurs reprises, et se demandait 

(1) Lucrèce a exprimé cette vérité en beaux vers (De rerum natura, 
ib. III, V. 640-655) : 

At quod scinditur et partes discedit in ullas 
Soilioet æternam sibi naturam abnuit esse. 

Falciferos memorant currus abscidere membra, 

Sœpe ita de subito permixtà cæde calentis. 

Ut tremere in terra videatur ab artubus id quod 
Decidit absoisum, quum mens tamen atque homiais vis, 

Mobilitate mali non quit senti re dolorem. 

Et semel in pugnæ studio quod dedita mens est 
Corpore relique pugnam ccedesque petessit. 

(2) Journ. de Vanat. et de la physiol, 1875, t. XI,' p. 354, 



DU SOMNAMBULISME. 

pourquoi cela le piquait en ce point. Il est clair que dans 
des cas semblables, l’anesthésie à la douleur est de cause 
centrale et souvent assez complète pour permettre de pra¬ 
tiquer des opérations. Topham à Londres, Loysel à Cher¬ 
bourg, Kuhnholtz à Montpellier, Esdaile a Calcutta (1), 
ont fait de grandes opérations. Guérineau (2) a fait ainsi 
une amputation de cuisse. Cloquet, Broca, Azam, Fol- 
lin (3), ont aussi pratiqué des opérations sur des malades 
hypnotisés; mais c’est un moyen infidèle auquel il ne 
faudrait songer sérieusement que dans des cas excep¬ 
tionnels. 

Chez les somnambules, on peut aussi provoquer de 
vives douleurs imaginaires; mais, comme tout est subjectif 
dans la douleur, ces douleurs imaginaires sont réelles. 
En effet, quelle différence y a-t-il entre croire souffrir et 
souffrir? S’imaginer qu’on est malheureux, c’est être mal¬ 
heureux, et il en est de même pour la douleur. Une 
somnambule à qui je disais que je lui avais coupé le 
doigt poussait des cris de douleur comme si j’avais réelle¬ 
ment fait l’opération. Ne souffrait-elle pas en réalité ? Au 
point de vue psychologique, c’est là un phénomène assez 
curieux de voir d’une part la sensibilité à la douleur per¬ 
sister, comme sensation subjective, et d’autre part n être 
plus éveillée par les excitations'ordinaires. C’est comme 
un aveugle qui aurait des hallucinations de la vue. 

Il est encore un point sur lequel je voudrais insister si 
l’espace et le temps ne me faisaient défaut. Si l’on endort 

{l) Cités par Larrey. Rapport à la Soc. de chir. sur Vélêphantiasis, 1856. 

(2) Bull. gén. de thérap., t. LVII, p. 514 et 548. 



274 


DU SOMNAMBULISME. 


par le somnambulisme une femme ayant des douleurs 
très-vives, ces douleurs cessent comme dans le sommeil 
procuré par la morphine ou le chloral. On peut même dire 
que l’effet est plus surprenant, car la malade conserve 
toute son intelligence et est étonnée, émerveillée, pour 
ainsi dire, de ne plus souffrir. 

J*ai vu se reproduire le fait d’autant plus souvent qu’en 
général ce sont surtout des malades que j’ai eu l’occasion 
. d’endormir. Il m’a semblé que les affections utérines chro¬ 
niques, hématocèles, métrites, périmétrites, etc., qui pré¬ 
disposent d’ailleurs à l’hystérie, étaient manifestement 
soulagées par le somnambulisme répété souvent. J'ai vu 
à Beaujon une malade atteinte d’hématocèle qui, à 1 état 
de veille, ne pouvait se remuer sur son lit ; lorsqu’elle 
était endormie, elle se levait, et on pouvait lui faire ba¬ 
layer la salle. 

Récemment, à la Pitié, j’ai observé une jeûne femme 
(salle Saint-Augustin, n“ 6) atteinte aussi d’hématocèle. 
Elle avait des douleurs atroces, intolérables, qui ne se 
calmaient qu’imparfaitement avec des doses très-fortes de 
morphine (4 centigrammes par jour en injections sous- 
cutanées). Mais lorsqu’elle était plongée dans le somnam¬ 
bulisme, toutes ses douleurs disparaissaient ; elle-voulait 
se lever, prétendant qu’elle était guérie. Dans cet état, 
elleétait; d'ailleurs, absolument analgésique et je pouvais 
la piquer pour l’injection de morphine sans qu’elle témoi¬ 
gnât la moindre douleur. 

Je crois pouvoir affirmer que loin de lui nuire, 1 hypno¬ 
tisme lui a été très-utile, et produisait une heureuse séda¬ 
tion de tout le système nerveux surexcité. 

Si j’ai rapporté ces faits, c’est que je suis bien convaincu 



275 


ANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 

que dans certains cas de surexcitation nerveuse et d hy- 
péresthésie utérine, comme cela arrive souvent chez les 
hystériques, le somnambulisme peut être employé avec 
succès et mérite d’être étudié à ce point de vue par les 
médecins à l’esprit scientifique. 

De toutes les affections nerveuses, l’hystérie est, sans 
contredit, celle où l’anesthésie se remarque le plus com¬ 
munément. Cette sorte d’anesthésie a été étudiée par un 
grand nombre d’auteurs (1). Je me bornerai seulement à 
traiter ce sujetau point de vue des lois générales de la 
sensibilité. 

Il faut probablement rattacher à l’anesthésie hystérique 
l’anesthésie syphilitique, décrite par Fournier, laquelle a 
été observée uniquement sur des femmes, et des femmes 
jeunes, prédisposées à l’hystérie par leur condition so¬ 
ciale. 

L’anesthésie hystérique offre l’exemple.le plus net des 
dissociations de la sensibilité : le sens musculaire persiste 
en dernier lieu, et c’est la sensibilité à la douleur qui dis¬ 
paraît tout d’abord. Comme dans l’hystérie, l’intelligence 
est toujours affectée, souvent même à l’exclusion de tous 
les autres organes, et nous retrouvons encore là le lien qui 
unit la douleur et l’intelligence, de sorte que quand l’intel¬ 
ligence est pervertie, la sensibilité à la douleur est altérée, 
et réciproquement. 

(1) Lasègue, Arch. gén. de méd., 1864; Leudet, Ibid., 1864; Décours, 
Th. inaug. de Paris, 1875 ; fiehreton, ibid., 1872; BreuUlard, ibid., 1870; 
Guérin, ibid., 1872; Alquier, ibid., 1873. Liégeois, Rôle des sensations sur 
les mouvements {Bull, de laSoc.debiol.,i859,ç.209,etMém.,ibid., p. 261). 

Charcot. Leçons sur les maladies du syst. nerveux et Progrès méd., an- 
uées 1874, 1875, passim.; Landois et Mosler. Berlin, Klin. Wochensblaltt 
1868, p. 380. 


276 


ANESTHÉSIE 


Un des traits le plus saillant de l’anesthésie hystérique, 
c’est d’abord l’extrême mobilité des phénomènes. L’anes¬ 
thésie des hystériques est aussi fantasque que leur carac¬ 
tère. Il semble même qu’elle soit parfois simulée, tant il y 
a d’irrégularité et d’inattendu dans cette maladie. Bern- 
hardt (1) raconte qu’une hystérique sur qui on voulait 
faire une expérience avait un point de la surface cutanée 
une anesthésique depuis longtemps. Le jour où on voulut 
tenter l’expérience (sur le sens musculaire), l’anesthésie 
avait disparu. Rendu (2) rapporte un fait analogue, et tous 
les auteurs sont unanimes sur ce point. Une émotion 
morale, une attaque même très-légère, et passée presque 
inaperçue d’hystérie convulsive, suffisent pour produire 
l’insensibilité d’une région três-localisée de la peau. 

J’ai vu une petite fille de quatorze ans, prématurément 
hystérique, car elle n’était pas encore réglée, qui, sous 
l’influence d’une attaque d’hy.stérie nocturne,devint dujour 
au lendemain complètement analgésique dans tout un 
membre. ^ 

En second lieu, l’anesthésie suit une sorte de marche 
progressive de la périphérie aux centres, et de la surface 
cutanée des membres à leurs parties profondes. Ce sont les 
éxtrémifés des doigts, certaines régions de la face dorsale 
des mains ou des pieds,le cou, le sein, parties évidemment 
périphériques par rapporté la moelle, qui sont d’abord at- 
teintes.Plus tard, ce sont les articulations plus élevées, les 
coudes, les poignets, les épaules, etc. Mesnet (3) a fait re- 

(1) Zur Lehre von Muskelsinn {Arch. für Psychiatrie, 1873, p. 632). 

(2) Th. d’agrég., 1875, p. 123. 

(3) Th. inaug. Paris, 1852. Des paralysie» hystériques. 



HYSTÉRIQUE. 277 

marquer que souvent la peau seule était atteinte et que, 
même dans la peau, ce n’était que la face externe, la face 
interne restant sensible à ia piqûre de l’épingle. N’est-il 
pas intéressant de voir que l’anesthésie hystérique suit 
les lois physiologiques del’anesthésie par les centres? En 
effet, ainsi que Claude Bernard l’a démontré, le nerf sen¬ 
sitif meurt par son extrémité périphérique, aussi bien par 
celle qui est le plus éloignée de la moelle, que par celle 
qui est le plus loin de l’axe du membre. 

On a accordé une certaine importance à l’anhémie et 
l’oligohémie qu’on trouve parfois dans les régions anes¬ 
thésiques (1), et on l’a rattachée aux analgésies qu’on a 
signalées dans la chlorose, mais cette anhémie n’est peut- 
être pas assez constante pour qu’on puisse la regarder au¬ 
trement que comme un épiphénomène de l’anesthésie. C’est 
d’ailleurs un point qui mériterait encore d’être éclairé par 
de nouvelles études. 

En même temps que leur soudaineté, leur variabilité et 
leur périphérisme, un autre caractère des anesthésies hys 
ténques est leur extrême indolence. La plupart du temps 
les malades n’accusent pas ces douleurs prémonitoires qui 
sont comme la caractéristique des analgésies périphéri¬ 
ques. Rien n’est plus rare en effet que lesffourmillements 
les névralgies, et la période d’hypéresthésie que nous si¬ 
gnalions dans la premièrepartie de ce travailpour les anal¬ 
gésies dépendant de lésions nerveuses. La paralysie du 
sentiment survient chez les hystériques sans fracas, et, 
maigre 1 excitation de leur sensibilité générale et morale, 
elles n’éprouvent aucun avertissement qui leur annonce 


(1) Liégeois, ioc. cit., p. 274. Charcot 
Hystérie du Dict. deméd. et de chir., t. 


. Loc. cit., p. 303. Bemiitz. Art. 
XVIII, p. 235. 



hémianesthésie 

les points devant être frappés d'anestliésie. Aussi est 
un symptôme qu’il.faut chercher et qui serait sans douïe 
beaucoup plus fréquemment noté, si on y attachait plus 
d’importance. 

L’hémianesthésie hytérique a acquis une très-grande 
importance dans ces dernières années par suite des re¬ 
cherches anatomo-pathologiques et expérimentales (1). 
Ces recherches ont à peu près démontré qu’une destruc^ 
tion experimentale de la partie postérieure et externe 
des corps opto-striés (capsule interne, couronne rayon¬ 
nante de Reil) entraînait la perte de la sensibilité de 
tout un côté du corps, que les hémorrhagies cérébrales 
accompagnées d’hémianesthésie avaient leur siège dans 
cette région, et que les symptômes de l’hémianesthésie 
hystérique étaient analogues aux symptômes de l’hémia¬ 
nesthésie hémorrhagique,' 

Peut-être une étude plus complète de ces hémianesthé¬ 
sies consécutives à des hémorrhagies en foyers de l’encé¬ 
phale rendra-t-elle l’assimilation absolumentpossible avec 

l’hémianesthésie hystérique ; peut-être aussi fera-t-on des 
autopsies d’hystériques hémianesthésiques et trouvera-t- 
on des lésions centrales, mais on peut admettre mainte¬ 
nant que l’hémianesthésie hystérique est une névrose et 

que rien ne prouve qu’il y ait une destruction de la partie 
supérieure et épanouie des pédoncules cérébraux (2). 


(1) Turek. üeher die. Beziehwig garnisses krankheitskeràe des grossen 

‘i- --«s de VienJ, "m 

L 

(2) (Ma fait réeemment, à la Salpétrière, l’autopsie deL..., qui a «ô lan^ 
temps hémianestliésique. On u’a rien trouvé dans le cerveau à l’autopsl TW 

autre autopsieaétéfaiteaiUeure,parait-ü.et ua donnéaueaiattomÜ 



HYST3ÉRIQÜE 279 

Au contraire, plusieurs faits semblent plaider contre 
l’hypothèse d’une lésion des corps opto-striés; c’est d’abord 
l’immunité absolue du système nerveux moteur, en second 
la mobilité des phénomènes, en troisième lieu la persis¬ 
tance de certaines sensibilités, l’analgésie étant presque 
toujours le principal, sinon le seul symptôme. 

L’année dernière, grâce à la bienveillance de M. le pro¬ 
fesseur Charcot, j’ai pu observer dans son service de la 
Salpêtrière quelques cas fort intéressants d’hémianes¬ 
thésie hystérique, et l’exploration de la sensibilité élec¬ 
trique de ces malades m’a donné des résultats qui peuvent, 
je crois, servir à éclairer cette question (1). 

En effet sur les malades L**, M**, B** et G**, hémi-anes¬ 
thésiques de tout un côté du corps, l’excitation électrique 
était parfaitement perçue, et il ir’y avait aucune différence 
entre le côté sain et le côté malade, quels que fussent les 
points où je mettais les rhéophores. 

Discutons les conditions de l’expérience. Il est impos¬ 
sible d admettre qu’il s’agissait de courants dérivés, car, 
en électrisant la peau de la main, tandis que les rhéophores 
ne sont distants que de quelques centimètres, il n’y a pas 
de dérivation possible allant jusqu’à la moelle. 

Il n est pas non plus exact de dire que l’électricité a 
fait reparaître la sensibilité, car, après l’expérience, 

1 analgésie était tout aussi complète qu’auparavant, et les 
excitations électriques étaient perçues dès le début, aussi 
bien qu’à la fin. 

Enfin la sensibilité profonde était tout aussi abolie que 
la sensibilité périphérique, la très-forte pression, et des 

(1) J’ai publié une note sur ce sujet dans les Bulletins de la Soc. de bioloq 
1876. Oats. méd. 1876, n" 9. ^ 



280 HÉMIANESTHÉSIE 

aiguilles chauffées introduites dans le derme, ne provo¬ 
quant absolument aucune réaction douloureuse. 

Ainsi l’excitation électrique produit de la douleur là où 
toutes les autres excitations, chaleur, pression, piqûre, 
contact sont impuissantes. Il n’y a donc que deux hypo¬ 
thèses possibles : ou bien il existe des nerfs spécialement 
destinés à la transmission électrique, ceux-là étant restés 
intacts, et la lésion ne portant que sur les autres nerfs ; ou 
bien les nerfs sont intacts dans tout leur trajet, et s’ils 
■paraissent insensibles, c’est par défaut d’un stimulus suf¬ 
fisant ou approprié. 

Nous rejetons résolument la première hypothèse : on ne 
peut croire que la sensibilité électrique ait des conduc¬ 
teurs spéciaux. L’électricité met en jeu tous les nerfs, 
aussi bien les nerfs de sensibilité générale que les nerfs 
moteurs, et les nerfs de sensibilité spéciale, et par consé¬ 
quent on ne peut supposer qu’il existe des nerfs spéciale¬ 
ment destinés à transmettre une sensation électrique. 
Reste donc la seconde hypothèse, c’est-à-dire que, depuis 
leurs expansions périphériques» jusqu’au centre de la 
douleur, les nerfs ne sont pas interrompus. 

Leur altération est réelle cependant, mais c’est une 
altération fonctionnelle bien différente d’une altération 
organique,telle qu’une rupture, une striction, ou une sec¬ 
tion, qui interrompent la continuité du nerf et ne permet¬ 
tent plus le passage du courant nerveux. 

D’ailleurs il semble rationnel de ne pas trop séparer 
l’hémianesthésie hystérique des anesthésies hystériques 
localisées. Or ces derniers cas, où il n’y a vraisemblable¬ 
ment [aucune lésion centrale, ne sont guère qu’une pre¬ 
mière étape vers l’hémianesthésie, et l’on retrouve dans 



hystérique, 281 

elanalges.equ.l emporte sur les autres troubles de la 
sensibilité. L électrisation a donné à Duehenne (de Bou- 
ogne) des résultats thérapeutic|ues remarquables, impor- 
an sa etud.er au point de vue physiologique (1. Après 
quelques minutes de faradisation, la, région insensible 
re ev.ent sensible. Il est vrai que pour que la guérison 

peisiste, il faut continuer pendant plusieurs jours le trai¬ 
tement; il est-vrai aussi que certains cas sont abso¬ 
lument rebelles, mais le fait du retour immédiat de la 
sensibilité n en est pas moins du plus grand intérêt II 
semble même que l’anesthésie ne soit guérie que dans les 
points qui ont été en contact avec les rhéophores. Ces faits 
doivent être misa côté d’autres faits sera blables signalés par 
Gubler. L’anesthésie des saturnins et des phthisiques, loca- 
isee en diflférentspoints, est guérie par la faradisation pen¬ 
dant quelques minutes appliquée aux régions insensibles 
Dans ces derniers temps, Burq a insisté sur l’action des 
métaux appliqués directement sur la peau ; on obtient 
ainsi, paraît-il, la guérison de toutes les anesthésies hys¬ 
tériques. M. Charcot a confirmé (2) l’exactitude de ces 
expériences. L’interprétation n’est pas, ce semble, d’une 
extrême difficulté. Le contact de la peau chargée de sels 
avec des métaux oxydables provoque un courant élec 
trique qui agit à la fois sur l’innervation et la circulation 
capillaire des régions anesthésiques. 

Il ne faut pas confondre ce retour rapide de l’excitabilité 
nerveuse par l’électricité avec la conservation de la sensi- 

J75 localisée, 3= édit.,p. 818. Vulpiaa.glr4:/i. dephysioL, 

1875., p. 878. — Grasset. Ibid. 1876, p. 764. 

(2) Bull, de la Soc. de biol., 1877. Gaz. mé 'dic., 1877 p 25 
Richet. , 



282 DES ANESTHÉSIES 

bilité électrique, qui est, ainsi que je l’ai démontré, in¬ 
tacte dans l’hémianesthésie. Ce sont deux faits, sans doute 
connexes, mais différents au point de vue physiologique, 
en sorte que de tout ce qui précède nous pouvons retenir 
ces trois conclusions sur les anesthésies centrales des hys¬ 
tériques : 

A. Les anesthésies hystériques sont guéries par la fara¬ 
disation. " , ' 

B. Dans les anesthésies hystériques, les nerfs et les 
centres demeurent excitables par l’électricité. 

C. L’état de la circulation locale joue un rôle inconnu 
encore, mais certainement assez important. 

Il nous resterait maintenant à expliquer ces différents 
phénomènes,et à donner la théorie des paralysies hystériques 
du sentiment. Quoique la question ne soit peut-être pas 
suffisamment mûre pour être résolue, nous pouvons tout 
au moins essayer de rattacher les phénomènes patholo¬ 
giques aux données de la physiologie. 

A Létat normal, les centres supérieurs exercent sur les 
centres inférieurs et sur les nerfs une sorte d’action mo¬ 
dératrice incontestable (1). CL Bernard a montré qu’unnerf 
attaché à la moelle était bien moins excitable que ce même 
nerf détaché de la moelle (2). Lewisson et Herzen, cités par 
Charcot (3), ont établi que sur une grenouille décapitée, 
l’excitation par une pression énergique dés membres supé¬ 
rieurs empêchait les réflexes des membres inférieurs, et 

(1) SetaohBïLoS.Hemmungsmechanismenfiir die Reflexthâkigkeit. Berlin, 
1863. 

Herzen et ScHff. Expêr. sur les centres modérateurs des actions réflexes. 
Turin, 1864. 

(2) Leçons sur le syst. nerveux. 

(3) Loc. vit., p. 338. —Voir aussi Freusberg. Arrêt des mouvements par 
les centres {Arch. de Pflüger, X, p, 174). 



HYSTÉRIQUES. 283 

réciproquement. Brown-Séquard a développé en maint 
endroit, avec une ingéniosité remarquable et une grande 
force de dialectique, la théorie des paralysies par irri¬ 
tation (1). Il serait donc possible qu’il y eût là un phé¬ 
nomène du même ordre, surtout si on considère que l’ovaire 
est très-souvent hypéresthésié, et semble par l’excitation 
permanente qu il envoie à la moelle le point de départ de la 
maladie. 

Il serait possible encore qu’il y eût des centres de per¬ 
ception sensitive, tenant sous leur dépendance les diffé¬ 
rents nerfs sensibles de l’économie, et pouvant se paraly¬ 
ser isolément, leur paralysie ne s’accusant que par des 
zones d’anesthésie plus ou moins étendues. L’hémianes¬ 
thésie serait la paralysie de tout un hémisphère sensitif du 
cerveau. 

Quoi qu’il en soit, l’altération n’est pas une lésion dans 
le sens anatomique du mot. Le nerf n’est pas mort ; les 
centres sensitifs d’où dépend ce nerf ne sont pas morts. 
C’est une sorte de sommeil, d’engourdissement, qu’une 
excitation appropriée, l’électricité surtout qui est l’exci¬ 
tant le plus énergique de la force nerveuse, dissipe momen¬ 
tanément ou définitivement : toute autre affirmation ne 
serait qu’une hypothèse prématurée. 

Est-il possible par l’examen précis des symptômes de 
déterminer si la cause de l’anesthésie est centrale ou péri¬ 
phérique ? Ce point serait d’une extrême importance en pa¬ 
thologie et je ne crois pas que ce soit une question inso¬ 
luble. 

Dans les anesthésies de cause périphérique, nous voyons 
(1) Leçons sur le diagnostic et le traitement des paralysies, passim. 



284 


DES ANESTHÉSIES 


qu’il y a au début une diminution dans la sensibilité tac¬ 
tile superficielle, puis dans la sensibilité tactile pro¬ 
fonde, puis dans le sens musculaire, puis dans la sensibi¬ 
lité à la douleur, puis dans la thermoesthésie qui persiste 
à peu près en dernier lieu En même temps l’anesthésie 
est toujours précédée d’une période d’hypéresthésie et de 
douleurs,laquelle estconstante, quoique de durée variable. 
Au contraire, dans les anesthésies de cause centrale, la 
sensibilité au contact persiste, alors que* la sensibilité à la 
douleur est abolie. La conservation du toucher qu’on ob¬ 
serve fréquemment chez leshystériques,soitanesthésiques 
par places, soit hémianesthésiques, est une preuve évi¬ 
dente que la conduction nerveuse n’est pas abolie dans les 
nerfs, et que c’est l’organe de la réception à la douleur qui 
est altéré dans ses fonctions. 

L’exploration électrique peut aussi donner des rensei¬ 
gnements précieux : si la sensibilité électrique est conser¬ 
vée, toutes les autres sensibilités étant atteintes, ce n’est 
pas le nerf, c’est l’encéphale qui est lésé. 

Aussi pouvons-nous regarder comme vraie dans la géné¬ 
ralité des cas, intoxications du système nerveux central, 
analgésie hystérique, etc., la loi suivante : 

Lorsqu’il y a conservation des sensibilités tactiles, avec 
analgésie complète, la lésion est centrale. 

Si nous établissons qu’au point de vue des impressions 
sensitives, la moelle épinière est un conducteur, et qu’elle 
fonctionne à la manière d’un organe périphérique, la réci¬ 
proque sera vraie et nous pourrons dire : 

S’il y a altération des sensibilités tactiles, avec conservation 
plus ou moins complète de la sensibilité à la douleur, la lé¬ 
sion est périphérique. 



CENTRALES. 


285 


Tout récemment, Manouvriez(l) a distingué deux formes 

de la sensibilité douloureuse: l’une, c’est l’anaZ^fésie, ou perte 

delasensibilitéàladouleurimmédiate ou provoquée; l’au¬ 
tre , e’est l’anodynie,ou abolition de la sensibilité àladouleur 
pathologique, consécutive ou spontanée.Il m’a semblé que 
cette distinction n’était pas suffisamment motivée. En 
effet, d’une part des malades hystériques ont la peau com¬ 
plètement analgésique, tandis qu’elles éprouvent des dou¬ 
leurs rhumatoïdes dans les membres mêmes dont la péri¬ 
phérie est insensible à la douleur. Cela signifie seulement 
que la sensibilité tactile superficielle est abolie, tandis que 
la sensibilité profonde ne l’est pas. D’autre part on peut 
très-bien rapporter des douleurs à une partie insensible, par 
l’effet d’une illusion centrale, comme les amputés qui rap¬ 
portent les douleurs de leur moignon au membre qui a été 
enlevé. Quant aux cas très-intéressants cités par Manou¬ 
vrier, dans lesquels une brulûre causait de la douleur au 
moment de l’inflammation , quand elle n’en avait pas 
produit au début, je crois que l’explication donnée plus 

haut de l’hypéresthésie acquise suffit pour expliquer cette 
bizarrerie apparente. 

Aussi tout en reconnaissant l’intérêt qu’il y a à ces 
recherches, n’établirons-nous pas de distinction physio¬ 
logique entre l’anodynie et l’analgésie. 

Nous ne pouvons passer en revue tous les autres cas de 
pathologie externe ou interne dans lesquels la sensibilité 
à la douleur a disparu. Les affections de la moelle, celles 
du cerveau, les affections générales entraînant une modi¬ 
fication dans la nature du liquide sanguin, sont des causes 

( 1 ) Recherches sur les troubles de la sensibilité dans la contracture idio¬ 
pathique des extrémités. Paris, Delahaye, 1877. 



286 DES ANESTHÉSIES. 

d’analgésïe, tantôt générale, tantôt partielle et à tous les 
degrés. 

La température interne ne semble pas exercer d action 
appréciable sur la douleur. J’ai vu des malades, ayant 
une fièvre traumatique de 40,2, et même 40,8, chez qui la 
douleur traumatique n’était pas plus développée que chez 
les opérés apyrétiques. A la vérité, à partir de 40,5 et 44. 
degrés, l’excès de la fièvre produit le délire, et les mani¬ 
festations de la sensibilité sont par cela même singuliè¬ 
rement troublées. Mais à 40 degrés ou à 39,5, toutes choses 
égales d’ailleurs, il n’y a ni anesthésie, ni hypéresthésie. 
Il semble en être de même pour les températures très- 
basses. J’ai vu une femme atteinte d’urémie à la suite d un 
cancer de l’utérus, et qui n’avait que 30,7 (1); cependant 
elle sentait parfaitement, et il m’a semblé même qu elle 
était plutôt hypéresthésique. 

Les anesthésies par les intoxications chroniques ne sont 
pas rares : le plomb, le sulfure de carbone (2), l’oxyde de 
carbone (3), l’alcool (4), le tabac (o), l’arsenic, etc. 

L’influence de l’inanition sur la douleur serait assez cu¬ 
rieuse. Claude Bernard (6) cite l’expérience intéressante de 
Chossat qui, ayant fait jeûner longtemps une tourterelle, 

(1) C’est une des températures les plus basses qu’on ait constatée; Bourne- 
ville a trouvé une température de 27,4 chez une urémique (Comptes-rendus 
de la Soc. bioZogr., juin 1871), 

(2) Delpech. Ann. d’hygiène, t. XIX. Huguin. Th. jn. Paris, 1874. 

(3) Laroche. Des paralysies consécutives à l’empoisonnement par la 
vapeur de charbon. Th. in, Paris, 1875. 

(4) Juif. De l’anesthésie alcoolique. Th. inaug. Paris, 1874. — Magnan. 
De l’alcoolisme. Paris, 1874. — Dagonet. Ann. méd. psch., 1873, t. IX, 
P 187. 

(5) Masselon. Th. Paris, 1872. 

(6) Leqons de pathol. expérim., p. 120, 



CENTRALES. 


287 


détermina la mort immédiate (par l’excitation d’un nerf 
sensitif. Ainsi on la fait mourir en lui pinçant les pattes, fl 
est très-probable que c’est une excitation douloureuse, de¬ 
venue plus intense par suite de l’état pathologique de 
l’animai, qui, arrêtant le cœur par un réflexe d’arrêt, pro¬ 
duit la syncope, et la mort. 

Dans certains cas, notamment dans les anesthésies sa¬ 
turnines, il serait possible que la cause de l’anesthésie fût 
d’origine humorale, comme le veut M. Gubler. L’anal¬ 
gésie serait alors la conséquence de l’anémie partielle de la 
peau. Ce qui semble confirmer, au moins pour certains 
cas, la réalité de cette hypothèse, c’est que, si on frictionne 
la peau avec un rubéfiant énergique, l’analgésie disparaît 
au bout de quelque temps. A. Robin (1) a vu queleja- 
borandi, au moment où il détermine la congestion de la 
peau, laquelle est suivie d’une sueur abondante, fait dis¬ 
paraître les zones d’anesthésie des saturnins. 

Dans d’autres cas, plus rares encore, l’anesthésie dispa¬ 
raîtrait sous l’influence d’une émotion. Dagonet (2) cite 
un cas dans lequel l’hémianesthésie alcoolique a disparu 
tout d’un coup après la lecture d’une lettre (??)•• 

§ V. 

Des caractères physiologiques de la douleur. 

Après avoir étudié les modifications complexes que les 
états divers des nerfs et des centres amènent dans la sen¬ 
ti) Cité par Renaut. Th. d’agrég. Paris, 1875, p, 65, et Journ, de thé- 
(2) ioc. cit., p. 187. 



288 


DES CARACTÈRES 


sibilité à la douleur, il nous reste à étudier cette sensibilité 
elle-même, envisagée comme un phénomène normal. Au¬ 
trement dit, quels sont les caractères de la douleur 
perçue par les centres, en dehors de toute transformation 
des impressions par l’anesthésie ou l’hypéresthésie ? Je 
crois pouvoir affirmer que cette question n’a été traitée 
méthodiquement nulle part : aussi comprendra-t-on faci¬ 
lement que mes observations sur ce sujet ne sont qpe des 
faits épars, propres seulement à être utilisés un jour par 
celui qui voudrait faire sur cette intéressante question un 
travail d’ensemble. 

Tout d’abord, nous ferons remarquer qu’entre une per¬ 
ception sensitive-et une perception douloureuse, il y a une 
série de gradations insensibles, en sorte qu’il n’est pas 
possible de distinguer une perception sensitive forte d’une 
perception douloureuse faible. 

Prenons quelques exemples ; si on met la main dans de 
l’eau à 40 degrés, c’est une perception sensitive; quelques 
degrés de plus, la perception commence à devenir désa¬ 
gréable, et à 60 degrés, elle est nettement douloureuse. 

Si on presse légèrement la peau, on aune sensation qui 
n’a rien de pénible; pour peu qu’on augmente la pression, 
ja sensation ira en augmentant d’intensité et finira par 
être atrocement douloureuse. 

Des courants d’induction interrompus, s’ils sont très- 
faibles, donnent des secousses qui n’ontrien de désagréable, 
mais si l’on repousse la bobine, les secousses seront telle¬ 
ment fortes, qu’on ne pourra les supporter sans ressentir 
une véritable douleur. 

Aussi faut-il regarder comme certain que la douleur est 
le l’ésultat d’une excitation très-forte d’un nerf. Les lois 



289 


DE LA SENSIBILITÉ. 

qui régissent la douleur sont donc probablement les mêmes 
que celles qui régissent la sensibilité. 

Il y a cependant, dans la douleur, un fait de plus : c est 
la part considérable que les centres nerveux y prennent 
nécessairement. La douleur est l’ébranlement que donne 
aux centres une excitation sensitive très-forte, et ce sont 
les conditions de cet ébranlement qu’il importe de bien 
préciser. 

D’abord c’est un acte cérébral, et à ce titre, il s’accom¬ 
plit avec lenteur. En effet, dans le cerveau, plus encore 
peut-être que dans la moelle, le travail se fait lentement 
et graduellement, comparativement à la rapidité du pas¬ 
sage du courant nerveux dans les nerfs. 

Rien ne peut mieux montrer cette ilenteur extrême des 
actes cérébraux que l’histoire des syncopes consécutives à 
une excitation extérieure. Une syncope ne survient pas 
brusquement; il faut, pour quelle se produise, un espace 
de temps appréciable, qui mesure la durée du travail cé¬ 
rébral. 

J’ai vu, dans le service de M. Verneuil, un malheureux 
qui est mort en trois jours des suites d’une blessure du 
péritoine. Il étaittombé sur une tige de fer acérée, servant 
à tarauder les cannes à pêche, et si malheureusement que 
la lame entra dans le bassin et coupa l’uretère. Au moment 
de Taccident, il ressentit cependant un choc terrible, il fit 
plusieurs pas dans la cour qu’il traversa presque tout en¬ 
tière, alla trouver le concierge, et lui dit : «Je suis blessé, » 
puis il perdit connaissance. A ce propos, M. Verneuil nous 
racontait l’histoire de ce jeune homme qui, étant légère¬ 
ment blessé au flanc par une balle partie d’un révolver 
qu’il essayait d’armer, ne ressentit aucune douleur, et 
Richet- 31' 



290 


tENTEUR 


chercha où pouvait (être la balle, puis, s’apercevant que 
sa blouse était trouée, pensa qu’il était peut-être blessé, et 
seulement alors perdit connaissance. 

Quelqu’un passant dans une rue, fut arrêté par la 
chute d’une énorme pierre qui tomba à ses pieds. Néan¬ 
moins, il continua sa route sans éprouver aucune frayeur. 
A quelques mètres de là, il chancela et fut pris des ver¬ 
tiges et des éblouissements qui précèdent la S 3 &ncope (1). 

Il arrive souvent, que chez les femmes hystériques une 
contrariété, une offense plus ou moins imaginaire déter¬ 
mine une attaque convulsive. Or cette attaque ne survient 
pas brusquement ; il faut quelquefois dix à douze minutes 
d’intervalle entre l’excitation qui est la cause directe 
de l’accès, et l’accès lui-même. 

La lenteur est aussi bien le fait des actions propres de 
la moelle que de celles dru cerveau. Ainsi récemment 
Rosenthal a montré que le temps de la réflexion dans la 
moelle était parfois très-considérable, et qu’en tout cas, 
c’était un espace de temps parfaitement appréciable, pen¬ 
dant que le temps de la conduction nerveuse est en somme 
plus ou moins négligeable. (2) 

Ainsi, pour la perception douloureuse, il faut plus de 
temps que pour la perception sensitive, c’est une loi géné¬ 
rale qu’il est facile de démontrer. 

En voici quelques preuves : 

1° Beau avait déjà remarqué, il y a près de trente ans, 
qu’un coup violent au pied détermine d’abord une sensa¬ 
tion de contact, et, plus tard seulement, quelques dixièmes 

(1) Yoy. Yerneuil, art. Commotion du Dict. encyclop. 

(2) Sitzungsber, der phys. med. Societ. zu Erlangen. 1874 et 1875. 


DES SENSATIONS DOULOUREUSES. 2M. 

de secondes après, la sensation de douleur. Dans les cas 
pathologiques, on retrouve encore cette dissociation (1). 

2“ J’ai fait construire par M. Colin une pince à pression 
graduée dont les deux mors sont minces et arrondis : 
on peut ainsi saisir un repli cutané entre les deux mors 
de la pince. On augmente rapidement la pression jusqu’au 
moment où on sent la peau pressée assez fortement, puis 
on laisse la pince en place. Au bout de quelques instants, 
la douleur, qui n’existait pas d’abord, finit par apparaître. 
Elle vient graduellement, comme par ondées : à cha¬ 
que seconde, c’est un élancement douloureux, plus dou¬ 
loureux que le précédent, en sorte que la douleur finit par 
devenir insupportable. Naturellement, le pression de la 
pince n’a pas augmenté, c’est la même excitation qui, 
en s’accumulant, a fini par produire de la douleur. 

La seconde preuve que l’on peut donner de l’influence 
de la durée sur le phénomène douleur, c’est l’effet de l’in¬ 
cision de la peau par le bistouri, la première sensation 
n’est pas une douleur, c’est un sentiment de froid. Les 
poètes de l’antiquité avaient décrit le froid glacial que fait 
une lame acérée qui pénètre dans la poitrine. Il en est 
de même pour les blessures moins graves et incisions 
d’abcès, comme chacun, malheureusement, a sans doute 
pu en faire l’observation plus ou moins de fois sur soi- 
même. Ce qu’on sent tout d’abord, c’est le fer qui parait 
extrêmement froid, puis au moment où l’incision est finie 
et le bistouri sort, on a le sentiment d’une cruelle déchirure. 

fl® Si on p longe la main dans l’eau très-chaude, on pourra 

(1) Remak. Arch. fur Psychiatrie, 1874, t. IV. Voy. aussi les recherches 
que j’ai publiées dans la Gaz. méd., 1876, ii°s 33 et 35, sur les seusations 
des ataxiques et Buü. de la Sec. de biol., 1876. 



292 DURÉE 

la maintenir à la rigueur pendant quelque temps, mais 
au bout d’une demi-minute à une minute, la douleur de¬ 
viendra intense et on sera forcé de retirer la main. 

4“ L’influence du froid est identique, non-seulement 
quand il est appliqué localement, en un point déterminé 
de la [périphérie cutanée, mais même quand il agit sur 
toute’ la surface du corps. Ainsi, par exemple, si on sort 
d’une chambre chauffée pour entrer dans une autre cham¬ 
bre chauffée également, et qu’on ait à traverser un court 
espace où la température esttrès-abaissée,onneressentira 
guère le froid qu’au moment où on entrera dans la seconde 
chambre. La frisson déterminé par l’abaissement de la 
température ne survient pas sur-le-champ : il faut une 
nombreuse série d’excitations se succédant et s’accumulant 
pour produire un effet sensitif d’abord, et plus tard, l’effet 
réflexe moteur qui en est la conséquence. 

A ce propos je ferai remarquer que ce frisson réflexe 
est déterminé aussi bien par l’impression de la chaleur 
succédant au froid, que par l’impression du froid succédant 
à la chaleur. Si pendant que l’on est au bain on plonge 
la main dans un courant froid pour la mettre ensuite 
dans l’eau très chaude, on éprouvera un frisson réflexe, et 
inversement, si après avoir mis la main dans un courant 
chaud, on la plonge ensuite dans un courant d’eau froide. 
Dans l’un et l’autre cas il y a frisson, et frisson succédant 
à une excitation prolongée, durant au moins quelques 
secondes. 

Si on s’électrise la main ou le bras avec des courants 
d’induction interrompus assez forts pour être douloureux, 
on serait tenté de penser que la douleur est instantanée; 
mais ce serait une erreur manifeste. En effet le même cou- 



DES SENSATIONS DOULOUREUSES. 293 

Tant étant unique ne produit pas de douleur ; la douleur 
est produite peut-être par la seconde secousse suivant de 
près très la première,peut-être par la troisième; à coup sûr 
ce n’est pas par la première, puisque celle-ci, lorsque elle 
est isolée, ne produit aucun effet douloureux. 

Toutefois, si l’excitation unique est très-intense, il n’y a 
pour ainsi dire pas de retard dans la douleur ; il en est 
comme de la sensibilité perceptive, l’intensité supplée à la 
durée. Cela estvrai pour les secousses d’induction isolées 
très fortes. Cela est vrai pour les brûlures, et aussi pour 
la pression. Il est possible qu’il y ait un retard réel sur la 
sensation, mais cette différence va en diminuant à mesure 
que l’excitation nerveuse est plus forte. 

De même, quand il y a par suite d’une inflammation in¬ 
tense et d’une névrite radiculaire concomitante, comme 
dans les panaris et les anthrax, une hypéresthésie extrême, 
la douleur survient bien plus rapidement, et il n’est pas 
besoin, pour qu’elle se produise, du temps nécessaire à la 
perception de la douleur quand on incise des tissus sains. 

Pour résumer cette discussion, nous pouvons regarder 
comme démontré que pour la douleur, comme pour la sen¬ 
sibilité, il faut un temps appréciable, que la perception 
sensitive est en avance sur la perception douloureuse, et 
qu’à mesure que l’eXcitation va en croissant, le retard de 
la perception douloureuse va en diminuant. 

Un autre caractère de la douleur, c’est le retentissement 
douloureux qui la suit, et qui, selon moi, la constitue 
presque tout entière. Voyez un malade à qui Ion fait une 
incision. Il crie au moment de l’opération, mais cette opé¬ 
ration a duré à peine une seconde, et le malade au moment 
où il se plaint devrait avoir cessé de souffrir. Il n’en est 



294 


DURÉE 


pas ainsi malheureusement. Le patient gémit et se plaint 
pendant plusieurs minutes de la douleur qu’il a subie. En 
réalité il la subit encore. Ses contorsions et ses plaintes 
prouvent que la douleur persiste, et qu’elle n’a pas cessé 
avec l’incision, comme on le dit banalement. Q.u’il dise, 
«t cela m’a fait mal » ; rien de plus simple ; car il attribue 
tout au moment de l’incision, tandis qu’en réalité c’est 
l’ébranlement nerveux qu’elle a amené qui fait toute la 
douleur. Supposez qu’une seconde après l’opération il ne 
souffre pas plusdel’ineision, et qu’il ne soit pas plus ébranlé 
que si on lui avait ouvert un abcès depuis six mois, en 
réalité il ne serait pas à plaindre, et il ne se plaindrait pas. 

Cette suppression de l’ébranlement nerveux, qui est 
comme le souvenirvivace et cruel de la douleur, et une dou¬ 
leur même, n’est ni un mythe, ni un rêve. Les anesthé¬ 
siques agissent surtout, au moins dans les premières pé¬ 
riodes de leur action, en supprimant ce retentissement dou¬ 
loureux. 

Nous ne saurions trop le répéter : supprimer le souvenir 
de la douleur, c’est supprimer la douleur elle même, non 
pas peut-être au point de vue mathématique, mais au point 
de vue physiologique, car rexcitation électrique qui dure 
moins d’un millième de seconde ne serait rien, quelle que 
fût son intensité, si la secousse ne produisait pas un ébran- 
lenient général beaucoup phts long qu’on ne le croi^ et 
dont on se ressent encore dix minutes après, pourvu que 
la secousse ait été assez forte. 

Un troisième point, assurément fort étrange et fort in¬ 
téressant dans la perception des sensations douloureuses, 
c’est le contraste entre les gros troncs nerveux et les der¬ 
nières ramifications cutanées des nerfs. Une brûlure infé- 



DES SENSATIONS DOULOUREUSES. 295 

ressant tout le membre inférieur est évidement plus dou¬ 
loureuse que la brûlure du nerf sciatique, et pourtant c’est 
lui seul qui distribue la sensibilité à tout le membre. Au 
premier abord, on croirait que c’est quelque chose d’ana¬ 
logue à l’expérience qui consiste à toucher le* nerf d’une 
grenouille strychnisée sans provoquer de réflexes, tandis 
que l’attouchement de la plus petite surface cutanée pro¬ 
duit immédiatement un réflexe tétanique très-intense. 
Cependant l’assimilation n’est guère possible. En effet, 
sur ce même nerf de grenouille strychnisée, si l’on, ap¬ 
plique un corps chaud, un fer rouge par exemple, on dé¬ 
truit le nerf sans provoquer de réflexes, et cependant il y 
aura eu évidement de la douleur. 

L’explication de la moindre irritabilité d’un tronc ner¬ 
veux que de la masse entière de ses expansions terminales, 
ou même d’une partie seulement des expansions n’est pas 
simple à donner, et c’est une hypothèse que je propose. 

Chaque tube nerveux en se terminant dans la peau, est 
sensible par lui-même, mais il est aussi sensible par voi¬ 
sinage, de-sorte qu’aucun point de la peau n’est insensible. 
Par conséquent si on compare la surface de section du 
nerf à la surface de la peau, on a un rapport très considé¬ 
rable, comme 1 est à lOOOje suppose : l’excitant étantdel 
par 1 centimètre carré, il y aura 1 d’excitation au nerf et 
iOOO à l’ensemble de la peau. 

Remarquons encore que si l’incision d’un nerf est moins 
douloureuse que des incisions multiples delà peau, c’est 
peut-être parce que ces incisions de la peau durent quel¬ 
que temps relativement à la section, d’un nerf et que ces 
excitations s’accumulant sans cesse finissent par produire 
plus de douleur qu’une incision unique, brusque, telle que 



296 KU CENTRE 

l’incision étant finie, la douleur va en diminuant à partirde 
ce moment. 

Pflûger en étudiant le courant nerveux moteur a vu 
que le nerf semblait par son action propre renforcer le 
courant. D’après lui le courant nerveux agit comme une 
avalanche, se renforçant à mesure qu’il chemine dans le 
nerf. Il est probable qu’il en est ainsi pour le nerf sensitif. 
Le courant nerveux gagne en intensité, à mesure qu'il 
s’avance dans le nert 

Ces trois caractères de la douleur vont tous concourir à 
nous montrer quelle est la cause même de la douleur. Si 
l’on excepte les nerfs sensoriels des 1% 2", 8® paires cr⬠
niennes, tous les nerfs sensitifs sont aptes à produire de 
xa douleur. Il faut pour cela, et il suffit que l’excitation soit 
très-forte. Au point de vue physiologique, la douleur n’est 
pas autre chose que la perception d’une excitation forte. 
Par suite d’une disposition particulière de l’organisme, 
cette perception a un caractère pénible, désagréable, dou¬ 
loureux. Le sens musculaire. Je sens de la température, les 

sensibilités tactiles, les sensibilités viscéralesdugrand sym¬ 
pathique, peuvent toutes en s’exagérant devenir des sen¬ 
sibilités à la douleur. La même excitation qui tout à l’heure^ 
donnait une sensation simple donnera, si elle s’exagère, une 
sensation douloureuse : en sorte qu’à un certain degré d’a¬ 
cuité toutes les sensibilités se confondent en une seule, 
qui retentit avec force et ébranle la conscience. 

Il semble que, dans tous les cas, il y ait dans l’encéphale 
un centre de la douleur, centre dont le siège est encore mal 
déterminé, mais dont on connait les aboutissants. Ce sont 
les fibres qui vont à la partie postérieure de la capsule in¬ 
terne (Charcot. Türck), en sorte que cette partie étant lé- 


DE LA DOULEUR. 


297 

sée, il n’y a plus de conduction, des excitations périphéri¬ 
ques.Ces fibres sont à la fois les conducteurs des impres¬ 
sions sensitives, tactiles, thermiques, musculaires et des 
impressions douloureuses. Au delà, peut-être dans les lobes 
occipitaux, il y aurait des centres distincts pour chaque 
sensibilité spéciale. Le centre de la douleur serait profon¬ 
dément placé, et opposerait une grande résistance à l’exci¬ 
tation, à l’exemple de certain^ muscles ne se contractant 
que sous l’influence d’excitations fortes ou répétées. 

Est il besoin d’ajouter que nous n’attachons pas à cette 
dernière hypothèse plus de valeur qu’ellen’en mérite, tant 
qu’elle ne sera pas confirmée par des faits expérimen¬ 
taux? 

L’irradiation semble être une des conditions de la dou¬ 
leur. Une douleur très-forte ne reste j amais localisée, et, 
retentissant sur l’organisme tout entier, semble augmenter 
en étendue à mesure qu’elle augmente en intensité. 

C’est avec l’excitation électrique qu’on en donne la dé¬ 
monstration la plus claire. Si on électrise la peau avec des 
rhéophores terminés en pointe, il semblera qu’autour de 
chaque pointe il y ait un cercle douloureux : à mesure qu’on 
augmentera 1 a force des courants, ce cercle paraîtra aller en 
augmentant. De même, si on électrise par l’eau, les cou • 
rants faibles paraîtront rester exactement localisés aux 
surfaces excitées; mais pour peu qu’ils soient forts, l’ébran¬ 
lement est rapporté à une bien plus grande étendue, et on 
croit que l’excitation dépasse ses limites réelles, par 
exemple va jusque au milieu du bras, si on n’excite que la 
main. 

Pour les douleurs consécutives à des irritations trauma- 
Richet. 3 g 



298 l’irradiation. 

tiques, le fait est tout aussi évident : Weir Mitchell (1) dit 
que dans trois cas de névrite aiguë, il y eut en même temps 
agravation en intensité et en étendue jusque à ce que la 
douleur, au lieu d’occuper seulement le nerf primitivement 
atteint, ’se fut propagée à toutes les branches duplexas cor¬ 
respondant. C..., blessé au bras, eut une névrite trauma¬ 
tique, et dès le second jour la douleur était venue retentir 
sur la cinquième paire du même côté. Les muscles de la 
nuque étaient raidis et douloureux. Dans les metrites 
chroniques, la douleur lombaire est la règle, et non seule¬ 
ment la douleur lombaire, mais encore les névralgies scia¬ 
tiques et crurales de toutes formes. Dans la colique hépa¬ 
tique, c’est la douleur de l’épaule droite, dans la colique 
néphrétique, la douleur du scrotum, dans les ulcères et 
les cancers de l’estomac, la douleur dorsale, et dans bien 
d’autres circonstances, une douleur plus ou moins irra¬ 
diée qui retentit dans toute la sphère du nerf irrité. 
Axenfeld (2) a remarqué qu’il existait entre un viscere 
enflammé et la peau qui le recouvre une sympathie con- 
s^ ante, et en effet c’est surtout dans les blessures des viscè¬ 
res innervés par le grand sympathique, que cette irradia¬ 
tion de la douleur est le plus manifeste. Le malade dont le 
péritoine était blessé, et dont nous parlions plus haut (3), 

ressentait une douleur atroce dans la région péritonéale. 

De là cette douleur allait en montant, disait-il, jusque au 
sternum et gagnait l’épaule droite. Dans toutes les inflam¬ 
mations k péritoine ou de l’intestin, la douleurn’estjamais 
localisée, elle est rapportée par les patients àtout le ventre. 

(1) Loc. cit., p. 65. 

(2) Traité des névroses. 

(3) Voy. p. 296. 


DES SYNEhTHÉSIES, 299 

Dans les nerfs sensitifs de la vie animale et dans les né¬ 
vralgies, cette irradiation de la douleur semble être aussi 
la règle. Valleix (1) qui décrit cette forme sous le nom de 
névralgie propagée par voie de continuité, raconte qu’un 
malade, à la suite d’une contusion du trijumeau, eutune né¬ 
vralgie occipitale, puis cervico-brachiale, puis des nerfs tho¬ 
raciques. Un autre malade à la suite d’une névralgie dutri- 
jumeau eutune névralgie du plexus cervical, puis desnerfs 
lombaires. Souvent ces propagations se font à distance. 
Persons a publié deux cas de névralgie du bras consécu¬ 
tive à une névralgie dentaire,' et Castle a vu un cas 
analogue. L’extraction delà dent cariée a guéri la douleur 
du bras. Gairdner et Brown-Séquard (2) ont vu une né¬ 
vralgie du bras à la suite d’une blessure de la main qui s’est 
étendue à d’autres parties du corps. Graves (3) cite un cas 
dans lequel une piqûre de l’annulaire amena quelques jours 
après l’anesthésie du petit doigt. Evidemment cette anes¬ 
thésie était la conséquence d’une névrite par irradiation.' 

Les phénomènes les plus intéressants de l’irradiation 
sont ces phénomènes sensitifs bizarres qu’on a appelés 
avec raison synesthésies, et qui ne sont autres que des 
irradiations à distance. Parmi les synesthésies, il en est 
qui sont normales, il en est d’autres qui sont pathologiques, 
et dont la cause semble due aune hyperesthésie de la moelle. 

Parmi les synesthésies normales (4) une des plus vul- 

. (1) Loc. cit. et Leclercq, Th. inaug. Paris, p. 35. 

(2) Leçons sur les vaso-moteurs. 

(3) Clinical medîcine, t. I, p. 504, 

(4) Voir R. Wagner. Neurologische untersuchungen. Gôttingen, 1854, 
p. 181. — Bergmann et Leuckart. Anat, comparée, p. 506. — Brown 
Séquard. Leçons sur les nerfs vaso-moteurs, trad. franç. — Jensen. Des 
perceptions doubles {Arch. fur Psychiatrie, t. IV, p. 547). — Gubler. 
Bull, de la Soc. de biol. 1877, et Gaz. mêdic. 1877, n® 3. 



300 DES SYNESTHÉSIES 

gaires est cette sensation douloureuse qu’on éprouve dans 
les dents, par l’audition d’un son strident et aigu. C’est 
encore cette sensation de constriction dans les tempes 
par le contact de la glace avec la langue : chez les malheu¬ 
reux, à qui, pour une tumeur linguale, on est forcé de faire 
la section d’une portion de la langue avec l’écraseur, 
comme on ne les chloroforme pas, ils éprouvent des dou¬ 
leurs terribles qu’ils rapportent toujours à la région tempo¬ 
rale. Deux fois j’ai été témoin de ce fait. Une troisième 
fois, j’ai vu, dans une staphylorrhaphie, le décollement du 
voile du palais causer des douleurs atroces dans cette même 
région temporale. Il est chez quelques personnes des 
points de la peau qui étant touchés provoquent une 
sensation tactile en un point très-éloigné. Le contact du 
voile du palais produit une sensation de nausée et d’an¬ 
xiété au creux épigastrique. La titillation du conduit au¬ 
ditif externe amène une sensation de chatouillement dans 
la gorge et provoque la toux. La lumière vive cause une 
démangeaison dans les narines et l’éternument. etc. 

Quant aux synesthésies pathologiques (1), elles sont 
plus fréquentes et plus explicables. Chez les ataxiques,le 
fait est, sinon fréquent, au moins quelquefois observé. 
M. Brodie (2) a vu un rétrécissement de l’urèthre accom¬ 
pagné de claudication et de douleurs dans les pieds, 
phénomènes qui disparurent apres la dilatation de l’urè¬ 
thre. Weir Mitchell (3) a vu le bâillement provoquer une 
douleur très-vive dans le moignon du bras gauche d’un 
amputé. Chez certains amputés de la cuisse, les efforts de 

(1) Vulpian. Art. Moelle du Dict. encyclop,, t. VIII, p. 519. 

(2) Cité par Brovrii-Séquard. Loc. cit. 

(3) Loc. cit. 


PATHOLOGIQUES. 301 

défécation amenaient des douleurs dans le moignon. La 
miction provoquait aussi des douleurs très—vives. Bern- 
hardt (1) a vu, après une blessure du nerf médian, la 
piqûre légère du petit doigt amener des douleurs très- 
vives au coude. (2) 

Pour ma part, j’en ai vu un cas des plus nets et tout à 
fait analogue aux cas rapportés par Mitchell. C’était un 
malheureux homme, assez âgé, phthisique, et ayant par 
par suite d’une tuberculose génitale, une uréthro-cystite 
très-pénible. Déplus il avait été amputé du bras gauche, 
et son moignon était extrêmement douloureux ; le pauvre 
homme souffrait cruellement, chaque fois qu’il urinait; et 
l’urine en passant dans l’urèthre enflammé, déterminait 
une atroce douleur dans son moignon. Bien que les souf¬ 
frances qu’il endurait depuis près de deux ans eussent al¬ 
téré son caractère qui était devenu intolérable, il consen¬ 
tait à me dire comment il souffrait, et il m’a raconté que 
chaque fois qu’il urinait, il souffrait « des lances de feu » 
dans son moignon. A plusieurs reprises il m’a confirmé le 
même fait. C’est là un exemple typique de synesthésie, et 
l’explication complètement satisfaisante est encore à trou¬ 
ver, Car je ne crois pas admissible qu’on puisse attacher 
aux synesthésies les sensations subjectives éprouvées par 
les amputés dans leur moignon. (3) 

Les douleurs que les malades atteints de la pierre res¬ 
sentent au méat urinaire sont aussi des synesthésies, mais 
qui ne sont pas tout à fait comparables à celles que nous 
venons de mentionner. En effet dans les vraies synesthé- 

(1) Neuropathische Beobachtungen. Berl. Klin. Wochensblatt, 1875. 

(2) Voy. aussi Gayet. Lyon mêd., juin 1870. 

(3) Dieufafoy. Th. d’agrég., 1875, p. 33. 



302 


DES DYSESTHÉSIES. 


sies il y a deux sensations simultanées, perçues par une 
seule excitation en deux points différents, éloignés l’un 
de Tautre, et n’ayant pas de rapports anatomiques immé¬ 
diats. Au contraire, dans la douleur du méat,' il y a une 
excitation viscérale rapportée à une muqueuse voisine. 
C’est plutôt une illusion perceptive qu’une synestliésie : et 
c’est quelque chose d’analogue à ce que nous avons appelé 
le périphérisme. Selon Brown-Séquard ces synesthésies 
seraient dues à une hypéresthésie spinale. 

Une autre modification intéressante de sensibilité à la 
douleur, c’est celle que Charcot a nommée dysesthésie ; c’est 
surtout chez les ataxiques qu’on a rencontré ce phéno¬ 
mène; mais on le trouve aussi chez les malades frappés 
d’une hémorrhagie cérébrale. (1) La malade de Veyssières 
sentait à peine les pincements les plus énergiques, elle les 
rapportait à la racine du membre exploré (2). Une malade 
de Vulpian, atteinte d’hémorrhagie cérébrale, quand on 
lui pinçait le membre inférieur, souffrait d’un sentiment 
général de malaise, ayant pour point de départ une sen¬ 
sation pénible à l’oreille. Une autre malade ne sentait 
d’abord pas une brûlure, c’était un simple contact qui se 
transformait en une vive et vague douleur (3). A la 
Salpétrière, j’ai souvent observé des faits semblables. Des 
malades ne sentent presque pas de douleur au pincement, 
mais quand on met une boule d’eau chaude sur la jambe, 
elles ont une sensation pénible, et ne sauraient dire à 
quelle cause il faut l’attribuer. Chez presque tous les ata- 

(1) Aroh. de physiol. 1873, t. 'V, p. 722. 

(2) Veyssières. Th. inaug., p. 16. 

(3) Loc. cit., p. 46. 



DE l’intermittence. 303 

xiques on rencontre des phénomènes analogues plus ou 
moins marqués, et toujours assez difficiles à constater. 

Un autre caractère de la douleur, caractère très-impor- 
tanx, et qui domine presque tous les autres au point de 
vue clinique, c’est l’intermittence. 

En étudiant la sensibilité normale nous avons vu qu’une 
excitation continue et égale déterminait des sensations 
allant en croissant d’abord, puis ensuite en décroissant 
graduellement, mais qu’il suffisait d’une interruption 
très-légère pour laisser revenir rapidement cette sensibi^ 
lité. (1) De fait, dans les douleurs pathologiques, l’excita¬ 
tion n’est jamais égale et jamais continue, et la multipli¬ 
cité des causes apporte à l’excitation des modifications 
incessantes. Pour la douleur consécutive aux plaies et aux 
opérations, que M. Verneuil propose avec tant de raison 
d’appeler douleur traumatique, les pansements, les médi¬ 
caments internes, les complications internes, les compli¬ 
cations de la plaie changent les conditions de l’excitation 
qu’il n’y a pas lieu de s'étonner que la douleur soit dans 
ces cas là toujours intermittente. 

Même lorsque l’irritation est constante, il y a intermit¬ 
tence dans les effets; si une cause permanente agit sur un 
nerf, la perception sera alternativement douloureuse et 
non douloureuse. Ainsi les corps étrangers des voies aé¬ 
riennes et de l’œsophage, quoiqu’il soit nécessaire de les 
regarder comme une cause irritative permanente, produi¬ 
sent des alternatives de spasme avec douleur et de repos 

(1) L intermittence dans les phénomènes sensitifs, pour la vue, a été consta¬ 
tée par Helmholtz (Opf. physiol., p. 365. Leipzig, 1867), et pour l’ouïe, par 
Urbansohitsch (Centralblatt, 1875, p. 625). 



l’ INTERMITTENCE. 


304 

relatif. Les anévrysmes de l’aorte, les tumeurs qui com¬ 
priment les nerfs, agissent de la même manière 

Cette intermittence a une durée très-variable ; tantôt 
l’intervalle est très-court, tantôt il est très-long. J’ai ob¬ 
servé un malade atteint de lymphosarcome du cou (salle 
Saint-Louis, n“ 30) chez qui les nerfs du plexus cervical 
étaient soit comprimés, soit envahis par la tumeur. Trois 
ou quatre fois par jour, le malheureux était pris d’accès de 
douleur épouvantable. Il se dressait sur son lit, poussait 
des gémissements, et avait une anxiété respiratoire in¬ 
tense qu’il est permis de rattacher à une lésion du pneu¬ 
mogastrique. Puis au bout de quelques minutes, tous ces 
symptômes se calmaient, et il restait dans un état de pros¬ 
tration morne et de frayeur dans Tattente d’un nouvel ac- 
cès. 

Même dans les inflammations simples, la douleur n’est 
pas continue. Un de mes amis est sujet à avoir des furon¬ 
cles très-douloureux: quoique’il n’ait jamais eu de fièvre 
intermittente, à une époque déterminée de la journée, gé¬ 
néralement vers le soir, il est pris de crises douloureuses, 
avec hyperesthésie de toute la région voisine, et une exal¬ 
tation générale de la sensibilité, qui est des plus pénibles. 
Le sulfate de quinine associé à la morphine a triomphé de 
ces symptômes. 

Il en est de même pour la douleur traumatique (1), qui 
est tantôt intermittente franchement, tantôt seulement 
périodique, tantôt rémittente. Ainsi, dans les brûlures 
étendues, la douleur ne cesse jqmais complètement, mais 

(1) Verneuil. Des névralgies traumatiques secondaires précoces {Arch. 
gén. dô méd.^ nov. et déc. 1874), 



DE l’intermittence. 305 

quelquefois elle réparait plus vive â certains moments. 
J’ai vu un malade atteint de brûlure considérable du dos 
par la vapeur, qui souffrait modérément dans la journée, 
et qui, toutes les nuits, vers une heure du matin, était 
pris de douleurs très-vives et d’insomnie. Mon père cite 
le cas. d’un jeune homme blessé par une balle, laquelle, 
ayant brisé l’os iliaque,’avait envoyé une esquille dans le 
nerf crural. La névrite de ce nerf donnait lieu à d,’atroces 
douleurs qui revenaient par accès de quelques minutes 
trois ou quatre fois par jour. (1) 

Cette intermittence dans les excitations douloureuses 
est la règle; et les auteurs en citent des cas nombreux. 
Burdel (de Vierzon) rapporte qu’un calcul bronchique 
donna lieu à des phénomènes absolument identiques à 
ceux de l’intoxication palustre, et qui cessèrent après le 
rejet de ce calcul. Trousseau (2) cite plusieurs exemples 
d’affections organiques, de cancers de l’utérus, par exem¬ 
ple, où la douleur survenait régulièrement à la même heure. 
Dans un cas, ces douleurs retardaient d’une demi-heure 
tous les jours, absolument comme certaines fièvres inter¬ 
mittentes anormales. 

Dans bien d’autres circonstances, une excitation prolon¬ 
gée et constante donne lieu à des phénomènes intermit¬ 
tents. Des abcès (3), des orchites (4) et spécialement le 
passage d’une , sonde dans l’urètbre ont donné lieu à 

(1) Anat. méd. chtr., 4® édit., p. 266. 

(2) Clinique médicale, 1868, t. II, p. 386. 

(3) Griffin. London med. Gaz., 1836, t. XIX, p. 104. 

(4) Simon. Med. Zeit., 1834, 3' année, p.' 201 

Richet. 39 



306 DE l’intermittence. 

des affections périodiques qui simulaient à s’y méprendre 
l’intoxication paludique. La migraine, l’asthme, le hoquet 
même (1) sont quelquefois intermittents. L’insomnie peut 
prendre aussi la forme périodique : à certaines heures de la 
nuit, et toujours les mêmes, surviennent une agitation, 
une anxiété dont on ne peut se rendre maître : sans qu’il 
y ait de douleurs ou de fièvre, il y a un véritable accès 
d’insomnie aussi pénible qu’une maladie. C est presque 
Une affection pathologique, laquelle est connue plutôt que 
décrite par les médecins, et souvent appelée par eux, mal 
à propos d’ailleurs, fièvre nerveuse. 

Nous devbns ajouter que les lésions de certains viscères 
paraissent prédisposer à l’intermittence (2). 

Aussi ne faut-il pus en présence d’une douleur intermit¬ 
tente, liée soit à une névralgie, soit à une tumeur, soit à 
une inflammation, admettre sans autres preuves l’exis¬ 
tence d’une intoxication paludéenne, comme Jolly a essayé 
de le faire (3). L’intermittence est due à la perte de l’exci¬ 
tabilité nerveuse par épuisement. Le système nerveux, soit 
central, soit périphérique, ne peut pas être constamment 
excitable, quoique l’excitation soit constante. La consé¬ 
quence est donc un temps d’arrêt, un repos dans la fonc¬ 
tion nerveuse comme il y a un repos musculaire après 
chaque systole du cœur et un repos de toutes les fonctions 
animales, c’est-à-dire le sommeil, après l’état de veille. 

D’ailleurs la fièvre intermittente elle-même ne doit son 

(1) Trousseau. Loc. cit., t. III, p. 442. 

(2) Grasset. Cancer de la rate. Th. Montpellier, 1874, p. 57. — Charcot. 
Leçons sur les maladies des vieillards, p, 24. 

(3) JSfouv. biblioth. médic. juin i8f7, t. II et nov. 1828. 



PE l’intebmittence. 307 

caractère d’intermittence qu’au système nerveux, qui réa¬ 
git à certaines heures fixes et périodiques. L’infection du 
sang par le miasme paludéen ne disparait pas à certains 
moments pour reparaître à d’autres. Le sang est constam¬ 
ment infecté, et si les phénomènes d’empoisonnement ne 
se manifestent que par accès, c’est parce que les effets s’ac¬ 
cumulant dans le système nerveux produisent une sorte 
de décharge finale, qui dure un certain temps pour repa¬ 
raître le lendemain à la même heure, après l’accumula¬ 
tion d’une nouvelle série d’excitations. 

En cela le système nerveux suit toujours la même loi : 
ce sont toujours des excitations faibles accumulées finis¬ 
sant par produire un effet tardif. Rien ne serait plus inté¬ 
ressant à étudier d’une façon complète que cette question 
de l’intermittence dans les phénomènes nerveux. Malheu¬ 
reusement, si les documents sont assez nombreux, le'tra- 
vail nécessaire pour les résumer et les coordonner n’a pas 
été fait. 

En tout cas, ce qu’on sait, c’est que les narcotiques asso« 
ciés au sulfate de quinine agissent merveilleusement contre 
ces manifestations intermittentes de la dopleur. C’est un 
fait remarquable sur lequel mon père etM. Verneuil insis¬ 
tent à chaque instant dans leurs leçons cliniques. Je ne 
crois pas avoir vu une seule de ces douleurs intermittentes 
résister à l’action thérapeutique du sulfate de quinine^ 
surtout si on prend soin de l’associer à la morphine et de 
faire précéder le traitement par l’administration d’un 
purgatif, ou d’un éméto-cathartique, selon le vieux pré¬ 
cepte des médecins du siècle dernier. 



308 


DES ANESTHÉSIES. 


§ VI. 

Des différentes variétés de douleurs. 

On pourrait faire des diverses douleurs deux groupes 
très-différents selon que Ig. cause est périphérique et cen¬ 
trale. 

Les douleurs périphériques sont tantôt spontanées, tan¬ 
tôt traumatiques. Tout ce que nous avons dit jusqu ici se 
rapporte aux douleurs périphériques. 

Quant aux douleurs centrales, on peut envisager aussi 
celles qui sont traumatiques,et celles qui sont spontanées. 

Le traumatisme des centres nerveux produit-il de la dou¬ 
leur? Autrement dit les centras nerveux sont-ils directe¬ 
ment excitables.C’est un point de physiologie qui est loin 
d’être suffisamment éclairci à l’heure actuelle. 

D’abord l’excitation directe des hémisphères cérébraux 
de la substance grise des circonvolutions comme des par¬ 
ties blanches sous-jacentes ne provoque aucune réaction 
douloureuse; (1) Cette insensibilité des parties qui consti¬ 
tuent l’encéphale est complète pour le cerveau et le cerve¬ 
let. Les corps striés sont inexcitables, d’après Longet (2), 
comme aussi les couches optiques. Toutefois ce dernier 
résultat mériterait d’être contrôlé, car il n’est pas en rap¬ 
port avec les expériences récentes de Veyssières, et l’opi- 

(1) Flowrens. Recherches sur Us propriétés et les fonctions du système 
nerveux. Paris, 1824. 

(2) Traité de physiologie, t. III, p. 394 et p. 391. 


DE CAUSE CENTRALE. 309 

nion de Luys (1) qui en fait le siège du sensorium com¬ 
mun. 

Dans le mésocéphale au contraire, la sensibilité esttrès- 
développée. Les pédoncules cérébelleux inférieurs moyens 
et supérieurs sont sensibles : la protubérance annulaire 
surtout, parait, lorsqu’elle est excitée, produire de vives 
douleurs. Selon Vulpian, elle serait le siège de la dou¬ 
leur et le centre commun des perceptions douloureuses; 
Le cri déterminé par la dilacération et les excitations mé¬ 
caniques de cette portion de l’encéphale, ne serait pas 
un cri réflexe, mais un cri de douleur, ou plutôt une série 
de cris et de gémissements plaintifs indiquant une percep¬ 
tion douloureuse consciente et prolongée (2). 

Quant au bulbe même, il est encore douteux d’après 
Brown-Séquard (3), que les cordons postérieurs soient 
sensibles, quoique Longet (4) ait affirmé le contraire, et 
que Vulpian (5) ait appuyé l’opinion de Longet. Quant 
aux pyramides antérieures, elles sont peut-être excitables 
(Vulpian). Les pyramides postérieures sont très-sensibles. 

Quoi qu’il en soit, il faut distinguer la substance grise 
de la substance blanche. La substance grise n’est jamais 
excitable par les agents mécaniques. C’est un point que 
Flourens et Longet ont parfaitement mis en lumière. La 
substance grise ne peut sentir que par l’excitation de 
la substance blanche ou des nerfs qui sont en rapport 


(1) Rechercher sur le syst. nerveux, p. 342. 
f2) Vulpian. ieçons sur U syst. nerveux, p. 540. 

(3) Journ. de la physiol., 1858, p. 217. 

(4) I.0C. cit., p. 377. 

(5) Loc. cit. 



3i0 


DE l’excitabilité, 

avec elle. Quelques auteurs cependant, Stilling (1), Ala- 
doff(2) et Cyon, par exemple, pensent que la substance 
grise est directement excitable. 

Il en est peut-être autrement de la substance blanche : 
mais quoique la question paraisse fort simple, elle est loin 
d’êtreencore éclaircie. En effet la douleur peut tenir à Tex- 
citabilité des racines nerveuses rachidiennes qui traversent 
la moelle. Les célèbres expériences de Van-Deen (3) avaient 
semblé décider la question sans appel. Tan-Deen, après 
avoir coupé les racines postérieures, excitait avec des couv¬ 
rants faibles les cordons postérieurs, en ayant soin que 
l’excitation ne fût pas assez forte pour dériver vers les 
racines antérieures; or, dans ces conditions, il n’y avait ni 
mouvement ni douleur, et il en conclut que la substance 
blanche de la moelle n’était pas directement excitable ; ces 
expériences ont été par différents auteurs, tantôt infir¬ 
mées (Fick. Engelken), tantôt confirmées, (Guttmann, 
Mayer, Huizinga). Chauveau (4), en expérimentant sur des 
solipèdes, a appuyé en partie l’opinion de Van-Deen par 
des expériences intéressantes. Tl a vu que les cordons an¬ 
térieurs étaient inexcitables, ce que Van-Deenjadmettait, 
mais, contrairement à cet auteur, que les cordons posté¬ 
rieurs étaient excitables. Ainsi à l’heure présente la ques¬ 
tion n’est pas encore résolue. 

Toutefois, au point de vue pathologique, cette inexcitabi¬ 
lité de la moelle ne saurait être regardée comme un fait 

(1) UntersuQh. uher die fanetionen des Rückenmarks. Iieipzig, i842. 

(2) Bull, de VAcad. des sciences de Saint-Pètersbmtrg 1870 t, XV> 

p. 15. . < ) • 

(3) Froriep's notizen, 1843, p. 323. 

(4) Journ. de Bromn-Séquard, 1861, p. 29. 



311 


DES CÈNTRE5 NERVEUX. 

avéré. En effet, dans les myélites, soit aiguës, soit chro¬ 
niques, il y a un cortège terrible de sensations doulou¬ 
reuses. Peut-être la moelle enflammée est-elle excitable 
quand la moelle saine ne l’est pas? Peut-être l’inflamma¬ 
tion porte-t-elle aussi bien sur les racines postérieures que 
sur les cordons postérieurs? En tout cas, il est certain que 
dans les myélites, il y a des douleurs intenses, prenant 
toutes les formes, et plus spécialement laforme fulgurante, 
comme si des étincelles, des éclairs traversaient un mem¬ 
bre, comparables à une secousse électrique plus ou moins 
violente. 

Quant à l'excitabilité du cerveau, elle paraît à peu près 
nulle. Si, dans l’encéphalite, on rencontre quelquefois des 
douleurs très-vives, la cause en est probablement dans la 
méningite qui complique presque toujours les inflamma¬ 
tions du cerveau. 

La douleur d’origine périphérique a un aspect tout dif¬ 
férent. 

Deux cas peuvent se présenter selon que l’excitation 
vient des organes innervés par le grand sympathique, ou 
des organes innervés par les nerfs rachidiens, en somme 
des viscères d’une part, et d’autre part de la peau et des 
membres. 

La douleur qui vient du grand sympathique a deux 
caractères principaux, sa diffusion, et l’anxiété générale 
qui l’accompagne. 

Pour la douleur venant du grand sympathique, nous 
pourrions prendre de nombreux exemples, la colique hé¬ 
patique, la colique néphrétique, les plaies du péritoine, de 
l’intestin, l’angine de poitrine, l’ulcère de l’estomac, les con¬ 
tractions de l’utérus dans l’accouchement,’l’étranglement 



312 


DE l’excitabilité. 

interne, etc, ; or, dans les douleurs de l’étranglement interne, 
que nous pouvons considérer comme types de douleurs ve¬ 
nant du grand sympathique, la douleur s’irradie à tout 
l’abdomen. Elle est atroce, déchirante, mais malgré son ex¬ 
trême acuité, il est impossible au malade de préciser l’endroit 
où il souffre. Tout le ventre est devenu sensible. La peau du 
ventre même est hypéresthésiée : enfin la douleur monte 
jusqu’à l’épaule et à la région sternale : en un mot, la 
douleur de l’intestin est aussi vague que les sensations 
tactiles perçues par l’intestin, et tout la système gan¬ 
glionnaire abdominal sensitif semble prendre part à l’ir¬ 
ritation d’un seul de ses filets. Ainsi, intensité, irradia¬ 
tion, obscurité de la sensation douloureuse, tels sont les 
premiers caractères de cette douleur caractères qu’on peut 
résumer en un seul : la diffusion. 

Cette diffusion de la douleur qui vient du grand sympa¬ 
thique se montre très-nettement aussi dans la péricardite. 
Selon Wertheimer (1), il y aurait deux causes à la dou¬ 
leur, la névralgie phrénique et la douleur résultant de 
l’inflammation du péricarde. Cette dernière est diffuse, 
obscure, et s’accompagne d’une grande anxiété précor¬ 
diale. 

Le second caractère, c’est l’anxiété et l’angoisse. Non- 
seulement le patient souffre, mais il a une sensation in¬ 
descriptible que l’on ne peut mieux exprimer que par 
le mot d’angoisse. Il semble, suivant l’expression 
d’un ancien auteur, que les opérations de la nature soient 
suspendues. Cette excitation sensitive agit avec une 
telle énergie sur les centres récepteurs que la sensibilité 


(1) Th. de Paris, 1876. De la douleur dans la péricardite. 



DU GRAND SYMPATHIQUE. 


313 

générale est presque anéantie et que tout effort de volonté 
ou de courage est impossible. L’individu est dans ung 
dépression profonde dont rien ne peut le tirer. Toutes les 
excitations douloureuses des viscères innervés par le grand 
sympathique ou le pneumogastrique, qui, à certains égards, 
ressemble au grand sympathique, amènent le même résul¬ 
tat : une anxiété extrême suivie d’une dépression plus ou 
moins complète des forces morales et physiques. 

D’ailleurs la douleur venant du grand sympathique a 
aussi le caractère d’intermittence très-nettement accentué, 
plus nettement peut-être que pour les douleurs venant de 
l’excitabilité des autres nerfs. (1). 

La douleur qui a son point de départ dans l’irritation 
des nerfs de la sensibilité générale a des caractères que 
nous avons étudiés plus haut, et n’a rien de spécial. Les 
inflammations, les névralgies, les traumatismes, soit acci¬ 
dentels, soit opératoires, en sont la cause la plus ordinaire. 
Ainsi que M. Verneuil le fait remarquer avec raison (2), 
la douleur traumatique est un phénomène des plus impor¬ 
tants, et qui devrait être étudié tout comme l’hémorrha¬ 
gie traumatique. Il distingue la douleur traumatique pri¬ 
mitive, c’est-à-dire celle qui suit immédiatement la bles¬ 
sure, et la douleur traumatique secondaire qui peut être 
regardée comme une véritable névralgie. C’était une ques¬ 
tion qu’il m’avait conseillé d’étudier avec détail. Mais 
malheureusement je me suis laissé entraîner à essayer de 
remplir un cadre beaucoup trop vaste, et je ne pourrai 

(1) Durget. Th. inaug., 1846, p. 6 et suiv. 

(2) Des névralgies traumatiques secondaires précoces (Arch. gén. de 
méd., nov. 1874). 

Richet. /(() 



LA DOULEUR 


314 

traiter la douleur traumatique avec tous les développe¬ 
ments qu’elle comporte. 

Un premier point qui frappe tout d’abord dans les phé¬ 
nomènes primitifs du traumatisme, c’est que la douleur 
n’est pas en rapport avec l’étendue et la gravité delà bles¬ 
sure. Une légère brûlure avec de l’eau un peu .chaude fait 
plus souffrir au début qu’une fracture de cuisse par une 
balle. La balle peut détruire de gros troncs nerveux, c’est à 
peine si le blessé ressent autre chose qu’un coup de bâton. 
Weir Mitchell qui insiste sur ce fait (1), dit que les soldats 
inactifs blessés ressentent plus de douleur que les soldats 
engagés dans la mêlée. Il dit même que sur 56 cas de 
blessure de nerfs qu’il a observés, dans deux cas seule¬ 
ment il y a eu douleur aiguë. Il cite plusieurs observa¬ 
tions (2), et entre autres celle de ce charpentier (3), qui à la 
bataille de Bull-Run, pendant qu’il chargeait son fusil, 
reçut une balle qui lui déchira au niveau du coude le mé¬ 
dian et le cubital. Il pensa qu’un camarade venait de le 
frapper par manière de plaisanterie. En même temps les 
doigts de la main se fléchirent avec force et serrèrent le 
fusil et la baguette. Les douleurs ne commencèrent que le 
second jour. 

Larrey raconte qu’un soldat ayant la cuisse emportée 
par un boulet tomba parterre et s’imagina qu’il avait mis 
la pied dans un trou. 

Les broiements et dilacérations de membres par des ma¬ 
chines et des engrenages passent aussi quelquefois presque 

(1) Loc. cit., p, 153. 

(2) Obs. XXXVIII, p. 237, obs. XXXV, p. 207. 

(3) P. 324. 



traumatique. 

inaperçus. J’ai vu un garçon de seize ans dont le pouce 
avait été pris dans une machine et qui ne fut averti 
de sa blessure que parce qu’il se sentait le bras attiré 
ce n’est qu’un quart d’heure après qu’il commença à 
souffrir. Mon père a eu récemment à l’Hôtel-Dieu un em¬ 
ployé de la pharmacie centrale, qui eut aussi la main 
attirée dans un engrenage. Il se sentit le bras tiré en avant 
et, comme il ne souffrait pas, il s’arcbouta sur la machine 
et retira avec force sa main à moitié broyée. 

Récemment j’ai vu àlaPitié un cas assez rare, je pense, 
dans nos climats, de blessure par un tigre. Un audacieux, 
en se promenant au Jardin des Plantes devant la cage 
du tigre royal, eut l’imprudence de lui caresser la patte 
qui dépassait les barreaux. En un clin d’œil l’animal 
avait saisi entre ses deux griffes la main de l’homme; 
celui-ci fut pris d’une vive terreur, mais n’éprouva pas de 
souffrances : il fit un violent effort et retira sa main 
lacérée et ensanglantée. Il ne commença à souffrir qu’une 
demi-heure après, quand il eut lavé sa plaie. Un autre 
malade eut la main broyée par un pilon de forge : mais ce 
violent traumatisme fut à peine douloureux, c’était me 
dit-il, comme s’il avait été un peu pincé. . 

On a cherché à expliquer ces faits, et on a écrit en an¬ 
glais le mot français de choc (shock), comme si cette trans¬ 
formation était une explication péremptoire. En somme, 
dire qu’un choc violent suspend l’action nerveuse au heu 
de la mettre en jeu, c’est dire qu’on n’a aucune explication 
plausible à donner. Il n’en est pas moins vrai que le fait 
subsiste et qu’il est nécessaire de le connaître. 

Il faut rapprocher aussi de ces faits ces brûlures intenses. 



316 


DE LA DOULEUR 


qui ne déterminent pas de douleur immédiate. Les auteurs 
du Compendium citent le fait d’un homnre qui mettant le 
pied dans un ruisseau de fonte en fusion, ne sentit rien 
du tout, et retira sans aucune douleur son pied complè¬ 
tement calciné. 

Dans la plupart des cas de plaie, la douleur est très- 
vive, et elle va en croissant pendant quelques minutes, 
puis quand elle a atteint son maximum d’intensité, elle va 
en décroissant régufièrement pendant plusieurs heures, et 
quoiqu il y ait, selon la constitution des malades, de nom¬ 
breuses exceptions, elle a à peu près complètement dispa¬ 
ru au bout de quatre à six heures ; il ne reste plus qu’un 
vague sentiment de tension et de pesanteur. 

■S’il ne survient pas de complications, c’en est fait de la 
douleur, et elle ne revient plus. De même qu’une hémoi>- 
rhagie primitive, lorsqu’elle a été une fois arrêtée, n’est 
pas suivie d’une autre hémorrhagie, de même la douleur 
primitive n’est généralement pas suivie d’une douleur 
secondaire. Cependant dans un grand nombre de cas la 
douleur secondaire apparaît, soit le deuxième, soit le troi¬ 
sième jour, soit même quelques jours plus tard (1). J’ai 
vu dans un cas le retour des règles, dans un autre cas la 
perturbation de l’état atmosphérique par un violent orage 
être la cause directe de cette douleur secondaire. Quelque¬ 
fois c’est une émotion morale, la fatigue, une imprudence 
qui permet l’impression du froid sur la plaie, un effort 
musculaire exagéré : cependant bien souvent il est impos¬ 
sible de lui assigner une autre cause qu’un état diathé- 
sique du malade, état encore inconnu et que nous ne pou- 

(1) Voy. le Mémoire de Verneuil (Arch. gén. de méd., aov. 1874). 



TRAUMATIQUE. 317 

vons guère expliquer d’une manière satisfaisante. Une 
malade de M. Verneuil, opérée â plusieurs reprises d’une 
tumeur récidivante de l’aine, chaque fois qu’elle est opé¬ 
rée, éprouve des douleurs très-vives vers le troisième ou 
le quatrième jour. M. Verneuil en parle dans son mémoire 
de 1874 (Obs. ii). Je l’ai revue cette année à la Pitié : elle a 
été opérée de nouveau et a eu encore une névralgie secon¬ 
daire. 

Comme toutes les autres douleurs, ces douleurs sont 
intermittentes et spécialement nocturnes. A quoi faut-il 
attribuer cette prédilection des douleurs, -quelle qu’en soit 
la cause, pour les dernières heures delà nuit? Tous les mé¬ 
decins ont reconnu, et cherché sans succès à l’expliquer, 
que la douleur apparaissait en général vers onze heures ou 
minuit et disparaissait aux premières lueurs de l’aube. 

Une malade (Salle St-Augustin n” 7), amputée à la par¬ 
tie inférieure de la jambe,fut mise dans le pansement ouaté. 
Le premier jour elle souffrit peu, mais cinq jours après 
l’opération, elle fut prise de douleurs très-vives, d’élance,, 
ments qui l’auraient fait crier, si elle ne s’était retenue, 
et qui revenaient toutes les nuits à la même heure. 
Pourtant elle n’avait ni tubercules, ni fièvres intermit¬ 
tentes, ni syphilis. 

Nous nous sommes déjà expliqué sur le phénomène de 
l’intermittence : quant à la nocturnité des douleurs, peut- 
être est-il rationnel de l’attribuer à l’absence de causes de 
distraction, à la solitude, et au silence, qui font que le 
malade a tout loisir pour songer à son mal et y tourner 
toute sa sensibilité. 

Enfin, je mentionnerai un dernier point très-important; 
c’est que la fièvre traumatique simple, si elle n’est com- 



DE LA DOULEUR 


318 

pliquée ni d’érysipèle, ni de lymphangite, n’amène pas de 
retentissement douloureux dans la plaie. 

Au contraire, la pyohémie grave est accompagnée quel¬ 
que fois de vives douleurs. Toutefois il faut faire une res¬ 
triction très-importante. Les septicémies aiguës, rapide¬ 
ment infectieuses, abolissent complètement la sensibilité, 
et jettent promptement le malade dans une sorte de pros¬ 
tration typhique, qui le rend insensible à toutes les irrita¬ 
tions extérieures. De même les alcooliques n’ont pas de 
douleurs après W traumatisme. Ils sont dans une sorte de 
béatitude bête, disant toujours que tout va bien, en 
dépit des complications, phlegmons, érysipèles, abcès qui 
surviennent dans leurs blessures. Aussi dans des cas sem¬ 
blables importe-t-il de réserver toujours le pronostic, et 
de se méfier de l’absence complète de douleurs et de la 
satisfaction exagérée du malade. 

D’ailleurs, pour bien comprendre la douleur trauma¬ 
tique simple, rien ne ■^aut la lecture des observations 
d’opérations. Presque toujours, quand l’observation est 
complète, la douleur se trouve mentionnée et décrite. Je 
vais me contenter de résumer deux ou trois observations 
qu’on peut considérer comme des types. 

R..., (Salle St-Augustin n®3), amputée du sein pour une 
tumeur cancéreuse, après le chloroforme, a des douleurs 
très-vives, des élancements et une sensation douloureuse 
qu’elle compare à de l’eau bouillante. Cette douleur dis¬ 
paraît au bout de trois heures, et cesse à peu près complè¬ 
tement. Le lendemain elle a une température de 38.4 ; le 
surlendemain de 39,2; mais n’éprouve aucune autre dou¬ 
leur, que des picotements pendant le pansement à l’acide 
phénique. 



TRAUMATIQUE. 


319 


X.., (Salle St-Louis n* 29), châtré pour un sarcôme du 
testicule, éprouve des élancements très-vifs pendant deux 
heures après l’opération. Le soir (douleur traumatique 
secondaire précoce), il souffre beaucoup dans la cuisse du 
côté droit (1). Le cordon est endolori et très-sensible au 
toucher. Le lendemain survient la fièvre traumatique, 
mais les douleurs ont cessé. L’endolorissement du cordon 
persiste cependant et ne disparaît qu’au- bout de six jours. 

X..., (Salle St-Augustin n" 17), opérée d’un myxome de 
la main et anesthésiée localement par l’anémie combi¬ 
née à la réfrigérati^in, souffre à peine deux heures. Le len¬ 
demain elle ne souffre pas, mais le soir elle voit revenir ses 
règles etdansla nuitsouffre extrêmement: il lui semble que 
« les chiens la rongent. » La douleur s’irradie dans le bras 
qui est très-douloureux. Le lendemain matin la douleur 
a à peu près disparu, mais réparait le soir vers six heures, 
et est arrêtée immédiatement par une injéction sous-cu¬ 
tanée de morphine. Le surlendemain la morphine est 
moins active. Au bout de quelques jours la morphine, as»' 
sociée au sulfate de quinine, a dissipé la névralgie. 

Ainsi, en dehors de toute cause pathologique, telle que 
l’anhémie, la congestion, la névralgie d’un nerf, la dou¬ 
leur est provoquée par des agents mécaniques ou chimiques 
qui détruisent le tissu nerveux ; mais à toutes ces causes de 
douleurs, il faut en ajouter une autre, encore des plus ob¬ 
scures. Je veux parler de la douleur musculaire, phéno- 

(1) Weir Mitcbell, loc. cit., p. 149, décrit avec précision une région de la 
cuisse dans laquelle s’irradie constamment la douleur du testicule. C’est une 
sorte de synesttésie pathologique constante. 



320 


DOUi 


mène dont nous ignorons à peu près absolument la cause 
intime. Les recherches nombreuses des physiologistes nous 
ont appris qu’un muscle en se contractant (1), avait une 
température plus élevée par suite des combustions qui 
s’opèrent dans l’intimité de ses tissus. Selon Ranke, il se 
ferait de l’acide lactique (sarcolactique), et on a pensé 
que c’était cet acide lactique qui produisait la sensation 
de fatigue musculaire en excitant directement les extré¬ 
mités terminales de^ nerfs sensibles des muscles (2). On a 
même essayé expérimentalement de produire la sensation 
de fatigue en injectant de l’acide lactique dans les artères 
musculaires. Mais si l’on est ai’rivé à amener la parésie ou 
la paralysie musculaire, il me paraît impossible de savoir 
si on a réellement produit cette douleur spéciale qui est la 
conséquence de l’exercice prolongé d’un muscle. Tout ré¬ 
cemment Preyer en faisant (3) prendre à des malades du 
lactate de sodium, ou en leur injectant de légères doses de 
ce sel dans le tissu cellulaire, a, paraît-il, produit chez eux 
un état analogue au sommeil naturel. 

' Nous avouerons toutefois que la théorie de la douleur 
musculaire produite par l’accumulation de l’acide lac¬ 
tique est loin de nous satisfaire. Que se passe-t-il en 
effet quand un muscle est fatigué par suite de contractions 
répétées ? La contraction devient impossible, presque dou- 


(1) V. Ql. Bernard. Revue scientif., 1871-72, p. 1064 et suiv. 

(2) Voir Sachs. Des nerfs sensibles des muscles [Arch. für An u. Phys, 
de Reichert, 1875. — Volkmann. Arch. für An u. Phys. 1860, p. 705. 

(3) Schlaff durch Ermüdungstoff hervorgerufen {Centralblatt, 1875, 
p. 377). 




MUSCULAIRE. 321 

loureuse. Mais à l’état de repos il n’y a pas de douleur im¬ 
médiate. 

La douleur survient plus tard. En effet, après un exer¬ 
cice du corps qui nécessite le fonctionnement exagéré de 
certains groupes musculaires qui restent en général plus 
ou moins inactifs, après le patin, Tescrime, l’équita¬ 
tion, etc., on n’éprouve aucune douleur musculaire, mais 
vingt-quatre et quarante-huit heures après, et même 
souvent plus, tous les muscles qui ont fonctionné à l’excès 
sont devenus comme des cordes douloureuses, très-sen¬ 
sibles au toucher, et dont toute contraction exagère la 
sensibilité. Que pensent de ce fait les partisans de l’acide 
lactique, et reste-t-il encore dans un muscle des traces de 
l’acide lactique qu’il a produit soixante-douze heures 
auparavant ? 

En somme cette douleur produite par la fatigue, ana¬ 
logue en tout point, ainsi que je le sais trop bien par ma 
propre expérience, au rhumatisme musculaire, est un 
phénomène encore inexpliqué, et auquel je ne puis rien 
trouver d’analogue. Il est tout aussi inconnu que les 
autres manifestations de la sensibilité musculaire. 

Il est encore un autre phénomène douloureux propre au 
muscle, et qui se manifeste dans certaines conditions, je 
veux parler de la douleur dans les contractures et dans 
les crampes. 

M. le professeur Gubler (1), qui a fait sur ce sujet un 
travail très-important, admet qu’une excitation motrice 

11) Journ. de thérap., 1875. De la cinésialgie, passim. Yoj. aussi la 
note que j’ai publiée dans la France médicale, 1874, Traitement du tour 
de reins par Vélectricité. 

Richet. 41 



DE LA DOULEUR MUSCULAIRE. 


322 

partant des centres pour aller à la périphérie, si elle est 
plus intense que le mouvement produit, peut se réfléchir 
par les nerfs sensitifs de la périphérie vers les centres, en 
provoquant de la douleur. Cette hypothèse est très-ingé¬ 
nieuse ; elle est peut-être vraie, mais elle n’est pas assez 
solidement démontrée pour qu’on puisse l’accepter sans 
faire de grandes réserves. 

En tout cas.< cette contracture, ce spasme des muscles, 
soit passager, soit continu, portant sur les muscles à fibres 
lisses ou les muscles à fibres striées, joue un grand rôle 
dans la plupart des phénomènes douloureux. Les plaies 
des sphincters orbiculaires des paupières, des lèvres, 
de l’anus, etc., et les gerçures du mamelon ne sont si dou¬ 
loureuses que parce qu’à la douleur traumatique vient 
s’ajouter la contraction des muscles qui entourent la plaie. 
I] est très-vraisemblable que dari^es coliques soit néphré¬ 
tiques, soit hépatiques, le spasme des vaisseaux biliaires 
ou des uretères ne soit pour une grande part dans l’inten¬ 
sité des phénomènes douloureux. 

Pendant l’accouchement, les douleurs sont surtout pro¬ 
duites par les contractions utérines. Dans les fractures, la 
contraction musculaire augmente singulièrement la souf¬ 
france des malades, pour les fractures de côtes principale¬ 
ment, et plusieurs fois j’ai calmé les douleurs des malades 
par l’électrisation des parois thoraciques au niveau de la 
fracture. Lorsqu’il n’y a pas de fracture et que toute la 
douleur est la contracture, comme dans cette affection dont 
la cause anatomique est ignorée et qu’on appelle vulgai¬ 
rement tour-de-reins, l’électricité est un moyen héroïque 
qui guérit presque instantanément ; le seul symptôme de 
^ette affection paraissant être la douleur. 



DE LA jpaOTOPHOBIE. 


323 


C’est probablement à la contracture de l’iris qu’il faut 
rattacher le phénomène si pénible de la photophobie. Cer¬ 
tains auteurs, et en particulier Velpeau, attribuent la 
photophobie au contact irritant de l’air sur des ulcérations 
superficielles de la cornée. Mais comme, dans beaucoup 
de cas, il n’y a pas d’ulcération, comme aussi le contact 
de l’air, s’il n’y a pas de lumière, nè produit pas de dou¬ 
leur, il est probable que la vraie cause de la douleur est 
la lumière. Or la lumière n’agit très-vraisemblablement 
que sur la rétine et de là, par un réflexe très-direct, sur 
l’iris et le muscle ciliaire. Cependant cette explication 
n’est pas encore bien satisfaisantepuisqu’il y a photophobie 
même sans iritis, simplement lorsqu’un corps étranger de 
très-petit volume est en contact avec la cornée. Je crois 
donc qu’il est permis de dire d’une part que la cause ultime 
de la douleur musculaire est encore inconnue ; et d’autre 
part qu’il serait nécessaire de mieux étudie r la photophobie 
pour en donner une théorie plausible (1). L’irritation des 
nerfs de la cornée par la lumière (Cl. Bernard) semble être 
encore l’opinion la plus vraisemblable (2), quoique ce soit 
le seul exemple encore connu de nerfs périphériques de la 
sensibilité générale influencés par les rayons lumineux. 

Je ne dirai que quelques mots du chatouillement et de 
la démangeaison qui, à mon sens, ne sont que des modi¬ 
fications particulières de la douleur. 

Brown-Séquard (3) a tenté de faire du chatouillement 

(1) L’hypothèse de Rabuteau {Bull, de la Soc. de bioü., 1874, p. 238) 
n’explique rien au point de vue physiologique. 

(2) Legrand. Th. inaug. Paris, 1875. Physiologie de la V® paire crâr 
nienne. 

(3) Journ. de la physiol., t. VI, p. 611. 



324 DU CHATOUILLEMENT. 

(pallesthésie) une sensibilité spéciale. A ce compte, il fau¬ 
drait en faire une aussi pour la démangeaison, qui res¬ 
semble au chatouillement à ce point, que souvent ces 
deux sensibilités se confondent, et que Tanalyse physiolo¬ 
gique a uiie certaine peine à les séparer. 

Bien plus, ces deux sensibilités,par une série de grada¬ 
tions imperceptibles, se confondent avec l’algesthésie : un 
chatouillement très-fort est une vraie douleur, et une dé¬ 
mangeaison très-forte cause une irritation insupporta¬ 
ble. En ce momen't, à la Pitié, je vois un malade at¬ 
teint d’ostéite du pied avec fistule. Aux bords de la plaie, 
il éprouve, dit-il, une douleur extrême : tantôt c’est une 
cuisson, tantôt un grattement, tantôt une démangeai¬ 
son, tantôt un chatouillenent, et il se sert indifférem¬ 
ment de toutes ces expressions pour indiquer ce qu’il 
ressent. En tous cas, c’est un prurit douloureux qui ne 
diffère des autres douleurs que par certaines modifica¬ 
tions dans la perception. Un autre malade dont la main 
avait été mordue par un cheval, se plaignait de cha¬ 
touillements et de démangeaisons qui le faisaient, disait- 
il, beaucoup souffrir. 

Le caractère principal, pour ne pas dire le seul carac¬ 
tère spécitque de ces deux sensibilités, c’est qu’elles sont 
rapportées à un point déterminé de la peau et qu’elles 
exigent impérieusement une révulsion appliquée au même 
point. Elles semblent être produites par une excitation 
légère, mais répétée, et qui, par le fait même de sa répé¬ 
tition et de son accumulation dans les centres, devient 
insupportable. Là où une excitation forte aurait produit 
cé -a douleur, une excitation faible et superficielle produit 
du chatouillement et de la démangeaison ; c’est en somme 



DÉMANGEAISON. 


325 


ET DE LA 


un diminutif de la douleur, une sorte de douleur incom¬ 
plète, et si quelquefois ces sensibilités produisent du plai¬ 
sir, cela tient à certaines conditions psychiques. D’ailleurs 
on ne doit guère en être surpris, Indifférence entre le plai¬ 
sir et la douleur n’étant pas aussi bien caractérisée qu’on 
pourrait le croire tout d’abord. 

Ce qu’il y a de certain, c’est que c’est une conséquence 
de l’hypéresthésie des nerfs. Dans les observations de 
Brown-Séquard, sauf deux exceptions (?), il y avait pal- 
lesthésie coïncidant avec l’abolition de la sensibilité 
générale. Toutes les fois qu’il y avait hypéresthésie à la 
douleur, il y avait aussi hypéresthésie au chatouillement. 
Quant à la démangeaison, on l’observe très-fréquemment 
dans toutes les inflammations de la peau, même dans les 
phlegmons. Dans les névralgies, le moindre contact produit 
un chatouillement pénible, et quelquefois une vive déman¬ 
geaison porte le malade à gratter les parties douloureuses. 
Les vieilles cicatrices, les kéloïdes, sont le siège d’un pru¬ 
rit rebelle qu’il est souvent difficile d’apaiser. En général 
la démangeaison et le chatouillement sont des sensations 
qui accompagnent la régénération d’un nerf. La croyance 
populaire qui considère comme un signe favorable et 
un commencement de cicatrisation, la démangeaison dans 
une plaie, est très-bien justifiée : cette démangeaison coïn¬ 
cide avec une hypéresthésie à la douleur plus ou moins 
vive, laquelle est très-marquée dans certaines cicatrices. 

J’ai constaté l’existence de cette sensibilité rapportée 
aux organes périphériques, mais siégeant évidemment 
dans les troncs nerveux. Il s’agit d’un homme de 51 ans, 
amputé ik y a dix-huit mois, par M. Vemeuil, de la 
cuisse. Il a un moignon régulier dont il souffre peu, seu- 



326 DU CHATOUILLEMENT, 

lement il y éprouve de temps à autre des bouffées de cha¬ 
leur et des démangeaisons très-vives ; « quelquefois, me 
dit-il, cela me démange à la jambe que je n’ai plus, et 
involontairement je porte la main à ma jambe de bois 
pour la gratter (1). » 

Dans d’autres cas, j’ai vu cette sensibilité conservée 
quand il y avait anesthésie tactile. Ainsi souvent, sur les 
moignons d’amputés, aux points mêmes où il y a anes¬ 
thésie tactile, le malade éprouve des chatouillements 
très-pénibles. 

Un autre caractère des sensations de démangeaison et 
de chatouillement, c’est un certain degré de diffusion ; en 
cela elles ressemblent encore à la douleur. Le soulage¬ 
ment qu’une révulsion mécanique apporte à une déman¬ 
geaison n’est pas complet tout d’abord; le point gratté n’est 
plus excitable, mais tout autour de lui la démangeaison 
reparaît, insaisissable pour ainsi dire, et renaissant en un 
point, à mesure qu’elle s’éteint dans un autre. 

Enfin nous remarquerons que certaines substances in¬ 
troduites dans le sang peuvent donner des démangeaisons 
très-vives : ainsi parfois la morphine, l’arsenic (2), la bella¬ 
done (3), l’aconitine (4). Dans les affections catarrhales des 

(1) J’ai en outre retrouvé chez ce malade la sensation particulière que 
Guêniot {Jaurn. de la physioL, t. lY), a décrite. U lui semblait que sou 
pied se rapprochait graduellement du moignon (voir aussi Rizet, Gaz, méd ., 
1861, p. 293); 

(2) Rabuteau. Eîim. de toxicologie, T édit., p. 137. 

(3) Schroff. XJeher Belladona, Atropin und Daturin ; Preusa, Vereinszei- 
tung, 1853, n»s 35 et 36. 

(4) Gubler. Comment, du Codex, p. 613. — Hiftz. Art. Aconitine du 
Dict. de méd. 



327 


rET DE LA DÉMANGEAISON. 

lioies biliaires, dans l’ictère simple, le prurit de la peau 
est un phénomène constant. 

Earl et Wigl, cités par Rabuteau(l), ayant pris 60 centi¬ 
grammes de ciguë, sentirent leurs jambes fléchir et éprou¬ 
vèrent une sensation de fourmillement dans la peau. La 
codéine, à la dose de 15 centigrammes, a donné à Rabu- 
teau (2) des démangeaisons dans les membres et une cer¬ 
taine fatigue musculaire. 

Dans un cas d’Evans (3), chez la même personne, trois 
grossesses ont amené chaque fois un prurit général insup¬ 
portable. 

Dans les affections centrales du système nerveux, ces 
sensations subjectives sont fort rares ; cependant on les 
rencontre quelquefois. Dagonet (4) dit que dans l’alcoo¬ 
lisme chronique il y a souvent des démangeaisons 
intenses, que les malades attribuent à [des poux et à la 
vermine, une sensation vraie devenant le point de départ 
d’une idée délirante. Pour ma part, j’en ai vu un cas sem¬ 
blable chez un paralytique général au début. Il croyait 
être dévoré par les poux. En réalité, il n avait que des dé¬ 
mangeaisons intolérables. Selon Brovrn-Séquard (5), Eané- 
mie de la moelle produirait du chatouillement, ce qui est 
évidemment une des formes de l’hypéresthésie. 

Ce n’est pas indifféremment sur tous les points du corps 
que se porte la démangeaison. Il semble qu’il y ait des 
lieux d’élection, par exemple le cuir chevelu, le périnée, le 

(1) Elém. de thérap., p. 481. 

(2) Loc. eit., p. 518. 

(3) American Journ. of med. science, CXXXVn, p. 139. 

( t) Ann. méd psychol., 1873, t. IX, p. 187. 

• (j) Leçons sur le diagnostic des paralysies. Paris, 1865) 2» éàit,. p. 207. 



TRAITEMENT. 


328 

scrotum, les aisselles, la face interne des cuisses, les na¬ 
rines, l’orifice du conduit auditif, etc., et en général les 
parties d’une sensibilité à la douleur très-vive, et d’une 
sensibilité tactile assez obscure. Quant au cliatouillement, 
c’est surtout à la face plantaire des pieds, là où l’épiderme 
est très-épais, et où la sensibilité tactile superficielle est 
loin d’être parfaite. 

Quant à la différence existant entre la démangeaison et 
le chatouillement, elle est plus difficile à décrire qu’à com¬ 
prendre, en tous cas il y a une différence dans l'excitation 
qui les produit. Pour la démangeaison, la cause est phy¬ 
siologique, c’est une modification dans l’innervation de 
telle ou telle partie de la peau. Pour le chatouillement, la 
cause est extérieure, c’est l’excitation superficielle par un. 
corps extérieur, qui frotte légèrement le tégument externe, 
mais pour que cette sensation soit perçue, il faut des con¬ 
ditions psychiques de réceptivité toutes particulières. 

§ VII. 

Du traitement de la douleur. 

Ainsi la douleur se retrouve partout, à chaque instant, 
et sous toutes les formes. Heureusement, la thérapeutique, 
qui est plus ou m,oins illusoire pour la plupart des ma¬ 
ladies, est ici d’une efficacité incontestable. La science 
♦médicale a rendu à l’humanité ce service, le plus grand 
qu’on puisse attendre d’elle, ç’est de modérer et presque 
de supprimer toute douleur physique et d’empêcher, sinon 
qu’elle-commence à apparaître, au moins d’empêcher 




DE LA DOULEUR 


329 


qu’elle se prolonge pendant assez de temps pour etre in¬ 
supportable. 

D’abord il n’y a plus de douleur dans les opérations ; 
quelque longue, quelque pénible qu’elle soit, le chloro¬ 
forme n’est jamais contre-indiqué. Les opérations sur les 
yeux, les autoplasties les plus délicates du voile du palais 
peuvent se faire avec le chloroforme. L anesthésie locale 
rendra aussi de très-grands services, en sorte que, pour ce 
qui concerne la douleur opératoire, le problème est résolu. 
Il est peu probable qu’on parvienne à supprimer absolu¬ 
ment toute chance de mort dans l’anesthésie, car un poi¬ 
son assez violent pour paralyser le sentiment ne peut pas 
être inolfensif. Cependant les accidents dans l’anesthésie 
deviennent de plus en. plus rares. 

Quant aux accouchements, la chloroformisation est un 
bienfait inestimable, et je ne comprends pas pourquoi la 
pratique ne s’en généralise pas en France. On ne peut que 
rire du sentimentalisme mystique qui le fait repousser 
par certains accoucheurs (i). 

La douleur inflammatoire est facilement combattue. 
D’une part les saignées, d’autre part les narcotiques et les 
révulsifs, sont des moyens puissants, qui, ménagés avec 
art, doivent presque toujours triompher du mal. 

Quant aux douleurs centrales ou périphériques liées aux 
névralgies, aux traumatismes, aux empoisonnements, aux 
affections générales graves, elles peuvent être victorieuse¬ 
ment combattues, d’abord par les médications qui guéris¬ 
sent la maladie elle-même, ensuite par les narcotiques et 
les révulsifs. 

(1) Cazeaux. Traité dea accouchements. 

Richet. 




330 de la révulsion. 

Comment agit la révulsion? Il est probable qu’il en est 
de la sensibilité à la douleur comme de la semsibilité nor¬ 
male : une excitation est beaucoup moins sentie si un 
autre point du corps est excité en même temps, que si 
cette première excitation est seule, et si toute l’attention 
converge vers elle. Un vésicatoire, un sinapisme ont sans 
doute sur une douleur profonde une influence analogue. 
De plus les révulsifs agissent sur la circulation vaso¬ 
motrice et peuvent changer d’une manière favorable les 
conditions d’afflux sanguin, lequel a, comme on le sait, 
tant d’influence sur l’excitabilité nerveuse. 

Parmi les narcotiques, l’opium est au premier rang; 
c’est un médicament héroïque, et sans contestation l’agent 
le plus précieux de Iet thérapeutique. Les- injections sous- 
cutanées de morphine constituent un véritable progrès de 
la médication narcotique et sont devenues d’un usage 
général. 

En somme, les malades qu’on ne peut pas soulager avec 
l’opium font l’exception, et une exception beaucoup plus 
rare qu’on ne le pense. D’ailleurs, à défaut de la mor¬ 
phine le bromure de potassium, le chloral, l’éther, four¬ 
nissent de précieuses ressources, et souvent leur indica¬ 
tion est formelle. L’électricité, les bains prolongés, l’hy¬ 
drothérapie peuvent aussi être employés a vec succès; enfin 
le sulfate de quinine a une action anti-algésique tellement 

puissante que pour les douleurs névralgiques il faudrait 
presque le.placer sur le même rang que l’opium. 

D’autres substances peuvent aussi être regardées comme 
d-s narcotiques, le bromure de sodium (1), l’acide cyaphy- 
dnque à dose presque infinitésimale, l’éther et le chlo- 

(1) Rabuteau. Elém de thérap, p. 608. 



CONCLUSIONS. 


331 


roforme à petites doses. La liste en serait inépuisable et 
n’offrirait guère d^intérêt. 


CONCLUSIONS ET RÉSUME. 

Parvenu au terme de cette longue étude, dans laquelle 
malheureusement je n’ai pu éviter ni une certaine confu¬ 
sion, ni une certaine obscurité, je crois qu’il sera utile de 
résumer brièvement les principaux faits que j ai essayé 
de mettre en lumière. 

Le système nerveux central, représenté par l’encéphale 
et la moelle, est en rapport avec des nerfs centrifuges ou 
moteurs, et des nerfsu:entripètes ou sensitifs. L’excitation 
des nerfs sensitifs provoque une perception, comme l’ex¬ 
citation des nerfs moteurs un mouvement : mais par 
l’étude attentive des lois de la perception, comparées aux 
lois du mouvement, on découvre une analogie merveil¬ 
leuse entre ces deux fonctions : tandis que la fonction du 
nerf est une simple transmission, la fonction, soit des 
centres nerveux, soit des muscles, est un travail, un dé¬ 
gagement de force qui dure pendant un temps relative¬ 
ment prolongé. La conséquence de cette durée, aussi bien 
que de l’inertie des masses mises en jeu, fait que les exci¬ 
tations accumulent leurs effets, et que le travail produit 
est en raison directe non-seulement de l’intensité de l’ex¬ 
citation, mais de la fréquence et du nombre de ces mêmes 
excitations. Aussi pour des excitations répétées et égales 



332 CONCLUSIONS. 

entre elles, le moment de la perception est d’autant plus 
retardé que leur intensité est plus faible et d’autant plus 
rapide que cette intensité est plus grande. Quant à la 
persistance dans les centres d’une excitation unique, elle 
est en raison directe de l'intensité de cette excitation. 

Quoi qu’il en soit, l’excitation du système nerveux cen¬ 
tral est provoquée par l’excitation du nerf. Or, un nerf 
sensitif, comme aussi probablement-un nerf moteur, est 
excité par un changement brusque dans ses conditions 
d’existence. C’est ainsi que les substances chimiques, les 
agents physiques, les excitations mécaniques provoquent 
un courant nerveux. Ce courant nerveux, dont la seule 
manifestation extérieure estunchangement dans l’étatélec- 
trique dunerf,ne peut être assimiléà un courantélectrique : 
sa vitesse est beaucoup moins grande, puisqu’elle ne dé¬ 
passe pas 60 mètres par seconde ; d’ailleurs elle exige 
l’intégrité histologique du nerf, condition qui serait inu¬ 
tile si le courant nerveux était un courant électrique. Chez 
les ataxiques, la vitesse du courantnerveux dans la moelle 
n’estpas constante; elle diffère suivant l’intensité de l'exci¬ 
tation. La compression d’un nerf diminue la vitesse ducou- 
rant nerveux,et cette vitesseà l’étatnormalparaît êtreplus 
considérable pour le nerf sensitif que pour le nerf moteur. 
Le sens du courant n’est pasle même pour le nerf moteur et 
le nerf sensitif, au moins quant à ses effets. Pour le nerf 
moteur, le sens est vers le muscle ; pour le nerf sensitif, 
vers le cerveau. Cependant, si dans les %ros troncs sen¬ 
sitifs, le sens du courant est nettement ^déterminé, à me¬ 
sure qu’on s’éloigne des centres, il semble que le courant 
se propage de plus en plus dans les deux sens, en sorte 
qu’à la périphérie tout se passe comme si la propagation 



CONCLUSIONS. 


333 


se faisait également vers le haut et vers le bas. C’est ce 
qu’on doit appeler la sensibilité récurrente. Cette sensi¬ 
bilité récurrente est très-marquée pour les racines rachi¬ 
diennes, mais elle n’est pas moins évidente pour les nerfs 
sensitifs de la périphérie. 

Il est extrêmement probable que les excitations méca¬ 
niques portées sur la peau sont renforcées par un appareil 
périphérique (corps de Pacini, Vater, Krause, etc.). Si l’on 
veut savoir quels sont les effets de 1 excitation des troncs 
nerveux eux-mêmes, il faut recourir, soit à l’analyse phy¬ 
siologique, par l’exploration électrique par exemple, soit 
à l’analyse pathologique des nombreux cas dans lesquels 
des troncs nerveux volumineux ont été lésés ; on voit 
alors que suivant les degrés de l’excitation il y a : 

1® L’engourdissement ; 

2° Le fourmillement 

3® Le scintillement ; 

4“ La douleur fulgurante. 

Ces phénomènes sont des phénomènes purement sub¬ 
jectifs, des sensations affectives qui ne nous donnent 
aucune notion sur les objets extérieurs. Pour qu’il y ait 
perception des objets extérieurs, il faut le concours de 
l’appareil de renforcement périphérique. Les bouffées de 
froid et de chaleur, de démangeaison, de chatouillement, 
les sensations de crampes musculaires peuvent aussi pro¬ 
venir de l’excitation directe des troncs nerveux. L’exis¬ 
tence de l’appareil nerveux tégumentaire placé à la péri¬ 
phérie est démontrée par ce fait que la sensibilité cutanée 
est mise en jeu par des excitations qui seraient insuffi¬ 
santes pour éveiller la sensibilité du tronc nerveux lui- 
même. 



334 


CONCLUSIONS. 


Les appareils conducteurs ou percepteurs de la sensi¬ 
bilité peuvent être lésés de diverses manières, leur exci¬ 
tabilité étant diminuée, éteinte ou exagérée. La cause de 
l’anesthésie ou de l’hyperesthésie est centrale ou péri¬ 
phérique, en comprenant par périphérie tout ce qui n’est 
pas Taxe encéphalo-médullaire. 

L’hypéresthésie périphérique, telle qu’on l’observe dans 
les névralgies et les inflammations, ne porte jamais sur 
la sensibilité tactile : elle ne porte que sur les différentes 
formes de l’excitabilité des troncs nerveux. Souvent cette 
hyperesthésie est portée à un tel point que l’excitation la 
plus légère devient une excitation douloureuse. Les tissus 
primitivement insensibles acquièrent par l’inflammation 
une sensibilité exquise, les tissus fibreux, par exemple. De 
même un nerf enflammé est beaucoup plus sensible à la 
douleur qu’un nerf sain. 

Lorsque un nerf sensitif meurt, il meurt de la périphérie 
aux centres, et, pour un membre, desextrémitésàla racine, 
et des parties superficielles aux parties profondes : quelle 
que soit la cause de la mort d’un nerf sensitif, l’anesthésie, 
qui en est la conséquence dernière, est toujours précédée 
d’une période d’hypéresthésie plus ou moins passagère. 
En outre, les différentes sensibilités se paralysent isolé¬ 
ment. En général c’est la finesse du toucher qui périt tout 
d’abord, car l’anesthésie tactile est la conséquence néces¬ 
saire de l’hyperesthésie douloureuse d’un nerf, le toucher 
exigeant, pour être parfait, qu’il n’y ait pas d’excitabilité 
exagérée. La sensibilité à la douleur disparait ensuite, 
puis le sens musculaire, et la sensibilité à la chaleur. Tou¬ 
tefois, cet ordre de disparition des propriétés nerveuses 
est loin d’être constant. 




CONCLUSIONS. 


335 


En étudiant chez la grenouille les effets de l’anhémiesur 
la sensibilité, j’ai vu que le nerf sensitif mourait avant ’e 
nerf de mouvement et avant le muscle. Sur l’homme, en 
appl’oaant l’appareil de Sil^^estri (bande d’Esmarch), on 
constate le même phénomène, c’est-à-dire la mort de la 
sensibilité précédant la mort de la motilité. Chez ^es gre¬ 
nouilles empoisonnées avec de la strychnine, de manière à 
rendre manifestes les plus légères sensations, c’est la sen¬ 
sibilité aux excitants électriques qui meurt en dernier 
lieu. Chez l’homme, il semble que ce soit plutôt la sen¬ 
sibilité aux excitants thermiques. Mais la période d’anes¬ 
thésie est toujours précédée d’une période d’hypéres- 
thésie. 

La compression,'Fanhémie, la commotion, le froid pro¬ 
duisent des effets d’hyjDéresthésie passagère, bientôt suivie 
d’anesthésie définitive. Bien d’autres causes pathologiques 
agissent encore sur les nerfs sensitifs, en particulier les 
névrites, soit des gros troncs, soit dés ramuscules 
terminaux (névrite interstitielle), qui, dans quelques cas, 
après une période d’hyperesthésie longue et pénible, amè¬ 
nent une anesthésie plus ou moins complète. 

Les substances chimiques agissent aussi sur l’excitabi¬ 
lité des nerfs. Même à travers lapeau intacte, il se fait une 
sorte d’absorption lente, qu’on pourrait appeler absor¬ 
ption interstitielle, par laquelle des corps dissous ou ré¬ 
duits en poussière impalpable, peuvent agir sur la péri¬ 
phérie des nerfs, sans qu’il y ait pénétration dans la cir¬ 
culation générale. Toutes les substances anesthésiques 
locales agissent de cette manière, laquelle est essentielle¬ 
ment différente de l’anesthésie toxique de cause centrale. 
Cette anesthésie locale est une sorte de destruction chimi- 



336 


CONCLUSIONS. 


que du nerf, et toutes les substances caustiques sont des 
anesthésiques locaux. En combinant l’anesthésie locale par 
l’éther à la compression et à l’anhémie, on a un moyen sûr 
pour obtenir une anesthésie locale suffisant à la pratique 
chirurgicale. 

Q.uoique la science n’ait pas éclairci ce point fonda¬ 
mental, il y a très-probablement à la périphérie des nerfs 
une action de l’oxygène de l’air sur l’état fonctionnel de 
ces nerfs. Aussi la privation d’oxygène, par les moyens 
variés que la pratique a mis en usage, est- elle un 
agent anesthésique puissant. L’appareil ouaté, lès bains 
prolongés, les douches d’acide carbonique, les applica¬ 
tions de collodion n’agissent pas autrement : ces moyens 
sont utiles, non-seulement dans les cas de plaies, mais 
encore pour les inflammations dans lesquelles la peau est 
intacte, car il s’établit certainement des échanges gazeux 
entre l’air extérieur et le réseau circulatoire du derme. 

Les nerfs qui se rendent à l’axe cérébro-spinal peuvent 
être classés d’après leurs fonctions en trois groupes : le 
premier groupe comprend les nerfs sensoriels qui donnent 
des sensations spéciales, et, par une excitation forte, ne 
produisent pas de douleurs; le second groupe comprend les 
nerfs sensitifs proprement dits, qui, par une excitation 
forte, produisent de la douleur,qui donnent une perception 
nette, et, nous mettant en rapport avec les objets exté¬ 
rieurs, règlent les mouvements musculaires ; le troisième 
groupe est constitué parles nerfs sensitivo- sympathiques 
qui viennent des viscères, nous donnent des sensations 
fort longues, à peine perçues, et sont à l’état norîîial peu 
ou point sensibles à la douleur. 

Comme, dans la nature, il n’y a pas de classification 



CONCLUSIONS. 


337 


établie entre les diverses fonctions, on trouvera admi¬ 
ssible l’existence de nerfs intermédiaires, les glosso-pha- 
ryngien et lingual, entre le premier et le deuxième groupe, 
le pneumogastrique, entre le deuxième et le troisième. 
Dans ce travail, nous n’avons étudié®queies fonctions des 
nerfs du deuxième groupe Inerfs sensitifs proprement 
dits), c’est-à-dire ce qu’on appelle communément la sen¬ 
sibilité générale. 

Les nerfs sensitifs sont en rapport avec des parties dé¬ 
terminées du cerveau. Comme tout nous porte à croire que 
l’action d’un nerf est toujours identique à elle-rnême, et 
que cet organe est un simple |fil de transmission, la spé¬ 
cificité des sensations tiendra non à la nature de l’excita¬ 
tion, maisà la fonction du centre sensitif excité ; autrement 
dit, 1 excitation d’un centre sensitif spécial provoquera 
une sensation spéciale. Cette hypothèse est assurément 
permise, aujourd’hui qu’on a démontré l’existence de 
centres moteurs spéciaux pour chaque action musculaire 
synergique. 

Cela posé, sinous considérons les sensations transmises 
aux centres par les nerfs sensitifs de la sensibilité géné¬ 
rale, nous pouvons en créer trois classes bien distinctes. 

La première classe comprendra les sensibilités particu¬ 
lières, éveillant immédiatement une action réflexe nette¬ 
ment déterminée, et provoquant dans les centres une 
perception de nature spéciale : ce sont des sensibilités 
motrices. Elles sont locales, provoquées par l’excitation 
des nerfs de la région, et tiennent très-probablement à 
l’excitabilité de certains centres sensitifs, liés étroitement 
à des centres moteurs correspondants. Nous avons com¬ 
pris dans ce groupe les dix sensations suivantes : Volupté, 
Hichet. 43 



CONCLUSIONS. 


338 

respiration, bâillement, éternùment, toux, déglutition, 
clignement, vomissement, défécation, miction. 

La seconde classe comprendra les sensibilités liées â 
une excitation modérée des nerfs sensitifs, et amenant une 
notion du monde extérieur. Ces sensibilités donnent une 
perception nette de l’excitation, et elles constituent par 
leur ensemble le sens du toucher : nous les appellerons 
sensibilités perceptives. 

Ces sensibilités perceptives peuvent elles-mêmes se 
subdiviser ainsi, et probablement cette division répond à 
des conducteurs spéciaux. 

Sensibilité musculaire, répondant à une double excita¬ 
tion physiologique, à la périphérie, excitation par la con¬ 
traction des muscles, et dans les centres, excitation par la 
mise en jeu des centres moteurs des muscles, centres 
juxtaposés aux centres sensitifs. 

Sensibilité thermique, répondant à une excitation phy¬ 
sique. 

Sensibilité tactile, provoquée par une excitation méca¬ 
nique, et ainsi subdivisée : 

Sensibilité superficielle. 

Sensibilité dermique. 

Sensibilité profonde ( sens de la pression des 
anciens auteurs). 

La troisième classe comprend les sensibilités affectives, 
c’est-à-dire la douleur, avec ses deux modifications (cha¬ 
touillement et démangeaison). Le caractère de la sensi¬ 
bilité à la douleur est qu’elle peut être éveillée par l’ex¬ 
citation démesurée d’un nerf sensitif quelconque. Aussi, 
si les sensibilités des deux premières classes sont trop vi¬ 
vement surexcitées, y a-t-il douleur, c’est-à-dire une sen- 



CONCLUSIONS. 


339 


sation spéciale qui ne nous avertit que de l’état de nos 
organes, et ne nous donne aucune notion perceptive. 

La douleur est donc une fonction des centres, et j ai 
essayé de l’étudier le plus complètement possible. 

Lorsqu’il y a hypéresthésie d’un nerf, la sensibilité à la 
douleur est exaltée. Que si l’excitation du nerf se pro¬ 
longe, il s’ensuivra une hypéresthésie qui gagnera gra¬ 
duellement les troncs même de ce nerf (hypéresthésie par 
propagation), puis les nerf voisins (hypéresthésie par 
irradiation), puis le système sensitif médullaire, puis le 
système sensitif encéphalique (hypéresthésie générale), et 
finira par produire des désordres dans la raison. 

D’ailleurs, il existe un rapport étroit [entre la sensibi¬ 
lité et l’intelligence, et tous les poisons de l’intelligence 
portent aussi leur action sur l’appareil sensitif de 1 axe 
cérébro-spinal,l’alcool, le chloroforme, etc.Comme pour les 
nerfs, la période d’hypéresthésie précède toujours l’anes¬ 
thésie. Le rapport étroit qui existe entre la sensibilité et 
l’intelligence est aussi manifeste dans les cas patholo¬ 
giques; toutes les fois que l’intelligence est lésée, il y a 
des désordres plus ou mpins étendus de la sensibilité à la 
douleur et réciproquement. 

C’est surtout dans l’hystérie qu’il y a analgésie, avec 
conservation du sens du toucher et de toutes les sensibi¬ 
lités motrices ou perceptives. Aussi l’intégrité du sens du 
toucher, quand la sensibilité à la douleur est abolie, per¬ 
met-elle de diagnostiquer hardiment une lésion plus ou 
moins matérielle dans les organes centraux, puisque la 
lésion des organes périphériques [entraîne d’abord l’anes¬ 
thésie du toucher. 

Si on cherche les caractères physiologiques de la dou- 



340 coNCLusions. 

leur, on verra que l’un de ces caractères, c’est la lenteur 
de la perception douloureuse, en sorte qu’il faut en géné¬ 
ral, pour la produire, une excitation de longue durée ; et 
que la perception sensitive précédera la perception dou¬ 
loureuse. Il se passe là un phénomène'analogue au phé¬ 
nomène général de la perception; mais le travail des 
centres nerveux, étant plus considérable pourune douleur 
que pour une sensation, exige par cela même ou un temps 
plus long, ou des excitations plus fortes. 

Une autre conséquence de cette lenteur de la perception 
douloureuse, c’est que la douleur, lente à se produire, per¬ 
siste aussi longtemps, et cet ébranlement prolongé des 
centres nerveux est, non pas seulement la suite de la 
douleur, mais la douleur même. 

Les autres .caractères moins constants de la douleur, 
sont l’irradiation et l’intermittence,qui rentrent aussi dans 
les lois générales de la sensibilité. La douleur peut venir 
encore de l’excitation du grand sympathique, dans ce 
cas elle a des caractères particuliers, une diffusion et une 
anxiété dans tout l’organisme, ainsi qu’une angoisse pro¬ 
fonde qui plonge le malade dans une sorte d’adynamie 
invincible. 

Dans certains cas d’excitation très-forte d’un nerf, 
comme par un traumatisme violent, il n’y a pas de dou¬ 
leur. Le fait, quelque étrange qu’il puisse paraître, est 
constant et fréquemment observé. La douleur qui est la 
conséquence d’une plaie, d’une blessure, d’une opération, 
est la douleur traumatique, qui n’est influencée ni par la 
hèvre, ni par les changements de température. La dou¬ 
leur primitive dure environ une à quatre heures après la 
blessure, et à partir de ce moment elle disparaît pour tou- 



CONCLUSIONS. 


341 


jours : dans certains cas la douleur reparaît aux deuxième, 
troisième ou quatrième jour (douleur traumatique secon¬ 
daire) sous l’influence de l’inflammation ou de la névrite 
de la plaie. 

Quant aux agents qui produisent de la douleur, ils sont 
les mêmes que ceux qui excitent les nerfs, de sorte que 
l’excitation démesurée d’un nerf sensitif quelconque pro¬ 
duira de la douleur. C’est ou un changement d’état brusque 
et violent dans un nerf, ou bien un changement graduel 
et répété dont les effets vont s’accumuler dans les centres. 
Quoi qu’il en soit, il semble qu’il y ait dans l’encéphale 
un centre de la douleur, ne pouvant être atteint que par 
l’excitation trop intense des nerfs qui arrivent au cerveau 
par la moelle ou le bulbe. 



TABLE DES MATIÈRES 


Introduction .... 

PREMIÈRE PARTIE. — De la sensibilité comm. fonction des nerfs. 
Chap. I. — De la paire nerveuse et de la sensibilité récurrente. . 
Chap. il — De l’excitabilité des nerfs sensitifs et du courant 

nerveux sensitif. .. 

Chap. III. — Des effets du courant nerveux sensitif. ....... 

Chap. IV. — Des anesthésies, des analgésies et des hypoalgésies 

§ 1. — Lésion des troncs nerveux.. . 

§ 2. — Contact avec les substances stupéfiantes. 

g 3. — Action du froid. 

§ 4. — Action de l’anliémie.... 

§ 5. — Des anesthésies liées à des lésions des nerfs ou à des 

lésions de la peau.. 

Conclusions... 

DEUXIÈME PARTIE. — De la sensibilité comme fonction des centres. 

Chap. I. — Des lois de la sensibilité.. 

§ 1. — Des variations de la sensibilité suivant l’excitabilité. 
§ 2. — Des variations de la sensibilité suivant le nombre, 
la fréquence et l’intensité des excitations. 

Conclusions. . . ; .. 

Chap. IL — Des différentes variétés de la sensibilité générale.. . 

§ 1. —' Des sensibilités motrices. 

§ 2. — De la sensibilité tactile et de ses différentes formes, 
Chap. III. — De la sensibilité à la douleur 

§ 1. — Des signes de la douleur .. 

§ 2. — De l’influence de l’état des nerfs sur la douleur et de 

l’influence de la douleur sur le système nerveux. 

§ 3. — Des analgésies de cause centrale, provoquées. . . . 
§ 4. — Des analgésies de cause centrale, pathologiques. . . 
§ 5. — Des caractères physiologiques de la douleur .... 

§ 6. — Des différentes variétés de douleurs. 

§ 7. — Du traitement de la douleur.. 

Conclusions et Résumé. 


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QUESTIONS 


SUR L.BS DIVERSES BRANCHES DES SCIENCES MEDICALES. 

Anatomie et histologie normales. — Des aponévroses. 

Physiologie. — De la sécrétion de la bile et rôle de ce 
liquide. 

Physique. — Description des piles les plus usitées. 

Chimie. ~ Théories sur la constitution chimique des 
sels, solubilité des sels, action des sels les uns sur les 
autres. (Lois de Bertholletet de Wollaston.) 

Histoire naturelle. — Des tig-es, leur structure, leur 
direction, caractères qui distinguent les tiges des 
monocotylédonés de celles des dicotylédonés. Théories 
sur leur accroissegient. 

Pathologie externe» — De Tastigmatisme. 

Pathologie inthme.— Des concrétions sanguines dans 
le système veineux. 

Pathologie générale. ~ Des métastases. 

Anatomie et histologie pathologiques. — Des lésions des 
nerfs. 

Médecine opératoire.— De la valeur des appareils ina- 
movinles dans le traitement de la coxalgie. 



— 344 — 


Pharmacologie. — Des g'arg’arismes et des collutoire 
des collyres g-azeux, liquides, mous et solides, des in 
jections, des inhalations, des lotions, de s fomentation 
des fumig-ations, etc. 

Thérapeutique. — Des indications de la médication to¬ 
nique. 

Hygiène. — Ite l’action de la lumière sur l’org'a- 
nisme. 

Médecine légale. — Empoisonnements par le chloro¬ 
forme et l’éther. Comment peut-on reconnaître la pré¬ 
sence de ces anesthésiques dans le sang- ? 

Accouchements. — Des paralysies symptomatiques de 
la g-rossesse. 


Permis d’imprimer 
Le vice-recteur de l’Académie, 
A. MOURIER. 


Vu : Le président de la thèse, 
VERNEUIL.